J.O. 108 du 10 mai 2003       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 08129

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Décision du 27 mars 2003 sur un différend qui oppose Papeterie de Bègles à Electricité de France (EDF) sur les conditions de réalisation du raccordement d'une installation de cogénération au réseau public de distribution et sur la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité


NOR : CREX0306547S



La Commision de régulation de l'énergie,

Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 18 décembre 2002 sous le numéro 02-38-07, présentée par Papeterie de Bègles, SAS au capital de 1 258 125 euros, enregistrée au RCS de Bordeaux sous le no B 333188509, dont le siège social est 91, quai du Président-Wilson, 33323 Bègles, représentée par Michel Edmont, son président.

Papeterie de Bègles demande la réparation d'un préjudice qu'elle évalue à 200 000 euros et qu'elle estime avoir subi, faute d'avoir pu bénéficier, entre novembre 2002 et mars 2003, du régime de l'obligation d'achat pour l'électricité produite à partir d'une installation de cogénération.

Papeterie de Bègles expose en effet qu'elle exploite une installation de cogénération depuis 1996 et qu'elle n'a jamais bénéficié de l'obligation d'achat. Elle déclare avoir entamé des démarches en ce sens auprès d'EDF en avril 2002 et auprès des services d'EDF chargés de l'accès au réseau de distribution en juillet 2002.

Elle soutient qu'EDF lui aurait imposé, pour pouvoir bénéficier de l'obligation d'achat, la réalisation d'un branchement unique de son installation de production sur le réseau public de distribution de 15 kV. Néanmoins, dans l'attente de la validation du nouveau contrat d'achat d'électricité cogénérée, EDF aurait, selon elle, accepté le principe d'acheter de manière provisoire, pour la période du 1er novembre 2002 au 31 mars 2003, la totalité de l'électricité produite par l'installation en cause, à partir du raccordement existant, à condition qu'elle s'engage à faire réaliser les travaux de raccordement de l'installation selon les spécifications d'EDF en tant que gestionnaire du réseau de distribution.

Papeterie de Bègles affirme avoir, pour sa part, accompli les démarches auxquelles EDF subordonnait le bénéfice de l'obligation d'achat.

Elle soutient, en revanche, d'une part, qu'EDF, en tant que gestionnaire du réseau de distribution, n'aurait pas respecté les délais de réponse auxquels il est tenu pour traiter les demandes de raccordement et, d'autre part, qu'EDF n'a pas respecté l'engagement qu'il avait pris d'acheter l'intégralité de l'électricité produite à partir de l'installation de cogénération.

N'ayant pu bénéficier de l'obligation d'achat, Papeterie de Bègles estime avoir subi un préjudice, dont elle demande réparation, correspondant à une perte d'un million d'euros de chiffre d'affaires et de 200 000 euros de résultat net, et demande à bénéficier du régime légal d'obligation d'achat pour la période courant du mois de novembre 2002 à mars 2003.

Vu les observations en réponse, enregistrées le 20 janvier 2003, présentées par Electricité de France, établissement public à caractère industriel et commercial, dont le siège social est situé 22-30, avenue de Wagram, 75008 Paris, représentée par Robert Durdilly, directeur d'EDF-GDF Services.

EDF expose qu'Elyo Midi Océan (ci-après Elyo) a fait part au début de l'année 2002 de son souhait de bénéficier, dans le cadre du régime de l'obligation d'achat, d'un contrat de vente totale de l'énergie produite par une installation de cogénération sur le site industriel de Papeterie de Bègles et raccordée au réseau de l'usine. Il ajoute que cette installation disposait alors d'un contrat 93-07 de vente d'excédents d'énergie sur le réseau 63 kV conclu entre Papeterie de Bègles et EDF et venant à expiration le 1er septembre 2002. EDF expose avoir indiqué à Elyo par courrier du 4 juin 2002 qu'un contrat d'obligation d'achat ne pouvait être conclu que si, préalablement, l'installation était reliée au réseau public de distribution par un raccordement unique aboutissant à un seul point de livraison et avoir invité Elyo à se rapprocher de son gestionnaire du réseau public de distribution.

EDF soutient qu'Elyo lui a transmis tardivement les informations nécessaires pour la réalisation du raccordement de l'installation en cause : les premiers éléments ne lui auraient été communiqués que le 31 juillet 2002 ; le 2 août 2002, EDF lui a demandé de fournir les pièces manquantes ; celles-ci ne lui seraient parvenues qu'un mois plus tard.

EDF expose avoir indiqué par lettre du 20 septembre 2002 qu'il ne pouvait être conclu un contrat d'achat de l'électricité, même pour une durée limitée aux cinq mois de l'hiver 2002-2003, dès lors que l'installation de cogénération serait raccordée au réseau de l'usine de Papeterie de Bègles et que la solution envisagée était qu'EDF achète seulement l'énergie livrée sur le réseau de transport, à savoir la différence entre l'énergie produite et celle consommée par le site industriel.

EDF affirme qu'Elyo n'a pas donné suite à cette dernière proposition et qu'Elyo a envoyé le 29 novembre 2002 les éléments permettant l'instruction de sa demande de raccordement.

Sur la compétence de la CRE, EDF soutient que la CRE n'est pas compétente pour la partie du différend qui concerne l'exécution de l'obligation d'achat d'électricité.

Sur l'intérêt à agir de Papeterie de Bègles, EDF soutient qu'Elyo a été son seul interlocuteur et qu'il est le titulaire du certificat d'obligation d'achat ; EDF conteste par conséquent la recevabilité de la saisine au motif que Papeterie de Bègles n'a pas justifié de son intérêt à agir.

Sur le délai d'instruction de la demande de raccordement, EDF soutient qu'il a respecté les délais prévus par les procédures qu'il a publiées. Il souligne qu'il a contacté Elyo de sa propre initiative les 21 et 28 novembre 2002 pour accélérer la production par Elyo des fiches relatives à l'étude détaillée.

EDF soutient également qu'il ne peut lui être reproché un défaut d'information de son client, car ce n'est qu'avec l'établissement de la proposition technique et financière que le gestionnaire de réseau est à même d'indiquer le délai d'exécution du raccordement. EDF ajoute qu'Elyo et Papeterie de Bègles, en professionnels avertis, ne pouvaient ignorer que les travaux proprement dits prendraient plusieurs mois à compter de la signature de la proposition technique et financière.

Sur l'existence du préjudice allégué et son indemnisation, EDF soutient que Papeterie de Bègles n'a subi aucun préjudice ne pouvant ignorer que le raccordement ne pourrait intervenir que quelques mois après la fin janvier 2003, rendant ainsi impossible la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité pour la période de novembre 2002 à mars 2003. EDF ajoute que le raccordement n'est qu'une condition nécessaire et non suffisante de la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité et qu'il n'y a pas de lien direct entre la faute et le préjudice allégués. EDF affirme enfin que Papeterie de Bègles ne fournit aucun justificatif permettant d'apprécier l'évaluation du préjudice dont elle demande réparation.

EDF conclut donc au rejet de la demande de Papeterie de Bègles.


Vu les observations en réplique de Papeterie de Bègles, enregistrées le 5 février 2003.

Papeterie de Bègles affirme qu'EDF avait envisagé positivement l'achat de l'électricité produite par l'installation de cogénération si Papeterie de Bègles s'engageait à faire réaliser les travaux pour le branchement unique de l'installation au réseau public de distribution.

Elle prétend qu'EDF, en dépit de l'obligation légale à laquelle il est tenu, l'aurait empêché de bénéficier du régime de l'obligation d'achat dès 2002, alors que d'autres exploitants d'installations de cogénération en bénéficieraient déjà.

Elle confirme avoir subi un préjudice de 200 000 euros et fournit des éléments chiffrés, établis à partir des gains générés par l'exploitation de l'installation pendant une campagne d'hiver, pour justifier le montant de l'indemnité qu'elle réclame.

Vu les observations complémentaires d'EDF, enregistrées le 14 février 2003.

EDF soutient que l'installation de cogénération ne pouvait démarrer le 1er janvier 2003 ni a fortiori le 1er novembre 2002, compte tenu des délais nécessaires à la mise au point de la convention de raccordement et de ceux nécessaires à la réalisation de l'ouvrage, et qu'Elyo, en tant que professionnel, ne pouvait ignorer ces délais.

EDF indique que la proposition technique et financière de raccordement a été transmise à Elyo le 24 janvier 2003, conformément aux engagements d'EDF en décembre 2002, et soutient qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir empêché Papeterie de Bègles de bénéficier de l'obligation d'achat.

EDF soutient avoir transmis un modèle indicatif de contrat d'obligation d'achat, et affirme que ce modèle a été validé par la direction de la demande et des marchés énergétiques le 24 décembre 2002.

EDF persiste donc dans ses précédentes conclusions.

Vu les observations complémentaires de Papeterie de Bègles, enregistrées le 10 mars 2003.

Papeterie de Bègles persiste dans ses demandes et rappelle qu'EDF s'était engagé vis-à-vis d'elle pour le rachat de l'électricité.

Vu la lettre du rapporteur adressée le 24 février 2003 à Papeterie de Bègles et communiquée à EDF aux termes de laquelle il demande notamment à Papeterie de Bègles la production du contrat qu'elle a conclu avec Elyo pour l'exploitation de l'installation de cogénération auquel elle fait référence dans ses observations, ainsi que le schéma électrique de l'ensemble de l'usine et celui envisagé pour le raccordement de l'installation au réseau public.

Vu les observations produites par Papeteries de Bègles en réponse aux questions adressées par le rapporteur, enregistrées le 10 mars 2003.

Papeterie de Bègles indique que l'installation de papeterie et l'installation de cogénération ont le même numéro SIRET (celui de Papeterie de Bègles) ; elle refuse de communiquer le contrat la liant à Elyo au motif de son caractère confidentiel ; elle fournit les schémas électriques de raccordement actuel de l'usine et du raccordement envisagé.

Vu la lettre du rapporteur adressée le 11 mars 2003 à Papeterie de Bègles et communiquée à EDF aux termes de laquelle il indique à Papeterie de Bègles que la production du contrat conclu avec Elyo peut être faite sans mention de ses éléments qu'elle estime couverts par le secret des affaires.

Vu la télécopie de Papeterie de Bègles répondant à la lettre du rapporteur du 11 mars 2003, aux termes de laquelle Papeterie de Bègles maintient son refus de communiquer le contrat la liant à Elyo.

Vu l'ensemble des dossiers remis par les deux parties ;

Vu la décision du 19 décembre 2002 du président de la Commission de régulation de l'électricité relative à la désignation d'un rapporteur pour l'instruction de la demande de règlement de différend ;

Vu la loi no 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité modifiée ;

Vu le décret no 2000-894 du 11 septembre 2000 relatif aux procédures applicables devant la CRE ;

Vu la décision du 15 février 2001 relative au règlement intérieur de la CRE ;

Après avoir entendu, le 27 mars 2003, lors de l'audience publique devant la commission :

En présence :

De M. Jean Syrota, président, Mme Jacqueline Benassayag, MM. Raphaël Hadas-Lebel, Bruno Lechevin, François Morin, commissaires ;

De MM. Thierry Tuot, directeur général, Marc de Monsembernard, directeur juridique, Marc Chevrel, rapporteur ;

De M. Bruno Garçon-Marchand pour Papeterie de Bègles ;

De MM. Jean-Claude Millien et Pierre Roman-Mouchet pour EDF ;

Le rapport de M. Marc Chevrel, rapporteur, présentant les moyens et les conclusions des parties ;

Les observations de M. Bruno Garçon-Marchand pour Papeterie de Bègles : Papeterie de Bègles persiste dans ses conclusions et dans ses moyens ; elle soutient en outre qu'EDF a manqué à ses obligations d'information et de conseil ;

Les observations de M. Jean-Claude Millien pour EDF : EDF persiste dans ses conclusions et moyens ; il soutient en outre que Papeterie de Bègles n'a pas invoqué de moyen relatif au fait qu'aurait été imposé un raccordement pour l'installation de production, qu'en tout état de cause, l'obligation de raccordement direct d'une installation de production résulte des termes mêmes de l'article 10 de la loi du 10 février 2000 et de l'article 4 du décret du 10 mai 2000, que l'installation de cogénération n'a, en tout état de cause, jamais été en situation de produire de l'électricité de novembre 2002 à mars 2003, et, enfin, qu'EDF n'a pas manqué à son obligation d'information et de conseil ;

La commission en ayant délibéré le 27 mars 2003, après que les parties, le rapporteur, le public et les agents de la CRE se sont retirés,



Les faits :

Papeterie de Bègles dispose, sur son site de consommation d'électricité, d'une installation de production dont elle a entendu vendre la production à EDF, en tant que gestionnaire du service public de production, au titre de l'obligation légale d'achat qui lui incombe.

EDF ayant subordonné l'achat de cette électricité à un raccordement direct de l'installation de production, Papeterie de Bègles s'est tournée vers EDF, gestionnaire du réseau de distribution, pour qu'il soit procédé audit raccordement.

Papeterie de Bègles demande à la CRE la réparation d'un préjudice qu'elle évalue à 200 000 euros et qu'elle prétend avoir subi en raison des fautes commises par EDF à son égard.

D'une part, elle met en cause EDF, en tant que gestionnaire de réseau, en lui reprochant de ne pas avoir respecté les délais de réponse prévus par la procédure de traitement des demandes de raccordement des installations de production.

Elle soutient, d'autre part, qu'EDF, en tant qu'acheteur d'électricité, aurait méconnu l'engagement qu'il aurait pris d'acquérir l'intégralité de l'électricité produite à partir de l'installation litigieuse. Elle demande donc à bénéficier de cette obligation d'achat de novembre 2002 à mars 2003.

Sur la compétence de la CRE :

Aux termes du I de l'article 38 de la loi du 10 février 2000 : « En cas de différend entre les gestionnaires et utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité [...] lié à l'accès auxdits réseaux [...] ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d'accès aux réseaux publics de transport et de distribution ou de désaccord sur la conclusion, l'interprétation ou l'exécution des contrats et protocoles visés au III de l'article 15 et à l'article 23 de la présente loi [...], la Commission de régulation de l'énergie peut être saisie par l'une ou l'autre des parties.

[...]

[La] décision [de la commission] est motivée et précise les conditions d'ordre technique et financier de règlement du différend dans lesquelles l'accès aux réseaux [...] ou leur utilisation sont, le cas échéant, assurés. »

Il résulte de ces dispositions que la CRE est compétente pour connaître des différends liés à l'accès ou à l'utilisation des réseaux publics, y compris ceux pouvant survenir entre un utilisateur d'un réseau public et son gestionnaire dans la réalisation du raccordement d'une installation de production ou de consommation, dès lors que celle-ci constitue la condition physique de l'accès d'un utilisateur au réseau.

La CRE est, en outre, tenue de se prononcer sur tous les aspects, notamment d'ordre technique ou financier, du différend dont elle est saisie.

Le préjudice dont se prévaut Papeterie de Bègles à l'appui de sa demande résulte, selon elle, des conditions qu'elle estime fautives, dans lesquelles EDF, en tant que gestionnaire du réseau de distribution, a traité sa demande de raccordement d'une installation de cogénération qu'elle exploite sur son site industriel.

La CRE est, par conséquent, compétente pour connaître de la demande formée par Papeterie de Bègles à l'encontre d'EDF, en tant que gestionnaire du réseau public de distribution, pour les fautes qu'il a pu commettre en cette qualité dans le raccordement de l'installation litigieuse.

Papeterie de Bègles met également en cause EDF pour avoir méconnu l'engagement qu'il aurait pris d'acheter, selon le régime de l'obligation d'achat découlant de l'article 10 de la loi du 10 février 2000, l'électricité produite par l'installation de cogénération entre novembre 2002 et mars 2003.

En refusant d'accorder à Papeterie de Bègles le bénéfice de l'obligation d'achat dès le mois de novembre 2002, EDF n'a pas agi en tant que gestionnaire d'un réseau de distribution, mais en tant que responsable du service public de la production au titre du I de l'article 2 de la loi du 10 février 2000, définissant la mission de développement équilibré de l'approvisionnement en électricité.

Dès lors, aucun des deux critères de compétence fixés par l'article 38 précité n'est réuni. D'une part, le litige n'oppose pas un utilisateur à un gestionnaire de réseau de distribution. D'autre part, cette partie du litige n'est pas constitutive d'un différend relatif à l'utilisation du réseau, mais consécutive à celui-ci.

Il en résulte que la demande formée par Papeterie de Bègles à l'encontre d'EDF, en tant qu'acheteur d'électricité, pour ne pas avoir respecté l'engagement qu'il aurait pris en cette qualité, ne fait pas partie des litiges dont il revient à la CRE de connaître en application de l'article 38 de la loi du 10 février 2000. En conséquence, la demande de Papeterie de Bègles tendant à bénéficier d'un régime d'obligation légal d'achat de novembre 2002 à mars 2003 doit, en tout état de cause, être rejetée comme portée devant une autorité incompétente pour en connaître.

Sur la fin de non-recevoir opposée par EDF :

Il ressort des pièces du dossier, et notamment de la fiche de renseignements adressée le 31 juillet 2002 à EDF, que la demande de raccordement présentée par Elyo a été établie par celui-ci en qualité de mandataire de Papeterie de Bègles, elle-même désignée, selon les mentions de ce document, comme « producteur mandant ».

EDF n'est donc pas fondé à contester la recevabilité de la saisine de Papeterie de Bègles, dès lors que celle-ci justifie d'un intérêt à agir pour contester les conditions dans lesquelles la demande de raccordement a été traitée, et à se prévaloir des démarches accomplies, pour son compte, par Elyo, quel que soit, par ailleurs, le rôle que joue Elyo dans l'exploitation de l'installation ou la vente de sa production.

Sur le principe de la responsabilité d'EDF au titre du délai du traitement de la demande :

Le préjudice dont Papeterie de Bègles demande la réparation est celui qu'elle estime avoir subi faute d'avoir pu bénéficier, entre novembre 2002 et mars 2003, du régime de l'obligation d'achat pour l'électricité produite à partir d'une installation de cogénération qu'elle exploite sur son site industriel.

A cet égard, elle soutient, notamment, qu'EDF, en tant que gestionnaire du réseau de distribution, n'aurait pas respecté, pour la réalisation du raccordement de l'installation, les délais auxquels il est tenu pour traiter les demandes de raccordement des installations de production au réseau public de distribution.

Il appartient à tout gestionnaire de réseau d'adopter l'organisation adéquate et de procéder aux diligences utiles pour traiter dans un délai raisonnable, au regard des caractéristiques de chaque demande, les dossiers de raccordement qu'il instruit.

En l'espèce, EDF, en tant que gestionnaire de réseau, a reçu la demande de raccordement le 31 juillet 2002, et a remis une étude exploratoire le 4 novembre 2002, soit postérieurement au délai de six semaines auquel il s'était engagé dans un courrier du 4 septembre 2002.

Le retard pris par EDF sur les délais qu'il avait annoncés pour remettre l'étude exploratoire a toutefois été compensé par le fait que la proposition technique et financière a été, par la suite, notifiée par ses services à Papeterie de Bègles le 24 janvier 2003, avec un mois d'avance sur les délais résultant de la procédure d'instruction des demandes de raccordement élaborée et publiée par EDF.

Au total, les délais dans lesquels la demande a été instruite ont été, au regard de sa nature, raisonnables. Papeterie de Bègles n'est donc pas fondée à rechercher la responsabilité d'EDF à ce titre.

Sur le principe de la responsabilité d'EDF au titre des conditions de traitement de la demande :

Il résulte des pièces du dossier qu'EDF, en tant que responsable du service public de la production, a subordonné la mise en oeuvre de l'achat de l'électricité produite par Papeterie de Bègles, au titre de l'obligation légale dont elle se prévalait, au raccordement direct au réseau public de distribution de l'installation de production concernée.

Le demandeur s'est en conséquence tourné vers EDF, en tant que gestionnaire du réseau de distribution, pour demander qu'il soit procédé au raccordement direct de l'installation de production.

Il n'appartient pas à la CRE de se prononcer sur la légalité de la condition imposée lors de la négociation d'un contrat qui, comme il a été dit ci-dessus, ne relève pas de sa compétence d'autorité de règlement de différend.

En revanche, la mission de service public d'exploitation du réseau public de distribution, qui consiste à garantir, notamment, l'accès non discriminatoire au réseau, doit être exercée par le gestionnaire en conciliant le respect des règles régissant l'exploitation du réseau et l'accès des tiers avec un objectif de recherche du meilleur coût, tant pour le gestionnaire que pour le tiers se prévalant d'un droit d'accès.

Il incombait donc au gestionnaire du réseau de distribution, dans le cas dont la CRE est saisie, de s'assurer que la demande de raccordement était la solution technique la plus économique pour garantir au demandeur l'exercice des droits qui lui sont légalement reconnus et dont il se prévaut, en l'espèce celui de vendre tout ou partie de la production dans le cadre de l'obligation légale d'achat, tout en veillant à respecter l'ensemble des règles gouvernant la sécurité et la sûreté du réseau dont il doit assurer la gestion, comme le caractère non discriminatoire des conditions d'accès direct ou indirect au réseau.

En l'espèce, il résulte du dossier que le raccordement direct de l'installation considérée n'était nullement un préalable techniquement nécessaire à l'exercice effectif d'un des droits du producteur, et que, tant par le coût qu'il représentait que par les délais de réalisation qu'il impliquait, il était économiquement désavantageux pour le demandeur au regard du maintien de la solution technique existante, qui, sans conséquence pour la conduite du réseau, permettait et avait déjà permis l'exercice effectif de ce droit.

Contrairement à ce qu'EDF a soutenu à l'audience du 27 mars 2003, ni l'article 10 de la loi du 10 février 2000, dans sa rédaction en vigueur à l'époque des faits comme dans celle issue de la loi du 3 janvier 2003, ni l'article 4 du décret du 10 mai 2001 n'ont pour objet ni pour effet de rendre obligatoire le raccordement direct d'un producteur bénéficiant de l'obligation légale d'achat régie par ces textes. Ces dispositions ne traitent, du reste, nullement de la question du caractère direct ou indirect du raccordement d'une installation de production. La circonstance que les modèles de contrat d'achat approuvés par le ministre prévoiraient, selon EDF, une obligation de raccordement direct est, par elle-même, sans influence sur les conditions dans lesquelles EDF, en tant que gestionnaire de réseau, doit raccorder un site. Au surplus, le modèle de contrat prévoit expressément que : « Dans le cadre des évolutions des modalités réglementaires et contractuelles d'accès aux réseaux publics de distribution ou de transport d'électricité, les clauses du présent modèle de contrat relatives à l'accès au réseau, notamment en ce qui concerne le raccordement, le comptage et le rattachement à un périmètre d'équilibre, pourront être remplacées par d'autres clauses, conformes au dispositif contractuel défini par les gestionnaires de réseaux garantissant aux parties la bonne exécution de ce contrat d'achat. »

En acceptant ainsi, sans en évaluer la nécessité ni l'opportunité, de donner suite à une demande dont la satisfaction entraînait un coût inutile et des délais de réalisation retardant sans motif acceptable l'exercice du droit dont se prévalait le demandeur, EDF, en tant que gestionnaire de réseau, a causé à Papeterie de Bègles un dommage lui ouvrant droit, en principe, à réparation.

Sur l'indemnisation du préjudice :

Ainsi qu'il a été précédemment rappelé, la CRE est compétente pour connaître du différend qui oppose Papeterie de Bègles à EDF, en tant que gestionnaire de réseau, et pour se prononcer sur la demande de réparation du préjudice que Papeterie de Bègles estime avoir subi en raison d'une faute commise par EDF en cette qualité.

Papeterie de Bègles se borne à soutenir avoir subi un préjudice consistant en une perte d'un million d'euros de facturation et d'un gain de 200 000 euros qui correspond à la somme qu'elle aurait pu obtenir dans le cadre de l'obligation d'achat, déduction faite des frais occasionnés par le fonctionnement de l'installation.

Il résulte toutefois des pièces du dossier que seul Elyo est titulaire d'un certificat d'obligation d'achat pour l'électricité produite à partir de l'installation litigieuse.

Or, en dépit des mesures d'instruction du rapporteur, Papeterie de Bègles n'a produit, dans le cadre de l'instruction de sa demande, aucune pièce, ni aucun élément de nature à justifier, compte tenu de ses relations avec Elyo, l'étendue du manque à gagner qu'elle prétend avoir subi. Elle n'a par ailleurs, lors de l'audience, pas été en mesure de justifier des montants qu'elle a calculés pour chiffrer son préjudice, ni de produire d'éléments ou d'indications probantes permettant de l'établir.

Par conséquent, à défaut d'établir le montant de son préjudice, la demande d'indemnité formée par Papeterie de Bègles à l'encontre d'EDF ne peut être que rejetée,

Décide :


Article 1


La demande de la société Papeterie de Bègles est rejetée.

Article 2


La présente décision sera notifiée à Papeterie de Bègles et à EDF et publiée au Journal officiel de la République française.


Fait à Paris, le 27 mars 2003.


Pour la commission :

Le président,

J. Syrota