J’arrive avec un ami. Il y a foule dehors. Après une longue attente, on entre enfin. Première surprise : 15,50 euros l’entrée. Ca commence bien ! Pour se faire pardonner, le vestiaire est gratuit, heureusement j’ai envie de dire.
A l’intérieur : murs sombres, moquette assortie. Il fait presque nuit. Seules des taches de couleur blanche, sur les murs, guident notre regard et nous content l’anatomie, de Léonard de Vinci à Vésale, de Gray à l’invention des rayons X, gravures à l’appui.
Quelques pas plus loin, une première salle, lumière tamisée. Tout d’abord apparaissent des corps, figés dans leur immobilité. Ensuite, le contraste de ceux-ci avec l’écrin de noirceur dans lesquels ils ont été posés. Il y a un aspect théâtral dans leur mise en scène. Scalpés, découpés, éviscérés, ces corps s’offrent à notre regard, dans toute leur nudité. Et contre toute attente, on se surprend à être captivé par cette mise à nu de la machine humaine, par ce découpage des chairs. Les corps sont beaux, fascinants. Ils paraissent même presque factices. Sauf que voilà, ils ne le sont pas.
Car dès l’affiche, le ton est lancé : Exposition anatomique de vrais corps humains. Pas en papier glacé ou baignant dans du formol. Mais de véritables corps et organes humains, conservés selon un procédé dit d’imprégnation polymérique, qui consiste à injecter du polymère à la place des fluides. Cette matière, en durcissant, donne aux cadavres un aspect plastifié et permet de conserver tous les organes presque éternellement.
La technique de la plastination a été mise au point en 1977 par le professeur Gunther von Hagens à l’Institut d’anatomie de l’université de Heidelberg où il a travaillé pendant 20 ans à titre de médecin et d’anatomiste.
Depuis 1995, date de la première sortie de ces « écorchés », Gunther von Hagens, surnommé le « Docteur la mort », ne cesse de faire scandale. Ces corps polymérisés n’ont pas seulement attiré la foule mais aussi les foudres des médias et de l’opinion publique. Certains n’encaissent pas l’idée de l’exposition de corps humains au nom du respect des morts. D’autres s’offusquent de cette mise à nu proche du voyeurisme car si la plastination a un but scientifique, pourquoi l’étendre au domaine de l’art ? D’ailleurs, est-ce de l’art, est-ce de la science ou une pure exhibition commerciale ?
« C’est d’abord une exposition à but éducatif, justifie l’organisateur et homme de spectacle Pascal Bernardin, au Parisien. J’ai vu l’exposition aux Etats Unis et j’ai trouvé ça fabuleux de pouvoir explorer l’anatomie du corps humain. » Certes, contrairement aux œuvres du Dr La mort, l’exposition Our Body revendique des velléités pédagogiques et non artistiques. A côté de chacun des corps plastifiés se trouvent des notices explicatives donnant de plus amples informations sur le rôle de chacun des organes et expliquant, sommairement, le fonctionnement du corps humain.
Cependant, en France, l’exposition a été refusée par plusieurs musées parisiens, dont la Villette, avant d’atterrir à la Sucrière de Lyon puis à Paris, à chaque fois dans une salle privée avec qui la production a pu négocier directement. Alors pourquoi ?
Plus que celle du voyeurisme, c’est la polémique de la provenance des corps qui entache l’exposition actuelle. Cet homme tronçonné sous vitrine en rondelles épaisses, cet autre dont les muscles sont éclatés. Celui-là dont la peau a été détachée du corps et nous rappelle étrangement le costume de peau du Silence des agneaux. Celui-ci attablé devant un échiquier ou encore ce dernier faisant du foot. Ces hommes « écorchés » d’où viennent-ils ?
A New-York, en 2005, les autorités avaient déjà soupçonné les organisateurs d’avoir utilisé des corps de condamnés à mort chinois. Des propos que dément Pascal Bernardin puisque selon lui, les corps viennent bien de Chine mais d’une fondation qui collecte les corps de gens volontaires pour offrir leur corps à la science. Cependant, depuis combien de temps sont-ils morts ? Dans quelles conditions ? Où sont les certificats d’origines des corps exposés ? Aucune information à ce sujet.
De plus, dans une déclaration, le Dr. Von Hagens a affirmé : « J’exerce le métier d’anatomiste depuis plus de trente cinq ans, et tout au long de ma carrière, j ai eu bien du mal à mettre en place mes expositions anatomiques du fait des normes européennes inviolables concernant l’éthique et les droits de l’homme. Cette exposition éponyme ne présente que des gens qui ont donné leurs corps, principalement des Allemands du programme de l’Institut Heidelberg pour les donneurs à la plastination. C’est pourquoi il est important que les médias et les habitants de Paris et de France sachent que je ne suis en rien associé à d’autres expositions anatomiques que la BODY WORLDS de Gunther von Hagens. Et je ne suis certainement pas associé, de quelconque manière que ce soit, à cette exposition de cadavre à Paris mettant en scène des corps chinois à la provenance non-identifiée. »
Alors, y aller ou pas ? Pour l’heure, le monde culturel est partagé sur cette exposition, tout comme ceux de l’enseignement ou de la médecine. Si nous admettons que la provenance des corps est légale, ce dont je doute, est-il éthiquement possible d’exposer un corps humain ? Si oui, iriez-vous pour voir des cadavres humains ou bien pour voir comment est fait le corps humain ? Peut-on faire commerce avec la mort ? A chacun de trouver sa réponse.
Sacha
L’exposition est divisée en six espaces mettant en relief les différents systèmes organiques qui régissent notre corps : • le système musculo-squelettique • le système nerveux • le système uro-génital • le système respiratoire • le système digestif • le système cardio-vasculaire |
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