Il ne fallait pas voter Chirac Par Pierre MARCELLE vendredi 27 mai 2005 (paru dans le journal Libération daté du 30 mai) Nous y sommes : pour Chirac, quoi qu'il dise ce soir (je vous écris à 10 heures du matin jeudi), et quel que soit même le verdict des urnes dimanche, c'est la fin d'un cycle. Quarante années de vie publique dont dix à la tête de l'Etat sonnent comme un glas : ce mec sera donc parvenu à tout saloper, jusqu'à notre désir d'Europe, laquelle ne peut se faire que contre lui. Il faut qu'il parte, Napoléon Chirac ; et il serait bon que ceux qui, à gauche, dès 20 h de ce fameux 21 avril 2002, appelèrent à son plébiscite, en tirent enfin le bilan. On l'attend encore de ceux qui, au Parti socialiste, n'ayant même pas contesté sa candidature au premier tour, investirent au second «l'escroc» contre «le facho». Ce faisant, ils sommèrent 82 % d'électeurs, dont une majorité des leurs, d'accrocher la République aux casseroles de son représentant le moins crédible. Plutôt que de se suicider et de désespérer la gauche, que ne décidèrent-ils alors de se compter pour exister encore après les législatives de juin ! S'étant hier livrés à lui en le consacrant chef des républicains, les dirigeants socialistes ont aujourd'hui logiquement investi chef de leur oui à son référendum celui qui, depuis trois ans, les détient en otages. C'est leur syndrome de Stockholm. Ainsi perverti, leur oui à l'Europe en est logiquement devenu inaudible. Le comble, en cette affaire, réside peut-être en ceci que, pour justifier leur drôle d'attelage auprès d'un électorat de gauche dont on conçoit trop bien le scepticisme, ils agitent un «spectre d'un 21 avril bis». Depuis que cette chimère fut lancée, on est fondé à y lire le bis repetita d'un insupportable chantage. A cette différence près qu'on sait désormais que Jacques Chirac ne se transformera pas plus lundi en garant de l'Europe qu'il ne le fut en 2002 de la République. Son intérêt dictera, comme toujours, sa relecture des affaires courantes. Ses alliés du oui jureront que c'est la dernière fois, sans plus hélas se demander s'ils auraient jamais dû appeler encore à voter Chirac.