Date: Wed, 19 Nov 2003 10:32:18 +0100 From: Hervé Le Crosnier To: herve@airlibre.org Subject: [SMSI-66] =?ISO-8859-1?Q?D=E9tour?= par Miami Bonjour, Avant de revenir sur le processus du SMSI, et sur l'échec de la négociation de la semaine passée à Genève, je vous propose d'abord un détour par Miami, car il replace le SMSI dans un cadre plus vaste. Demain va s'ouvrir à Miami la négociation du FTAA http://www.ftaa-alca.org/ftaadraft/eng/draft_e.asp#SV (Free Trade Area of the Americas), un accord couvrant l'ensemble des Amériques et visant à la libéralisation des marchés. Ce projet rencontre des oppositions multiples, qui nous éclairent sur l'état des négociations multilatérales : - l'opposition des mouvement altermondialistes, qui organisent une semaine de manifestation à Miami, promettant une mobilisation supérieure à celle de Seattle en 99. - l'opposition de pays d'Amérique du Sud, notamment du Brésil, qui craignent que la libéralisation commerciale, dans la situation de déséquilibre économique qui prévaut, n'empêche les projets politiques indépendants des pays du cône Sud. La négociation du FTAA intéresse la société de l'information à plus d'un titre : - d'abord, elle se situe dans un cadre général définit par l'OMC, et les accord sur la propriété intellectuelle de l'OMPI. Chaque nouvel accord négocié dans les instances multilatérales (ou bilatérales) se doit, par respect des accords déjà signés, aller seulement dans le sens d'une libéralisation accrue. C'est écrit en toute lettre dans chaque accord, qui précise ce que peuvent ou ne peuvent pas faire les traités ultérieurs. Nous retrouvons ce problème dans la négociation du SMSI, quand les questions fondamentales, comme celle de la Propriété intellectuelle, sont renvoyées à ces cadres généraux déjà définis. La marge de maneuvre de la négociation se rétrécit singulièrement à chaque Traité signé. - ensuite, un texte proposé par le Brésil et les Etats-Unis cherche à sortir de l'impasse des négociations en permettant une adhésion à géométrie variable des pays à l'accord. Du point de vue du Brésil, il s'agit de mieux défendre ses intérêts nationaux (en refusant les secteurs cruciaux, notammment la question des médicaments génériques (liés à la Propriété intellectuelle) ou celle de l'informatique et des logiciels libres, ou encore dans un autre domaine, la signature des accords agricoles (question des subventions US à l'exportation) en échange d'un accord sur l'acier (question des droits de douanes imposés par les Etats-Unis sur les importations). Mais en sens inverse, du point de vue des Etats-Unis, qui s'empressent aujourd'hui de négocier avec le Chili, le Pérou,... il s'agit de permettre des accords bilatéraux allant encore plus loin dans l'intégration économique.. et en conséquence dans la domination des pouvoirs économiques déjà en place. Cette dimansion n'est pas absente de notre SMSI. Il est à craindre que l'absence de perspective commune, qui se fait jour dès que l'on regarde par delà les phrases ronflantes, ne se traduise par un texte creux, qui annonce des négociations bilatérales sans cadre global. Dans ce contexte, la puissance de l'appareil de production (médias, hollywood, culture de masse), de distribution (télécommunications, satellites) et de traitement de l'information (réseaux, routeurs, logiciels) des Etats-Unis conduira à imposer aux signataires des accords bilatéraux les orientations qui ont été définies dans la proposition étatsunienne au processus publiée en mai dernier (refus des logiciels libres, d'intégrer la "diversité culturelle et linguistique" dans la négociation, libre-échange des biens culturels, et refus des exceptions aux règles de propriété intellectuelle). http://www.itu.int/dms_pub/itu-s/md/03/WSISPC3/c/S03-WSISPC3-C-0047!!PDF-E.pdf - enfin, la question des médias, qui est absente du texte discuté pour le FTAA, revient en force... justement parce que ce silence même trouble les tenants de la liberté de l'information. En clair, ils craignent que le fait que les médias ne soient plus cités dans les secteurs des services qui ne sont pas concernés par l'accord... se traduise par l'interdiction de lois permettant de défendre un servce public de l'information, ou de lois et de subventions visant à aider la pluralité en limitant la concentration des médias et en soutenant les médias associatifs. Certains demandent même la mise en place d'un processus équivalent à "l'exception culturelle" accordée lors des négociations de Marrakech à la constitution de l'OMC. http://mediareform.net/ftaa/ Là encore, l'absence des médias dans les sujets centraux du SMSI vient de rejaillir, en fin de parcours, tant est grande l'inquiétude de voir des monopoles d'information gouvernementale remplacés par des monopoles des "globals medias" et leurs effets délétères sur la diversité culturelle et sur la transparence de l'information. En refusant de se prononcer sur la question centrale de l'indépendance des médias, tant de la sphère gouvernementale, que de la sphère des intérêts privés possédant toute la chaîne de production et diffusion des informations, le SMSI laisse un acteur majeur de la société de l'information en dehors du questionnement. Cela conforte en réalité ceux qui veulent ne voir dans les médias qu'un service marchand comme les autres... soumis aux règles de la concentration, de la globalisation et de la limitation des offres pour garantir les revenus des vendeurs d'information. Et ce refus de traiter des médias dans le SMSI empêche au moins trois débats qui pourraient éclairer la "société de l'information" : - comment distinguer un "service public de l'information" doté de règles et de lois protégeant l'indépendance des journalistes d'un service de propagande gouvernementale ? - comment limiter le controle des médias par des groupes économiques ayant des intérêts dans toute la chaîne de production et de consommation, et qui de surcroit possèdent les entreprises qui font de la publicité sur ces médias concentrés, induisant par cela même un type de discours formaté ? - comment développer les médias associatifs (dits aussi médias communautaires dans de nombreux pays, mais le terme est ambigu en français) qui se fixent comme objectif de servir les populations qu'ils touchent ? Oui, les tendances lourdes de la période se retrouvent dans toutes les négociations multilatérales, avec des attendus qui sont souvent les mêmes. C'est bien sur une preuve que la "société de l'information" est au coeur des recompositions mondiales (avec la "société militaire", ne l'oublions jamais, qui avance à grand pas). Et que les questions de concentration, de propriété intellectuelle, de "service" et de ré-organisation de la production (et donc du droit du travail, comme du droit à la concurrence) rendues encore plus sensibles par les nouvelles technologies sont des questions clés pour l'avenir. Hervé Le Crosnier ----------------------------------------------------------------------- SMSI-100 : faire le pari de publier à la volée cent petits papiers électroniques pour verser du vinaigre sur le consensus mou et promouvoir une société de l'information égalitaire, fraternelle et libre. Si vous souhaitez recevoir ces petits papiers électroniques : Inscription : http://smsi.airlibre.org Vous pouvez faire suivre et placer ces textes sur vos sites comme vous voulez en laissant ce cartouche. 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