RAPPORT SUR L'ACTIVITÉ
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A Kyoto, l'accord s'est fait in extremis et, en partie, sur des propositions américaines. Les
discussions, à Buenos-Aires, pourront-elles s'articuler autour de propositions françaises sinon
européennes ?
par Lionel Stoleru |
Dans le cadre de deux missions qui m'ont été confiées, l'une, en mai 1997, par le Ministre de l'Industrie pour préparer Kyoto, l'autre. en février 1998, avec Henri Prévot par le Conseil général des Mines pour préparer Buenos-Aires, j'ai eu l'occasion d'appréhender l'importance écologique et économique du problème de l'effet de serre. Je donnerai donc, dans cet article, mes conclusions personnelles, qui n engagent évidemment pas les responsables politiques.
Le réchauffement de la planète n'est plus une lubie écologique, c'est une donnée scientifique aujourd'hui reconnue.
Six gaz concourent à l'effet de serre : CO2, CH4, HFC, PFC et SF6, le principal étant évidemment le CO2 émis par combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel. La déforestation et la reforestation jouent comme un "puits" de carbone. Le protocole de Kyoto porte sur l'ensemble des six gaz et sur les puits, même si les mesures en sont difficiles. On considère que le CO2 représente 75 010 du total des trois premiers gaz. L'effet de serre résulte de la concentration atmosphérique en CO2 ou équivalent de CO2.
Elle était de 280 ppm avant l'ère industrielle et elle a doublé depuis, ce qui correspond à un réchauffement de plus de 1 degré. La tendance actuelle conduit à des réchauffements accélérés, de plus de l° par siècle, qui auraient des conséquences catastrophiques sur le climat, le niveau des océans. la calotte glaciaire et les grands équilibres écologiques.
La stabilisation écologique est en général identifiée à un objectif d'émission annuelle de 1,3 t. de carbone par habitant en 2100, à comparer aux niveaux actuels de 5,4 t. aux USA, 1,7 t. en France et 0,5 t. dans le Tiers Monde (tableau 1).
Pour l'instant, les pays riches de l'OCDE sont responsables de 50% des émissions, la Chine de 14% et l'ex-URSS de 11% les autres pays d'Asie de 10 %. Mais ces parts évoluent très vite. Selon les tendances actuelles, la Chine et l'Inde représenteraient à elles seules la moitié des émissions mondiales en 2040.
A ce niveau-là, on conçoit facilement que la lutte contre l'ef fet de serre dépendra au moins autant de ce que sera la démo graphie en 2100, que des actions entreprises sur le plan économique et écologique.
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Alors que ces éléments étaient encore mal connus, la convention de Rio, en 1992, avait, en vertu du principe de précaution, demandé que, parallèlement aux études à mener par le Groupe international d'études climatiques, chaque pays s'engage volon tairement à stabiliser ses émissions au niveau atteint en 1990 et ce, à titre conserva toire, dans l'attente d'une conférence convoquée à Kyoto en décembre 1997 pour statuer sur les mesures à prendre.
Ce "volontariat" a été acté par une liste de pays signataires, dits "de l'Annexe 1", qui comprend les pays de l'OCDE et les pays d'Europe de l'Est, mais exclut ceux du Tiers-Monde.
Entre 1992 et 1997, un groupe "ad hoc", dit groupe de Berlin. s'est réuni régulièrement pour rassembler les données scientifiques et pour commencer à discuter des réponses politiques parmi les trois stratégies possibles :
Parallèlement. l'observation des émissions de CO2 a montré des évolutions très divergentes, de 1990 à 1997, selon les pays et ce, pour au moins trois raisons :
Dans ce contexte, le dialogue préparatoire à Kyoto a rapidement tourné au dialogue de sourds. Les Etats-Unis, loin de stabiliser leurs émissions au niveau de 1990, les ont augmentées de 8% et ont opposé un double veto permanent à l'écotaxe - totalement contraire à la civilisation américaine de la voiture et de l'énergie bon marché - et aux quotas - totalement incompatibles avec la conception libérale de marché.
La conférence de Kyoto s'annonçait donc sous les pires auspices lorsque. à la surprise générale, en janvier 1997, les Etats-Unis sont sortis de leur mutisme pour avancer une proposition "révolutionnaire", les permis négociables.
Cette proposition consiste à accepter la fixation d'objectifs par pays, sous forme de droits à émettre, pourvu que ces droits soient négociables, afin que les entreprises puissent réaliser les économies de CO2 là où le coût sera le plus bas.
Cette proposition découle directement de l'expérience faite de 1994 à 1997 aux USA sur la réduction des émissions de SO2, dans le cadre du Clean Air Act de 1990 contre les pluies acides. L'Etat américain a ainsi distribué gratuitement des permis d'émission aux opérateurs. à des niveaux décroissant régulièrement année après année, chaque opérateur étant libre d'acheter ou de vendre ses droits. Le résultat a été un réel succès puisque les émissions de SO2 ont baissé de près de moitié de 1990 à 1996, avec des transactions nourries et un prix de cession de l'ordre de 250 $/tonne. en baisse régulière et très inférieur à l'amende de 2 000 $/tonne fixée en cas de dépassement des quotas d'émission.
Dès lors, les USA, très mal à l'aise, en position d'accusés sur le dossier de l'effet de serre, ont trouvé dans cette proposition de traiter le CO2 comme le SO2 une solution, à vrai dire la seule solution, acceptable à la fois par leurs industriels et leur opinion publique. Surpris par cette proposition. les autres pays ont eu du mal à préciser leurs positions, en particulier l'Union européenne dont les quinze pays membres étaient partis sur une autre piste. celle des quotas, et consacraient leurs efforts à définir un objectif global européen différencié selon les quinze pays. Au Conseil du 15 mars 1997, les quinze pays membres parvenaient effectivement à un tel accord, avec un objectif global d'une "bulle européenne" réduisant ses émissions de 10 %, fortement différencié par pays (voir le tableau 2) puisque les objectifs vont de -25 % pour l'Allemagne à +40 % pour le Portugal, en passant par 0% pour la France.
Il n'est donc pas étonnant que tout le monde soit arrivé à Kyoto en ordre dispersé, au point de craindre qu'aucun accord ne soit possible. En fait, au terme de dix jours de négociations, c'est dans la dernière ligne droite qu'un accord a pu être obtenu, certains aspects étant fixés à Kyoto, les autres étant renvoyés à une seconde conférence, à Buenos Aires, en novembre 1998.
ÉTATS MEMBRES | RÉDUCTION DES ÉMISSIONS EN 2010 COMPARÉES À 1990 CO2, CH4 ET N20 EN VALEURS PONDÉRÉES |
---|---|
BELGIQUE | -10% |
DANEMARK | -25% |
ALLEMAGNE | -25% |
GRÈCE | +30% |
ESPAGNE | +17% |
FRANCE | 0% |
IRLANDE | +15% |
ITALIE | -7% |
LUXEMBOURG | -30% |
PAYS-BAS | -10% |
AUTRICHE | -25% |
PORTUGAL | +40% |
FINLANDE | 0% |
SUÈDE | +5% |
ROYAUME-UNI | -10% |
L'accord de Kyoto, relativement inespéré dans le contexte qui vient d'être rappelé, comporte plusieurs points importants :
De décembre 1997 à novembre 1998, c'est une sorte de "course
contre la montre" qu'il va falloir livrer si l'on veut, d'une
part,
résoudre les difficiles questi en suspens et, d'autre part,
définir et faire entendre une position française.
J'en vois quatre
Si Elf réduit ses émissions dans le Golfe du Gabon en
réenfouissant les gaz au lieu de les brûler en torchère, à qui
appartiennent les droits correspondants ? A Elf ? A un pays ?
Lequel ?
Ce fonds ne pourrait-il être alimenté par une taxe de 15 à 20%
sur les transactions de permis négociables ?
Certes, les USA peuvent facilement cofinancer des projets dans
le
Tiers-Monde qui créent des droits d'émission à leur profit.
Certes, les USA peuvent donc s'offrir le luxe de ne rien faire
chez eux en achetant aux autres pays ce droit de ne rien faire.
C'est économiquement possible -et même rationnel -puisque cela
coûte moins cher par tonne de CO2 économisée.
C'est écologiquement légitime, puisque le CO2 de l'effet de
serre n'a pas de nationalité et que seul compte le total des
émissions de la planète.
Mais c'est politiquement choquant, voire inacceptable. Le Tiers-
Monde doit-il être la femme de ménage que l'on paie pour nettoyer
la malpropreté des pays riches ?
Il faut donc que chacun donne l'exemple chez soi et que, comme
l'indique l'article 16 bis du protocole de Kyoto mais - hélas ! -
sans donner de chiffres, que les transactions viennent en
supplément ("supplemental") des efforts nationaux.
Il serait donc très souhaitable que cette clause soit explicitée
à Buenos-Aires. A titre d'exemple, on pourrait stipuler que les
transactions ne s'effectuent qu'après que chaque pays ait ramené
ses émissions au niveau de 1990, ce qui aurait le mérite de la
simplicité.
Le moins qu'on puisse dire est que, dans toute la préparation
de Kyoto, ce n'est pas la France qui a eu l'initiative :
l'absence de travaux préliminaires, le désordre interministériel,
la carence de propositions politiques ont abouti à un "mou
vement brownien", caractérisé, comme chacun sait, par une grande
agitation à résultante nulle.
La première décision prise après Kyoto de replacer la Mission
interministérielle sur l'effet de serre auprès du Premier
ministre - ce qui n'était pas le cas - est donc parfaitement
légitime, et il faut souhaiter que le délégué interministériel
ait les coudées tranches et l'autorité nécessaire pour initier,
arbitrer et négocier la position française. sous les ordres du
pouvoir politique.
C'est là un préalable essentiel pour que la France puisse faire
entendre sa voix, c'est-à-dire celle du bon élève de la classe
puisque, grâce au nucléaire, nous sommes parmi les meilleurs du
monde avec le taux d'émission le plus bas des pays industriels.
Il s'agit donc de précéder l'événement pour arriver à Bruxelles
et Buenos-Aires avec des propositions, et non de se borner à
réagir aux demandes des autres.
A mon sens, la France devrait se fixer quatre objectifs princi
paux pour Buenos-Aires:
L'effet de serre, plus que la crise asiatique, pèsera lourd sur
l'économie mondiale au siècle prochain. Sachons en reconnaître
l'importance avant que d'autres l'aient fait à notre place.
Dans le texte de Kyoto, ces engagements ne sont pas formellement
contraignants ("legally binding").
De Kyoto à Buenos-Aires
Les questions en suspens
Première question : les permis négociables.
C'est là le coeur du sujet, et de redoutables ambiguïtés
restent à lever.
Deuxième question : le développement vert.
Par delà le contrôle international destiné à vérifier que les
économies d'émission viennent bien en supplément de ce qui se
serait passé sans coopération, le problème est de savoir à
qui affecter les droits correspondants.
Troisième question : le Tiers-Monde.
Le développement vert est très utile pour des projets ponctuels.
Mais comment inciter la Chine et l'Inde à structurer leur déve
loppement énergétique sans reproduire les erreurs des pays
industriels ? Une coopération structurante à long terme doit
être mise en place avec des financements de la Banque mondiale et
du Fonds mondial pour l'environnement.
Quatrième question : une éthique d'effort national minimum.
Certes, le Président Clinton a suffisamment de pouvoir
d'influence sur le Président Eltsine pour que les USA, en
expansion, acquièrent à bon compte les droits d'émettre de la
Russie, en récession.
Pour une position française "motrice"
Ces demandes sont raisonnables, elles correspondent très bien
aux positions traditionnelles de la diplomatie française, aux
intérêts économiques de la France et à son image dans le monde.