RAPPORT SUR L'ACTIVITÉ
|
J.M. YOLIN
Mission sur les sociétés de conversion
____________
La restructuration des industries de défense a conduit le gouvernement à sinterroger sur lefficacité des outils et des méthodes élaborées dans les décennies passées pour faire face aux crises sidérurgiques et minières.
Il a chargé le Conseil Général des Mines et lInspection Générale des Finances, fin 1996, dévaluer les actions passées et de proposer les évolutions souhaitables.
La mission a audité les 6 principales sociétés de conversion, elle a rencontré les élus, les responsables administratifs, les banques et les investisseurs tant au niveau national que dans les régions les plus significatives. Elle a visité plus de 50 entreprises.
Il en ressort que les sociétés de conversion sont bien gérées sur le plan comptable, mais que si certaines ont développé de réelles compétences, le système souffrait de nombreuses inadaptations structurelles dues à la confusion entre la restructuration dune entreprise et la reconversion dune région.
Certes lorganisation actuelle offre apparemment de nombreux avantages : facilité budgétaires de mise en place (il est plus facile de faire une dotation en capital de 500 MF que de financer une action de 10 MF par an), rapidité de mise en oeuvre (il nest pas nécessaire comme pour un contrat de préciser les objectifs), économie (on utilise les cadres des entreprises à reconvertir), ancrage local.
En fait, lanalyse des résultats sur le terrain met en évidence un nombre considérable deffets pervers, qui se traduisent in fine par des surcoûts très notables pour le budget de lÉtat.
* labsence dobjectifs clairs au départ rend les sociétés de conversion incontrôlables en dehors de laspect comptable :
- lobjectif général «créer des emplois» conduit à les «acheter»en mettant largent du contribuable là où il nest pas nécessaire,
- lobjectif «comprimer les frais de gestion» amène à réduire la seule véritable valeur ajoutée (prospection, montage et expertises des projets) et se traduit par un fonctionnement de type «guichet»,
- lobjectif «financez vos frais de gestion sur votre trésorerie» conduit à la dépense maximum (lEtat prélève des impôts... Pour les placer en SICAV court terme afin de financer des frais de fonctionnement !) en immobilisant une trésorerie pléthorique,
- lobjectif «investissez en fonds propres» et «augmentez la liquidité de vos placements» conduit à des apports en capital fictifs à des filiales de grands groupes ;
* labsence de pouvoir réel de lÉtat : la tutelle peut changer de président dans les cas extrêmes ou intervenir sur les détails, mais elle na pas le pouvoir du client qui, lui, dispose de la capacité de changer de fournisseurs ;
* les cadres sont gratuits mais peu aptes au métier de développeur de projet en PMI (une société était même surnommée «le mouroir») ;
* on ne sait pas arrêter car pour cela il faut un acte positif, toujours mal ressenti ;
* l«effet de levier», souvent affiché, conduit parfois à ce quune dépense publique en entraîne une autre en comptant deux fois (voire trois) le même emploi (dans la Loire par exemple) ;
* le blocage culturel sur les emplois industriels conduit à ignorer que lessentiel des emplois sont créés par le tertiaire et que cest autant lui qui induit lactivité industrielle que linverse (informatique, VPC, back-office des banques et assurances, R&D, ...) ;
* enfin laction de ces sociétés inhibe le développement des structures de financement (notamment des investisseurs en fonds propres) locaux, au lieu de les conforter.
Quant aux pouvoirs publics, victimes eux aussi de lapproche par secteur industriel dun problème, lié en fait à laménagement du territoire, ils manquent dune capacité dapproche globale qui seule permet daccumuler lexpérience, dévaluer les actions, de
faire évoluer en conséquence les outils dintervention, de redéployer les moyens lorsque cela est nécessaire. Aujourdhui la tutelle technique est éclatée entre la DIGEC, la DARPMI et la Défense. Au niveau des finances la même logique conduit à un éclatement entre quatre bureaux du trésor et un suivi quasi inexistant au Budget : à Saint-Étienne trois sociétés de reconversion dépendant de trois tutelles différentes opèrent simultanément.
Lanalyse des opérations de conversion a montré que celles-ci devaient faire appel à sept métiers différents : la prospection à létranger, laccueil dusines nouvelles, la prospection de «projets dormants» régionaux suivis de laide au montage et lexpertise de ceux-ci, la gestion des aides publiques, le financement (prêts et fonds propres), la reconversion du personnel, les études stratégiques et lévaluation des résultats.
Ces sept missions diffèrent profondément par les compétences exigées, les clients, la durée, les critères dévaluation (et certaines sont déontologiquement incompatibles) : le mélange des métiers, associé à une absence dobjectifs faisant lobjet dun minimum de consensus entre pouvoirs État et acteurs locaux, explique bien des déconvenues.
A partir de lanalyse de ces dysfonctionnements ainsi que des réussites qui ont pu être constatées sur le terrain la mission a fait un certain nombre de propositions :
- pour la prospection à létranger, renforcer laction de la DATAR en mettant à sa disposition des cadres seniors, et arrêter de la doublonner par les sociétés de conversion, ce qui nous ridiculise au prix fort. Interdire lintervention financière de ces sociétés sur ce type de projets : l«achat» des emplois par un prêt sans garanties à 5 % représente un équivalent-subvention quasi nul pour Mercédès mais un coût très lourd pour le budget de lEtat.
- supprimer les aides de lEtat (FIL et FIBM) dont la gestion apparaît très critiquable (absence dinstruction des dossiers, surenchères entre régions, manque de règles demploi...). Diligenter une enquête sur lemploi de ces fonds pour limmobilier dentreprises dans le Nord-Pas-de-Calais.
- redéfinir la mission et les règles demploi des sociétés de reconversion : le développement des PMI régionales nécessite :
1 - la prospection des projets potentiels, le conseil aux chefs dentreprises pour leur mise en forme, lexpertise technique, commerciale, financière pour en évaluer la viabilité ;
2 - le financement du risque ;
3 - éventuellement une subvention pour en augmenter la rentabilité ;
4 - la trésorerie nécessaire (en fonds propres comme en prêts).
Seuls les trois premiers justifient un financement public exprimant la solidarité nationale : celui-ci doit permettre la concrétisation de projets plus modestes, moins avancés, et plus risqués quailleurs. Lintervention des pouvoirs publics via les sociétés de conversion sur la 4ème est à la fois très onéreux et contre-productif.
Aussi la mission propose :
1 - De cibler laction des sociétés de conversion sur le premier objectif : choisies après appel à la concurrence, pour une durée déterminée, elles devront être rémunérées comme des consultants avec intéressement aux résultats. Le tertiaire devra être une cible privilégiée. Elles ne bénéficieront bien entendu plus de dotation en capital, ce qui évitera aux pouvoirs publics den être les clients captifs.
2 - Dassurer le financement du risque par un fonds de garantie national (capacité de redéploiement) compartimenté (nécessité daffichage) créé auprès de la Sofaris (nécessité dun back office professionnel). Ce fonds devant être mobilisé par la société de conversion après avis dun comité dengagement présidé par le Préfet.
4 - Conforter dans leur rôle de financeurs les banques et les investisseurs, qui bénéficieront de lapport de projets préalablement expertisés, dont les risques sont largement couverts, et la rentabilité améliorée par des subventions ou un cofinancement CEPME. Un renforcement des investisseurs régionaux, en étroite coopération avec la Caisse des Dépôts pourrait être utilement envisagé.
- lEtat devra organiser son administration de façon à être capable de conduire efficacement son action dans ce domaine.
Bien entendu les modalités transitoires devront être étudiées pour les sociétés de conversion actuelles en prenant en comptes des facteurs qui ne sauraient être uniquement techniques ou économiques.