J.O. 18 du 22 janvier 2003       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Décision du 12 décembre 2002 se prononçant sur le différend qui oppose la société AESM à Electricité de France sur la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité


NOR : CREX0206229S



La Commission de régulation de l'électricité,

Vu la demande de règlement de différend, enregistrée le 23 septembre 2002, sous le numéro 02-38-04, présentée par la société AESM, société anonyme au capital de 250 000 F, inscrite au RCS de Fort-de-France sous le numéro B 411 090 335, ayant son siège social situé immeuble Seen, ZI de la Lézarde, 97232 Le Lamentin, ayant pour avocat M. le bâtonnier Roger Malinconi.

La société AESM (ci-après « AESM ») demande à la CRE réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi à la suite de la résiliation fautive par EDF d'accords conclus avec elle pour l'achat de l'électricité produite à partir d'installations diesel de pointe qu'elle avait fait le projet de réaliser en Martinique.

Aux termes de sa saisine, AESM indique en effet avoir demandé à EDF, en février 1997, la conclusion de contrats, dans le cadre de l'obligation d'achat lui incombant en application des dispositions du décret no 55-662 du 20 mai 1955, pour l'achat de l'électricité produite à partir des unités qu'elle envisageait de construire.

EDF, refusant une première fois de conclure un contrat d'achat avec AESM, s'est toutefois ravisé à la suite de la position prise le 25 juillet 1997 par le ministère de l'industrie, confirmant l'application des dispositions du décret du 20 mai 1955 et du régime de l'obligation d'achat, au regard des textes alors en vigueur, aux installations de producteurs autonomes situées dans les départements d'outre-mer.

EDF proposait ainsi à AESM, le 25 décembre 1997, la conclusion de contrats d'achat.

AESM indique avoir, les années suivantes, accompli les démarches nécessaires pour la réalisation de son projet en s'assurant la maîtrise des terrains d'assiette du projet, en passant les marchés de travaux pour la construction des installations, en demandant les autorisations administratives nécessaires et en négociant des contrats de financement.

A partir du 16 juin 2000, et sans varier de position depuis, EDF a toutefois indiqué à AESM que « compte tenu des dispositions impératives de la nouvelle loi [n° 2000-108 du 10 février 2000] qui ont expressément supprimé l'obligation d'achat existante, il [lui] paraît impossible aujourd'hui de poursuivre les négociations ».

AESM estime que la rupture par EDF des accords conclus avec elle est fautive et qu'elle lui a causé un préjudice grave.

Elle réclame le remboursement des dépenses qu'elle a effectuées, des frais d'études supportés et des pertes que représente la non-exécution des accords par rapport au bénéfice qu'elle pouvait en espérer.

Elle demande, dans ces conditions, qu'EDF soit tenue de lui verser, en raison de la résiliation fautive des accords conclus avec elle, la somme totale de 5 335 715 EUR.


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Vu les observations en défense, enregistrées le 25 octobre 2002, présentées par Electricité de France (EDF), établissement public à caractère industriel et commercial, immatriculé au RCS de Paris sous le numéro B 552 081 317, dont le siège social est à Paris (8e), 22-30, avenue de Wagram, faisant élection de domicile à EDF-GDF Services, représenté par M. Robert Durdilly, directeur d'EDF-GDF Services.

EDF demande à la CRE de rejeter la demande d'AESM au motif qu'elle n'est pas compétente pour en connaître et, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur l'ensemble des questions relatives à l'indemnisation.

EDF considère, à titre principal, que la CRE n'est pas compétente au regard de l'article 38 de la loi no 2000-108 du 10 février 2000 pour connaître de la demande présentée par AESM, en raison :

- d'une part, de la nature du différend qui lui est soumis ;

- d'autre part, de l'objet du contrat sur lequel porte le différend.

EDF estime, en premier lieu, que la CRE est uniquement compétente pour statuer sur des différends relatifs à l'accès et à l'utilisation des réseaux, à l'exclusion des différends d'une autre nature. La compétence de la CRE, en tant qu'autorité administrative indépendante, doit être, selon EDF, interprétée strictement dès lors qu'elle déroge aux règles d'organisation de l'Etat. EDF en déduit que la CRE n'est pas investie d'un pouvoir général d'interprétation des textes législatifs et réglementaires applicables au secteur électrique.

EDF considère, en second lieu, que la CRE n'est pas non plus compétente pour connaître de différends se rapportant à des contrats autres que ceux expressément visés à l'article 38 de la loi no 2000-108 du 10 février 2000. En l'espèce, les prétentions d'AESM n'entrent pas, selon lui, dans le champ de compétence de la CRE, dès lors qu'elles portent :

- sur la « résiliation d'accords contractuels [...] passés avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000 » ;

- sur « des contrats prétendument conclus entre EDF et AESM dans le cadre de l'ancien régime juridique de l'obligation d'achat, sans lien avec le droit d'accès ou d'utilisation des réseaux ».

EDF conclut au rejet de la demande présentée par AESM au motif qu'elle n'est pas au nombre de celles que la CRE est compétente pour connaître.



Au fond :

A titre subsidiaire, EDF conteste avoir commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard d'AESM.

Selon EDF, en effet, aucun accord contractuel n'est intervenu avec AESM. Si EDF admet que des négociations ont eu lieu à compter de 1997 dans le cadre du régime de l'obligation d'achat prévu par le décret no 55-662 du 20 mai 1955, il estime néanmoins que celles-ci n'ont nullement abouti à un accord complet et définitif, plusieurs éléments essentiels, tels que le coût du raccordement, le prix de l'énergie, le montant de la prime fixe et la durée du contrat ayant toujours fait l'objet de discussion entre EDF et AESM.

En l'absence d'accord entre les parties, EDF considère qu'aucune faute ne peut lui être reprochée.

EDF demande par ailleurs à la CRE de surseoir à statuer sur l'ensemble des questions relatives à l'indemnisation, en se réservant expressément la possibilité de discuter ultérieurement de l'existence d'un lien de causalité entre la faute et les préjudices allégués, de la réalité des préjudices invoqués et du montant des indemnités réclamées.


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Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 14 novembre 2002, présenté par la société AESM.

AESM estime que l'argumentation d'EDF, selon laquelle la CRE ne serait pas compétente pour connaître de sa demande, est injustifiée.

Elle considère en effet que la CRE est compétente pour statuer sur le différend qui l'oppose à EDF pour deux raisons tenant, d'une part, à la volonté des pouvoirs publics et, d'autre part, aux termes des dispositions de la loi no 2000-108 du 10 février 2000.

Selon AESM, les pouvoirs publics, en instituant la CRE, ont voulu en effet qu'elle soit notamment compétente pour examiner les litiges concernant la fourniture d'électricité à EDF.

En outre, la loi no 2000-108 du 10 février 2000, en particulier les dispositions de son article 38, prévoit que la CRE est compétente pour connaître de l'interprétation et de l'exécution des contrats prévus à l'article 15 de la loi. L'électricité produite par AESM ayant vocation à servir à l'ajustement de l'équilibre du réseau, qui peut être acquise par des contrats régis par l'article 15, AESM en déduit que la CRE est compétente pour connaître du contrat qu'elle estime avoir conclu avec EDF.

Au fond :

AESM conteste également l'argumentation d'EDF au fond en soutenant que les négociations engagées, dès 1996, se sont conclues le 25 décembre 1997 par l'engagement pris par EDF de signer avec elle deux contrats d'achat.

AESM rappelle qu'elle n'avait pas de raison de douter de l'engagement d'EDF, dès lors qu'elle avait déjà obtenu d'EDF, pour d'autres projets réalisés en métropole, la conclusion de contrats d'achat du même type et que, jusqu'au printemps 2000, aucune des deux parties n'avait remis en cause l'accord obtenu en 1997.

Elle s'en remet par ailleurs à la sagesse de la CRE, dans le cas où elle estimerait nécessaire la désignation d'un expert pour l'évaluation de son préjudice, en demandant toutefois que les frais d'expertise soient mis à la charge d'EDF et qu'une indemnité provisionnelle de 150 000 EUR lui soit d'ores et déjà versée.


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Vu les observations en réponse complémentaires, enregistrées le 3 décembre 2002, présentées par EDF.

EDF soutient que, contrairement à ce que prétend AESM, la CRE ne dispose pas d'une compétence générale pour examiner tout différend dans lequel EDF est partie, ni pour régler les différends relatifs à tout contrat d'achat d'électricité.

Les contrats visés au III de l'article 15 de la loi du 10 février 2000, auxquels fait référence l'article 38 de la loi, sont, selon EDF, spécifiques. EDF indique que ces contrats « concernent le gestionnaire du réseau de transport qui reçoit de la loi la faculté d'acheter de l'électricité auprès des producteurs et des fournisseurs d'électricité pour compenser les pertes dues à l'acheminement de l'électricité, et non les contrats conclus dans le cadre de l'obligation d'achat par EDF-producteur avec un producteur autonome d'électricité ». EDF en déduit que le III de l'article 15 de la loi ne saurait justifier la compétence de la CRE pour connaître de la demande de règlement de différend présentée par AESM.

Par ailleurs, EDF estime que les accords dont se prévaut AESM ne sauraient entrer dans le champ d'application du III de l'article 15 de la loi, dès lors que les contrats visés par ces dispositions ne peuvent avoir été conclus avant l'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000 et la mise en place d'un gestionnaire du réseau public de transport indépendant.

Au fond :

EDF soutient, comme dans ses précédentes observations, qu'aucun accord n'a été conclu avec AESM, le courrier envoyé le 24 décembre 1997, en particulier, ne pouvait être analysé comme un engagement contractuel de sa part.

EDF conteste en outre la demande d'expertise présentée par AESM, dès lors que l'utilité d'une telle mesure pour la résolution du litige n'est pas démontrée. EDF s'oppose à la demande de provision d'AESM au motif que la CRE n'a pas le pouvoir d'accorder une provision et que les obligations dont AESM se prévaut à l'égard d'EDF sont très sérieusement contestables.


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Vu le mémoire en réponse, enregistré le 11 décembre 2002, présenté par la société AESM.

AESM répond aux dernières observations présentées par EDF, s'agissant de la compétence de la CRE pour connaître du différend qui les oppose.

AESM indique que les contrats visés au III de l'article 15 de la loi du 10 février 2000, pouvant donner lieu à un différend relevant de la compétence de la CRE, ne sont pas seulement ceux conclus par le gestionnaire du réseau public de transport, qui sont destinés à compenser les pertes dues à l'acheminement, contrairement à ce que soutient EDF.

Relèvent également, selon elle, de la compétence de la CRE les contrats qui permettent au gestionnaire du réseau public de transport d'atteindre le second objectif prévu au III de l'article 15 de la loi, c'est-à-dire celui consistant à « veiller à la disponibilité et à la mise en oeuvre des services de réserve nécessaires au fonctionnement du réseau ».

Par ailleurs, le régime juridique en vertu duquel a été conclue une convention avec EDF, obligation d'achat dans le cadre du décret du 20 mai 1955 ou possibilité d'achat dans le cadre de la loi du 10 février 2000, est, selon elle, indifférent, dès lors que la loi du 10 février 2000 n'a pas rétroactivement fait disparaître les conventions conclues sous l'empire du régime antérieur.

Elle en déduit que la convention qu'elle prétend avoir conclu avec EDF constitue un contrat visé au III de l'article 15 de la loi du 10 février 2000, que la CRE est compétente pour connaître.


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Vu l'ensemble des dossiers remis par les deux parties ;

Vu la décision du 4 octobre 2002 du président de la CRE relative à la désignation d'un rapporteur pour l'instruction d'une demande de règlement de différend ;

Vu la loi no 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité ;

Vu le décret no 2000-894 du 11 septembre 2000 relatif aux procédures applicables devant la CRE ;

Vu la décision du 15 février 2001 relative au règlement intérieur de la CRE.


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Les parties ayant été régulièrement convoquées à l'audience devant la CRE par télécopie et lettre recommandée avec avis de réception du 14 novembre 2002,

Après avoir entendu, le 12 décembre 2002, lors de l'audience publique devant la CRE :

En présence de :

M. Jean Syrota, président, et MM. Raphaël Hadas-Lebal, Bruno Lechevin, François Morin, Jacques-André Troesch, commissaires ;

MM. Thierry Tuot, directeur général, Marc de Monsembernard, directeur juridique, et Philippe Blanc, rapporteur ;

Me Roger Malinconi et M. Philippe Henaff, pour la société AESM ;

M. Jean-Claude Millien, Mmes Isabelle de Wailly et Bénédicte Magherini, pour Electricité de France,

- le rapport de M. Philippe Blanc présentant les moyens et les conclusions des parties ;

- les observations orales de Me Roger Malinconi et M. Philippe Henaff, pour la société AESM ;

- les observations orales de M. Jean-Claude Millien et Mme Isabelle de Wailly, pour Electricité de France,

la CRE en ayant délibéré le 12 décembre 2002, après que les parties, le commissaire du Gouvernement, le rapporteur, le public et les agents de la CRE se sont retirés ;

Sur la compétence de la CRE :

Aux termes du I de l'article 38 de la loi no 2000-108 du 10 février 2000, « en cas de différend entre les gestionnaires et utilisateurs des réseaux publics de transport ou de distribution lié à l'accès auxdits réseaux ou à leur utilisation, notamment en cas de refus d'accès aux réseaux publics de transport et de distribution ou de désaccord sur la conclusion, l'interprétation ou l'exécution des contrats et protocoles visés au III de l'article 15 et à l'article 23, l'une ou l'autre des parties peut saisir la CRE ».

La CRE est compétente en vertu de ces dispositions pour connaître des demandes de règlement de différend liées à l'accès ou à l'utilisation des réseaux publics, opposant, d'une part, un utilisateur et, d'autre part, un gestionnaire de réseau.

Contrairement à ce que soutient EDF la compétence de la CRE n'est pas limitée aux litiges se rapportant aux seuls contrats visés expressément à l'article 38, mais, ainsi qu'il ressort du libellé des dispositions ci-dessus rappelées, s'étend à l'ensemble des différends, même s'ils sont nés sans qu'une difficulté contractuelle soit apparue ou lorsqu'ils sont reliés à un contrat autre que ceux mentionnés à titre non limitatif par l'article 38.

Cependant, il ressort clairement des pièces du dossier que le litige opposant le demandeur à EDF porte exclusivement sur l'existence d'un contrat ayant pour objet l'exécution, par EDF, de l'obligation d'achat de l'électricité, régie en l'espèce par le décret du 20 mai 1955, et non, bien que le différend ait retardé la réalisation des projets d'installations de production d'AESM et leur raccordement au réseau, sur l'accès et l'utilisation du réseau auxquels EDF a déclaré ne pas s'opposer.

Aux termes de l'article 2 de la loi du 10 février 2000, la mission de service public de développement équilibré de l'approvisionnement en électricité, qui vise notamment à réaliser les objectifs définis par la programmation pluriannuelle des investissements, au titre de laquelle peuvent être mises en place des obligations d'achat régies par l'article 10 de la même loi, incombe aux producteurs, et notamment à EDF, y compris lorsque ces contrats ont été négociés ou conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 10 février 2000.

Il en résulte que le litige opposant un demandeur à EDF pour la conclusion d'un contrat d'obligation d'achat concerne EDF en tant que producteur et non en tant que gestionnaire de réseau.

Or, il n'est pas contesté que le contrat, objet du différend, est un contrat d'achat d'électricité régi par une obligation légale. Il ne peut donc être assimilé à un contrat de l'article 15 de la loi du 10 février 2000, qui ne peut être passé que par le gestionnaire du réseau de transport, s'il décide d'y recourir et sans qu'il y soit légalement tenu, pour acquérir l'électricité nécessaire à la compensation des pertes sur son réseau.

La circonstance alléguée par le demandeur, à supposer qu'elle soit établie, que l'électricité, acquise dans le cadre d'une obligation légale, puisse ensuite être utilisée par le gestionnaire d'un réseau afin de compenser les pertes encourues sur celui-ci, ne saurait faire regarder comme relevant de l'article 15 un contrat qui n'est, en l'espèce, négocié ni pour son application ni par le gestionnaire qui en est chargé.

Il résulte de ce qui précède que le différend soumis à la CRE ne relève, ni par nature, ni par la qualité des parties, de ceux dont il peut appartenir à la CRE de connaître au titre de l'article 38 de la loi du 10 février 2000,

Décide :


Article 1


La demande de la société AESM est rejetée.

Article 2


La présente décision sera notifiée à la société AESM et à Electricité de France et publiée au Journal officiel de la République française.


Fait à Paris, le 12 décembre 2002.


Pour la commission :

Le président,

J. Syrota