J.O. 138 du 16 juin 2004       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Avis n° 2004-A-03 du 28 janvier 2004 relatif à un projet de décret concernant des catégories de médicaments à prescription restreinte et la vente de médicaments au public par certains établissements de santé et modifiant le code de la santé publique et le code de la sécurité sociale


NOR : ECOX0407407V



Le Conseil de la concurrence (section 1),

Vu la lettre en date du 14 octobre 2003 enregistrée, le 15 octobre 2003, sous le numéro 03/0071A, par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a saisi le Conseil de la concurrence sur le fondement de l'article L. 462-2 du code de commerce d'une demande d'avis portant sur un projet de décret relatif à des catégories de médicaments à prescription restreinte et à la vente de médicaments au public par certains établissements de santé et modifiant le code de la santé publique et le code de la sécurité sociale ;

Vu la directive 2001/83 /CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ;

Vu la loi no 2003-1199 du 18 décembre 2003 de financement de la sécurité sociale pour 2004 (en particulier, son article 21) ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code la sécurité sociale ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et le décret no 2002-689 du 30 avril 2002 fixant ses conditions d'application ;

Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance du 17 décembre 2003,

Est d'avis de répondre à la demande présentée dans le sens des observations qui suivent :



I. - LE CADRE JURIDIQUE DU PROJET DE DÉCRET

ET LA SAISINE DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE


1. Le projet de décret soumis au Conseil de la concurrence comprend deux parties largement indépendantes. La première partie réforme les catégories de médicaments soumis à prescription restreinte, en ajoutant deux catégories aux trois existantes. La seconde partie du texte concerne la rétrocession hospitalière, autrement dit la dispensation par une pharmacie hospitalière de médicaments à des patients ambulatoires.

2. Ce circuit de distribution particulier des médicaments existe par dérogation au droit commun. L'article L. 5126-1 du code de la santé publique (CSP) stipule en effet que « l'activité des pharmacies à usage intérieur est limitée à l'usage particulier des malades dans les établissements de santé ou médico-sociaux où elles ont été constituées [...]. » La loi du 8 décembre 1992 (art. L. 5126-4 du CSP) a introduit la dérogation suivante :

« Dans l'intérêt de la santé publique, le ministre chargé de la santé arrête, par dérogation aux dispositions de l'article L. 5126-1, la liste des médicaments que certains établissements de santé, disposant d'une pharmacie à usage intérieur, sont autorisés à vendre au public, au détail et dans le respect des conditions prévues aux articles L. 5123-2 à L. 5123-4. Les conditions d'utilisation et le prix de cession de ces médicaments et des dispositifs médicaux stériles sont arrêtés conjointement par les ministres chargés de l'économie et des finances, de la santé et de la sécurité sociale. »

3. L'article L. 5126-14, du CSP prévoit que « les critères selon lesquels sont arrêtés la liste des médicaments définie à l'article L. 5126-4, leur prix de cession, ainsi que le choix des établissements autorisés, par le même article , à vendre lesdits médicaments au public » sont déterminés par décret en Conseil d'Etat. La seconde partie du texte soumis à l'avis du Conseil de la concurrence est le décret d'application prévu par cet article . Dans l'attente de sa parution, la loi du 8 décembre 1992 n'est pas applicable et il n'existe pas de liste des médicaments rétrocédés. Pour certains médicaments, des lettres circulaires du ministère de la santé encadrent la rétrocession. Pour d'autres, celle-ci a lieu sans même que l'administration en ait connaissance.

4. La seconde partie du projet de décret comporte deux volets. Le premier précise les critères d'inscription sur la liste de rétrocession ; le second concerne la tarification et la prise en charge par l'assurance maladie des médicaments rétrocédés. Ce second volet comporte, notamment, une disposition qui instaure, pour les médicaments rétrocédés titulaires de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), un prix de vente au public uniforme. Cette disposition a justifié la saisine du Conseil sur le fondement de l'article L. 462-2 (3°) du code de commerce :

« Le Conseil est obligatoirement consulté par le Gouvernement sur tout projet de texte réglementaire instituant un régime nouveau ayant directement pour effet : [...] 3° d'imposer des pratiques uniformes en matière de prix ou de conditions de vente. »

5. Cependant, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2004, votée et publiée au Journal officiel de la République française du 19 décembre 2003, comprend un article 21 qui porte sur le même sujet, à savoir la fixation du prix de cession des médicaments rétrocédés titulaires d'une AMM. Le Parlement ayant modifié les dispositions de cet article , la cohérence avec le projet de décret s'est trouvée remise en cause. Si l'architecture d'ensemble du dispositif est la même dans les deux textes, des différences notables existent, notamment en ce qui concerne la procédure de régulation du prix de cession et l'organisation des négociations entre les laboratoires pharmaceutiques et le Comité économique des produits de santé (CEPS). Le texte du décret devra évoluer pour tenir compte de la loi votée. Le présent avis tient compte de ces nécessaires modifications.


II. - LE PROJET DE DÉCRET SOUMIS AU CONSEIL

A. - Deux nouvelles catégories de médicaments

à prescription restreinte


6. L'article R. 5143-5-1 du CSP dispose que :

« L'autorisation de mise sur le marché ou l'autorisation temporaire d'utilisation d'un médicament peut classer celui-ci dans une ou plusieurs des catégories de prescription restreinte suivantes :

a) Médicament réservé à l'usage hospitalier (réserve hospitalière) ;

b) Médicament à prescription initiale hospitalière ;

c) Médicament nécessitant une surveillance particulière pendant le traitement. »

7. La base de données Thériaque gérée par le Centre national hospitalier d'information sur le médicament (CNHIM) recensait, au 1er février 2002, 8 861 spécialités vendues aux hôpitaux, dont 2 047 sont des médicaments à prescription restreinte qui se répartissent ainsi dans les trois catégories existantes : 1 778 dans la réserve hospitalière, 191 médicaments à prescription initiale hospitalière et 78 médicaments sous surveillance particulière.

8. L'article 1er du projet de décret ajoute deux catégories supplémentaires : les « médicaments à prescription réservée à des médecins spécialistes » et les « médicaments à prescription hospitalière ».


B. - L'encadrement de la rétrocession hospitalière


9. Les médicaments rétrocédés sont actuellement pris en charge à 100 % par l'assurance maladie obligatoire (AMO). Mais la facture adressée par les établissements de santé aux caisses d'assurance maladie ne comporte pas le détail des spécialités pharmaceutiques rétrocédées. Faute de codage du médicament à l'hôpital, on ne connaît pas la quantité et le chiffre d'affaires, par médicament, des spécialités qui font actuellement l'objet d'une rétrocession par les pharmacies hospitalières. On ne dispose que de données issues d'enquêtes auprès d'échantillons d'établissements.

10. La rétrocession hospitalière est en croissance très rapide et, selon la CNAMTS, cette croissance se poursuit en 2002. Dans son point de conjoncture no 12 d'avril 2003, la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) souligne que « la dépense imputable à la rétrocession hospitalière continue d'augmenter et progresse à un rythme soutenu ». La CNAMTS donne les précisions suivantes : « En 2002, le régime général de l'assurance maladie a remboursé un peu plus de 1 milliard d'euros au titre de la rétrocession hospitalière, soit 7 % de la dépense totale annuelle de pharmacie. En outre, alors que la dépense relative aux médicaments rétrocédés a augmenté de 16,7 % entre 2000 et 2001, elle a crû de 30,7 % entre 2001 et 2002. Ainsi, la rétrocession hospitalière a progressé quatre fois plus vite que la dépense relative au marché du médicament remboursable (+ 7,4 % entre 2001 et 2002) et deux fois plus vite que l'année précédente. »

11. Ces chiffres sont établis en « date de remboursement du produit », le remboursement intervenant plusieurs mois (huit à dix mois dans 95 % des cas) après la délivrance des produits. La CNAMTS indique qu'en date de délivrance l'augmentation annuelle en 2002 devrait être du même ordre qu'en 2001, à savoir 25 %. A ce rythme, la dépense doublerait tous les trois ans.


Dépenses de médicaments en 2001

(ordre de grandeur en milliards d'euros)



Vous pouvez consulter le tableau dans le JO

n° 138 du 16/06/2004 texte numéro 75


Source : Cour des comptes (données SNIP et DGCP).

12. Selon les données du Syndicat national des industries pharmaceutiques (SNIP), le chiffre d'affaires total du médicament en France était d'environ 18,7 milliards d'euros en 2001, dont 3 milliards ont été réalisés à l'hôpital. La part des hôpitaux dans l'ensemble de la dépense en médicament s'est donc élevée à 16,3 % en 2001. Cette proportion a crû dans la dernière décennie (elle était d'environ 12 % en 1990). En 2001, la rétrocession a représenté environ 30 % de la dépense de médicament à l'hôpital et 5 % de la dépense totale (environ 900 millions d'euros).

13. Le professeur Claude Le Pen, dans un rapport rédigé à la demande du LEEM (cf. note 1) et daté du 22 juillet 2003, soutient que le développement de la rétrocession hospitalière a permis de réduire la durée des hospitalisations et de favoriser le traitement des patients à domicile. Un rapport récent de la Cour des comptes sur le médicament à l'hôpital indique au contraire qu'on ne dispose d'aucun élément à l'appui de la thèse selon laquelle le médicament à l'hôpital permettrait d'économiser des séjours. La question reste donc ouverte.


1. La liste positive de rétrocession


14. La loi du 8 décembre 1992 prévoit l'établissement d'une liste positive pour la rétrocession. L'article 2 du projet de décret (nouvel article R. 5104-109 dans le CSP) précise les modalités et les critères d'inscription sur la future liste de rétrocession. C'est le ministre chargé de la santé qui a l'initiative de l'inscription (R. 5104-109-VI). Le ministre peut également radier un produit de la liste quand il cesse de répondre aux critères d'inscription (R. 5104-109-VII).

15. L'article R. 5104-109-I indique que les médicaments doivent répondre à l'intérêt de malades non hospitalisés « pour des raisons tenant notamment à des contraintes particulières de distribution ou de dispensation, à la sécurité de l'approvisionnement, au fait que le médicament est préférentiellement administré dans les établissements de santé, ou à la nécessité d'effectuer un suivi particulier de la prescription ou de la délivrance de ces médicaments ». Parmi les contraintes de distribution, on peut citer l'exemple des médicaments nécessitant le maintien de la chaîne du froid alors que les pharmacies de ville ne sont pas équipées de réfrigérateurs spécifiques.

16. Les alinéas II et IV du nouvel article R. 5104-109 excluent de la liste de rétrocession les médicaments réservés à l'usage hospitalier. Autrement dit, les médicaments inscrits en « réserve hospitalière » ne seront pas rétrocédables. En revanche, les médicaments inscrits dans la nouvelle catégorie des médicaments à prescription hospitalière ne sont pas a priori exclus de cette liste ; ils pourront être rétrocédés pour autant que le ministre l'autorisera.

17. L'alinéa IV concerne des catégories de spécialités : médicaments bénéficiant d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) « nominative » (cf. note 2) (art. L. 5121-12 b du code de la santé publique) ou d'une autorisation temporaire d'importation (ATI), préparations hospitalières et préparations magistrales. Une spécialité qui appartient à l'une de ces catégories et n'est pas inscrite en réserve hospitalière figurent automatiquement sur la liste de rétrocession. Ainsi, les ATU nominatives et les ATI seront rétrocédables pour autant qu'elles ne seront pas classées en « réserve hospitalière ».


2. La réforme de la tarification des spécialités rétrocédées


18. Tout au long de l'avis, on distinguera :



- le « prix de vente aux établissements » : il s'agit du prix payé au laboratoire par l'hôpital. On parlera aussi de prix « amont » ;

- le « prix de cession » : il s'agit du prix de vente au public, prix qui est perçu par l'hôpital. C'est également le prix qui sert de base au remboursement par l'assurance maladie. On peut qualifier ce prix de prix « aval ».

19. La différence entre les prix amont et aval est la marge brute de l'établissement hospitalier. Pour obtenir la marge nette ou le profit économique de l'établissement, il faut retirer de la marge brute les coûts liés à l'activité de rétrocession (coûts de délivrance du médicament).

20. Le volet « tarification » du projet de décret et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 instituent un mécanisme de régulation du prix de cession des spécialités rétrocédées. En revanche, ni le projet de décret ni la loi n'évoque les prix de vente aux établissements. Les prix amont continueront donc à être négociés, de manière décentralisée, entre les établissements et les laboratoires (éventuellement dans le cadre d'appel d'offres).


A. - Le système de financement actuel est peu contraignant


21. Le coût des médicaments rétrocédés n'est pas imputé sur le budget global des établissements. Leur prise en charge à 100 % par l'assurance maladie obligatoire, sur la base de leur prix d'achat majoré d'une marge de 15 % restant acquise à l'établissement, n'incite pas les hôpitaux à négocier fermement avec les fournisseurs. L'absence de contrainte budgétaire imposée aux hôpitaux pour les médicaments rétrocédés induit le risque de subventions croisées entre médicaments rétrocédés et non rétrocédés, aux dépens de l'assurance maladie : pour obtenir des prix modérés sur les médicaments délivrés aux patients hospitalisés et financés sur sa dotation globale, un établissement peut être incité à accepter des prix élevés pour les médicaments qu'il rétrocède aux patients ambulatoires, car ces médicaments rétrocédés lui seront, in fine, payés par l'assurance maladie.

22. La déresponsabilisation des établissements est aggravée par l'existence de la marge proportionnelle au prix d'achat. Les pharmacies à usage interne (PUI) n'ont pas normalement vocation à dispenser des médicaments à des patients non hospitalisés. La rétrocession engendre des frais spécifiques (installation d'un guichet, personnel disponible aux heures d'ouverture, etc.) qui doivent être compensés. Une lettre-circulaire de la CNAMTS du 2 février 1977 a instauré à cet effet une marge de 15 % qui s'applique sur le prix d'achat. Il s'ensuit que plus le prix payé au laboratoire par l'établissement est élevé, plus la marge perçue par l'hôpital est importante. Ce mécanisme aggrave le phénomène décrit ci-dessus, en encourageant les établissements à accepter des prix élevés. Le coût pour l'assurance maladie du financement de cette marge a dépassé 100 millions d'euros en 2001.

23. Les effets « inflationnistes » de la rétrocession se propagent jusqu'au secteur ambulatoire, lorsqu'un médicament rétrocédé qui bénéficiait d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) reçoit l'AMM et s'apprête à être distribué en ville. Lors de la négociation du prix avec le comité économique des produits de santé (CEPS), le laboratoire utilise, en effet, les prix payés par les hôpitaux, durant la période où le médicament ne bénéficiait que d'une ATU, comme référence (même s'il accepte souvent une baisse par rapport à ce prix).


B. - Le prix de cession des spécialités ne disposant pas

d'une AMM (préparations et médicaments sous ATU)


24. Les produits dont l'efficacité et la sécurité sont fortement présumées, mais qui ne disposent pas encore d'une autorisation de mise sur le marché (AMM) et qui concernent des pathologies dont la gravité nécessite des traitements urgents peuvent bénéficier d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU) délivrée par le directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS). A l'origine, les laboratoires faisaient don de ces produits, à titre compassionnel, en considérant que l'hôpital leur permettait de réaliser les derniers essais cliniques nécessaires à leur mise sur le marché. L'arrivée des anti-rétroviraux (produits contre le VIH) et l'importance croissante du nombre de patients à traiter ont conduit à la remise en cause de cette règle. Comme pour tous les autres médicaments à l'hôpital, les prix sont désormais négociés, éventuellement dans le cadre d'un appel d'offres, entre les laboratoires et les établissements. Il arrive cependant, quand les essais n'ont pas atteint leur phase finale, que certains médicaments soient donnés gratuitement. Mais dès que les essais sont sur le point d'être achevés, les prix sont négociés et sont en général très élevés.

25. L'article L. 5121-12 du code de la santé publique distingue les ATU dites « de cohorte », attribuées aux spécialités fabriquées pour un groupe de patients (paragraphe a) et les ATU dites « nominatives », destinées à des patients nommément désignés (paragraphe b). Pour bénéficier d'une ATU du premier type, le laboratoire doit s'engager à demander une AMM dans un délai déterminé. Le rapport de la Cour des comptes sur le médicament à l'hôpital indique qu'elle n'est quasiment jamais refusée et en déduit que, dans les faits, ATU de cohorte et AMM sont très proches. La durée moyenne des ATU de cohorte serait de l'ordre de quinze mois. Cette durée s'expliquerait en général par les délais nécessaires à la délivrance de l'AMM.

26. L'article R. 5104-111-II du futur décret stipule que le prix de cession des médicaments bénéficiant d'une ATU est égal au prix payé par l'hôpital au laboratoire, plus une marge forfaitaire. On en reste donc pour les ATU à une règle de type « cost-plus », c'est-à-dire au remboursement à l'hôpital du coût d'achat (plus une marge). De même, pour les préparations réalisées par l'établissement, le prix de cession est égal à la somme du coût de fabrication et d'une marge forfaitaire. Il s'ensuit que le prix de cession pour les ATU et les préparations ne sera pas uniforme sur le territoire. La sécurité sociale continuera à rembourser la même spécialité sur la base de prix qui pourront être valables selon les hôpitaux.


C. - Le prix de cession des médicaments disposant d'une AMM


27. S'agissant des spécialités pharmaceutiques qui bénéficient d'une AMM et qui sont inscrites sur la liste de rétrocession, le projet de décret et la LFSS pour 2004 instituent une négociation du prix aval (le prix de cession) entre le CEPS et les industriels, les prix amont restant négociés au niveau des établissements. Les modalités de la négociation du prix de cession diffèrent dans les deux textes.

28. Le projet de décret faisait intervenir un prix « notifié » par le laboratoire, mais ce prix notifié ne devait s'appliquer que si le CEPS n'avait pas rendu son avis dans le délai prévu de cinq mois après l'inscription sur la liste de rétrocession. L'article 21 de la LFSS pour 2004 instaure, quant à lui, une véritable procédure de « dépôt de prix ». Le laboratoire est, en effet, supposé « déclarer » un prix de vente aux établissements ; le prix déclaré est publié par le CEPS. Le prix de cession est alors égal, sauf opposition du comité, à la somme de ce prix de vente déclaré et d'une marge forfaitaire déterminée suivant les mêmes critères que dans le projet de décret.


29. Selon le deuxième alinéa de l'article 21, ce n'est qu'en cas « d'opposition définitive » du CEPS (ou de non-déclaration du prix par le laboratoire) que le prix de cession est fixé par arrêté des ministres compétents, après avis du comité. Le délai laissé au ministre pour déterminer le prix, et par conséquent au CEPS pour rendre son avis, est de soixante-quinze jours. Ce délai court à partir de l'inscription sur la liste de rétrocession ou, dans l'hypothèse où le médicament était déjà inscrit sur cette liste mais ne bénéficiait pas d'une AMM (médicament sous ATU), à partir de la date d'obtention de l'AMM.

30. En cas d'opposition du CEPS, la loi précise que la fixation du prix de cession « tient compte principalement des prix de vente pratiqués pour cette spécialité, des prix des médicaments à même visée thérapeutique, des volumes de vente prévus ou constatés, des conditions prévisibles ou réelles d'utilisation du médicament et de l'amélioration du service médical apportée par le médicament appréciée par la Commission de transparence, ainsi que des frais inhérents à la gestion et à la délivrance de la spécialité pharmaceutique ».

31. La rédaction de ce paragraphe est assez proche de celle du décret. On retrouve les quatre critères de l'article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale ainsi que la prise en compte des prix de vente pratiqués et des frais de délivrance.

32. Le délai entre l'inscription sur la liste de rétrocession et la fixation du prix de cession est de soixante-quinze jours dans la LFSS pour 2004 (contre six mois dans le projet de décret). Durant cette période transitoire, le prix de cession est, comme dans le projet de décret, déterminé comme étant la somme du prix d'achat et de la marge forfaitaire. Cependant, le troisième alinéa de l'article 21 de la loi que cette règle transitoire ne s'applique que « pour les spécialités pharmaceutiques qui figuraient sur cette liste préalablement à l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché », autrement dit, pour les médicaments qui étaient auparavant sous ATU. Il semble que les autres situations ne soient pas couvertes par l'article 21 : le prix des médicaments avec AMM, durant la période transitoire de soixante-quinze jours après l'inscription sur la liste de rétrocession, n'est pas déterminé. Le commissaire du Gouvernement a suggéré en séance l'interprétation suivante destinée à combler ce vide juridique : à défaut de prix de cession, les médicaments en question ne pourraient pas être pris en charge par l'assurance maladie. L'absence de prise en charge serait une manière d'exercer une pression sur les industriels pour qu'ils sollicitent la sortie en ville. Par ailleurs, le cas dans lequel le CEPS ne rendrait pas son avis dans le délai imparti n'est pas évoqué dans la LFSS pour 2004 (alors qu'il l'était dans le projet de décret).

33. Le quatrième alinéa de l'article 21-I de la LFSS mentionne explicitement un accord-cadre qui devra être conclu entre le CEPS et les organisations syndicales représentatives et qui précisera, notamment, les critères d'opposition du comité. Un tel accord-cadre a déjà été conclu entre le CEPS et les entreprises du médicament pour les médicaments innovants remboursables en ville et pour la période 2003-2006. L'article 4 de cet accord-cadre concerne les médicaments pour lesquels l'amélioration du service médical rendu (ASMR) est de niveau I, II et, dans certains cas seulement, III. Il instaure une procédure de « dépôt de prix » très voisine de celle prévue par la loi pour les médicaments rétrocédés avec AMM. L'entreprise peut, dans un délai d'un mois à compter de l'avis de la Commission de transparence, demander à bénéficier d'une procédure accélérée de fixation du prix et proposer un prix de vente au CEPS. L'accord-cadre stipule que : « Si, au terme des deux semaines franches suivant la semaine au cours de laquelle le comité a reçu la demande de l'entreprise, le comité n'a pas transmis à l'entreprise son opposition à cette demande dans les conditions fixées au e, celle-ci est réputée acceptée. »


D. - L'impact sur la marge des établissements


34. Le projet de décret prévoit que, pour les médicaments sous ATU, le prix de cession est égal à la somme du prix d'achat et d'une marge forfaitaire. Dans le cas des préparations, le prix de cession est la somme du coût de fabrication et d'une marge forfaitaire. La marge brute effectivement perçue par les établissements sera donc rigoureusement égale à la marge forfaitaire prévue.

35. La situation est très différente pour les médicaments bénéficiant d'une AMM. L'article 21 de la LFSS pour 2004 prévoit que le prix de cession de ces médicaments intègre une marge forfaitaire « dont la valeur est fixée par arrêté des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l'économie prenant en compte les frais inhérents à la gestion et à la dispensation de ces spécialités ». Cependant, comme le prix de cession (aval) est ainsi fixé et le prix amont reste négocié au niveau de chaque établissement, le dispositif ne garantit aucunement que la marge théorique prévue dans le texte sera effectivement réalisée en pratique. La marge brute effective n'a aucune raison de coïncider avec la marge forfaitaire prévue par la loi.

36. En tout état de cause, la marge proportionnelle de 15 % est supprimée. Il serait envisagé de calculer la marge forfaitaire sur la base du nombre de lignes de prescription. Dans ce cas, la marge par médicament ne dépendrait plus de la quantité de médicaments dispensés.


E. - La prise en charge par l'assurance maladie


37. Le rapport de la Cour des comptes sur le médicament à l'hôpital relève que la prise en charge intégrale par l'assurance maladie obligatoire des médicaments rétrocédés ne repose actuellement sur aucune base réglementaire. Le décret comble ce vide juridique. L'alinéa IV du nouvel article R. 5104-111 indique tout d'abord que le remboursement des médicaments rétrocédés est effectué sur la base du prix de cession (prix aval) défini précédemment. Si le médicament est également inscrit sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux (article L. 162-17 du code de la sécurité sociale), ce qui est en général le cas, le taux de remboursement est celui prévu dans cette liste. Comme indiqué ci-dessus, il semble que les médicaments avec AMM nouvellement inscrits sur la liste ne seront pas couverts durant la période transitoire de soixante-quinze jours (faute de détermination du prix de cession).

38. L'article 3 du projet de décret stipule que les médicaments sous ATU seront, pour les deux types d'ATU, remboursés à 100 % par l'assurance maladie obligatoire. Il n'y aura pas de participation de l'assuré ni pour les ATU « nominatives » qui seront automatiquement inscrites sur la liste de rétrocession conformément au nouvel article R. 5104-109-IV, ni pour les ATU « de cohorte » qui sont explicitement mentionnées dans le texte de l'article 3. La prise en charge intégrale est donc maintenue pour les ATU.


III. - L'ANALYSE CONCURRENTIELLE

A. - La création de deux nouvelles catégories

de médicaments à prescription restreinte


39. La catégorie « prescription réservée aux spécialistes » n'est pas complètement nouvelle, puisqu'elle figure déjà à l'article R. 5143-5-5. Cette disposition permettait de réserver aux spécialistes la prescription de certains médicaments inscrits dans l'une des anciennes catégories. Le projet de décret va plus loin, en faisant de la « prescription réservée au spécialiste » une catégorie à part entière. A cet égard, le texte est cohérent avec l'article 71-3 (troisième tiret) de la directive européenne 2001-83 sur les médicaments, selon laquelle la possibilité d'effets indésirables graves peut justifier la prescription par des spécialistes.

40. En revanche, la catégorie « médicament à prescription hospitalière » est nouvelle. En dissociant usage hospitalier et prescription hospitalière, elle vise à réduire la réserve hospitalière de droit. Cette catégorie reconnaît une spécificité des médecins hospitaliers pour la prescription. Cette création introduit une différenciation entre médecins de même spécialité selon le mode d'exercice (libéral versus hospitalier) alors qu'il n'existe aucune étude mettant en évidence de réelles différences de comportement de prescription entre les spécialistes, selon qu'ils exercent en ville ou à l'hôpital.

41. Par ailleurs, l'article 71-3 de la directive européenne ne cite pas la prescription hospitalière parmi les éléments à prendre en compte dans la définition des catégories de médicaments soumis à prescription restreinte. Il mentionne seulement l'existence d'un traitement qui ne peut être suivi ou d'un diagnostic qui ne peut être réalisé qu'en milieu hospitalier. Plus généralement, le récent rapport de la Cour des comptes sur le médicament à l'hôpital suggère qu'au niveau européen, c'est la prescription restreinte à des spécialistes (et non la prescription hospitalière) qui est choisie dans le cas de risques particuliers pour la santé publique. La Cour des comptes signale également que dans certains pays, comme l'Allemagne, la réserve hospitalière n'existe pas.

42. Il ne peut être exclu que l'introduction de la catégorie des médicaments à prescription hospitalière entraîne des distorsions sur les marchés de soins des diverses spécialités médicales, en favorisant les médecins hospitaliers et en pénalisant les médecins libéraux. Cependant, l'ampleur de ce risque dépend de l'usage qui sera fait de cette nouvelle catégorie. Si elle n'est utilisée que pour des médicaments qui auraient été inscrits en réserve hospitalière, il n'y aura aucun changement du point de vue de la concurrence entre médecins libéraux et hospitaliers. Si, en revanche, elle est utilisée pour restreindre la capacité de prescription des médecins libéraux, alors on pourrait observer une distorsion significative aux dépens de cette catégorie de médecins.


B. - Les critères d'inscription

sur la liste positive de rétrocession


43. L'établissement de la liste « positive » (c'est-à-dire d'une liste nominale de médicaments) vise à contrôler le développement anarchique de la rétrocession et à la limiter à ce qui est strictement nécessaire du point de vue de la santé publique. Si un médicament n'est pas inscrit ou est radié de la liste de rétrocession, alors le laboratoire concerné, s'il souhaite vendre son produit, sera dans l'obligation de solliciter la distribution dans les officines de ville (il bénéficiera alors, le cas échéant, de la procédure de dépôt de prix prévu par l'accord-cadre pour 2003-2006 évoqué au paragraphe 33). En tout état de cause, un laboratoire ne pourra plus choisir le circuit de distribution de son médicament. En restreignant la rétrocession, l'Etat exercera une pression sur les industriels pour qu'ils sollicitent la distribution en ville. La liste positive supprimera la « réserve hospitalière de fait » (médicaments agréés aux collectivités pour lesquels le laboratoire ne sollicite pas la distribution en ville).


1. La limitation du champ de la rétrocession

et le risque de discrimination


44. Le Conseil observe que les critères listés à l'article 2 du projet de décret (contraintes particulières de distribution ou de dispensation, sécurité de l'approvisionnement) permettent une définition large des médicaments ayant vocation à être inscrits sur la liste de rétrocession et pourraient, selon l'interprétation qui en sera faite, se révéler insuffisamment efficaces pour limiter effectivement la rétrocession.

45. Par ailleurs, même si a priori on peut penser que le rapprochement des systèmes de régulation des prix des médicaments rétrocédés et des médicaments vendus en ville réduira l'enjeu de l'inscription sur la liste de rétrocession pour les laboratoires, le caractère transparent, objectif et non discriminatoire de ces critères reste souhaitable afin de prévenir tout risque de distorsion de concurrence entre les deux circuits de distribution. De ce point de vue, le caractère large de la définition donnée par l'article 2 du projet de décret ne permet pas d'écarter tout risque de discrimination entre les laboratoires du fait de l'inscription sur la liste de rétrocession.


2. Les modalités de radiation de la liste de rétrocession


46. L'alinéa VII du nouvel article R. 5104-109 introduit par le projet de décret organise la radiation des médicaments qui cessent de répondre aux critères des alinéas I et II. Le paragraphe 1° de l'alinéa VII concerne les médicaments bénéficiant d'une AMM. Après que le ministre a informé l'entreprise de son intention de radier un médicament, celle-ci dispose d'un mois pour faire valoir ses observations, après quoi la décision est, le cas échéant, notifiée. Elle entre en vigueur au terme d'un délai de six mois à compter de la date de notification. Le projet de décret ajoute :

« Cependant, si, au terme de ce délai, le médicament n'a pas été mis à disposition en pharmacie d'officine alors qu'il répond à un besoin qui concerne des malades non hospitalisés et qui n'est pas couvert par d'autres spécialités pharmaceutiques disponibles en pharmacie d'officine ou figurant sur la liste prévue à l'article L. 5126-4 (liste de rétrocession), la décision de radiation peut être suspendue. »

47. Cette disposition laisse, dans un cas certes bien précis, le loisir à une entreprise de ne pas solliciter la distribution en ville et de continuer à voir son médicament être distribué par le canal de la rétrocession, possibilité que l'on souhaite précisément éviter.


3. Une base réglementaire pour le double circuit


48. Le décret ne mentionne pas la non-disponibilité du médicament parmi les critères d'inscription sur la liste de rétrocession (la disponibilité en pharmacie d'officine est seulement évoquée à l'alinéa VII à propos des modalités de radiation, comme on vient de le voir). L'article 1er, alinéa XV, du projet de décret prévoit même, explicitement, la possibilité d'inscrire un médicament disponible en officine sur la liste de rétrocession. Le médicament est alors distribué par les deux canaux. L'article 1er, alinéa XV, donne ainsi une base réglementaire au « double circuit ».

49. Dans le système actuel, le double circuit est exceptionnel et dérogatoire. En effet, les circulaires DGSDH du 15 juin 1999 et DphM du 1er juillet 1982 limitent la rétrocession aux médicaments non disponibles en ville (Cour des comptes, page 126). Le double circuit ne concerne qu'un nombre restreint de pathologies comme le sida et l'hépatite. Il a été demandé et obtenu par les associations de malades pour qui la délivrance des médicaments dans les pharmacies d'hôpital permet de mieux garantir l'anonymat des patients. D'autres considérations, comme la sécurité d'approvisionnement ou les horaires d'ouverture, ont été également mises en avant par les associations.

50. L'article 1er, alinéa XV, du projet de décret conduit donc, en théorie du moins, à un élargissement du champ de la rétrocession, alors que l'un des objectifs de la réforme est de le restreindre. Cependant, du strict point de vue de l'équilibre concurrentiel entre les spécialités pharmaceutiques, des critères tels que la confidentialité de la délivrance des médicaments sont aussi objectifs que celui de la non-disponibilité en officine. Le Conseil n'a aucune opposition de principe à ce que de tels critères, qui sont importants aux yeux des patients, soient pris en compte.

51. Le Conseil relève qu'en cas de double circuit les prix de vente des médicaments (qui sont pris en charge par l'assurance maladie) ne seront pas nécessairement identiques dans les deux circuits. Certes, dans les deux cas, le même acteur (le CEPS) négociera avec les laboratoires et les prix amont (perçus par l'industriel) ne devraient donc pas différer grandement. En revanche, les marges des pharmaciens d'officine et des grossistes-répartiteurs, d'une part, des pharmacies hospitalières, d'autre part, n'ont pas de raison de coïncider, les coûts et les services rendus n'ayant pas la même valeur économique.


C. - La tarification des médicaments sous ATU

1. L'absence de régulation contraignante du prix hors marge


52. En abolissant la marge de 15 % sur le prix d'achat, la réforme supprime l'élément le plus « inflationniste » du système en vigueur. Mais, pour les médicaments sous ATU, le nouveau dispositif conserve la négociation des prix au niveau des établissements et la règle du remboursement du prix d'achat, ce qui ne permet pas d'écarter le risque de subventions croisées entre médicaments rétrocédés et médicaments non rétrocédés évoqué au paragraphe 21, puisque le prix d'achat n'aura aucun impact sur les comptes des hôpitaux.

53. Il semble que cette règle ait été maintenue par crainte que les laboratoires ne mettent plus à disposition des patients français les médicaments les plus onéreux. Le système des ATU favorise un accès rapide des innovations thérapeutiques à l'hôpital. Il est généralement admis que l'accès aux innovations à l'hôpital est en France l'un des plus rapides au monde. Il est donc légitime de vouloir conserver l'efficacité de ce système.

54. Cependant, on a vu au paragraphe 25 que les « ATU de cohorte » se différencient peu des médicaments titulaires d'une AMM. En particulier, l'article R. 163-18 du code de la sécurité sociale rend obligatoire l'appréciation de l'ASMR pour tous les médicaments agréés aux collectivités. Toutefois, cet article comporte des mentions supplémentaires pour les médicaments remboursables en ville, qui concernent en particulier la comparaison des coûts de traitement. L'évaluation des médicaments agréés aux collectivités est donc quelque peu allégée par rapport aux médicaments remboursables en ville.

55. Le conseil est d'avis qu'un traitement différencié des médicaments avec AMM et sous « ATU de cohorte » ne se justifie que si le régime de l'ATU est véritablement limité dans le temps et uniquement dans la mesure où l'information dont dispose l'administration sur le médicament n'est pas complète. Le régime de l'ATU ne doit pas être utilisé pour retarder artificiellement l'échéance de la négociation avec le CEPS. Le conseil relève que la négociation centralisée peut, au moins en théorie, permettre de prendre en compte la cohérence avec les prix européens (cette cohérence figure parmi les critères d'opposition du CEPS prévus par l'accord-cadre relatif aux médicaments innovants remboursables en ville), ce qui réduit le risque qu'une éventuelle incohérence pousse les laboratoires à ne pas servir le marché français.


2. La détermination du montant forfaitaire

dans le calcul de la marge


56. La formulation employée dans le projet de décret et la LFSS pour 2004 pour décrire le mode de calcul de la marge des hôpitaux (« en tenant compte des frais inhérents à la gestion et à la dispensation de ces spécialités ») renvoie à une forme très souple d'orientation vers les coûts. Il s'agit d'accorder aux hôpitaux une compensation pour les coûts encourus par les pharmacies à usage interne, de sorte que les établissements ne soient pas découragés de pratiquer la rétrocession et qu'ils puissent le faire dans des conditions satisfaisantes pour les usagers. Mais on ne souhaite pas aller au-delà des coûts, car la rétrocession n'a pas vocation à être une source de financement des hôpitaux.

57. Même si le poids financier actuel de la marge (au moins cent millions d'euros par an) peut paraître important, il semble que les conditions d'accueil des patients ambulatoires ne soient pas toujours satisfaisantes (pharmacie difficile d'accès, mal située dans l'hôpital, etc.). Cependant, on ne dispose à ce jour d'aucune étude qui tenterait de mesurer les coûts de dispensation d'un médicament à un patient ambulatoire par une pharmacie hospitalière. En l'absence de telles études, la détermination du niveau de la marge risque de s'avérer problématique.


D. - La tarification des médicaments titulaires d'une AMM


58. Pour les médicaments rétrocédés titulaires de l'AMM, l'article 21 de la LFSS pour 2004 met en place un système à deux étages : une négociation centralisée pour le prix de cession (prix « aval ») et des négociations décentralisées pour les prix « amont ».


1. Les négociations décentralisées

et la marge des établissements


59. Le prix de cession étant fixé, la négociation décentralisée détermine la marge des établissements. La valeur effective de cette marge ne sera pas garantie par le futur dispositif. En effet, si le CEPS fait opposition au prix notifié par le laboratoire, le prix de cession sera arrêté par le ministre. Ce prix sera uniforme sur l'ensemble du territoire. Le prix de vente aux établissements continuera quant à lui de résulter des négociations ou appels d'offres réalisés au plan local (au niveau des hôpitaux individuels ou de groupements). Le prix payé par les établissements aux laboratoires ne sera donc pas nécessairement uniforme.

60. L'existence d'un prix de cession fixé donnera certainement plus de poids aux établissements dans les négociations avec les laboratoires. Le prix de cession joue un rôle de « prix de référence » ou de « tarif de responsabilité ». C'est le prix qui sera payé par le patient (et pris en charge par l'assurance maladie). Un laboratoire pourra difficilement demander un prix supérieur, car un tel prix impliquerait une marge brute négative pour l'hôpital. Dans ces conditions, celui-ci n'aurait aucun intérêt à vendre (rétrocéder) le médicament. Comme il n'existe pas de disposition réglementaire qui l'y contraigne, il est probable qu'il renoncerait purement et simplement à acheter et à rétrocéder le médicament en cause. Le prix de cession sera donc certainement un prix plafond.

61. Si la marge brute est trop faible pour couvrir les coûts de dispensation, l'hôpital ne sera pas incité à rétrocéder le médicament. Il est difficile à ce stade de prévoir si la marge nette sera en général positive, c'est-à-dire si les hôpitaux parviendront à négocier des prix amont suffisants pour couvrir leurs coûts propres, compte tenu des prix aval qui auront été fixés.

62. Les industriels seront-ils incités à proposer aux hôpitaux des prix inférieurs aux prix de cession ? Pour qu'ils y aient intérêt, il faut que la demande adressée par les acheteurs hospitaliers soit sensible au prix. Comme l'a indiqué le Conseil de la concurrence dans sa décision no 00-D-10 du 11 avril 2000 concernant des pratiques relevées sur le marché de l'optique médicale, « le tarif de remboursement de la sécurité sociale peut être considéré comme un prix plancher en dessous duquel un commerçant n'a aucun intérêt à faire une offre, dès lors que le rabais consenti serait sans effet sur la demande ». L'élasticité-prix de la demande adressée à un laboratoire pour un médicament donné dépend de l'existence d'équivalents thérapeutiques et d'un certain nombre d'autres facteurs, comme les comportements de prescription des médecins. Même en supposant qu'il existe des équivalents thérapeutiques et sans préjuger d'éventuels comportements anticoncurrentiels des fournisseurs, il sera certainement difficile pour les établissements d'obtenir des prix très inférieurs au prix de cession. C'est en tout cas ce que tend à montrer l'exemple du marché des dispositifs médicaux, qui fait l'objet de l'avis no 2004-A-02 du Conseil de la concurrence.

63. En effet, le tarif interministériel des prestations sanitaires (TIPS) pour les dispositifs médicaux est arrêté par le ministre chargé de la santé. Les établissements négocient et passent des appels d'offres avec les fournisseurs, sur des marchés sur lesquels, dans la plupart des cas, plusieurs entreprises se trouvent en concurrence. L'arrêté du 6 juillet 2000 stipule que l'assurance maladie rembourse l'établissement sur la base du prix négocié, plus 80 % de la différence entre ce prix et le TIPS. Autrement dit, si un établissement réussit à obtenir un prix inférieur au TIPS, il conserve 80 % de la différence, les 20 % restants allant à l'assurance maladie. Ce schéma de rémunération mixte (intermédiaire entre price cap et cost-plus) était supposé favoriser les incitations des établissements à négocier. L'expérience montre pourtant que les établissements privés, malgré la mise en oeuvre d'appels d'offres et la présence d'une pluralité d'offreurs potentiels, réussissent rarement à obtenir des prix inférieurs au TIPS. L'avis no 2004-A-02 constate que les fournisseurs adoptent le même comportement en ne proposant pas de rabais par rapport au TIPS. Il indique que cette similitude de comportements ne constitue pas en elle-même la preuve d'une entente au sens du droit de la concurrence, un tel alignement pouvant « constituer de la part des fournisseurs une réaction simultanée à la nouvelle réglementation ».

64. Or, il est vraisemblable que l'intensité de la concurrence est nettement plus forte pour les dispositifs médicaux que pour les médicaments rétrocédés (qui sont le plus souvent innovants et peu susceptibles d'être concurrencés par un équivalent thérapeutique ou un générique). Il est donc permis de penser que le phénomène d'attraction des prix négociés vers le prix « officiel » de cession jouera plus encore pour les médicaments rétrocédés que pour les dispositifs médicaux, de sorte que les prix de vente aux établissements ne seront pas très éloignés des prix de cession arrêtés par le ministre.

65. En résumé, une fois que le prix de cession a été fixé au plan national, la règle pour les médicaments rétrocédés est un pur price cap : les hôpitaux perçoivent un prix uniforme indépendant du prix d'achat qu'ils ont obtenu. Mais la marge économique effectivement réalisée par les établissements n'a aucune raison de coïncider avec la marge forfaitaire prévue dans les textes. Les industriels connaîtront le prix de cession qui est fixé par arrêté du ministre mais ne seront pas tenus de laisser aux établissements la marge forfaitaire arrêtée par le ministre.


2. La négociation centralisée

A. - Le timing des négociations : la négociation centralisée

tient compte du résultat des négociations décentralisées


66. On a raisonné ci-dessus en supposant le prix de cession fixé au moment des négociations décentralisées. En réalité, les calendriers des négociations centralisées, aboutissant au prix de cession (aval) et décentralisées aboutissant au prix payé au laboratoire par l'hôpital (amont), seront très imbriqués. La négociation initiale est décentralisée ; elle a lieu durant la période transitoire de 75 jours ou, si le médicament n'avait pas d'AMM, alors qu'il était sous ATU. Ensuite, arrive la négociation centralisée, puis les négociations entre hôpitaux et laboratoires se poursuivent de manière continue (par exemple sur une base annuelle). Des révisions ultérieures du prix négocié par le CEPS peuvent également intervenir.

67. De plus, les deux négociations ne sont pas indépendantes. En effet, parmi les critères de fixation du prix de cession figurent « les prix de vente pratiqués ». Autrement dit, on tient compte du résultat des négociations décentralisées pour fixer le prix de cession. Il y a donc une certaine circularité dans le dispositif : les prix de vente aux établissements risquent de fortement dépendre du prix de cession (comme on l'a vu ci-dessus), mais le prix de cession est lui-même déterminé au vu « des prix de vente pratiqués ».

68. Rappelons que les « prix de vente pratiqués » ne sont pas uniformes et pourront être très élevés, notamment dans le cas où le médicament était déjà rétrocédé mais ne disposait pas d'une AMM (aucun dispositif contraignant n'est prévu pour les ATU). L'article 21 de la LFSS pour 2004 ne précise pas la nature exacte du lien entre prix pratiqués et prix de cession, ni la manière dont on obtiendra un prix uniforme à partir de prix d'achat qui, eux, seront variables entre les établissements. On peut noter que la mise en oeuvre du texte suppose au minimum une connaissance des prix de vente pratiqués, ce qui ne semble pas acquis en l'état actuel des systèmes d'information à l'hôpital.

69. Il convient également de prendre en compte la dimension temporelle. Un industriel ne peut pas exclure que le Gouvernement, s'il constatait que les prix amont se situent nettement en dessous du prix de cession (hypothèse au demeurant fort improbable comme on l'a déjà vu), ne décide d'abaisser celui-ci, réduisant d'autant la marge de l'établissement et donc l'intérêt pour celui-ci d'acheter le médicament de l'industriel plutôt que celui des concurrents. Cette anticipation d'une possible réaction du régulateur réduit d'autant les incitations de l'industriel à proposer des tarifs attractifs. Ce mécanisme propre à la dynamique de la régulation, souvent appelé « effet de cliquet », a été décrit par le Conseil de la concurrence dans son avis no 04-A-02 sur les dispositifs médicaux : « Il est vrai, toutefois, que le système mis en place perd beaucoup de son caractère incitatif dès lors que les opérateurs du marché ne sont pas certains de sa pérennité dans ses différentes composantes. Les fabricants ou distributeurs qui souhaitent pratiquer des prix plus bas pourraient, en effet, craindre qu'une baisse de tarif de responsabilité ne diminue les incitations des établissements de santé privés à acheter leurs produits, dans la mesure où l'écart de leurs prix par rapport à ce tarif se réduira ». L'incapacité du Gouvernement à s'engager de manière crédible à ne pas baisser le prix de cession réduit encore les incitations positives du price cap.

70. Au total, le projet de décret instaure un jeu complexe entre les trois acteurs (Gouvernement, industriels et hôpitaux). La mise en oeuvre de ce dispositif devrait conduire à un schéma de rémunération mixte, intermédiaire entre les deux cas polaires du price cap et du cost-plus.

71. Une dernière remarque concerne le critère des volumes prévisionnels qui est mentionné dans le projet de décret. Le texte ne précise pas comment seront traités les écarts entre les prévisions et les réalisations. Pour mémoire, le dispositif de l'accord-cadre qui concerne les médicaments innovants remboursables en ville prévoit des remises (dites « remises conventionnelles ») en cas de dépassement, qui compenseront les surcoûts supportés par l'assurance maladie, mais pas par les autres payeurs (mutuelles, etc.). Mais l'examen de ce dispositif au regard du droit de la concurrence ne relèvera pas du présent avis.


B. - Les critères d'opposition du CEPS

dans la future procédure de dépôt de prix


72. Sans préjuger de ce que seront les critères d'opposition du CEPS dans le cadre de la rétrocession hospitalière, il est intéressant de connaître ceux qui ont été retenus pour les médicaments distribués en officine. L'accord-cadre évoqué plus haut (qui couvre la période 2003-2006 et concerne les médicaments innovants, à ASMR de niveau I, II ou III) précise que « l'opposition du comité peut être fondée :

- sur des considérations explicites de santé publique ;

- sur le caractère excessif du prix proposé au regard des prix pratiqués dans les quatre Etats de l'Union européenne susmentionnés (c'est-à-dire : Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni) ;

- sur l'incompatibilité des prévisions de ventes avec la population cible retenue par la Commission de la transparence ;

- sur l'insuffisance manifeste des engagements pris par l'entreprise ;

- sur le non-respect par l'entreprise d'un engagement pris à l'occasion d'un dépôt précédent. »

73. S'agissant du niveau du prix, le CEPS ne peut donc pas s'opposer à un prix qu'il jugerait « excessif » dans l'absolu. Seule la cohérence avec les prix dans quatre pays européens est opposable aux laboratoires. De plus, le délai de soixante-quinze jours laissés au CEPS pour exercer son droit d'opposition peut sembler bien court, au regard de la complexité de l'évaluation des dossiers et de l'absence de transparence des « prix européens ».

74. Les critères d'opposition du CEPS sont un élément essentiel du poids de ce dernier dans les négociations avec les industriels. Dans le seul dispositif en vigueur qui soit comparable au système envisagé pour la rétrocession, à savoir le dépôt du prix pour les médicaments innovants distribués en officine, les critères de nature tarifaire sont assez limitatifs et le calendrier accéléré de la procédure n'est pas favorable au CEPS.


C. - Conclusion : le principe de la négociation centralisée


75. L'absence de données chiffrées sur les prix et les volumes des spécialités rétrocédées, et plus généralement l'absence de codage des médicaments à l'hôpital, empêche de comparer les niveaux de prix dans les deux systèmes actuels de négociation (centralisée et décentralisée). L'évaluation des mérites respectifs des deux systèmes est une question essentiellement empirique qui ne peut être tranchée sans un système d'information statistique sur les médicaments à l'hôpital dont le Conseil de la concurrence ne peut que souhaiter la mise en place. Des observations de portée générale doivent, cependant, être formulées.

76. En premier lieu, le Conseil relève que la concurrence est, en général, peu intense dans le secteur du médicament. Elle est pratiquement nulle pour les médicaments innovants sans équivalent thérapeutique. Dans les autres cas, la concurrence est affaiblie par les stratégies volontaires de différenciation de la part des industriels qui « choisissent » les indications des spécialités qu'ils commercialisent au travers des essais cliniques qu'ils mettent en oeuvre, de sorte que les indications des médicaments, même lorsqu'elles sont très voisines, ne se recouvrent pas parfaitement. Ils parviennent ainsi à réduire le champ de la concurrence par les prix qui se trouve en pratique limitée aux médicaments génériques.

77. En second lieu, le Conseil observe que, pour les médicaments rétrocédés, le payeur (l'assurance maladie pour l'essentiel) et les acheteurs (les hôpitaux) ne coïncident pas. On rappelle que, dans le système actuel, l'assurance maladie obligatoire prend en charge l'intégralité du coût. Après l'entrée en vigueur du décret, l'assurance maladie obligatoire ne sera plus le payeur exclusif (car les taux de prise en charge pourront être inférieurs à 100 %), mais restera de loin le plus important.

78. Ces deux éléments conjugués (la faible intensité de la concurrence pour les médicaments innovants et le financement centralisé des médicaments rétrocédés) représentent deux contraintes fortes dont il faut tenir compte au moment de concevoir le schéma de régulation et les modalités de détermination des prix. En présence de telles contraintes, la négociation centralisée semble le mode de régulation le plus approprié. La réforme proposée représente donc une amélioration par rapport au système actuel, caractérisé par une absence de mécanisme contraignant au niveau central et une déresponsabilisation complète des acteurs locaux.

79. Le maintien concomitant d'une négociation décentralisée des prix amont laisse un espace de liberté aux acheteurs hospitaliers ; mais cet espace ne porte que sur leur marge et non sur la totalité du prix. Les établissements seront incités à négocier fermement avec les industriels. A contrario, il n'est pas garanti que leur marge nette sera positive.

Délibéré, sur le rapport oral de M. Choné, par M. Nasse, vice-président, présidant la séance, Mme Mader-Saussaye, MM. Bidaud, Charrière-Bournazel et Piot, membres.



La rapporteure générale adjointe,

N. Mouy

Le vice-président,

P. Nasse