La
mondialisation de nos économies se traduit avec l'ouverture de
frontières et l'abaissement des coûts de transport par un
accroissement sensible de l'intensité de la compétition (d'autant
plus grande dans nos pays européens que se met en place la monnaie
unique).
Pour y faire face nos entreprises se doivent se relever deux défis
apparemment contradictoires :
il faut être capable d'investir des sommes de plus en plus
considérables
Dans le même temps l'intensité de cette même
compétition implique d'être plus flexible, plus réactif,
plus innovant, et l'expérience de tous les pays montre que cela est
davantage le fait de petites structures voire de start up que des très
grandes organisations
voir page 266
Pour amortir ces sommes gigantesques ou pour asseoir leur puissance comme
les banques (dans son plan de développement la "City Group"
vise 1 milliard de clients), nos entreprises ont donc besoin d'avoir une
envergure mondiale et il n'est guère de semaine sans que soit
annoncée une méga fusion portant sur des dizaines de milliards de
dollars.
Cette double exigence débouche sur un principe, bien connu dans le fonctionnement de nos pays européens, le principe de "subsidiarité" : "ne jamais faire dans une grande structure ce qui peut être fait dans une petite". |
Sur le
plan de l'organisation industrielle, cela s'est traduit par trois
conséquences :
1 ère évolution : les grandes entreprises se sont
étendues sur le plan géographique mais en même temps se
sont reconcentrées sur le coeur de leur métier, en
sous-traitant une part croissante de leur chiffre d'affaire :
Denis Ettighoffer
estime que, malgré les fusions qui font la
"Une" des journaux, la taille moyenne des entreprises s'est réduite de
20% en 10 ans et 52% des chefs d'entreprise considèrent encore que
l'externalisation sera un élément clé de leur
stratégie future
D'après une étude réalisée par le Midest
(salon de la sous-traitance), le "taux d'intégration" (part de la valeur
ajoutée apportée par le chef de file industriel) est passé
de 40% à 29% en 20 ans
Dans l'automobile par exemple cette part est passée sur cette période de 33 % à 70 % (chiffre cité par Carlos Ghosn en juin 99, partant pour le Japon, qui considérait que un des problèmes de Nissan était un taux trop faible d'externalisation (65% "seulement") Comme le souligne François Bouvard de McKinsey le coeur de métier d'un d'un constructeur automobile est de "construire une marque" dans la tête des clients, toute la fabrication pouvant être sous-traitée à des fournisseurs, designers équipementiers, sous-traitants et assembleurs travaillant pour toutes les marques: il devient un "gonfleur d'Ego", son objectif ultime étant de trouver l'alchimie permettant transformer tole plastic et peinture en une "boite magique" permettant à son propriétaire de vivre et d'exprimer sa réussite sociale, sa virilité, son dynamisme ou sa jeunesse: c'est de l'atteinte de cet objectif que réside le succès financier bien plus que de la qualité des véhicules (voir le succès de Mercedes) Elle devient ainsi progressivement comme l'habillement, une industrie de marketing plus que de manufacture Les récentes déclarations d'Alcatel et d'Ericsson ont même conduit à parler d'entreprises "fabless", sans usines, se concentrant sur le marketing et la R&D et sous-traitant toute la production et limitant ses besoins en fonds propres "asset lignt company" voir page 324 |
Ce phénomène n'est pas seulement quantitatif : les donneurs d'ordre n'attendent plus seulement de leurs partenaires qu'ils soient de bons exécutants. Ils exigent maintenant une capacité d'innovation et de co-ingénierie.
La réduction corrélative du nombre de sous-traitants de premier niveau s'est paradoxalement traduite par une augmentation du nombre global d'entreprises concernées, car les partenaires de premier niveau ont, eux aussi, dans la même logique fait appel à des sous-traitants, qui eux-mêmes....
D'une structure "en râteau" (plusieurs milliers de sous-traitants-exécutants) le tissu industriel a évolué vers une structure "en balai" ou "en grappes" (seulement quelques centaines de partenaires capables de participer au développement du produit, qui eux mêmes s'appuient sur une centaine de sous-traitants qui eux-mêmes, ...).
Bien entendu ces "grappes" s'enchevêtrent car désormais ni le sous-traitant, ni le donneur d'ordre, ne souhaitent que la dépendance mutuelle soit trop forte. (réseaux de type 1) : on a maintenant un véritable tissu industriel au sens propre du terme
Benetton externalise 75 à 90% de ses productions : avec 1000 personnes elle en fait travailler 25.000 chez ses sous traitants et si l'on compte ses 7000 distributeurs-partenaires ce n'est pas moins de 10.000 sociétés qui font le "réseau Benetton" ( Fredéric Fréry , Vuibert) |
2ème évolution : tirant la leçon du manque de compétitivité de structures trop lourdes, trop hiérarchisées, peu manoeuvrantes, les grandes entreprises se sont efforcées de retrouver les qualités intrinsèques à la PMI en développant "l'intraprenariat", prenant ou non la forme juridique de filiales (des groupes comme Vivendi ou TotalFina-Elf ont plusieurs milliers de filiales chacun: pour Vivendi leur nombre est passé de 2500 en 1994 à 3371 en début 1999)
Ces filiales, pour la plupart, disposent d'une autonomie certaine (notamment pour le choix de leurs fournisseurs ou clients) qui les rapprochent de vraies PMI, et ce d'autant plus que, souvent fruits de joint ventures elles ont plusieurs actionnaires. (réseaux de type 2)
3ème évolution : pour certains métiers et certains produits qui exigent
Pour autant, ces entreprises, si elles veulent rester compétitives, exporter, développer des moyens d'essais leur permettant d'atteindre les critères de qualité exigés d'elles, avoir un poids suffisant dans leurs relations avec leurs fournisseurs ou leurs partenaires financiers, doivent mettre en commun un certain nombre de moyens techniques et logistiques, en un mot faire partie de réseaux. |
Ainsi se sont développés, dans tous les pays industrialisés, des réseaux : districts italiens, Clusters danois, ou "systèmes locaux de production" pour reprendre le dernier vocable de la DATAR (réseaux de type 3)
"every day you must ask you: who can you help?, who can help you?" Perry Morton VP Homestore.com NY 1999 |
Dans ces trois formes nouvelles d'organisation du tissu industriel, la coopération cohabite avec la compétition (le mot de "coopétition" a été proposé pour décrire cette situation).
Jeanine Graf , 28 ans , née a Paris et qui a créé déjà 2 start-up en Californie (Inquire et 3Scope) explique la différence entre l'Europe et la Californie ""it's hypercompetitive over there, but they help each other. You have to play fast and hard because of the competition, but you have to play fair, because if you don't people stop playing with you" |
Pierre Faure , Pdg de la Sagem à l'époque citait une statistique américaine montrant que malgré les concentrations spectaculaires "la part relative dans les 100 plus grandes entreprises mondiales va en décroissant" (25/10/99)
Les trois situations présentées ci-dessus ont 2 points communs :
- 1 - les différents acteurs sont indépendants mais, néanmoins, ne peuvent se développer qu'en synergie forte avec leurs partenaires.
- 2 - le recentrage sur le métier augmente fortement la performance de chacune des entreprises mais la performance globale est maintenant fortement dépendante de l'efficacité des liaisons interentreprises :
La compétitivité de chacun dépend de la productivité des interfaces |
Tout
ceci exige un système de circulation et de traitement de l'information
performant, d'un coût acceptable, capable de s'adapter à des
changements permanents de situation et de partenaires, permettant en interne de
développer les échanges, et d'offrir à l'extérieur
une vitrine ou un catalogue collectif.
Pour pouvoir être flexibles, agiles, capables de "s'interconnecter"
à la demande, les entreprises doivent devenir "plug and
play" comme le souligne de façon imagée Denis
Ettighoffer et c'est cette capacité que leur offre les technologies
de l'Internet
On peut se demander si Internet, fruit paradoxal de la liaison entre la
rigueur des militaires et l'imagination foisonnante des chercheurs, n'est pas
l'outil qui "colle" le mieux à ce besoin en rendant plus efficaces
toutes les actions de coopération.
"[il] ouvre de larges champs d'action à des structures très mobiles, créatives et souples, comme à des systèmes de production "virtuels", légers, peu intégrés verticalement et donc très flexibles et réactifs" (note du poste d'expansion économique de Washington) |
Si
Internet connaît aujourd'hui un développement aussi fulgurant ce
n'est pas tant par son degré d'innovation technologique mais parce qu'il
"colle" parfaitement à des tendances sociologiques majeures :
aplatissement des pyramides hiérarchiques, organisation en centres de
responsabilité, mondialisation des échanges, flux tendus,
réseaux d'entreprises,...:
Il devient le système nerveux de ces réseaux, outil de leur efficacité, de leur compétitivité et de leur réactivité |
C'est
sans doute dans les situations n° 2 (réseau des filiales d'un
groupe) et n° 1 (grappes de fournisseurs et de sous-traitants) que
l'évolution sera la plus rapide.
En effet les grands groupes disposent d'une capacité plus grande que les
réseaux de PMI indépendantes pour développer des extranets
étant donné l'enjeu, en terme de compétitivité du
tissu industriel de cette évolution
L'effort des pouvoirs publics devra porter prioritairement sur les
réseaux de type 3 et sur ceux de type 1 quand le donneur d'ordre est une
moyenne ou une petite entreprise.
Il sera intéressant d'examiner ce qui existe aujourd'hui au niveau des
grands groupes et d'étudier dans quelle mesure ces réalisations
sont transposables à des réseaux de PME
Evariste
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(Last update : Fri, 9 Feb 2007) |