J.O. 87 du 12 avril 2003       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 06517

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Mémoire en réplique aux observations du Gouvernement déposé le 31 mars 2003 par plus de soixante sénateurs et visé dans la décision n° 2003-468 DC


NOR : CSCL0306532X




LOI RELATIVE À L'ÉLECTION DES CONSEILLERS RÉGIONAUX ET DES REPRÉSENTANTS AU PARLEMENT EUROPÉEN AINSI QU'À L'AIDE PUBLIQUE AUX PARTIS POLITIQUES

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les conseillers, les observations en réponse formulées par le Gouvernement sur notre saisine portant sur la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, appellent la brève réplique suivante.


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I. - Sur la violation de l'article 39 de la Constitution


Il sera seulement fait observer que la modification introduite dans le projet de loi entre la version soumise à l'avis du Conseil d'Etat et celle adoptée par le conseil des ministres n'est pas mineure comme le prétend le Gouvernement. Bien au contraire.

Le changement de seuil en cause n'est pas une modification de « degré » mais bien « de nature » de la disposition concernée. Ainsi que cela a été amplement démontré, le passage d'un seuil de 10 % des suffrages exprimés à un seuil de 10 % des électeurs inscrits, tout en maintenant un seuil de 5 % des suffrages exprimés pour les fusions de listes, bouleverse l'économie du texte dont s'agit. Cette question posant des difficultés constitutionnelles fondamentales, il était pour le moins indispensable que le Conseil d'Etat puisse en connaître à ce stade de la procédure.

C'est pourquoi, et quoi qu'il en soit de la comparaison avec le rôle du Conseil d'Etat en matière de textes réglementaires, il est acquis que c'est bien une modification substantielle du projet de loi qui a été opérée.

L'invalidation intervenant sur ce terrain n'aurait pas pour effet d'ériger le Conseil d'Etat en coauteur du projet de loi, le Gouvernement demeurant maître de la suite à donner à son avis, mais, plus simplement, de ne pas laisser l'article 39 C dépourvu de sanction. L'importance de cette consultation, ainsi que l'atteste votre jurisprudence relative à la lettre rectificative, serait alors garantie conformément à la lettre et à l'esprit de la Constitution.


II. - Sur l'article 4 de la loi

II-1. Sur l'intelligibilité et la clarté de la loi


Le Gouvernement confirme le peu de clarté et d'intelligibilité de la loi quand il indique, en substance, que ce mécanisme est aisément compréhensible dans la mesure où le nombre de conseillers régionaux élus par département n'est pas fixé a priori, ce qui garantira une représentation proche des citoyens et de l'ensemble des territoires (cf. observations en réponse, page 4, § 2 et 3).

Cette conception du conseiller régional « aléatoire » ne manque pas de sel et, sauf à réduire l'élection des conseils régionaux à une loterie, ne peut qu'éloigner encore un peu plus les citoyens de certaines institutions dont le mode de désignation emprunte des voies particulièrement complexes.

Encore une fois, s'agissant de l'organisation d'élections politiques, la transparence, prise au sens de clarté, du mécanisme déterminé doit être la plus grande possible. Surtout si elle doit aboutir à revivifier la participation des citoyens à la vie démocratique.


II-2. Sur le principe de pluralisme

et sur l'article 4 de la Constitution


Il est flagrant que le Gouvernement ne répond pas aux critiques de fond articulées par la saisine.

En premier lieu, contrairement à ce que prétend le Gouvernement dans ses observations (page 11, paragraphe 2), le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, fondement même de la démocratie, a une portée tout aussi essentielle lorsqu'il s'agit de la détermination des modes de scrutin. En effet, l'organisation des élections politiques doit être conçue de telle sorte que leur déroulement garantisse une société pleinement libre et démocratique, et nul n'ignore que les modes de scrutin ont une importance première en la matière.

Votre jurisprudence trouve donc pleinement à s'appliquer en l'espèce.

Car, en deuxième lieu, on relèvera que le Gouvernement ne peut pas convaincre lorsqu'il cite pour vertus de son texte, la nécessaire constitution de majorités stables dans les conseils régionaux, et le fait d'avoir veillé à ce que deux listes soient présentes au second tour.

D'abord, et ainsi que cela a dejà été montré, le mécanisme institué par la loi de 1999 a précisément prévu un mécanisme stabilisateur, ce à quoi le texte présent n'apporte rien. En revanche, il retranche des possibilités d'élection pour des formations politiques librement constituées et ayant obtenu un nombre important de suffrages exprimés.

Ensuite, il est patent, en effet, que le mécanisme critiqué est de nature à affaiblir la représentation de listes représentant des courants d'opinions peut-être minoritaires mais réels et dotés d'une audience certaine, et dont l'expression politique sera affectée par l'élévation manifestement disproportionnée du seuil à atteindre pour être présent au second tour.

La question posée est donc moins celle de l'existence en soi de seuils, mécanisme connu, que de la coexistence pour une même élection, et dans une même circonscription, de deux seuils dont chacun repose sur des bases différentes, et dont le résultat inévitable sera d'écarter de la représentation politique des listes ayant recueilli un nombre important de suffrages exprimés, voire ayant obtenu plus de voix que d'autres qui, elles, auront des élus grâce au second seuil.

On relèvera que le Gouvernement se garde bien de justifier l'existence de ces deux seuils reposant sur des mécanismes différents : celui pertinent pour le maintien au second tour étant plus restrictif que celui utile pour la fusion de listes. Logique paradoxale et inédite. Ainsi, à titre d'exemple, le mécanisme applicable aux élections des conseillers municipaux dans les communes de plus de 3 500 habitants prévoit certes des seuils différents pour, d'une part, pouvoir se maintenir au second tour, et, d'autre part, pouvoir fusionner. Mais, aux termes de l'article L. 264 du code électoral, ces seuils sont fondés sur une même base : le nombre de suffrages exprimés.

Enfin, l'exemple tiré des seuils applicables aux élections cantonales et législatives n'est pas pertinent dès lors que dans ces deux cas il s'agit de scrutins uninominaux et qu'il n'existe qu'un seul et même seuil applicable à tous les candidats.

En réalité, cette disposition, sans le dire, a pour effet de contraindre les partis politiques à fusionner ou à n'avoir pas d'élus. Elle les place face à un choix qui limite plus qu'abusivement leur liberté, et sans aucune justification tirée d'un quelconque principe de même valeur.

A cette restriction du pluralisme, le citoyen ne gagne rien, sinon un peu plus de complexité dans la vie publique.


III. - Sur l'article 9 de la loi


Le Gouvernement feint de ne pas mesurer la portée du grief ainsi articulé contre l'article 9 de la loi. Or, en refusant d'étendre à la Corse une disposition prévue pour les autres régions françaises en application des articles 3 et 4 de la Constitution, et ce sans justification objective, le législateur s'est abstenu d'épuiser sa compétence, et par voie de conséquence, a violé le principe d'égalité.

A cet égard, les tentatives d'explication du Gouvernement ne peuvent convaincre.

Encore une fois, ce qui est en cause tient à un principe fondamental de la représentation politique ayant fait l'objet d'une consécration dans le texte même de la loi fondamentale. Or, rien dans le statut de la Corse ni dans les règles d'élections à l'assemblée territoriale, l'absence de sectionnement étant indifférente à la mise en oeuvre de l'alternance déterminée par l'article 4 de la loi querellée, ne saurait justifier que l'on applique différemment le principe d'égalité dont il s'agit.

S'agissant d'un droit fondamental, il est tout simplement impossible d'envisager que les femmes soient moins bien traitées en Corse que dans les autres régions françaises. C'est ici une disposition liée aux élections politiques. Mais, en outre, il est important que nulle expérimentation législative ne soit admise à cet égard, au risque, sinon, d'autoriser d'autres dérogations dans des domaines où les droits et libertés du citoyen peuvent être concernés.


IV. - Sur les articles 14 et 15 de la loi


Les saisissants n'entendent revenir que brièvement sur les articles en cause.

S'agissant du principe de pluralisme et de l'erreur manifeste d'appréciation qui résulte du découpage artificiel porté par la présente loi, il est patent de constater que le Gouvernement ne répond pas au fait que le mécanisme choisi empêchera plusieurs courants d'opinion d'obtenir des élus alors même qu'ils répondent, au plan national, à une demande et une expression fortes de la part des citoyens.

Un récent rapport d'information de la délégation du Sénat pour l'Union européenne examinant l'hypothèse d'un tel découpage du territoire national en huit circonscriptions concluait par la négative en ces termes :

« En fait, le principal défaut de ce système est de n'avoir aucun avantage par rapport au mode de scrutin actuel, tout au moins au regard des objectifs évoqués par votre rapporteur : servir les intérêts de la France au Parlement européen, donner davantage de légitimité à la construction européenne.

Le rapprochement entre l'élu et l'électeur ne serait aucunement assuré, les listes continueraient d'être constituées selon les mêmes principes qu'actuellement. Si, par exemple, le territoire métropolitain était divisé en huit circonscriptions, chacune d'entre elles comprendrait environ sept millions d'habitants, chargés d'élire une dizaine de députés européens. L'intérêt d'une telle évolution en termes de responsabilisation des élus paraît donc limité. En revanche, le débat national sur l'Europe que permet le mode de scrutin actuel pourrait être altéré par ce découpage du territoire. » (Faut-il modifier le mode de scrutin pour les élections européennes ?, Christian de La Malène, délégation du Sénat pour l'Union européenne, rapport no 123, 1996-1997, pages 27 et 28).

On ne saurait mieux dire.

Alors que les pouvoirs du Parlement européen vont s'accroissant, c'est donc au prix d'une atteinte grave au pluralisme des courants d'idées et d'opinion et d'un découpage territorial sans rationalité ni objectivité que l'on va atteindre un résultat ne présentant d'avantages ni pour les citoyens, ni pour la France, ni pour la construction européenne.

Sans même revenir sur la question de l'indivisibilité de la République, les articles critiqués ne servent aucun principe ni aucun objectif qui puissent justifier que le pluralisme des courants d'idées et d'opinions soit aussi gravement méconnu.


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Les auteurs de la saisine persistent donc de plus fort dans les conclusions de leur saisine.

Nous vous prions de croire, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil, à l'expression de notre haute considération.