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Législation communautaire en vigueur

Structure analytique

Document 387D0500

Chapitres du répertoire où le document peut être trouvé:
[ 08.30 - Positions dominantes ]


387D0500
87/500/CEE: Décision de la Commission du 29 juillet 1987 relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV/32.279 - BBI/Boosey & Hawkes: mesures conservatoires) (Le texte en langue anglaise est le seul faisant foi)
Journal officiel n° L 286 du 09/10/1987 p. 0036 - 0043



Texte:

*****
DÉCISION DE LA COMMISSION
du 29 juillet 1987
relative à une procédure d'application de l'article 86 du traité CEE (IV/32.279 - BBI/Boosey & Hawkes: mesures conservatoires)
(Le texte en langue anglaise est le seul faisant foi.)
(87/500/CEE)
LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES, vu le traité instituant la Communauté économique européenne,
vu le règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte de l'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment ses articles 3 et 16,
vu la demande présentée par Brass Band Instruments Ltd et consorts, datée du 12 mars 1987, alléguant une infraction à l'article 86 du traité par Boosey & Hawkes plc et demandant à la Commission d'arrêter des mesures conservatoires,
vu la décision de la Commission du 27 avril 1987 d'engager une procédure dans cette affaire,
après avoir donné à Boosey & Hawkes plc l'occasion de faire connaître son point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément à l'article 19 paragraphe 1 du règlement no 17 et aux dispositions du règlement no 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement no 17 du Conseil (2),
après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes,
considérant les points de fait et de droit suivants:
I. LES FAITS
Nature de la présente décision
(1) La présente décision prescrit des mesures conservatoires avant de statuer au fond sur la demande présentée en application de l'article 3 du règlement no 17 par trois entreprises du Royaume-Uni: Brass Band Instruments Ltd (BBI), Gariel's Horn House (Band Instrument Company) Ltd (GHH), toutes deux sises à Portsmouth, Hamsphire, et RCN Music (RCN), sise à Luton, Bedfordshire. Celles-ci allèguent que Boosey & Hawkes plc (B&H), sise à Edgware, Middlesex, aurait commis une infraction à l'article 86 du traité CEE.
Les entreprises
(2) Les activités de B&H portent sur la fabrication et la vente d'instruments de musique. Avant la présente affaire, B&H était le seul fabricant britannique d'instruments à vent en cuivre. Son chiffre d'affaire mondial total (tous produits confondus) a atteint 38 millions de livres sterling (67 millions d'Écus) en 1985.
(3) GHH est un important revendeur d'instruments pour orchestre de cuivres de style britannique « brass bands » ci-après dénommés orchestres de cuivre; il réalisait, avant la présente affaire, le deuxième plus grand chiffre d'affaires en instruments de B&H au Royaume-Uni. Son chiffre d'affaires total en 1985 a atteint 480 000 livres sterling (840 000 Écus) dont 70 % en instruments de B&H pour orchestres de cuivres.
RCN est un réparateur d'instruments pour orchestres de cuivres, pour le compte de fabricants, de distributeurs et de clients privés. Il a effectué dans le passé des travaux de réparation sous contrat pour B&H.
(4) En avril 1986, les propriétaires de GHH et RCN ont fondé une société, BBI, en vue de fabriquer et de commercialiser une large gamme d'instruments pour orchestres de cuivres. BBI exercera ses activités à partir de locaux sis à Luton, contigus à ceux de RCN, et recevra certains services d'assistance commerciale et financière de RCN et GHH.
Éléments de base
Orchestres de cuivres
(5) B&H est l'un des plus grands fabricants d'instruments de musique dans le monde. Il est particulièrement connu pour ses instruments à vent pour orchestres de cuivres. Ses efforts dans le secteur des cuivres sont particulièrement axés sur les besoins des orchestres de cuivres de style britannique. Ces orchestres ont pris naissance dans le nord de l'Angleterre, où l'intérêt est particulièrement grand, mais le « mouvement des orchestres de cuivres » s'est étendu à nombre d'autres pays, notamment aux Pays-Bas, à la Belgique, au Danemark et à la république fédérale d'Allemagne. Les orchestres de cuivres de style britannique se distinguent des autres types d'orchestres utilisant des instruments à vent (par exemple harmonies, fanfares, orphéons) par leur instrumentation entièrement en cuivre (tel que stipulé dans les règlements de championnats), leur répertoire musical et leur sonorité caractéristique. Les compétitions entre orchestres sont fortement encouragées et B&H participe étroitement à l'organisation et à la promotion des deux plus grandes compétitions, à savoir les championnats nationaux du Royaume-Uni et les championnats européens d'orchestres de cuivres. Les règlements de championnat qui régissent l'instrumentation des orchestres en compétition influencent la composition des orchestres de cuivres de style britannique en général.
(6) L'instrumentation des orchestres de cuivre comprend des cornets à pistons (en mi majeur, si mineur), cors de chasse, cors ténors, barytons, trombones, saxhorns basses et tubas (en si majeur, si mineur et mi majeur, mi majeur, si mineur). B&H fabrique plusieurs gammes étendues d'instruments en cuivre pour satisfaire les exigences propres de différentes catégories de clients (orchestres de cuivres de concours, débutants, etc.). Sa gamme « Sovereign » s'adresse tout particulièrement aux orchestres de cuivres de concours et sa gamme « 700 » propose une alternative légèrement moins onéreuse bien que visant également des orchestres de concours. Tous les grands orchestres de cuivres de concours en Angleterre sont composés en presque totalité d'instruments de B&H et la préférence des amateurs va toujours en permier lieu aux instruments de B&H. Un orchestre de concours comporte généralement 85 à 90 % d'instruments de B&H. Les cuivres dits d'« arrière-plan » c'est-à-dire cors ténors, barytons, saxhorns basses et tubas, sont presque toujours des instruments de B&H. Une certaine substituabilité existe pour les cuivres de premier plan (qui forment seulement 15 % de l'orchestre typique) dont les trombones et dans une moindre mesure les cornets peuvent provenir d'autres fabricants. Aux dires de demandeurs, la demande d'instruments pour orchestres de cuivres dans la Communauté représenterait actuellement une valeur estimée de 10 millions d'Écus, chiffre contesté par B&H qui le considère comme trop élevé. Un seul fabricant au monde, Yamaha, fabrique actuellement une large gamme d'instruments conçus pour orchestres de cuivres. Les instruments de B&H coûtent généralement nettement plus cher que leurs équivalents chez Yamaha. Malgré cette différence de prix, Yamaha n'a eu jusqu'à présent qu'un impact limité sur le marché.
BBI
(7) BBI a été fondé par les propriétaires de RCN (qui étaient d'anciens employés de B&H) et de GHH spécifiquement pour concurrencer la gamme « Sovereign » d'instruments de B&H pour orchestres de cuivres. BBI a basé certains de ses modèles sur des instruments fabriqués par les prédécesseurs de B&H mais, pour éviter tout problème de droits d'auteur, elle a utilisé uniquement des instruments fabriqués avant 1912, année durant laquelle le Copyright Act du Royaume-Uni est entré en vigueur. Une grande partie des composants des instruments de BBI devaient être fabriqués sous contrat par un fabricant allemand et assemblés dans l'atelier de Luton. BBI envisage de commercialiser une large gamme par vente directe aux orchestres de cuivres, contrairement à B&H qui vend essentiellement par l'intermédiaire de détaillants spécialisés en instruments pour orchestres de cuivres. B&H a cru que les méthodes de vente directe de BBI permettraient à cette dernière de vendre à des prix nettement inférieurs à ceux proposés par son réseau de détaillants tout en offrant un produit d'une qualité techniquement équivalente. D'après les renseignements par mois, soit quelque 40 % de la production actuelle de B&H.
La plainte
(8) Les demandeurs prétendent que dès que B&H a eu connaissance fin novembre 1986, de l'existence de BBI et de ses liens avec GHH et RCN, elle a pris une série de mesures abusives afin de faire en sorte que le nouveau fabricant soit éliminé avant même d'avoir pu s'établir sur le marché.
Il a été dit que certaines mesures visaient directement BBI et allégué que d'autres visaient à lui porter indirectement atteinte en endommageant les entreprises existantes de détail et de réparation, propriétés des individus derrière la nouvelle entreprise. (9) Les allégations les plus significatives sont résumées ci-après:
a) que B&H a engagé de manière injustifiée un contentieux au Royaume-Uni contre BBI, sur violation de copyright, qu'elle a par la suite dû abandonner, mais qui a eu pour effet d'imposer des frais importants aux demandeurs et de retarder le lancement de la nouvelle gamme à un moment crucial;
b) que B&H a effectivement réussi pendant un certain temps à interrompre la source d'approvisionnement de composants de BBI en république fédérale d'Allemagne, en engageant une action injustifiée pour « copie servile » contre le fournisseur (B&H a été débouté en première instance et en appel);
c) que B&H a pris des mesures de rétorsion contre GHH et RCN en leur retirant leurs facilités de crédit, en clôturant leurs comptes sans préavis, en refusant toutes fournitures d'instruments et de pièces détachées complémentaires, en les harcelant par des procédures oppressives de recouvrement de créances et pour ce qui concerne GHH, en essayant (sans succès) de faire en sorte que la société de crédit avec laquelle elle travaillait saisisse le stock de GHH.
(10) La demande actuelle de mesures conservatoires porte particulièrement sur le refus de fourniture opposé à GHH et RCN. Aucune livraison n'a été faite à GHH ou RCN depuis le 8 décembre 1986 bien que toutes les dettes exigibles envers B&H aient été réglées depuis le mois de mars. D'après les demandeurs, leurs affaires existantes sont commercialement dépendantes de B&H et si les fournitures ne sont pas reprises, il y a un risque réel et important qu'elles soient déclarées en faillite avec des effets néfastes sur BBI.
Les arguments de B&H
(11) La présente décision ne concerne pas directement les allégations de litiges vexatoires et autres tactiques d'harassement mais uniquement la clôture des comptes et le refus des ventes.
En ce qui concerne le refus de vente, B&H allègue que sa décision de cesser de fournir à GHH et RCN n'était pas motivée par un quelconque désir de porter atteinte à la concurrence. La justification donnée à l'époque aux demandeurs était qu'ils étaient mauvais payeurs. Dans la procédure actuelle, B&H maintient cette position et ajoute qu'elle était et est toujours en droit de refuser de vendre à GHH et RCN en raison de l'attitude « déloyale et malhonnête » de ces dernières dans leurs tractations avec B&H Des allégations sérieuses remontant à plusieurs années sont avancées (et vigoureusement niées par les demandeurs).
B&H allègue également que la question de savoir si ses accusations sont en fait fondées est sans pertinence, le critère important étant qu'elles les croient fermement justifiées, de telle sorte que si elle était contrainte de reprendre les livraisons à RCN et GHH sous quelque forme que ce soit, le moral de ses employés serait sérieusement atteint.
Les preuves
(12) Il est vrai que juste avant que B&H n'ait eu vent de l'entrée imminente de BBI sur le marché, elle renforçait son contrôle de crédit et que des négociations étaient en cours avec GHH concernant un paiement étalé pour liquider ses arriérés de paiement (les sommes dues à B&H en compte courant venaient s'ajouter à celles dues à la société de crédit Borg Warner).
Les demandeurs soulignent que, à cette époque, aucune menace de clôture brutale de leur compte n'avait été formulée par B&H et que les négociations se déroulaient de manière amicale. Il est également allégué qu'une grande partie des sommes dues se rapportait à des différents de qualité et à des instruments que GHH avait retournés à B&H parce qu'ils étaient défectueux. GHH prétend qu'elle a toujours acquitté ponctuellement les sommes dues à la société de crédit.
Quelle que soit la vérité sur ce point, il ressort des documents obtenus par la Commission lors de l'enquête qu'elle a effectuée chez B&H en vertu de l'article 14 du règlement no 17, que B&H considérait l'arrivée de BBI comme une menace sérieuse.
Des rapports internes et des procès-verbaux du conseil d'administration de novembre 1986 à février 1987 soulignent « la menace concurrente » constituée par BBI et se réfèrent aux « efforts vigoureux pour combattre ce nouveau concurrent ».
Les documents recueillis jusqu'à présent semblent venir à l'appui de l'allégation des demandeurs selon laquelle les mesures prises contre GHH et RCN faisaient partie de tels efforts.
Un rapport du président du conseil, en date du 28 novembre 1986, décrit la nouvelle opération comme une « menace sérieuse » pour B&H et identifie GHH (décrit comme « l'un de nos meilleurs clients ») comme étant la source de cette menace. Le rapport précise les mesures déjà prises par B&H pour contrer la menace. La première mesure indiquée est la suivante: « Nous assignons GHH en paiement de l'intégralité du montant qui nous est dû (soit environ 36 000 livres sterling) et la société de crédit Borg Warner est en train de faire de même pour la somme qui lui est due, soit approximativement 119 000 livres sterling et tente également de reprendre possession des instruments. En ce qui concerne les allégations de fraude et de mauvaise conduite faites par B&H, les éléments de preuve disponibles n'étayent pas l'affirmation selon laquelle elles étaient la principale raison à l'origine de la décision de cesser les fournitures. À ce stade, B&H ne souhaite pas que les détails de ses preuves soient divulgués aux demandeurs. Il serait de ce fait inapproprié, particulièrement au stade de mesures conservatoires, que la Commission se prononce sur le bien-fondé des allégations. Si elles concernent la procédure, elles devront être résolues soit dans le cadre de la procédure principale soit dans celui d'une autre instance appropriée.
Effet sur les demandeurs
(13) Les demandeurs soutiennent que les mesures que B&H a prises à leur encontre ont eu de graves répercussions. En premier lieu, le lancement par BBI de sa nouvelle gamme d'instruments a été retardé de plusieurs mois au moins. Les procédures engagées en Angleterre et en république fédérale d'Allemagne (bien que finalement non couronnées de succès) ont eu pour effet d'empêcher BBI de commencer ses opérations même à une échelle réduite et ce, jusqu'à une date récente, c'est-à-dire à une période de l'année où peu d'instruments sont vendus. Les diverses actions engagées contre GHH et RCN ont (selon les demandeurs) eu pour effet non seulement d'entraver la conduite de leurs affaires mais également de compromettre les situations financières personnelles de leurs propriétaires et, partant, la viabilité de BBI. Des déclarations faites par GHH au début du litige, qui indiqueraient que GHH pourrait changer de fournisseurs sont expliquées comme une forme de défiance ou de bluff. Les stocks de GHH en instruments de B&H sont tombés à un tiers seulement de leurs niveaux normaux et une partie importante de ces stocks n'est pas facilement vendable. Les demandeurs ont fourni des preuves de l'effet financier cumulatif des mesures prises par B&H à l'encontre de BBI tant directement que par le biais de GHH et RCN. Le fond de roulement initial disponible pour financer BBI a été épuisé. Il est prétendu que BBI dépend maintenant de facilités de caisse qui sont proches de la limite fixée par les banques. Le passif de BBI est garanti par les actifs privés des propriétaires de GHH et RCN. Si la nouvelle entreprise était abandonnée, les répercussions s'étendraient à leurs commerces et à leurs finances personnelles.
II. APPRÉCIATION EN DROIT
Conditions pour l'adoption de mesures conservatoires
(14) Le pouvoir, dont la Commission dispose en vertu de l'article 3 du règlement no 17, d'obliger à mettre fin à une infraction constatée aux règles communautaires de la concurrence comporte le pouvoir d'ordonner des mesures conservatoires dans les cas où (entre autres) le comportement en cause a pour effet de porter préjudice à d'autres entreprises, et où il est essentiel d'assurer qu'en l'attente d'une décision définitive aucun dommage irréparable ne soit causé [affaire 792-79: R Camera Care contre Commission (1)].
Il n'est pas nécessaire que la Commission constate définitivement qu'il y a eu infraction. Cependant, avant d'adopter des mesures conservatoires dans un cas tel que celui de l'espèce, la Commission doit s'assurer:
- qu'il existe un commencement de preuve raisonnablement solide établissant l'infraction,
- qu'un dommage grave et irréparable est susceptible d'être causé aux demandeurs à moins que des mesures ne soient ordonnées,
- qu'il existe un besoin urgent de mesures de sauvegarde.
Toute mesure adoptée par la Commission doit être de caractère intérimaire et conservatoire et doit rester limitée à ce qui est nécessaire dans la situation donnée. La Commission doit également prendre en considération les intérêts légitimes de l'entreprise concernée par les mesures provisoires. Ces dernières ne peuvent excéder le cadre des pouvoirs dont dispose la Commission pour obliger à mettre fin à une infraction dans sa décision définitive.
Application de ces principes en cas d'espèce
Commencement de preuve d'infraction
(15) Les principales questions à examiner à ce sujet sont de savoir (i) si B&H détient une position dominante et (ii) si son comportement constitue un abus. Au stade actuel, la Commission n'a pas à statuer définitivement sur ces points. Il s'agit, en l'espèce, de savoir s'il existe des éléments de droit et de fait constituant un commencement de preuve raisonnablement solide.
Position dominante
(16) La position dominante visée à l'article 86 concerne une position de puissance économique détenue par une entreprise, qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs [affaire 27-76: United Brands contre Commission (2)].
(1) JO no 13 du 21. 2. 1962, p. 204/62.
(2) JO no 127 du 20. 8. 1963, p. 2268/63.
(1) Recueil 1980, pp. 119, 130.
(2) Recueil 1978, p. 207.
Outre la possibilité de comportements indépendants des pressions concurrentielles, ceci peut également inclure la possibilité d'évincer la concurrence existante ou d'empêcher l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché.
Marché en cause
(17) Pour déterminer si une entreprise détient une position dominante, il est nécessaire d'identifier le « marché en cause » c'est-à-dire la sphère concurrentielle dans laquelle la puissance sur le marché de l'entreprise prétendument dominante (et de tout concurrent effectif ou potentiel) doit être appréciée.
De nombreux fabricants d'instruments de musique opèrent dans la Communauté économique européenne. On ne prétend pas que B&H serait en position dominante sur ce vaste marché ni même sur celui des instruments à vent ou sur celui des cuivres, considérés dans leur ensemble. Les instruments en cuivre peuvent être utilisés par des orchestres, des élèves de conservatoires et diverses catégories d'ensemble professionnels ou amateurs. Au sein d'un large marché de produit des sous-marchés peuvent exister qui constituent des marchés en cause aux fins de l'application des règles communautaires de la concurrence. La question essentielle est celle de savoir si le sous-marché est suffisamment distinct dans la réalité commerciale pour permettre à un fournisseur qui le domine d'exclure la concurrence ou de contrôler les prix.
Les efforts de B&H dans le domaine des cuivres sont principalement dirigés sur les besoins particuliers des orchestres de cuivres de style britannique. C'est dans ce créneau spécialisé du marché que BBI se proposait de faire concurrence à B&H (fait relevé par B&H dans ses propres documents). Les preuves fournies par les demandeurs indiquent que ce secteur peut raisonnablement constituer un marché (ou sous-marché) identifiable dans la Communauté caractérisé par ses propres conditions particulières d'offre et de demande. B&H conteste maintenant l'existence d'un tel marché identifiable, mais il est significatif que, dans plusieurs de ses propres documents internes, B&H distingue un marché séparé des « orchestres de cuivres » (sur lequel il dit être dominant).
Le fait de définir un marché de façon relativement étroite n'exclut pas l'application de l'article 86 [affaire 26-75: General Motors contre Commission (1); affaire 22-78: Hugin contre Commission (2)]. Tel peut être notamment le cas lorsque l'entrée sur le marché se heurte à des obstacles importants.
Position de B&H sur le marché
(18) En admettant que la sphère de concurrence effective soit celle définie ci-avant, les preuves étaieraient l'argument des demandeurs selon lequel B&H est dominant. Aux dires des demandeurs, B&H détient une part de marché de quelque 80 à 90 %. Comme il ressort de ses propres documents, les instruments de B&H sont le « premier choix automatique » de tous les grands orchestres de cuivres. Jusqu'à présent, le seul concurrent sérieux de B&H a été un fabricant japonais, Yamaha, qui après vingt ans, n'a pas, malgré sa taille et ses ressourcess, réussi à exercer une influence notable sur le marché spécialisé des orchestres de cuivres. La concurrence d'autres fabricants d'instruments de musique est périférique. Une part importante du marché ne crée toutefois pas en soi une présomption de domination. Lorsque le fabricant titulaire de cette part de marché est en mesure de contrôler les prix ou de restreindre l'entrée de nouveaux concurrents sur le marché, les conditions d'application de l'article 86 peuvent être remplies.
Parmi les autres facteurs qui tendent, en l'espèce, à étayer la constatation provisoire d'une position dominante, figure la forte préférence des acheteurs pour les instruments de B&H; le fait que les instruments de B&H soient nettement plus chers que ceux de la concurrence actuellement disponibles; l'influence que B&H exerce sur l'accès de concurrents potentiels sur le marché en raison de la dépendance des détaillants envers lui, de son avance technique et de son expérience; l'étroite identification de B&H avec le « mouvement » des orchestres de cuivres et le succès probable (sauf empêchement) de l'exercice de sa puissance sur le marché envers les demandeurs en l'espèce.
Abus de position dominante
(19) Le comportement qu'adopte une entreprise en position dominante pour évincer un concurrent du marché par des moyens autres que la concurrence légitime fondée sur les mérites, peut constituer une infraction à l'article 86 du traité CEE.
En l'espèce, les éléments de preuves écrites montrent que B&H s'est engagée dans un comportement destiné à écarter la menace concurrentielle de BBI et que la cessation de ses livraisons à GHH et RCN faisait partie de ce plan.
Il est constant que le refus de vente opposé sans justification objective par un fabricant en position dominante à un client établi peut constituer un abus au sens de l'article 86 [affaire 27-76: United Brands contre Commission; affaires 6-73 et 7-73: Commercial Solvents (3)].
Sur la base des faits de l'espèce, la dépendance de GHH et de RCN à l'égard des produits de B&H est telle qu'il y avait une très grande probabilité qu'ils cessent leurs activités par suite du refus de vente.
L'atteinte à la concurrence serait aggravée si (comme il est allégué en l'espèce) l'objet déclaré de l'action est indirectement d'empêcher l'entrée sur le marché d'un concurrent potentiel du fabricant dominant.
Une entreprise dominante peut toujours prendre des mesures raisonnables pour protéger ses intérêts commerciaux, mais ces mesures doivent être équitables et proportionnelles à la menace. Le fait qu'un client d'un fabricant dominant s'associe avec un concurrent potentiel de ce fabricant ne justifie normalement pas que le fabricant dominant refuse de fournir ce client ou prenne des mesures de représailles à son encontre.
Un producteur dominant n'est pas tenu de subventionner la concurrence. Dans le cas où un client transfert son activité principale à la promotion d'une marque concurrente, il se pourrait que même un fabricant dominant soit en droit de revoir ses relations commerciales avec ce client et moyennant un préavis suffisant, de résilier toute relation spéciale. Toutefois, le refus de toutes fournitures à GHH et RCN et les autres mesures prises à leur encontre en réaction à la menace perçue de BBI sembleraient dans les circonstances de l'espèce aller au-delà de la légitime défense des intérêts commerciaux de B&H.
Effet sur les échanges entre États membres
(20) Aux dires des demandeurs, B&H a maintenant un monopole virtuel sur le marché des instruments pour orchestres de cuivres dans la Communauté économique européenne. Si BBI entrait sur le marché, il serait le seul concurrent sérieux de B&H dans ce secteur. L'exploitation projetée par BBI dépendra en grande partie de composants importés d'autres États membres de la Communauté économique européenne au Royaume-Uni. Sa nouvelle gamme d'instruments sera commercialisée dans d'autres États membres de la Communauté économique européenne outre le Royaume-Uni. Partant, l'élimination de BBI en tant que concurrent aurait un effet à la fois direct et potentiel sur les échanges entre États membres et effecterait la structure de la concurrence sur le marché concerné.
Conclusion
(21) La Commission considère que les preuves écrites dont elle dispose actuellement constituent une présomption d'abus au sens de l'article 86 du traité CEE suffisante pour qu'elle puisse ordonner des mesures conservatoires limitées. Il est possible toutefois que, suite à un examen plus approfondi de l'affaire, B&H soit en mesure d'établir que ses agissements à l'encontre de GHH est RCN étaient commercialement justifiés. La présente décision ne préjuge pas toute conclusion définitive à cet effet ou sur les autres aspects de l'abus de domination allégué.
Probabilité de dommage irréparable
(22) Compte tenu des preuves recueillies, il y a tout lieu de supposer que, sauf à enjoindre immédiatement à B&H de reprendre les livraisons à GHH et RCN, ces deux entreprises seront bientôt forcées de mettre fin à leurs activités, ce qui aurait des répercussions sérieuses sur la viabilité de BBI, ainsi que de graves conséquences financières personnelles pour les propriétaires de ces sociétés. Il serait illusoire de constater éventuellement, dans la décision au fond, que B&H a exploité abusivement sa position dominante au sens de l'article 86 si, entretemps, BBI et les autres entreprises avaient dû cesser leurs activités. Si les demandeurs sont mis en liquidation, B&H sera confirmé comme effectivement le seul fabricant d'instruments convenant aux orchestres de cuivres dans la Communauté économique européenne.
Urgence
(23) L'urgence particulière en l'espèce résulte de ce que, bien que BBI soit théoriquement libre, désormais, de recommencer à introduire sa nouvelle gamme d'instruments, la poursuite de son existence est liée financièrement et commercialement à celle de GHH et RCN. B&H a refusé depuis le début de l'année d'approvisionner ces deux entreprises en instruments et en pièces détachées, ce qui a pour effet d'entraver sérieusement leurs activités commerciales.
L'ordonnance
(24) En conséquence, la Commission se propose de rendre une ordonnance qui assurera autant que possible que les demandeurs ne soient pas mis en faillite avant l'issue définitive de la procédure administrative, par les pratiques mêmes dont les demandeurs se plaignent. Dans le cas d'espèce, la nécessité la plus urgente est d'obliger B&H à reprendre la fourniture de ses instruments et pièces détachées et matériaux à GHH et RCN.
Les modalités applicables à GHH devraient être équivalentes à celles qui étaient offertes avant l'arrêt des fournitures. Étant donné l'état des relations entre B&H et les demandeurs, il serait toutefois inopportun d'obliger B&H à leur faire crédit. La livraison devrait donc être effectuée contre paiement comptant ou traite bancaire. Cependant, si le paiement est effectué de cette manière, les demandeurs devraient bénéficier de la remise usuelle de 5 % pour paiement rapide. En ce qui concerne la fourniture de pièces détachées et de matériaux à l'entreprise de réparations RCN, B&H devra facturer des prix raisonnables, mais ce paiement devra se faire au comptant.
En ce qui concerne la durée de l'ordonnance, il convient de distinguer GHH et RCN. Puisqu'il pourrait être allégué que GHH ne pourra pas s'attendre à maintenir son statut spécial de revendeur principal B&H indéfiniment lorsque la nouvelle gamme BBI sera proposée, il est juste de limiter toute ordonnance à la période nécessaire pour lui permettre de s'adapter. La Commission considère que jusqu'à la fin 1987 est une période raisonnable. Pendant et après cette période, GHH devra pouvoir se fournir auprès d'autres revendeurs et B&H ne devra pas l'en empêcher (« directives » remises par B&H à ses revendeurs pour décourager la pratique). Pour ce qui est de RCN, ses besoins légitimes de pièces détachées et de matériaux B&H, continueront à exister dans l'avenir prévisible, non seulement pour remettre en état des instruments B&H repris mais également pour satisfaire les besoins de clients. Selon les demandeurs, RCN est le plus important réparateur spécialiste d'instruments pour orchestres de cuivres au Royaume-Uni.
(25) La Commission considère que la présente décision n'affectera pas défavorablement les intérêts légitimes de B&H. GHH était considéré comme son « meilleur client » avant le litige et B&H ne saurait être lésé par la reprise des livraisons contre paiement comptant pendant une période limitée. Les susceptibilités de B&H quant à l'effet qu'une obligation de reprendre les livraisons aux demandeurs pourrait avoir sur le moral de ses employés ne constituent pas une considération décisive.
La Commission, à titre de condition pour accorder les présentes mesures conservatoires, exige que GHH et RCN s'engagent à faire affaire équitablement avec les instruments B&H et en particulier à ne pas les dénigrer publiquement ou les utiliser comme appâts. En cas de violation de cet engagement la Commission se réserve le droit de modifier ou d'annuler la présente décision.
Enfin, il est nécessaire de prévoir des astreintes pour tout manquement éventuel aux termes de la présente décision et de prévoir une obligation de déclaration dans le cas où B&H serait dans l'impossibilité de satisfaire une commande particulière pour des motifs valables,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
Il est enjoint par la présente décision à Boosey & Hawkes (y compris ses sociétés filiales) (B&H) de satisfaire, dans les sept jours suivant réception, toute commande raisonnable d'instruments de musique de B&H ou de pièces détachées ou matériaux destinés à la réparation ou à l'entretien d'instruments de B&H, passée par écrit (y compris par télex ou télécopie) par GHH ou RCN après la notification de la présente décision, étant entendu que si les demandeurs désirent prendre livraison desdits instruments ou pièces de rechange départ usine, B&H peut exiger qu'ils y soient enlevés par un transporteur indépendant.
Article 2
1. Sous réserve du paragraphe 3, il est enjoint à B&H d'approvisionner GHH à des termes et conditions équivalents à ceux appliqués immédiatement avant la clôture de son compte. Les fournitures à RCN se font à un prix raisonnable.
2. B&H notifie immédiatement à la Commission tout changement dans ses prix courants et ses conditions de vente.
3. B&H n'est pas tenu d'approvisionner GHH ou RCN autrement que contre paiement comptant ou par traite bancaire, mais, dans ce cas, il accorde à GHH la remise normale pour règlement comptant (actuellement de 5 %) consentie aux « comptes agréés ».
4. Sauf dispositions contraires dans la présente décision, les conditions uniformes de livraison de B&H pour le Royaume-Uni s'appliquent à toutes les transactions avec GHH est RCN.
Article 3
B&H prend toutes les mesures raisonnables, par application des procédures de contrôle de qualité, pour assurer que les instruments livrés à GHH sont de qualité loyale et marchande et sans défauts et que les pièces détachées et matériaux fournis à RCN sont également aptes au but proposé et sans défauts. Si un article commandé ne peut être fourni immédiatement, B&H informe sans délai la Commission, par télex, des motifs de la non-disponibilité et indique les mesures qu'il entend adopter pour exécuter la commande dans un délai raisonnable ou les raisons pour lesquelles cela n'est pas possible.
Article 4
B&H n'empêche ni ne cherche à empêcher la fourniture à GHH d'instruments B&H pour orchestres de cuivres par tout revendeur B&H agréé pour de tels instruments. Article 5
Une astreinte de 1 000 Écus par jour est exigible pour toute la période pendant laquelle B&H omet de se conformer aux dispositions de la présente décision.
Article 6
Les dispositions de la présente décision, en ce qui concerne l'obligation d'approvisionner GHH, sont d'application jusqu'au 31 décembre 1987. En ce qui concerne les autres obligations, la présente décision est d'application jusqu'au terme de la procédure administrative engagée dans le cas d'espèce.
Article 7
L'entreprise Boosey & Hawkes plc, Sonorous Works, Deansbrook Road, Edgware, Middlesex, Royaume-Uni, est destinataire de la présente décision.
Fait à Bruxelles, le 29 juillet 1987.
Par la Commission
Peter SUTHERLAND
Membre de la Commission
(1) Recueil 1975, p. 1367.
(2) Recueil 1979, p. 1869.
(3) Recueil 1974, p. 223.

Fin du document


Structure analytique Document livré le: 11/03/1999


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