(Last update : Wed, 28 Oct 1998)
[ industrie | cgm | 1996 |

RAPPORT SUR L'ACTIVITÉ
DU CONSEIL GÉNÉRAL DES MINES
EN 1996

Contribution à la réflexion sur l'identité de l'ingénieur et le rôle des écoles des mines

Paris le 9 septembre 1997

Jean-Michel Yolin

I) L'ingénieur français d'aujourd'hui : une identité encore profondément marquée par la logique des trente glorieuses

Dans les années d'après guerre, marquées par la pénurie et consacrées à la reconstruction, notre société attendait de ses ingénieurs la réponse à ses besoins vitaux : se nourrir, se vêtir, se loger, se déplacer.

Il fallait plus de charbon, plus de fer, plus d'énergie, plus de transports. Le rôle confié à l'ingénieur était de gagner cette bataille-là :

Il devait assurer l'approvisionnement en matières premières, construire de vastes structures industrielles (EDF, Charbonnages, Compagnies pétrolières, Entreprises Sidérurgiques, CEA... ), diriger de nombreuses équipes d'ouvriers et de techniciens, améliorer les process de fabrication, augmenter la production.

Il n'avait guère à se soucier de ses clients : l' «écoulement»d'une production, inférieure à la demande, ne présentait guère de difficulté et, de ce fait, était une fonction subalterne dans l'entreprise (ce client était d'ailleurs de façon très symptomatique souvent appelé un «usager» (transport), un «abonné» (Télécom), et on parlait de «filière» industrielle).

Les qualités requises de l'ingénieur étaient alors :

Les études scientifiquespréparant aux grandes écoles drainaient les élèves les plus doués de chaque classe d'âge ( point tout à fait spécifique du système français par rapport au système anglo-saxon)

Un bon officier d'artillerie ou d'infanterie faisait dans ces années-là un excellent ingénieur.

On pouvait dire à cette époque que la fonction de l'ingénieur était de résoudre les problèmes.

Notre société était encore au premier étage de la pyramide de Maslov : celle des besoins primaires

Dans cette logique, les entreprises étaient conçues comme des empires avec

Elles étaient naturellement dirigées par un baron nommé par le détenteur du pouvoir régalien (le chef de l'État).

Leurs frontières ne débordaient de l'hexagone que vers les colonies.

Les mots clés

ingénieur des trente glorieuses = capacité à résoudre des problèmes techniques #compétences d'organisation #capacité de commandement / baron d'empire

II) La «crise» des années 80, générée par le passage de la pénurie à l'abondance

A) L'usager devient un consommateur

Il voit ses moyens financiers s'accroître, ses besoins primaires sont satisfaits et il est sollicité par des offres venant de la terre entière.

Il prend le pouvoir [1]

C'est la crise des règles du jeu. Les flux s'inversent : d'un flux gouverné par la disponibilité en matières premières et «s'écoulant» vers l'usager en transitant par la cascade des différents stades de production, on passe à un flux commandé par les «ordres» du client.

Le «client est roi» : ce n'est plus un slogan commercial, c'est un fait. C'est lui qui décide en dernier ressort d'acheter une voiture Renault, une voiture japonaise... ou un séjour à Bali. La fermeture d'une usine n'est plus qu'une conséquence mécanique de ses décisions.

Et, bien entendu, c'est toute la cascade qui s'inverse : à l'intérieur même de l'entreprise, l' «aval» devient le client (à qui l'on donne de plus en plus la liberté d'acheter ailleurs)

Les économies planifiée ont succombé à cette révolution-là

B) Dans ce contexte, le rôle de l'ingénieur change radicalement : aujourd'hui son rôle est de bâtir une réponse au besoin (et pas seulement à la demande) du client

Le handicap culturel de notre pays est ici considérable : nous avons encore tendance à considérer la vente comme un métier qui implique une forme de prostitution intellectuelle associée à la capacité de «rouler dans la farine» le client : on lui fait acheter ce que l'on produit en essayant de le séduire, même si cela ne correspond pas à ses besoins (Il s'agit toujours d' «écouler» la production, et, bien entendu, dans le cas d'un «client» interne à l'entreprise, totalement captif, la prise en compte ses besoins relève de la charité)

Dans notre schéma mental, le bon vendeur dans une société de consommation est un séducteur qui a «du bagout» : c'est celui qui serait «capable de vendre un costume trois pièces à un Papou».

....... Et l'on trouve des documents de réflexion de la conférence des grandes écoles qui vont jusqu'à s'interroger pour savoir si un «ingénieur commercial» mérite encore le noble titre d'«ingénieur»[2] et qui, quelques pages plus loin, insiste en définissant l'ingénieur... comme celui qui sait résoudre des problèmes techniques.

Or, ce que disait Picasso des ordinateurs « un ordinateur ne sert à rien. Il sait seulement résoudre les problèmes qu'on lui pose» nous interpelle je crois très fortement

Il m'a été donné de voir de près les conséquences de ce problème dans la chimie du début des années 80 :

Certaines PMI gardent encore un souvenir cuisant de leurs relations «commerciales» de l'après guerre «vous osez critiquer la qualité de nos produits, eh bien nous ne vous livrerons plus». (un grand groupe chimique Français, à une PMI fabriquant de la moquette à Lille en 1947, client indéfectible de BAYER depuis lors)

Autant dire :

Les trente glorieuses étaient reposantes pour l'esprit : L'ingénieur n'avait qu'une mission relativement simple, «comment produire ?».

Elle est aujourd'hui autrement plus complexe car il s'agit de surcroît d'apporter une réponse à la question : «quoi produire ?».

Aujourd'hui l'essence même du métier de l'ingénieur est dans la relation avec le client :

Le coeur du processus d'innovation est là, dans la rencontre entre une analyse des besoins et la capacité à imaginer des réponses.

L'ingénieur ne peut plus être celui qui confie à un vendeur la mission de trouver des problèmes aux solutions qu'il aura préalablement élaborées.

Soit l'ingénieur français sera capable d'évoluer pour remplir ce rôle nouveau, soit l'implacable mécanique de sélection des espèces que Darwin a parfaitement décrit le reléguera au second plan de notre écosystème.

La récente déclaration d'un haut responsable de Philips, analysant les raisons qui avaient conduit son entreprise au bord du gouffre, est lourd de sous-entendus, et plante clairement le décor :
« Après avoir été une entreprise d'ingénieurs, nous nous occupons des consommateurs » souligne-t-il dans les échos du 9 avril dernier.

Je voudrais à ce stade insister sur la nécessité qu'il y a dans notre discours à bannir le terme «marché», concept abstrait et ambigu susceptible de tous les détournements, au profit celui, autrement plus exigeant, de client (avec qui peut se nouer ce processus d'innovation) :

Il n'est que de se rappeler la déclaration du ministre soviétique de l'industrie, récemment converti à l'économie « de marché» lors d'un séminaire en 1992 :

Il va sans dire que cette nécessaire évolution n'est pas spécifique au domaine marchand : elle concerne tout autant l'ingénieur qui oeuvre au sein de l'administration, d'une collectivité locale... ou d'une ONG

Soulignons enfin que cette économie d'abondance s'accompagne naturellement d'une exigence plus grande en terme d'environnement et de conditions de travail. Là aussi, l'ingénieur doit savoir être à l'écoute.

C) quelles conséquences en tirer sur les compétences requises à l'avenir ?

Ceci remet d'ailleurs profondément en cause le mode de «gouvernement» des entreprises, l'existence même d'entreprises hexagonales et le rôle du PDG - baron d'empire nommé par le roi.


Notre ingénieur quand il sera en Papouasie devra être capable d'analyser les fonctions vestimentaires du pagne, mais aussi ses fonctions sociales, les problèmes que posent son entretien, le prix que peut y mettre son client.

Ensuite il saura concevoir de nouveaux modèles et les faire fabriquer par son entreprise.

(Les Japonais n'ont pas procédé autrement pour pénétrer le marché américain de l'automobile : Cf. les cohortes de faux étudiants japonais qui séjournaient dans les familles américaines pour comprendre la véritable fonction de la voiture dans cette société)

Cette analyse montre bien que l'ingénieur ne doit pas être conçu comme un super - technicien :
L'ingénieur n'est pas «plus fort» qu'un technicien, il exerce un autre métier.

Autant on peut dire qu' «un ingénieur est un ingénieur commercial ou n'est pas», autant on peut par contre s'interroger sur la délivrance du titre d'ingénieur à certaines écoles qui forment des techniciens super-supérieurs à bac + 7

Les mots clés

Ingénieur de demain= capacité d'écoute multilingue # connaissance d'un vaste champ technologique #innovation #conduite de projet #homme de réseaux

D) Ingénieur = industrie ??

Bien entendu les ingénieurs n'ont pas vocation à travailler particulièrement dans l'industrie : ils doivent orienter leurs carrières là où sont nécessaires les compétences que nous venons de décrire c'est à dire pour l'essentiel dans le tertiaire.

Ce peut être aussi bien dans la banque, l'assurance, l'informatique, les loisirs, la logistique, la santé, la restauration, le conseil,... que dans la sidérurgie, la micro-électronique ou le BTP.

Notons d'ailleurs au passage que les fonctions d'ingénieur sont par essence tertiaires, et ceci apparaît clairement quand elles sont externalisées par l'entreprise.

Il n'est que de feuilleter les annuaires des anciens élèves pour faire le constat rassurant que les anciens élèves ont franchi ce pas.(aujourd'hui moins de la moitié - 43% pour être précis - des jeunes ingénieurs sont embauchés dans l'industrie)

Pour autant les écoles n'ont guère intégré cette évolution dans leurs projets pédagogiques.

III) Le réseau des Écoles des Mines - ARMINE : une mission de R&D en ingénierie pédagogique.

A) Les Écoles des Mines bénéficient de leur rattachement au ministère chargé de l'industrie.

Elles en tirent trois avantages majeurs :

B) Ces avantages ne sont justifiables que si ces Écoles donnent à la collectivité des contreparties :

Jusqu'alors les Écoles des Mines ont toujours su le faire. Leur seule légitimité pour l'avenir est de continuer dans cette voie.

C'est cette mission de tête chercheuse, de défricheur ( que les autres n'ont pas toujours la chance de pouvoir conduire) ainsi que cette capacité d'influence sur les autres grandes Écoles (et à travers cela sur l'ensemble du système éducatif) qui justifient l'intérêt que la section formation/innovation du Conseil Général prévoit de consacrer à un groupe d'Écoles qui ne représente, sur le plan strictement quantitatif, que 1 ou 2 % des effectifs d'ingénieurs formés.

C) quelques pistes de réflexion pour les Ecoles

Comment le recrutement, l'enseignement, la formation, l'évaluation et le «service après-vente» doivent-ils évoluer pour «produire» des ingénieurs capables d'assumer les fonctions que nous avons essayé d'analyser ?

1) le recrutement

C'est bien entendu l'essentiel. (Si un établissement d'enseignement recrute des andouilles il en fera au mieux des andouilles dorées. Si il recrute des gens biens et même si l'enseignement est nul il en sortira toujours des gens biens (Cf. l'X d'une certaine époque)).

Il convient sur ce plan de ne pas oublier qu'une École s'adresse simultanément à deux types de clients :

Avant de pouvoir sélectionner, encore faut-il être capable d'attirer des candidats de valeur et, là encore, savoir ouvrir un dialogue avec eux : ne nous comportons pas comme le vendeur en Papouasie, sachons nous mettre à leur écoute, comprendre leurs besoins et en tenir compte dans la conception du «produit» que nous leurs proposons (cette question se pose avec une particulière acuité aujourd'hui pour la formation continue).

Quant au processus de sélection proprement dit, il conviendra de réfléchir au rééquilibrage à opérer entre les poids respectifs donnés aux capacités intellectuelles et aux qualités humaines. Une des difficultés qu'il ne faut pas sous estimer sera de concevoir des épreuves nouvelles qui permettent de respecter scrupuleusement les conditions d'objectivité actuelle des concours, élément éthique qui doit rester un des fondements du recrutement.

Par ailleurs, même si une École souhaite, très légitimement, conserver un mode de recrutement principal qui constitue un des ancrages de sa culture, un minimum de biodiversité paraît néanmoins souhaitable : il ne faut pas en effet négliger l'importance des apports mutuels des élèves durant leur scolarité, et ceux-ci ne peuvent être qu'enrichis par la diversité des formations initiales ou par l'expérience préalable des étudiants de la formation continue

2) l'enseignement :
Sans entrer dans les détails, l'ingénieur devra maîtriser notamment:

a) les techniques de communication :

  • capacité d'écoute active (analyse transactionnelle, psychologie,... )
  • bonne connaissance de l'anglais et, si possible, d'une langue étrangère (Allemand, japonais,.... ). Certains enseignements devraient sans doute être délivrés en anglais, standard de communication international, ce qui permettrait en outre de faciliter l'accueil d'élèves étrangers de pays OCDE actuellement quasi absents de nos Écoles.
  • maîtrise des technologies de la communication (Internet,...).
  • et bien entendu les techniques d'animation d'équipes, de gestion de crise, d'expression publique.

b) la gamme des technologies de base :

Innovateur, nécessairement innovateur, il doit être capable de ne pas s'enfermer à priori dans une technologie.

Ensemblier, homme de projet, il devra être capable de diriger des équipes de techniciens, spécialistes de différentes technologies. Il devra donc acquérir une solide et large culture scientifique.

Cela étant il doit aussi apprendre à conduire un projet jusqu'au stade opérationnel et ceci ne peut se faire qu'en approfondissant un domaine technologique particulier : c'est le sens de l'option et du projet de fin d'études. Il ne s'agit point de s'enfermer dans une spécialisation mais d'acquérir les méthodologies de l'action

c) des bases économiques et financières :

Un projet ne se réalise que quand il est économiquement viable, qu'il a su réunir les financements nécessaires,qu'il trouve place dans une structure de décision adaptée et que sa protection juridique est convenablement assurée

3) la formation :

elle va bien au-delà des enseignements délivrés dans les cours ex-cathedra ou dans les polys car tout ne peut, à l'évidence, se transmettre par la parole ou par l'écrit :

La dure confrontation avec les réalités du terrain, parfois utilement déstabilisante est indispensable

4) l'évaluation, les sanctions, les modes de reconnaissance

Il s'agit là de paramètres majeurs dans le processus de formation : ce sont en effet les variables de commande qui pilotent la mobilisation et l'orientation des énergies des élèves.

Peut-être n'attache-t-on pas toujours assez d'importance à l'analyse de ces mécanismes puissants mais complexes pour en affiner l'usage.

L'acquisition de compétences nécessite la plupart du temps un effort soutenu et donc une forte motivation :

La perception de l'utilité d'une matière en est une autre et c'est pour le professeur, le b.a. ba de la pédagogie que de démontrer celle-ci à ses élèves, mais ce n'est pas facile pour toutes les matières ( ni pour tous les élèves)et l'expérience montre que ce n'est pas toujours suffisant.

Vient ensuite la gamme des sanctions[4] : notation, classement, septembrisation[5], proj et surproj, voire l'exclusion. Leur influence est très grande sur le comportement des élèves, et l'intensité du travail dans les Grandes Écoles est sans doute supérieure à ce qu'elle était il y a 20 ans. Mais il convient de s'interroger sur la cohérence entre la politique affichée par l'École et le message implicitement véhiculé par les modes d'évaluation : le discours du directeur a peu de poids par rapport au décodage de ce message. Les élèves voient tout de suite où il est rentable de faire porter leurs efforts ; «importance majeure de la culture générale» est rapidement traduit par «coefficient ridicule des cours de pipotage».

Les Écoles se réjouissent d'avoir des élèves aujourd'hui beaucoup plus studieux que leurs aînés, mais ne faut-il pas s'inquiéter parfois de voir que l'angoisse devant un avenir professionnel incertain, pilotée par une évaluation sévère mais trop scolaire ne conduisent beaucoup d'entre eux à se réfugier , tête baissée, dans une « superpougne» des matières à fort coefficient ?

Au delà même des sanctions, de façon plus subtile mais pas moins importante, il y a tout le système de «reconnaissance» de l'École, de la considération accordée à certaines formes d'excellence ou a certains comportements. Ce système est pour partie géré par la direction mais aussi largement par la collectivité des élèves et des anciens élèves en référence à un certain nombre de valeurs : a-t-on fait l'effort d'analyser ses mécanismes, d'en comprendre l'influence positive ou négative sur le comportement des élèves pour, dans la mesure du possible, les ajuster?

Évaluation, sanctions, reconnaissance sont des moyens extrêmement puissants pour rapprocher les élèves du référentiel de valeur de l'École : un danger doit être à tout prix évité, celui d'un dressage au conformisme. Sans doute un conformisme brillant est-il une valeur sûre pour faire carrière dans certaines structures (voir une récente émission de la Marche du Siècle consacrée aux élites), mais il devient un handicap mortel dans la compétition mondiale qui s'offre à nos futurs ingénieurs

5) le service après-vente :

Jusqu'à une date récente la vitesse d'évolution des technologies et du rôle de l'ingénieur dans la société faisait que ceux-ci pouvaient facilement d'eux-mêmes s'adapter, et leur bagage initial leur servait de viatique jusqu'à leur retraite.

Le réseau des anciens élèves leur permettait de rester branchés sur de multiples aspects de la vie professionnelle.

Il est bien clair que cette heureuse période est révolue.

Les Écoles font pourtant comme si de rien n'était et continuent à conduire une politique de formation «fire and forget». Les Associations se préoccupent certes des revers de carrière des anciens mais peut-on s'arrêter là ?: certes les entreprises financeront toujours les apprentissages directement utiles à la réalisation de leurs projets, mais qu'en sera-t-il des formations ouvrant à leurs ingénieurs et techniciens des perspectives vers l'extérieur?

6) la recherche

a) pourquoi de la recherche dans les Écoles d'Ingénieurs ?

  • parfois et trop souvent c'est essentiellement pour des questions de standing international et de carrière des professeurs : le statut d'enseignants-chercheurs, leurs conditions de promotion font que fréquemment la recherche se fait, certes dans l'école, mais sans réelle influence sur la formation ni directe (formation des élèves par la recherche) ni indirecte car trop décalée (amélioration de l'enseignement).

    Évaluée et pilotée par des structures extérieures, elle ne participe pas réellement au «projet d'entreprise» de l'école.

  • Si on laisse de côté cette motivation, on peut voir au moins quatre bonnes raisons de développer la recherche dans les Écoles d'Ingénieurs :

    • 1- participer à la formation des ingénieurs en leur «apprenant à poser le problème»

    • 2- former des jeunes chercheurs «docteur et postdoc» pour fournir à l'économie des ingénieurs formés par la recherche (non nécessairement destinés à faire de la recherche dans les entreprises).

      Ce type de formation est une voie privilégiée pour développer les relations internationales de l'École avec des établissements de niveau équivalent à l'étranger à travers les échanges de postdoc.

    • 3- développer des relations profondes et durables avec les entreprises, ce qui permet à l'école de rester en prise avec les évolutions technologiques et stratégiques de l'économie. Elle peut ainsi en tirer des enseignements pour orienter sa formation.

    • 4- La recherche enfin est une des fonctions productives normales d'une École qui, en tant que telle, présente un intérêt intrinsèque (mais qui, dans le cadre d'une stratégie d'établissement ne se justifie pleinement que si elle est en forte synergie avec la vocation première de l'École : la sélection et la formation d'ingénieurs).

    Ceci implique que pour l'essentiel cette recherche doit se faire dans le champ des Sciences de l'Ingénieur (génie des procédés, informatique, économie d'entreprise, sociologie de l'innovation, mathématiques appliqués, biotechnologie... ).

    A ce stade de l'exposé il est sans doute utile de souligner que le champ de la recherche de base peut schématiquement être séparé en deux :

    • La recherche fondamentale : l'enjeu y est de pénétrer toujours plus profondément les mécanismes ou les concepts (particules élémentaires, mathématiques théoriques, astronomie,... )
    • La recherche dans les sciences de l'ingénieur où l'enjeu principal est la maîtrise de la complexité : il s'agit là de conjuguer les progrès réalisés dans les divers champs de la connaissance pour forger les nouveaux concepts.

    Comme disait de façon imagée un directeur de la National Science Foundation : « la recherche fondamentale consiste à couper les cheveux en quatre, la recherche dans les sciences de l'ingénieur vise à concevoir de nouvelles perruques».

    Attention : cette dichotomie ne correspond en rien à la coupure traditionnelle «recherche de base/recherche appliquée» ou « recherche/développement».

    Cette différence d'approche quasi-culturelle explique pourquoi le Département des Sciences de l'Ingénieur, créé au CNRS relativement récemment par Robert CHABBAL (fin des années 70), a autant de mal à trouver sa place au sein de cet organisme et voit régulièrement son existence même remise en cause.

    Son organisation est d'ailleurs extrêmement bâtarde : «normalisée» par les sciences majoritaires il s'est vu rattacher des laboratoires de recherche fondamentale (optique théorique) et par contre ne rayonne pas sur des champs relevant de sa logique (économie de l'innovation par exemple).

    Et c'est une des raisons pour laquelle les responsables de ce département avec l'appui du CEA essayent de mettre sur pied un Consortium des Sciences de l'Ingénieur permettant d'associer au sein du CNRS l'ensemble des laboratoires relevant de cette logique - bien que n'appartenant pas au Département portant ce nom - et contrebalançant le risque de marginalisation inhérent à l'organisation actuelle

b) quelle est la situation aujourd'hui ?

  • *Dans les Grandes Écoles :

    • peu ou pas de recherche chez la plupart des membres de la Conférence des Grandes Écoles.
    • là où elle existe, trop souvent, c'est une recherche trop universitaire qui génère peu de liaisons avec l'industrie. Comme l'ingénieur des 30 Glorieuses elle s'applique à réaliser de belles productions sans trop se soucier des besoins des clients(entreprise ou société)
    • une situation budgétaire de l'État qui ne permet d'entretenir que peu d'espoirs sur une augmentation des moyens accordés aux Écoles pour combler cette lacune.
    • des cervelles extrêmement brillantes dont certaines peuvent souhaiter compléter leur formation par un Phd, diplôme mieux reconnu que le diplôme d'ingénieur sur le plan international.
    • une liaison quasi organique avec les entreprises (en particulier grâce au réseau des anciens élèves). L'absence de gap culturel est un élément extrêmement précieux pour engager une collaboration nécessairement intime.

  • Dans les organismes de recherche (CNRS, CEA,... )

    • une recherche dans les sciences de l'ingénieur de grande qualité.
    • mais vieillissante (turn-over extrêmement faible au CNRS comme au CEA et contraintes budgétaires qui interdisent la poursuite de la politique de recrutement «pyramidale» conduisant à une augmentation sans fin des effectifs).
    • mais mal connectée au tissu industriel, notamment aux PMI dynamiques.

c) que constate-t-on dans des pays réputés pour leur efficacité comme l'Allemagne en ce domaine des Sciences de l'Ingénieur ?

Au premier plan, on voit des instituts comme le FRAUNHOFER ou le STEINBEIS qui

  • conduisent des recherches d'une qualité reconnue sur le plan mondial, et bien «branchées» sur l'international;
  • sont dirigés par des professeurs enseignant dans des structures de niveau équivalent à nos Grandes Écoles;
  • travaillent pour l'essentiel de leurs projets en étroite collaboration avec des entreprises (en particulier du Mittelstand);
  • sont composés d'une ossature légère de chercheurs Seniors, encadrant des équipes nombreuses, et de qualité, de doctorants et de postdoc qui naturellement poursuivront leur carrière dans l'industrie.
d) quelles voies explorer chez nous ?

Quand on examine la recette du succès allemand nous constatons que nous avons tous les ingrédients du succès mais pas dans la même marmite.

Il suffirait de peu de choses pour y arriver.

  • que les Écoles participent en tant que telles au Consortium des Sciences de l'Ingénieur : le CNRS a tendance à dire : «les bonnes équipes des Écoles sont associées au CNRS elles sont donc automatiquement dans le Consortium».

    Il s'agit là, à mon sens, d'une vision extrêmement dangereuse : ce sont les Écoles elles même, porteuses d'une stratégie globale qui doivent participer et non quelques-uns de leurs laboratoires via un département du CNRS.

    C'est la condition sine qua non pour bâtir autour des Écoles renforcées par des équipes propres ou associées du CNRS ou du CEA de solides Écoles doctorales.

  • que ces Écoles doctorales soient, contrairement à ce qui se passe actuellement, de véritables Écoles avec tous les attributs que cela implique ( projet professionnel, sélection à l'entrée, formation au métier, évaluation des étudiants, service après-vente, réseau d'anciens élèves... ).

    Aujourd'hui ces «Écoles doctorales» ce résument bien souvent à un GIE destiné à grouper les demandes d'allocations de recherche.

    Certes, il est incontestable qu'une formation Recherche doit être fondée sur le compagnonnage mais, même les pâtissiers ou les charcutiers, savent bien qu'à côté de l'apprentissage de la technique, ils doivent acquérir une compétence indispensable pour gérer leurs boutiques, et ils suivent pour cela des cours dans des CFA.

    De même les chercheurs dans les Écoles doctorales doivent bénéficier d'enseignements pour se préparer à leur futur métier (langues étrangères, communication, financement de l'innovation, capital risque, propriété industrielle, ouverture aux nouveaux concepts développés dans d'autres champs scientifiques,... )

    Enfin les Écoles doctorales doivent se donner pour mission de tisser, pendant leur scolarité, des liens profonds entre leurs élèves. Ceux-ci ont en effet vocation à essaimer à travers les entreprises, les laboratoires publics, et les pays : les Grandes Écoles savent bien qu'un réseau vivant d'anciens élèves est un élément majeur pour l'avenir. C'est en effet un atout aussi bien pour les anciens élèves que pour les entreprises qui les emploient et les écoles dont ils sont issus

En résumé : il faut s'engager résolument vers le développement

  • d'équipes mixtes CNRS - CEA - Écoles[6], de niveau international, travaillant dans des domaines stratégiques pour les Écoles et dont les chercheurs participent à l'enseignement.
  • d'Écoles doctorales, qui soient de vraies Ecoles, permettant un renouvellement permanent des équipes, conduisant l'essentiel de leurs travaux en coopération avec des entreprises et les irriguant de jeunes chercheurs, et par-là même contribuant à l'approfondissement des liens Écoles/Industrie.

Une telle évolution serait mutuellement profitable au CNRS, au CEA, aux Écoles, à leurs élèves et à l'industrie.

N'ayant guère de coût budgétaire elle est clairement à portée de main.

Nous ne sommes pas surpris de constater que tout naturellement ce sont les Écoles des Mines qui ont franchi le plus de pas dans cette direction (en particulier grâce à ARMINE).

Il convient d'aller jusqu'au bout de la démarche et de transformer l'essai.

IV) conclusions : un faux débat « le nombre d'ingénieurs nécessaires» :

Le débat réel porte en fait sur le mot «ingénieurs»

Si nos ingénieurs avaient su développer les magnétoscopes, les écrans à cristaux liquides, les microprocesseurs, ou l'AZANTAC... nous manquerions d'ingénieurs dans ces domaines.

Un ingénieur du premier type consomme un emploi. Un ingénieur du second type en crée : la somme a-t-elle encore un sens ?


Notes de bas de page

[1] Ce qui ne signifie pas pour autant qu'il soit devenu un «monarque éclairé» et qu'il sache utiliser ce pouvoir au service de ses véritables intérêts (cf les réflexions d' Yves MARTIN sur la qualification des produits, qui nécessiteraient d'ailleurs pour être mises en oeuvre, ou au moins comprises, que notre Administration soit peuplée, elle aussi, d'ingénieurs nouveaux)



[2] J'ai encore souvenir de ce cri du coeur du chef de travaux du lycée de Genevilliers : «c'était pourtant un de nos plus brillants élèves, maintenant il fait du commercial....»



[3] Pour la commodité de l'exposé le processus est présenté comme séquentiel alors qu'il est bien évidemment, sous peine de catastrophes, interactif.



[4] Grandeur algébrique





[5] La création même nouveaux éléments du jargon propre à chaque école montre l'importance du phénomène



[6] Sans exclure bien entendu d'autres centres de recherche