(Last update : Tue, 7 Oct 1997)
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RAPPORT SUR L'ACTIVITÉ
DU CONSEIL GÉNÉRAL DES MINES
EN 1996

Y. MARTIN
10/01/1997

Note sur le développement durable (D.D.)
à partir de la lecture du projet de décembre 1996 de "Fondements et Orientations" pour une "Stratégie Nationale du développement durable"
(Ministère de l'environnement)

  1. Définition du D.D.

    Il convient d'abord de lever une ambiguïté : l'activité humaine consomme de façon irréversible des ressources non renouvelables (énergie fossile, minerais métalliques, terres fertiles ou commodes à aménager). Si faible ou économe que soit cette activité, elle réduit le "capital ressource non renouvelable" (ou 'capital nature') disponible pour les générations futures : celles-ci seront donc handicapées sur ce plan, quoi qu'on fasse ; l'important est que cette réduction du "capital ressource non renouvelable" par habitant soit accompagnée d'une augmentation du "capital physique" créé par l'homme et de la productivité du capital total (capital physique + capital nature) qui résulte de l'évolution technologique rendue possible par l'accroissement de nos connaissances. (Cet accroissement irréversible est le pendant de la consommation irréversible de ressources non renouvelables).

    Pour rendre un développement durable, il est donc possible (et nécessaire) d'agir sur les deux termes :

    Il faut ensuite éviter if inclure dans ce concept de développement durable des préoccupations qui, si légitimes soient elles, risquent d'engendrer une certaine confusion.

    On ne saurait identifier le développement durable avec un objectif égalitariste entre les peuples de la terre et entre les individus, au sein de chaque peuple. Le concept de développement durable est une exigence d'équité entre la génération actuelle et les générations futures : le problème posé est assez difficile pour mériter d'être traité en tant que tel et non fondu dans le soucis légitime par ailleurs) de rechercher une meilleure équité au sein de la génération actuelle. Le texte du ministère de l'environnement a fâcheusement tendance à présenter le D.D. comme une exigence (et un moyen à la fois) de résoudre tous les problèmes douloureux de notre société.

  2. Il y a au contraire un risque de contradiction entre la recherche d'un développement durable et les aspirations à une politique intérieure plus sociale à court terme. Consacrer une part accrue du PIB à préserver l'avenir des générations futures, réduit toutes choses égales par ailleurs, nos marges de manoeuvre pour être plus généreux à l'égard de nos contemporains les moins favorisés. Dans la crise que nous connaissons, il y a un risque de voir nos gouvernants sacrifier l'avenir pour répondre aux demandes immédiates de nos concitoyens.

    L'existence de ce risque exige une pédagogie trop rare dans le fonctionnement de notre société : la recherche du D.D. n'est pas de nature à renforcer la cohésion sociale ; il faut veiller à ce qu'elle ne la dégrade pas encore, d'où la nécessité d'améliorer le fonctionnement de nos démocraties.

    La réduction des inégalités sociales est beaucoup moins importante pour un D.D. qu'une réorientation des consommations et habitudes de vie de la frange la plus aisée de la population qui constitue le modèle que les autres s'efforcent de copier (voir § 4).

    Un risque de contradiction existe aussi entre la recherche d'un D.D. et une politique de santé publique, présentée par le texte du ministère de l'environnement comme "une condition primordiale du bien-être des individus" ; cette politique ne sacrifie-t-elle pas les générations futures au confort de la génération présente ?

    Au sein même de la politique de protection de l'environnement il est clair que nous attachons beaucoup plus d'importance aux phénomènes qui sont proches de nous dans l'espace et dans le temps qu'aux atteintes à "l'environnement global" ou aux effets à long terme.

    J'ai bien souvent ressenti que le ministère de l'environnement était accaparé par l'actualité et que le ministère de l'industrie avait souvent des visions à plus long terme (en matière d'énergie par exemple). Les associations de protection de l'environnement se mobilisent beaucoup plus contre tel ou tel projet à impact local que contre le risque de changement de climat. Leur mobilisation peut ainsi parfois être un obstacle au D.D.

  3. La dimension internationale du D.D. doit être mieux soulignée encore que dans le texte étudié.

    "Permettre à tous les peuples de la planète d'accéder à un niveau satisfaisant de développement social et économique" n'est pas seulement un voeu généreux.

    Le problème n° 1 du D.D. est la maîtrise de la démographie mondiale ; cette maîtrise n'est possible qu'à partir d'un certain niveau de développement, à partir duquel apparaît simultanément un réel rattrapage en terme de niveau de vie et de consommation (comme le montrent les nouveaux pays industrialisés). Dès lors que tous les pays ont le droit et la possibilité (± rapide) de suivre le modèle culturel et technologique que leur offrent les pays de l'O.C.D.E. :

    La meilleure façon d'aider à la croissance des P.E.D. est de leur acheter ce qu'ils peuvent produire à moindre coût que nous et de leur transférer des technologies.

    Le corps des mines (d'Outre-mer) avait une bonne connaissance des P.E.D. ; elle se perd très rapidement (si elle n'a pas même disparu : GIRI a-t-il des successeurs ?).

    Tout ce qui touche à l'Organisation Mondiale du Commerce et à la propriété industrielle (et intellectuelle) est crucial pour le D.D. Y a-t-il des ingénieurs des mines fortement investis sur ces sujets ? Plus généralement l'administration française est-elle correctement structurée pour participer aux négociations internationales sur ces thèmes ? Pour avoir essayé en vain de trouver de bons interlocuteurs, en charge des négociations de l'URUGUAY-ROUND, lorsque je participais à la définition de la position de la France dans la perspective de la convention de RIO sur le climat je crains que la réponse ne soit négative.

    Le développement du commerce international est une condition du D.D., mais les règles du commerce international sont aujourd'hui un obstacle au D.D.

    Je ne partage pas du tout l'optimisme du ministère de l'environnement devant l'article 20 de la convention de l'O.M.C.

    Les règles du commerce international se préoccupent de l'environnement pour éviter que des règlements adoptés pour protéger l'environnement ne constituent une entrave technique aux échanges mais ne se soucient guère d'être un obstacle, parfois insurmontable, à la protection de l'environnement global. Contrairement à ce que dit le texte étudié, la France n'a pas obtenu que "les stipulations de la convention cadre sur le changement climatique soient parallèles et non subordonnées à celles du GATT".

    Le protocole de Montréal sur les C.F.C. a prévu des mesures de rétorsion contre les pays non signataires qui tireraient un profit indû, dans le commerce international, de leur non participation à la protection de notre atmosphère commune ;

    Si les individus, les entreprises et les nations, négligent le long @e au Profit du court terme, ce n'est pas par une indifférence coupable vis-à-vis des générations futures, mais parce qu'ils sont confrontés chaque jour à une concurrence de plus en plus vive. Il n'y aura de D.D. que si les règles de cette concurrence sont adaptées pour que ceux qui préparent le long terme ne soient pas handicapés dans la concurrence d'aujourd'hui. Cela est particulièrement indispensable pour la protection de environnement global.

  4. Le texte du ministère de l'environnement souligne très justement que le D.D. suppose que l'on ne se contente pas de "modifier les modes de production" mais que l'on fasse "évoluer aussi les pratiques de consommation". . - , .

    Il convient même de souligner avec force que l'on a déjà beaucoup fait, au niveau des processus de production, et qu'un infléchissement des habitudes de consommation est à présent prioritaire : on ne peut en la matière, se satisfaire des initiatives prises jusqu'ici.

    Notre développement depuis un siècle est caractérisé par des progrès considérables pour optimiser les processus de production ; dans le même temps nos modes de consommation se sont fortement désoptimisés. A une époque où les produits offerts évoluaient peu, on savait par expérience ce que Pou achetait à des commerçants que l'on connaissait. Aujourd'hui les produits se renouvellent constamment ont une durée de vie brève et sont distribués par des filières où la dimension "conseil" s'amenuise sans cesse.

    Dans une analyse de cycle de vie, destinée à évaluer la consommation de ressources non renouvelables et les atteintes à l'environnement causées par un produit '"du berceau à la tombe", la partie la plus délicate est l'évaluation de la quantité de service que procurera ce produit, c'est-à-dire l'évaluation de son aptitude à remploi.

    Dans les choix qu'il fait tous les jours entre produits concurrents, le consommateur ne dispose, comme élément de choix, que de l'apparence du produit et de son prix, à l'exclusion de toute donnée objective sur son aptitude à l'emploi : parallèlement à la réduction du temps de travail on devrait assister au développement "un temps consacré à mieux consommer, c'est-à-dire finalement à consommer moins de ressources non renouvelables par unité de service obtenu.

    La politique des écolabels actuels est tout à fait insuffisante :

    Il convient de développer un étiquetage informatif obligatoire dans lequel l'évaluation de l'aptitude à l'emploi du produit est plus importante que celle des atteintes à l'environnement.

  5. On ne saurait trop insister sur le fait que le D.D. nécessite d'optimiser beaucoup mieux qu'on ne le fait aujourd'hui les mesures prises pour protéger l'environnement et économiser les ressources non renouvelables.

    Il convient de toujours accorder la priorité à une . approche économique pour internaliser les coûts externes (fiscalité ou permis négociables), chaque fois que C'est possible et on ne devrait jamais édicter de règlements sans cancer leur coût par unité de polluant évité ou par unité de ressource non renouvelable économisée. De nos jours la préférence est trop souvent accordée au règlement dont on ne cherche pas à savoir le coût (et que l'on applique inégalement si le coût s'avère à l'usage excessif), par rapport à l'approche économique dont le principal mérite est d'afficher le coût consenti pour un résultat donné et de peser sur tous.

    Même lorsqu'elles ne sont pas facturées, ü faut développer la recherche et la publication d'indicateurs qui caractérisent les atteintes à l'environnement attachées à toutes nos activités. Mais il ne peut y avoir d'optimisation si les pouvoirs publics ne prennent pas la responsabilité de donner un poids relatif (= prix) à ces diverses atteintes.

    Sur ce dernier plan, le ministère de l'environnement a des progrès considérables à faire pour hiérarchiser ses diverses ambitions. Chaque service, en charge d'un milieu, d'un type d'atteinte, ou d'une activité humaine, se comporte comme s'il était seul. Quand je m'occupais de l'effet de serre, je ne pouvais obtenir d'arbitrages qui obligent:

  6. Le texte étudié affirme à juste titre que "l'un des rôles majeurs de l'Etat est d'être garant des intérêts à long terme de la nation et des citoyens" et que "la fiscalité, outil majeur de l'intervention publique en économie de marche, doit intégrer la préservation des ressources raréfiées".

    Cette responsabilité de l'Etat devrait se traduire par la réalisation d'études systématiques de l'impact à long terme des actions de l'Etat notamment en matière fiscale. L'Etat fait réaliser des équipements publics pour répondre à une demande constatée ou extrapolée, il effectue ou organise des prélèvements obligatoires considérables pour financer les dépenses publiques ; il n'étudie pas assez les conséquences à long terme de ces équipements et de ces prélèvements obligatoires sur l'orientation des consommations futures. Or, à long terme, ces impacts sont très importants et pèsent lourd dans les besoins de dépenses publiques futures comme dans nos consommations de ressources non renouvelables.

    On ne saurait trop insister sur l'importance de la fiscalité pour orienter les choix de nos entreprises entre divers facteurs de production (travail, capital, énergie) et ceux des consommateurs finaux. La fiscalité actuelle a des effets pervers aussi bien sur remploi (ressource renouvelable sous-utilisée) que sur les consommations de ressources non renouvelables (subvention à la mobilité) et devrait être progressivement mais profondément modifiée.

    Cette évolution devrait être précédée d'études approfondies et de longues concertations dans une enceinte comme le Commissariat au Plan (voir ce qui a été fait en Suède avant que ne soit fait en 1993, un changement d'assiette fiscale portant sur 7% du PIB).

    Mais on ne doit pas commettre l'erreur de croire que l'Etat est le seul niveau garant de la prise en compte du long terme. Un réaménagement de notre administration territoriale est nécessaire, en particulier au niveau de l'administration des villes dont le développement ne peut être durable sans une autorité administrative unique pour organiser la vie locale (urbanisme, transports) sur l'ensemble de l'agglomération.

  7. Le texte étudié attache une importance justifiée à remploi mais traite ce sujet crucial de façon inappropriée. Il vante les mérites du D.D. au motif que, grâce au développement d'éco-industries ou d'écoservices (activités dont la finalité affichée est la protection de l'environnement), certains emplois bien identifiés sont créés pour protéger l'environnement.

    Cette approche micro-économique est insuffisante et peut-être erronée. Il y a erreur sur le signe du solde "emploi" d'une action de protection de l'environnement si celle-ci a un coût collectif qui l'emporte sur ses avantages et si l'argent public qui lui est consacré eut créé davantage d'emplois dans un autre domaine (Je ne suis pas sur que tous les emplois créés dans l'incinération des ordures ménagères soient positifs).

    Il y a à coup sûr erreur sur la localisation du vrai gisement d'emploi lié à un développement durable. Si l'on s'attache à internaliser par la fiscalité les coûts externes liés à nos diverses activités et la valeur de rareté des ressources non renouvelables tout en allégeant la fiscalité spécifique qui pèse sur l'utilisation des ressources renouvelables (taxes et cotisations diverses sur les salaires par exemple), on réorientera nos activités de production et de consommation dans un sens créateur d!emploi :

    Un travail considérable mérite d'être fait dans nos organismes de recherche et d'enseignement supérieur sur l'évaluation des externalités, sur les valeurs de rareté et sur la modélisation des impacts d'un changement profond de notre fiscalité qui les prendrait en compte : quelle place peuvent y prendre les écoles des mines ?

    De même beaucoup de progrès restent à faire dans le maniement du calcul économique pour prendre en compte les coûts de long terme et les incertitudes sur la réalisation et l'ampleur de certaines menaces.

  8. Dans notre champ de compétence, un certain nombre de sujets relèvent clairement du développement durable :

  9. Nous devons souligner que des domaines très importants en matière de développement durable sont aujourd'hui plutôt mal traités, dans le champ de compétence d'autres administrations, sans que l'on ait l'excuse de la concurrence internationale :

Y. MARTIN