Les
innovations majeures ne viennent que rarement des structures établies
(que l'on nomme communément par un terme popularisé par JM.
Billaut les "Empereurs") car celles-ci sont souvent
prisonnières de structures lourdes, de personnel mal
préparé à une mutation radicale, d'un réseau de
distribution qui paralyse les changements commerciaux rapides
Levi's a même du faire machine arrière en supprimant son site de vente en ligne fin 1999 pour ne pas s'aliéner ses distributeurs |
Au début de cette révolution, elles sont plutôt prospères ce qui les amène à regarder d'un oeil condescendant les premières aventures, souvent imparfaites de leurs nouveaux concurrents ("seuls les bébés mouillés aiment le changement" rappelle la sagesse populaire...)
Bien souvent elles ne développent une activité Internet que de façon marginale
La prestigieuse
Encyclopaedia universalis
fondée en 1768 a
manqué sombrer : la nouvelle direction a du revoir de fond en comble son
business model: le coût de l'encyclopédie est passé de
9.400Fpour l'édition papier à 1.980F(CD-Rom + Internet) en 1998
et 360F en 1999 (la version électronique représentant
néanmoins 64% du chiffre d'affaire). Son homologue française
Encyclopedia Universalis est vendue sous cette forme à 1.497F
Le prochain pas, celui d'un accès gratuit sur le Web a été franchi début 2000 www.britannica.com avec l'ambition de devenir un site à fort trafic rémunéré pour une large proportion par la publicité L'affaire est de nouveau bénéficiaire mais le nombre de courtiers est passé de 200 à 30. Par contre l'encyclopédie est maintenant réactualisée en profondeur tous les ans, contre un léger lifting tous les 5 ans précédemment Ken Olsen, un précurseur dans le manque de vision, président de l'alors puissant Digital equipment déclarait au début des années 1970 "je n'arrive pas à trouver une seule raison pour laquelle quelqu'un voudrait avoir son propre ordinateur.." La plupart des présidents des grands groupes (IBM, Hewlett-Packard, Ericsson, Compaq...) ont eux-mêmes récemment avoué que leur entreprise n'avait pas pris la mesure à temps de l'importance de cette évolution ou avaient reculé devant l'ampleur des remises en cause nécessaires "ces dernières années nous n'avons pas tout fait pour devenir un leader dans ce domaine et nous avons eu tort" Lewis Platt Président de Hewlett-Packard "vous n'imaginez pas la créativité qui est déployée pour résister au changement!" Nobuyuki Idei Pdg de Sony Thomas Middelhoff nouveau président de Bertelsmann déclarait à l'été 1999 "l'Internet n'est pas une nouvelle activité comme je le pensais,...il va transformer radicalement notre manière de travailler, les règles du jeu changent, il nous faut une nouvelle culture" et en septembre 2000 Richard Mohn, le patriarche-fondateur "avec l'Internet Bertelsmann se trouve dans une situation comparable à celle qui existait à la fin de la guerre. Il faut tout rebatir" Le "100 days work-out blitz": Jack Welch patron de General Electric, (290 000 salariés) se vantait jusqu'il y a 4 ans de ne même pas savoir se servir d'un micro-ordinateur, sa prise de conscience s'est faite...sous l'influence de sa femme "Avoir une seconde femme 17 ans plus jeune que soi oblige à rester dans le jeu" déclarait-il à "fortune" . Après être passé de la première capitalisation mondiale à la troisième, la prise de conscience tardive (1999) mais fulgurante de ce patron énergique entraine une réaction tout aussi brutale: les 500 principaux dirigeants du groupe qu'il convoque se voient donner un délai de 100 jours pour redéfinir leur stratégie chacun dans son domaine. Une équipe d'un millier de "e-business leaders" sont mis en place. Chacun des cadres dirigeants (lui compris) se voit désigner un tuteur de moins de 30 ans. Les groupes "destroyyourbusiness.com" ont pour objectif d'obliger chacun à imaginer comment une start-up ou un concurrent pourrait les évincer du marché grâce à une capacité de mieux servir le client, et dans la foulée de lancer de nouvelles initiatives Un an après, 3 niveaux de management étaient supprimés dans la circulation de l'information et GE avait retrouvé la première capitalisation mondiale (530 milliards de dollars), "mais jamais cette révolution n'aurait pu avoir lieu si vite si le terrain n'avait été préparé par une démarche qualité (Six Sigma)ayant orienté toute l'énergie de l'entreprise vers la satisfaction du client" Merrill Lynch n'a proposé qu'en juillet 1999 un service en ligne à ses 5 millions de client en divisant par 10 ses tarifs de courtage à 29,95$ au lieu de plusieurs centaines de dollars (selon le montant de la transaction) précédemment (et elle a du pour cela acquérir la start-up DE. Shaw pour 25 M$): son cours a aussitôt baissé car les analystes ont considéré que cette stratégie n'était pas crédible sans remise en cause profonde de la structure qui continue de s'appuyer sur ses 15.000 courtiers! Le Chicago Board of Trade qui effectue encore 95% de ses transactions sur le parquet n'a décidé qu'à l'été 1999 de basculer sur un marché électronique et parce qu'il était sous la menace de william Porter, fondateur d'e-trade, qui projette de lancer un marché des options sur action avec des coûts de transaction beaucoup plus bas Le 9 nov 1999 Richard Grasso président du NYSE (New York Stock Exchange) sous la pression de ses gros clients qui ont commencé à dévier leurs opérations vers les marchés électroniques (ECN) annonce une évolution semblable malgré les menaces que fait peser cette orientation sur l'avenir de ses opérateurs comme les teneurs de marché Les ECN avec des entreprises comme DATEK, Instinet, Archipelago, Bloomberg Tradebook,Brass Utilities, Redibook, MarketXT, Strike T, NexTrade, soutenus par les grandes banques d'investissement, pourraient même selon certains remplacer totalement les anciennes bourses: ils sont beaucoup moins couteux, travaillent simultanement sur toutes les places financières, sont opérationnels parfois jusqu'à 23h sur 24. Ils ont déjà capté 22% des transactions du Nasdaq et 6% du Nyse. Ils viennent de décider d'interconnecter leurs systèmes informatiques pour mieux informer leurs clients Nous écrivions l'an dernier "Les ECN sont actuellement sur un rythme de doublement trimestriel (Le Monde 16 sept 99) et pourraient ainsi rendre sans objet les négociations entre les "grandes" bourses européennes (qui ne seraient peut-être pas nouées aussi rapidement en l'absence de la menace qu'ils représentent)" le lancement d'une OPA hostile du Suédois OM Gruppen, créateur de l'ECN Jiway, sur la Bourse de Londres, qui a brisé l'alliance iX avec Francfort, est une cinglante confirmation de ce pronostic et une illustration de l'avance prise par les pays Nordiques dans ces domaines |
D'autres Grands Groupes, notamment dans notre pays, n'ont toujours pas compris:
Philippe Lemoine
coprésident du directoire des Galeries
Lafayette déclarait au Monde "des entreprises ne s'y sont lancées
que pour ne pas arriver à la réunion des analystes financiers
sans un projet Web quelconque sous le bras. Il y a des tas de gens qui y sont
allés sans conviction et qui ont pris le risque de perdre de l'argent et
de ne pas savoir pourquoi ils le perdaient. Du coup le retour de bâton
est violent".
Malgré des résultats financiers remarquables ces groupes, dans le secteur bancaire par exemple ("qui restent en France dans une stratégie défensive" (Cambridge Technology), se trouvent avec des valorisation moitié moindre que celle de concurrents dont les investisseurs ont le sentiment qu'ils ont véritablement pris conscience des enjeux |
C'est un euphémisme de dire que ni les grandes banques, ni les grandes bourses, ni les constructeurs automobile, ni les grandes maisons de disque, ni les leaders de la distribution pharmaceutique n'ont été les visionnaires de leur domaine
Aussi de
plus en plus de grands groupes, prenant la mesure du danger, après une
première phase de mépris pour ces jeunes étudiants,
commencent à créer des fonds de "corporate venture", sur
le modèle des entreprises américaines (Intel dispose d'un
portefeuille de 300 sociétés pour une valeur de 5 Milliards de $)
pour être présents au capital de ces nouveaux venus et disposer
ainsi d'un poste d'observation des évolutions en cours sans les
étouffer prématurément dans leurs lourdes structures en
les rachetant (Cisco considère que 30% de ses innovations proviennent de
ses acquisitions, souvent préparées par des prises de
participation)
Vivenditure
(Vivendi associé à d'autres
industriels européens et américains), Auriga
(Rhône-Poulenc, Danone, AXA), Innovacom Denis Champenoiset
Technocom (France Télécom), Dassault développement
Benoit Haber (Pdt)Luc Lechelle (500MF gérés), Thomson
CSF Venture Jean-Michel Barbier, Flavius investissement (LVMH), Club
de développement (Pinault Printemps Redoute),Europ@web
(groupe Arnault), @viso Daniel Scolan (Vivendi, et le groupe japonais
Softbank de Masayochi Son), Air Liquide Ventures, eBertelsmann
(Bertelsmann doté de 1 Milliard de dollars),de même pour EDF, le
CEA, Alcatel, Chrysalead incubateur de Danone, Bull Internet
Incubator,...
D'autres comme Thomson, Hewlet Packard ou IBM, encouragent les "spin-off" et Toyota a créé une société totalement en marge des structures (VVC :Virtual Venture Company) avec une quarantaine de jeunes cadres (moyenne d'age 36 ans) pour créer éventuellement une nouvelle marque plus "jeune" échappant ainsi aux réseaux traditionnels et capable de mieux tirer parti des nouvelles possibilités offertes par l'internet "nous encourageons également la filialisation de certaines découvertes, les start-up étant plus à même de lancer rapidement des produits commerciaux" Paul Horn, patron de la R&D d'IBM : au début des années 1990 une étude interne avait montré que moins de 5% des travaux de recherche débouchaient sur le marché Même la CIA qui vient de créer le Fonds In-Q-it (en référence au major Boothroyd alias "Q"), doté de 28M$, adopte cette démarche (NY Times du 29 sept 99) |
Ils confient leurs propres développements Internet bien souvent à des filiales ad hoc vivant au rythme et selon les modalités de fonctionnement de la nouvelle économie: ce sont soit des "start-up internes", soit de jeunes entreprises rachetées mais qui conservent leur modes de gestion
"il est en effet extrêmement difficile de passer d'une organisation basée sur les "fonctions" à une autre basée sur les missions, à un mode de management où il faut donner du sens et pas seulement des directions, "il faut que le manager soit capable de fédérer au service des enjeux du client plutot que toute autre condition de statut, de pouvoir ou de hiérarchie" (Bernard Dufau Pdg IBM France),
"l'entreprise n'est plus une forteresse mais un réseau ouvert, enchevétré avec d'autres...les entreprises deviennent des structures molles à périmètre variable" Bernard Brunhes, les Echos:
Le handicap de notre culture profondément marquée par notre tradition paysanne avec un attachement très fort à la notion de territoire, de patrimoine et de frontières est dans ce domaine un fort handicap supplémentaire pour nos grands groupes
On peut effectivement constater que tous les leaders dans les secteurs nouveaux sont de jeunes entreprises "qui ne pensent qu'à ça" (les "barbares"). Elles n'ont pas d'inertie interne à vaincre, elles n'ont rien à perdre et elles bousculent allègrement les structures établies : Amazon.com, e-trade, Springstreet.com, Dell computer, Onsale, Autobytel, Yahoo! Worldcom, Qwest, Level3, Cisco, AOL, e-bay, e-loan, EMC, Siebel, Intershop,...
...elles sont souvent dirigées par des jeunes ou des personnes venant, sans préjugés, d'horizons très différents :
Le créateur de Worldcom,
Bernie Ebbers
, qui vient de
réussir sa 71ème prise de contrôle, la plus
grosse (et de très loin) OPE mondiale (avec 129 Milliards de dollars) a
débuté comme entraîneur de basket puis dans l'hotellerie:
il est dorénavant le premier opérateur mondial par sa
capitalisation (290 Milliards de dollars) dépassant ATT (250 Milliards),
et transporte la moitié du trafic Internet mondial
Celui de Qwest , Phil Anschutz , (créé il y a 2 ans elle atteint une capitalisation de 29 Milliards de dollars en janvier 99 et est en phase de prise de contrôle deUS West pour 35 Milliards) venait d'une entreprise de Chemin de fer Léquipe de fondateurs de Level3, dirigée par James Crowe , vient du BTP ( Groupe Peter Kiewit )... |
Elles ont l'esprit libre pour sortir des ornières "you must think and act outside the box" |
On les
appelle aussi les "Dot.com", car pour mieux marquer leur option totale
pour l'Internet elles ont intégré le ".com" dans le nom
même de leur marque : Amazon.com, springstreet.com , fromages.com,
quote.com, boursier.com, Alafolie.com (industrie du mariage), Xoom.com,
Moreover.com, promosdujour.com, startupfailure.com,...sans parler de la ville
de Halfway dans l'Oregon qui a décidé de changer son nom pour
celui de Half.com!
La même semaine une PME de quatre ans d'âge, Excite, se
vendait plus cher (6,7 milliards de dollars) qu'une grosse entreprise
centenaire très convoitée, Volvo (6,3 milliards de
dollars) et Yahoo!, après avoir absorbé Geocities, atteint
la même valeur que BNP et Paribas réunis tandis que
symboliquement AOL avec 63 milliards de dollars dépassait
Disney (61 milliards malgré un chiffre d'affaires 10 fois plus
élevé) et que Microsoft (261 milliards) prenait
la tête du classement mondial devant General Motors ("seulement
257 milliards). En 1999 Microsoft a dépassé la barre des
600 milliards avant de redescendre en particulier lors de son procès
pour abus de situation dominante
En juin 1999 Freeserve, fournisseur d'accès britannique gratuit, créé le 22 septembre 1998, vaut 9 mois après sa création presque aussi cher que le plus gros sidérurgiste européen né de la fusion de British Steel et de Hoogoven |
Une expression a vu le jour pour décrire ce phénomène :" to be Amazoned "
Il serait très dommageable pour notre économie que tous les "barbares" soient étrangers.
Evariste
©1996-2007
URL : http://www.evariste.org/new/index.html |
(Last update : Fri, 9 Feb 2007) |