[ Yolin | 2001 | Sommaire ]

5.1.2.7 L'apparent paradoxe d'une économie de standards: la valeur d'une start-up est un multiple de ses pertes des premières années

Ce paradoxe n'est qu'apparent car, comme nous l'avons vu nous nous trouvons dans une économie de standards où les investissements de départ sont importants (développements techniques et marketing) et les coûts de "production" sont extrêmement faibles: il importe donc de prendre le plus rapidement possible 30 à 40 % du marché mondial pour devenir "la référence du secteur".(une entreprise comme Oracle qui a maintenant 40.000 personnes a connu un taux de croissance de 100% par an depuis 10 ans)

Dès la barre fatidique franchie, la rentabilité augmente considérablement (puique les coûts de "production" sont faibles (quasi nuls pour les start-up ne fabricant pas de produits physique) et les rentrées financières sont proportionnelles au nombre de clients)

Par ailleurs les développeurs d'application, soucieux de leurs propres débouchés, capitalisent sur le produit "phare" en délaissant ceux qui représentent une part de marché trop faible, entrainant un phénomène "boule de neige" en faveur du produit qui a su devenir le "standard de fait". On passe ainsi sans grand effort de 30 à 80 % du marché.

La rentabilité devient alors considérable et permet, grâce à cette rente de situation, "d'achever" les concurrents (en les rachetant et en finançant l'amélioration du produit leader afin qu'après la bataille il devienne effectivement le meilleur).

La bataille Microsoft-Apple est sans doute la plus emblématique de cette logique mais elle est loin d'être un cas isolé.

C'est bien cette démarche qui a assuré en France le succès du Minitel : distribution gratuite du terminal entrainant un très fort déficit les premières années, (qui a fait tant hurler en son temps la Cour des Compte), suivi d'une longue période de traite des vache à lait (qui se poursuit discrètement aujourd'hui encore)

...et qui a conduit à son échec à l'international, car il ne suffit pas que sa technologie ne soit pas la plus performante, encore aurait-il fallu se donner les moyens financiers pour l'imposer comme un standard au niveau mondial

Il convient donc de lancer le produit sur le marché, même sans attendre qu'il soit parfaitement au point et doté de toutes les fonctionnalités dont le créateur voudrait bien le doter.

Plusieurs capitaux risqueurs américains nous ont dit leurs difficultés avec des créateurs français à leur faire mettre leurs produits sur le marché à un stade suffisamment précoce pour ne pas se laisser doubler.

Ils considèrent que

Il importe alors que l'entreprise soit à l'écoute de ses clients et soit extrêmement réactive pour corriger les défauts signalés ou développer les fonctionnalités demandées.

Dans les deux ou trois premières années le chiffre d'affaire est quasiment nul (Or les premières années les revenus sont quasi-nuls puisque pour imposer ses produits encore imparfaits il est peu courant de facturer les premiers clients en phase de béta-test)

Ce lancement mondial doit être très rapide et il exige des capitaux considérables, bien supérieurs à ceux que nécessite la mise au point technique (en moyenne le marketing représente 63 % du budget pour ce type d'entreprise contre 13 % pour la R & D, le coût d'acquisition d'un nouveau client est estimé selon les marchés à une somme comprise entre 40 et 450$ (45$ pour CDNow, 80$ pour Amazon, 100$ pour Barnes&Noble, 450$ pour Datek)

Autobytel continue à investir les deux tiers de son chiffre d'affaires dans la promotion de son service.

Or le marketing, bien qu'il représente en fait l'investissement majeur, ne peut être comptablement considéré que comme une dépense de fonctionnement, et les frais de développement sont bien souvent eux aussi comptabilisés en frais de fonctionnement.

Comme nous avons vu que le chiffre d'affaire était négligeable le montant du déficit représente en fait celui de l'investissement.

Or cet argent provient, non pas des économies des créateurs (souvent bien faibles) mais de l'argent mis sur le projet par des capitaux risqueurs.

Quand on sait que c'est dans cette profession que l'on trouve les meilleurs spécialistes du sujet on peut conclure que l'ampleur de cet investissement, et donc de ce déficit, est directement liée à la qualité du projet tel qu'il est estimé par les personnes les plus compétentes pour en juger (tant, bien entendu, que les investisseurs se limitent aux personnes compétentes, ce qui n'a visiblement plus été le cas quand la lueur du pactole a attiré de nombreux investisseurs moins expérimentés à partir de l'été 1999...).

Beaucoup ne comprennent pas la différence fondamentale entre des capitaux préalablement levés et investis, conformément à la stratégie prévue par l'entreprise et qui apparaissent comptablement comme des pertes, et des pertes d'exploitations constatées ex-post et qui ruinent une entreprise (la sidérurgie des années 80) et qui nécessitent, sous peine de dépôt de bilan de "boucher le trou".

Du coup fleurissent les articles s'étonnant que tel grand constructeur automobile soit valorisé 4 fois ses bénéfices et telle start-up 50 fois ses pertes!

Si on part du principe que les capitaux-risqueurs qui sont des "pro" du secteur ont un jugement de qualité et qu'ils s'imposent une forte rentabilité de leurs investissements, il est logique que la valeur de l'entreprise soit un multiple de ces capitaux investis et donc, vu de façon purement comptable, un multiple des pertes

Bien entendu quand les investisseurs deviennent plus nombreux et moins compétents, que ce soit des particuliers investissant sur la base de rumeurs mélées d'extrapolations, ou de financiers qui s'appuient sur des ratios sans rien comprendre au buisiness model lui même, on assiste à des phénomènes d'emballement, nécessairement suivis de réajustements qui ne démontrent rien d'autre que la nécessité d'un vrai professionalisme du côté des investisseurs...

Ce phénomène est de plus amplifié, comme souvent à la bourse, par des spécialistes du " jeu du mistigri " qui investissent non sur le seul critère économique valable (la rentabilité prévue actualisée: bénéfices d'exploitation après la phase de montée en puissance, ou revente de la technologie ou du fonds de commerce à une grosse entreprise capable de les valoriser), mais qui jouent sur leur capacité à trouver un pigeon à qui revendre leur investissement avant dégonflement de la baudruche voir le site http://www.kasskooye.net/

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(Last update : Fri, 9 Feb 2007)