(Last update : Sat, 30 Aug 1997)
[ Industrie | info ]
[ parlement ]

Introduction

Mesdames, Messieurs,

Le service public fait partie intégrante de la culture française. Les valeurs qui y sont liées, comme la solidarité entre les Français et les différentes parties du territoire, sont à la base de la cohésion sociale de notre pays et du pacte républicain qui le fonde.

Or ces valeurs paraissent aujourd'hui menacées par les évolutions technologiques et par la primauté accordée à la concurrence par une Europe de plus en plus libérale.

Dès le départ celle ci s'était, en outre, distinguée par des mécanismes de prise de décision reposant plus sur l'interprétation du Droit que sur des arbitrages opérés au niveau politique pour reprendre une formule de M Christian Stoffaës la Communauté est un "Droit sans Etat [...] alors que les services publics apparaissent liés indissolublement à la notion d'Etat", d'où une évidente contradiction

L'Union européenne n'est d'ailleurs plus très loin du "gouvernement des juges", avec l'intervention de plus en plus prégnante de la Cour de justice des Communautés européennes. Cette juridiction a ainsi pofondément contribué à la modification des règles applicables aux services publics, même si l'on a pu relever une inflexion récente de sa jurisprudence.

Le risque est grand que nous passions d'une société conduite par le politique, qui émane du suffrage universel, à une société régie par les seules lois du marché, contrôlé par des instances "indépendantes" ou par les juges. Ce risque est d'autant plus important que le politique tend à abdiquer ses pouvoirs, au nom de la mondialisation de l'économie et au profit de marchés de capitaux présumés tout puissants !

De même la généralisation des privatisations dans le monde a affaibli la légitimité des entreprises publiques et, a fortiori, du service public, concept profondément lié à notre histoire. Faut-il en conclure que la renonciation à toute spécificité est la seule solution et qu'il ne nous reste plus qu'à imiter nos partenaires les plus libéraux ?

Il va, au contraire, de soi que nous devons préserver les principes essentiels du service public, sans exclure pour autant les adaptations nécessaires aux réalités contemporaines.

Ainsi, une certaine dose de concurrence peut être bénéfique pour éviter la sclérose; de même les structures d'un service public ne sont pas nécessairement intangibles. Il n'est d'ailleurs pas souhaitable de "plaquer" un schéma unique sur tous les services publics, quelles que soient les contraintes qui pèsent sur eux et les évolutions technologiques.

L'introduction, à l'article 3 B du Traité instituant la Communauté européenne, du principe de subsidiarité doit, parallèlement, se traduire par une meilleure prise en compte des exigences propres à chaque pays. Les objectifs que se sont assignés les Etats membres dans le cadre communautaire doivent constituer des obligations de résultat, non de moyens.

La politique européenne de la France devra également être plus cohérente que par le passé. La peur de passer pour de "mauvais Européens" nous a parfois conduits à accepter des textes dont nous ne voulions pas, pour ensuite nous efforcer de ne pas les appliquer ! La libéralisation du transport aérien fournit un très bon exemple de ce type d'attitudes.

Il faut également prendre acte de ce qu'est l'Europe actuelle et défendre sans faiblesse nos positions, en particulier, ne plus hésiter à saisir systématiquement la Cour de justice des Communautés européennes lorsque cela s'avère souhaitable, tout en développant, comme savent le faire nos partenaires, une intense action de lobbying. Cela suppose des moyens accrus, mais aussi et surtout la volonté politique d'agir en ce sens. Ces remarques ne valent pas approbation de la manière dont fonctionne l'Europe. Elles partent simplement du constat qu'il n'y a rien de pire que de s'interdire d'utiliser les mêmes armes que les autres dans un différend !

La Conférence intergouvernementale de 1996 nous offre enfin l'occasion de faire admettre par nos partenaires que la légitimité du service public soit reconnue par les traités, sans pour autant imposer à tout prix nos propres valeurs aux autres. Ne recommençons pas, dans l'autre sens, l'erreur de la Commission, qui veut imposer son modèle ultra libéral à toute l'Europe. Permettons plutôt aux Etats qui le souhaitent de préserver leur modèle social, dans le respect, naturellement, de la solidarité communautaire. 11 est également indispensable d'assurer enfin une sécurité juridique aux entreprises assurant un service public.

Au plan interne, il nous faut également rendre au service public sa légitimité première, en rompant avec la traditionnelle confusion opérée dans notre pays entre les aspects matériels (la mission de service public) et organiques (l'organisation en charge du service) de ce concept. Cette approche se traduisait en outre assez souvent par l'existence d'un monopole contrôlé par l'Etat.

Or le service public est désormais de moins en moins justifiable sur la base de supposés "monopoles naturels" ou de contraintes "scientifiques". Les choix effectués dans d'autres pays, notamment le Royaume-Uni, démontrent qu'il s'agit avant tout de décisions politiques.

Il résulte notamment de cette évolution qu'il ne sera plus possible de qualifier de service public une activité simplement parce qu'elle est exercée par un organisme public. En d'autres termes, toutes les activités de la SNCF, ainsi que celles réalisées par le SERNAM, ne relèvent pas ipso facto d'unne logique de service public. A l'inverse une mission de service public peut, dans certains cas, être déléguée au secteur privé.

Les évolutions technologiques de plus en plus rapides nous imposent d'ailleurs une conception évolutive du service public Pour ne prendre qu'un exemple, de quel intérêt serait un service public défini en 1950 qui ne prendrait en compte ni les liaisons aériennes intérieures, ni le minitel ?

A l'avenir, la définition du périmètre du service public et des modalités de son exercice sera nécessairement évolutive en fonction des évolutions technologiques et de la demande des Français. Seuls les principes sont appelés à rester intangibles, ainsi, par exemple, l'égalité d'accès au service public... La définition et la mise en oeuvre de ces principes supposera d'ailleurs que l'Etat assume pleinement son rôle de direction et de conception. Ainsi, l'autonomie des entreprises publiques ne doit pas signifier l'indépendance de leurs technostructures.

Sur ces bases, le présent rapport s'efforcera de définir une stratégie permettant de concilier les principes de service public avec la construction européenne et les évolutions technologiques et économiques.

Le rapport se concentrera sur les secteurs stratégiques que constituent les grandes entreprises de réseaux dans le domaine des transports, de l'énergie, des télécommunications et de la poste. Cela n'épuise naturellement pas le champ du service public. En effet , sur la base des critères proposés dans le présent rapport, la télévision ne peut, bien entendu, être considérée comme un service public, ce qui ne signifie pas que l'Etat doive renoncer à rester propriétaire des chaînes publiques. En revanche, la distribution de l'eau, les transports urbains et les cantines scolaires relèvent, à mes yeux, d'une mission de service public, même s'il ne m a pas été possible de les examiner dans le cadre du présent rapport.

Les nécessaires changements constitueront un chantier qui doit s'inscrire dans la durée, comme toute transformation sociale profonde et durable. Cela me paraît d'ailleurs devoir être l'un des chantiers majeurs du septennat du Président Jacques Chirac.


Copyright © 1995, 1996 AdmiNet

Send your comments to cs