(Last update : Fri, 9 Oct 1998)
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RAPPORT SUR L'ACTIVITÉ
DU CONSEIL GÉNÉRAL DES MINES
EN 1997-98

Effet de serre : de Kyoto à Buenos Aires

A Kyoto, l'accord s'est fait in extremis et, en partie, sur des propositions américaines. Les discussions, à Buenos-Aires, pourront-elles s'articuler autour de propositions françaises sinon européennes ?

par Lionel Stoleru
Conseil Général des Mines

Dans le cadre de deux missions qui m'ont été confiées, l'une, en mai 1997, par le Ministre de l'Industrie pour préparer Kyoto, l'autre. en février 1998, avec Henri Prévot par le Conseil général des Mines pour préparer Buenos-Aires, j'ai eu l'occasion d'appréhender l'importance écologique et économique du problème de l'effet de serre. Je donnerai donc, dans cet article, mes conclusions personnelles, qui n engagent évidemment pas les responsables politiques.

L'effet de serre : un dossier lourd

Le réchauffement de la planète n'est plus une lubie écologique, c'est une donnée scientifique aujourd'hui reconnue.

Six gaz concourent à l'effet de serre : CO2, CH4, HFC, PFC et SF6, le principal étant évidemment le CO2 émis par combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel. La déforestation et la reforestation jouent comme un "puits" de carbone. Le protocole de Kyoto porte sur l'ensemble des six gaz et sur les puits, même si les mesures en sont difficiles. On considère que le CO2 représente 75 010 du total des trois premiers gaz. L'effet de serre résulte de la concentration atmosphérique en CO2 ou équivalent de CO2.

Elle était de 280 ppm avant l'ère industrielle et elle a doublé depuis, ce qui correspond à un réchauffement de plus de 1 degré. La tendance actuelle conduit à des réchauffements accélérés, de plus de l° par siècle, qui auraient des conséquences catastrophiques sur le climat, le niveau des océans. la calotte glaciaire et les grands équilibres écologiques.

La stabilisation écologique est en général identifiée à un objectif d'émission annuelle de 1,3 t. de carbone par habitant en 2100, à comparer aux niveaux actuels de 5,4 t. aux USA, 1,7 t. en France et 0,5 t. dans le Tiers Monde (tableau 1).

Pour l'instant, les pays riches de l'OCDE sont responsables de 50% des émissions, la Chine de 14% et l'ex-URSS de 11% les autres pays d'Asie de 10 %. Mais ces parts évoluent très vite. Selon les tendances actuelles, la Chine et l'Inde représenteraient à elles seules la moitié des émissions mondiales en 2040.

A ce niveau-là, on conçoit facilement que la lutte contre l'ef fet de serre dépendra au moins autant de ce que sera la démo graphie en 2100, que des actions entreprises sur le plan économique et écologique.

Tableau 1 : émissions de CO2 liées à "énergie dans les pays de l'OCDE (non corrigées du climat)
TOTAL DES ÉMISSIONS
EN MILLIONS DE TONNES DE CARBONE
ÉMISSIONS PAR HABITANT
EN TONNES DE CARBONE PAR HABITANT
UNION EUROPEENNE
1990 1995 95-90 1990 1995 95-90
Allemagne 268 239 -10,7% 3,4 2,9 -12,9%
Autriche 16 16 -3,4% 2,1 l,9 -7,8%
Belgique 30 33 10,1% 3,0 3,2 7,3%
Danemark 14 17 17,0% 2,8 3,2 13,5%
Espagne 596916,6%1,51,816,1%
Finlande 151824,1%2,93,622,2%
France 10397-6,6%1,81,7-9,0%
Grèce 20215,5%2,02,01,4%
Irlande 9106,1%2,62,73,2%
Italie 1111164,2%2,02,02,8%
Luxembourg 32-18,2%7,86,1-22,4%
Pays-Bas 445013,0%2,93,29,3%
Portugal 111419,0%1,11,419,0%
Royaume-Uni 159153-3,8%2,82,6-5,9%
Suède 14151,9%1,71,7-1,6%
 
Union européenne 878869-1,1%2,42,3-2,8%
ENSEMBLE DE L'OCDE
1990199595-901990199595-90
Australie 728212,8%4,34,56,4%
Canada 1181299,5%4,24,32,6%
Etats-Unis 133514276,9%5,35,41,5%
Islande 110,0%2,62,5-5,3%
Japon 2913158,1%2,32,57,0%
Norvège 98-9,4%2,01,8-12,0%
Nouvelle-Zélande 7812,0%2,02,25,3%
Suisse 12il-4,5%1,81,6-10,6%
Turquie 384313,8%0,70,78,3%
 
OCDE hors UE 1882,20237,5%3,83,92,6%
UE 878869-1,1%2,42,3-2,8%
 
OCDE 276028914,8%3,23.31,2%
Source: Agence internationale de l'Energie - chiffres 95 provisoires

De Rio à Kyoto

Alors que ces éléments étaient encore mal connus, la convention de Rio, en 1992, avait, en vertu du principe de précaution, demandé que, parallèlement aux études à mener par le Groupe international d'études climatiques, chaque pays s'engage volon tairement à stabiliser ses émissions au niveau atteint en 1990 et ce, à titre conserva toire, dans l'attente d'une conférence convoquée à Kyoto en décembre 1997 pour statuer sur les mesures à prendre.

Ce "volontariat" a été acté par une liste de pays signataires, dits "de l'Annexe 1", qui comprend les pays de l'OCDE et les pays d'Europe de l'Est, mais exclut ceux du Tiers-Monde.

Entre 1992 et 1997, un groupe "ad hoc", dit groupe de Berlin. s'est réuni régulièrement pour rassembler les données scientifiques et pour commencer à discuter des réponses politiques parmi les trois stratégies possibles :

Parallèlement. l'observation des émissions de CO2 a montré des évolutions très divergentes, de 1990 à 1997, selon les pays et ce, pour au moins trois raisons :

  • la base 1990 est totalement artificielle : elle pénalise lourdement les pays qui. comme la France, avaient déjà agi avant (avec le nucléaire), et avantage fortement les pays qui, comme l'URSS, gaspillent l'énergie ;
  • la croissance économique a été très forte aux USA, faible en Europe et négative dans l'ex-URSS. ce qui. entre autres conséquences, donne à l'URSS une baisse artificielle des émissions sans relation avec ses besoins ;
  • les efforts politiques ont été très divers, nuls aux USA et en Europe de l'Est, plus sensibles en Europe.

    Dans ce contexte, le dialogue préparatoire à Kyoto a rapidement tourné au dialogue de sourds. Les Etats-Unis, loin de stabiliser leurs émissions au niveau de 1990, les ont augmentées de 8% et ont opposé un double veto permanent à l'écotaxe - totalement contraire à la civilisation américaine de la voiture et de l'énergie bon marché - et aux quotas - totalement incompatibles avec la conception libérale de marché.

    La conférence de Kyoto s'annonçait donc sous les pires auspices lorsque. à la surprise générale, en janvier 1997, les Etats-Unis sont sortis de leur mutisme pour avancer une proposition "révolutionnaire", les permis négociables.

    Cette proposition consiste à accepter la fixation d'objectifs par pays, sous forme de droits à émettre, pourvu que ces droits soient négociables, afin que les entreprises puissent réaliser les économies de CO2 là où le coût sera le plus bas.

    Cette proposition découle directement de l'expérience faite de 1994 à 1997 aux USA sur la réduction des émissions de SO2, dans le cadre du Clean Air Act de 1990 contre les pluies acides. L'Etat américain a ainsi distribué gratuitement des permis d'émission aux opérateurs. à des niveaux décroissant régulièrement année après année, chaque opérateur étant libre d'acheter ou de vendre ses droits. Le résultat a été un réel succès puisque les émissions de SO2 ont baissé de près de moitié de 1990 à 1996, avec des transactions nourries et un prix de cession de l'ordre de 250 $/tonne. en baisse régulière et très inférieur à l'amende de 2 000 $/tonne fixée en cas de dépassement des quotas d'émission.

    Dès lors, les USA, très mal à l'aise, en position d'accusés sur le dossier de l'effet de serre, ont trouvé dans cette proposition de traiter le CO2 comme le SO2 une solution, à vrai dire la seule solution, acceptable à la fois par leurs industriels et leur opinion publique. Surpris par cette proposition. les autres pays ont eu du mal à préciser leurs positions, en particulier l'Union européenne dont les quinze pays membres étaient partis sur une autre piste. celle des quotas, et consacraient leurs efforts à définir un objectif global européen différencié selon les quinze pays. Au Conseil du 15 mars 1997, les quinze pays membres parvenaient effectivement à un tel accord, avec un objectif global d'une "bulle européenne" réduisant ses émissions de 10 %, fortement différencié par pays (voir le tableau 2) puisque les objectifs vont de -25 % pour l'Allemagne à +40 % pour le Portugal, en passant par 0% pour la France.

    Il n'est donc pas étonnant que tout le monde soit arrivé à Kyoto en ordre dispersé, au point de craindre qu'aucun accord ne soit possible. En fait, au terme de dix jours de négociations, c'est dans la dernière ligne droite qu'un accord a pu être obtenu, certains aspects étant fixés à Kyoto, les autres étant renvoyés à une seconde conférence, à Buenos Aires, en novembre 1998.

    ÉTATS MEMBRES RÉDUCTION DES ÉMISSIONS EN 2010 COMPARÉES À 1990 CO2, CH4 ET N20 EN VALEURS PONDÉRÉES
    BELGIQUE-10%
    DANEMARK-25%
    ALLEMAGNE-25%
    GRÈCE+30%
    ESPAGNE+17%
    FRANCE0%
    IRLANDE+15%
    ITALIE-7%
    LUXEMBOURG-30%
    PAYS-BAS-10%
    AUTRICHE-25%
    PORTUGAL+40%
    FINLANDE0%
    SUÈDE+5%
    ROYAUME-UNI-10%

    Le protocole de Kyoto

    L'accord de Kyoto, relativement inespéré dans le contexte qui vient d'être rappelé, comporte plusieurs points importants :

  • Des engagements chiffrés pour 2008-2012 : par rapport à la situation de 1990, certains pays signataires s'engagent sur une réduction globale des six gaz à effet de serre, puits exclus, de: Dans le texte de Kyoto, ces engagements ne sont pas formellement contraignants ("legally binding").

  • Un nouveau mécanisme, dit de "développement vert" (clean development) permet d'intégrer le Tiers-Monde en comptabilisant dans le droit d'émission d'un pays signataire, toute réduction effectuée par ce pays dans un pays du liers-Monde, sous surveillance internationale.

  • Le principe des permis négociables est acté. les modalités de mise en ceuvre étant renvoyées à la Conférence de Buenos-Aires en novembre 1998.

    De Kyoto à Buenos-Aires

    De décembre 1997 à novembre 1998, c'est une sorte de "course contre la montre" qu'il va falloir livrer si l'on veut, d'une part, résoudre les difficiles questi en suspens et, d'autre part, définir et faire entendre une position française.

    Les questions en suspens

    J'en vois quatre

    Première question : les permis négociables.

    C'est là le coeur du sujet, et de redoutables ambiguïtés restent à lever.

    Deuxième question : le développement vert.

    Par delà le contrôle international destiné à vérifier que les économies d'émission viennent bien en supplément de ce qui se serait passé sans coopération, le problème est de savoir à qui affecter les droits correspondants.

    Si Elf réduit ses émissions dans le Golfe du Gabon en réenfouissant les gaz au lieu de les brûler en torchère, à qui appartiennent les droits correspondants ? A Elf ? A un pays ? Lequel ?

    Troisième question : le Tiers-Monde.

    Le développement vert est très utile pour des projets ponctuels. Mais comment inciter la Chine et l'Inde à structurer leur déve loppement énergétique sans reproduire les erreurs des pays industriels ? Une coopération structurante à long terme doit être mise en place avec des financements de la Banque mondiale et du Fonds mondial pour l'environnement.

    Ce fonds ne pourrait-il être alimenté par une taxe de 15 à 20% sur les transactions de permis négociables ?

    Quatrième question : une éthique d'effort national minimum.

    Certes, le Président Clinton a suffisamment de pouvoir d'influence sur le Président Eltsine pour que les USA, en expansion, acquièrent à bon compte les droits d'émettre de la Russie, en récession.

    Certes, les USA peuvent facilement cofinancer des projets dans le Tiers-Monde qui créent des droits d'émission à leur profit.

    Certes, les USA peuvent donc s'offrir le luxe de ne rien faire chez eux en achetant aux autres pays ce droit de ne rien faire.

    C'est économiquement possible -et même rationnel -puisque cela coûte moins cher par tonne de CO2 économisée.

    C'est écologiquement légitime, puisque le CO2 de l'effet de serre n'a pas de nationalité et que seul compte le total des émissions de la planète.

    Mais c'est politiquement choquant, voire inacceptable. Le Tiers- Monde doit-il être la femme de ménage que l'on paie pour nettoyer la malpropreté des pays riches ?

    Il faut donc que chacun donne l'exemple chez soi et que, comme l'indique l'article 16 bis du protocole de Kyoto mais - hélas ! - sans donner de chiffres, que les transactions viennent en supplément ("supplemental") des efforts nationaux.

    Il serait donc très souhaitable que cette clause soit explicitée à Buenos-Aires. A titre d'exemple, on pourrait stipuler que les transactions ne s'effectuent qu'après que chaque pays ait ramené ses émissions au niveau de 1990, ce qui aurait le mérite de la simplicité.

    Pour une position française "motrice"

    Le moins qu'on puisse dire est que, dans toute la préparation de Kyoto, ce n'est pas la France qui a eu l'initiative : l'absence de travaux préliminaires, le désordre interministériel, la carence de propositions politiques ont abouti à un "mou vement brownien", caractérisé, comme chacun sait, par une grande agitation à résultante nulle.

    La première décision prise après Kyoto de replacer la Mission interministérielle sur l'effet de serre auprès du Premier ministre - ce qui n'était pas le cas - est donc parfaitement légitime, et il faut souhaiter que le délégué interministériel ait les coudées tranches et l'autorité nécessaire pour initier, arbitrer et négocier la position française. sous les ordres du pouvoir politique.

    C'est là un préalable essentiel pour que la France puisse faire entendre sa voix, c'est-à-dire celle du bon élève de la classe puisque, grâce au nucléaire, nous sommes parmi les meilleurs du monde avec le taux d'émission le plus bas des pays industriels.

    Il s'agit donc de précéder l'événement pour arriver à Bruxelles et Buenos-Aires avec des propositions, et non de se borner à réagir aux demandes des autres.

    A mon sens, la France devrait se fixer quatre objectifs princi paux pour Buenos-Aires:

    Ces demandes sont raisonnables, elles correspondent très bien aux positions traditionnelles de la diplomatie française, aux intérêts économiques de la France et à son image dans le monde.

    L'effet de serre, plus que la crise asiatique, pèsera lourd sur l'économie mondiale au siècle prochain. Sachons en reconnaître l'importance avant que d'autres l'aient fait à notre place.