J.O. Numéro 24 du 29 Janvier 2002       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Arrêt du 20 décembre 2001


NOR : CDBX0205333A



Au nom du peuple français,
La Cour de discipline budgétaire et financière, siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l'arrêt suivant :
La Cour,
Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la loi no 80-539 du 16 juillet 1980 modifiée relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public ;
Vu la décision du 14 novembre 1997 par laquelle le Conseil d'Etat a liquidé à la somme de 799 500 F l'astreinte qu'il avait prononcée le 17 janvier 1996 ;
Vu les lettres des 21 avril et 21 juillet 1998, enregistrées au parquet respectivement les 22 avril et 30 juillet 1998, par lesquelles la société civile professionnelle Waquet, Farge et Hazan a informé le procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, du contentieux opposant son client, M. David Janky, à la région Guadeloupe à la suite du licenciement de M. Janky par lettre du 21 juin 1993 signée de la présidente du conseil régional, Mme Lucette Michaux-Chevry, et du refus de cette dernière de réintégrer l'intéressé dans ses fonctions en dépit de l'annulation de ladite décision de licenciement par la juridiction administrative ;
Vu le réquisitoire du 18 septembre 1998 par lequel le procureur général a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière et a transmis le dossier au premier président de la Cour des comptes, président de la Cour de discipline budgétaire et financière ;
Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 1er décembre 1998 désignant comme rapporteur M. Lefoulon, conseiller maître à la Cour des comptes ;
Vu la lettre recommandée du 3 mai 1999 par laquelle le procureur général a informé Mme Michaux-Chevry, présidente du conseil régional de la Guadeloupe, de l'ouverture d'une instruction dans les conditions prévues à l'article L. 314-4 du code des juridictions financières susvisé, ensemble l'accusé de réception de cette lettre ;
Vu la lettre du procureur général au président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 7 décembre 2000 l'informant de sa décision de poursuivre la procédure et lui demandant de transmettre le dossier, pour avis, au ministre concerné ;
Vu la lettre du président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 11 décembre 2000 saisissant pour avis le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie dans les conditions prévues à l'article L. 314-5 du code des juridictions financières susvisé ;
Vu la décision du procureur général en date du 25 avril 2001 renvoyant Mme Michaux-Chevry devant la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l'article L. 314-8 du même code ;
Vu la lettre recommandée en date du 4 mai 2001 par laquelle le secrétaire général de la Cour de discipline budgétaire et financière a avisé Mme Michaux-Chevry qu'elle pouvait prendre connaissance du dossier dans un délai de quinze jours, ensemble l'accusé de réception de cette lettre ;
Vu le mémoire en défense transmis au greffe de la Cour le 2 novembre 2001 par la société civile professionnelle Vier et Barthélémy pour Mme Michaux-Chevry ;
Vu la lettre du 4 octobre 2001 par laquelle le procureur général a cité Mme Michaux-Chevry à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble l'accusé de réception de cette lettre ;
Vu l'ensemble des pièces qui figurent au dossier, et notamment le procès-verbal d'audition de Mme Michaux-Chevry, en date du 15 octobre 1999, et le rapport d'instruction de M. Lefoulon ;
Entendu M. Lefoulon en son rapport ;
Entendue Mme le procureur général en ses conclusions et réquisitions ;
Entendu en sa plaidoirie Me Barthélémy, et en ses explications et observations Mme Michaux-Chevry, l'intéressée et son conseil ayant eu la parole en dernier ;
Sur la compétence de la Cour :
Considérant qu'à la suite de l'inexécution d'un jugement du tribunal administratif de Basse-Terre en date du 25 janvier 1994, annulant la décision de licenciement de M. Janky prise par la présidente du conseil régional, Mme Michaux-Chevry, le 21 juin 1993, la région Guadeloupe a été condamnée par le Conseil d'Etat au paiement d'une astreinte journalière dont le montant a été liquidé à 799 500 F par décision du 14 novembre 1997 ;
Que le préfet de la région Guadeloupe a invité la présidente du conseil régional à exécuter cette décision ; qu'en l'absence de réponse la somme en cause a été mandatée d'office par arrêtés du préfet de la Guadeloupe en date des 8 et 29 octobre 1998, conformément aux dispositions de l'article 1er de la loi du 16 juillet 1980 susvisée ;
Considérant qu'il résulte de l'article L. 312-2 du code des juridictions financières que les présidents de conseil régional, qui, en application du b, II, de l'article L. 312-1, ne sont pas justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière à raison des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions, le sont néanmoins lorsqu'ils ont commis l'infraction définie par l'article L. 313-7 dudit code ; qu'en conséquence Mme Michaux-Chevry, en sa qualité de présidente du conseil régional de la Guadeloupe, et eu égard à la nature de l'infraction qui lui est reprochée, est justiciable de la Cour de discipline budgétaire et financière, laquelle est compétente pour statuer sur les conclusions du ministère public renvoyant l'intéressée devant elle ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-7 du même code « toute personne mentionnée à l'article L. 312-1 dont les agissements auront entraîné la condamnation d'une personne morale de droit public ou d'un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public à une astreinte en raison de l'inexécution totale ou partielle ou de l'exécution tardive d'une décision de justice sera passible d'une amende dont le montant ne pourra être inférieur à 2 000 F et dont le maximum pourra atteindre le montant du traitement ou salaire brut qui lui était alloué à la date où la décision de justice aurait dû recevoir exécution » ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-13 du même code « le montant maximum de l'amende infligée aux personnes visées à l'article L. 312-2 pourra atteindre 5 000 F ou le montant annuel brut de l'indemnité de fonction qui leur était allouée à la date de l'infraction, si ce montant excédait 5 000 F » ;
Sur les conditions de la prescription :
Considérant que les faits incriminés ne sont pas couverts par la prescription instituée par l'article L. 314-2 du code des juridictions financières ;
Sur les responsabilités encourues :
Considérant que, par lettre du 21 juin 1993, Mme Lucette Michaux-Chevry, présidente du conseil régional de la Guadeloupe, a mis fin, pour faute professionnelle grave, au contrat liant au conseil régional M. David Janky, directeur des services financiers de la région ; que cette décision de licenciement a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 25 janvier 1994, confirmé le 28 mars 1995 par la cour administrative d'appel de Paris ; que le pourvoi en cassation formé contre l'arrêt de cette dernière n'a pas été admis par le Conseil d'Etat le 16 février 1996 ;
Considérant que, par décision en date du 17 janvier 1996, le Conseil d'Etat a jugé que l'exécution du jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 25 janvier 1994 comportait nécessairement l'obligation pour la présidente du conseil régional de la Guadeloupe de réintégrer M. Janky dans son emploi ou dans un emploi équivalent à la date à laquelle il en avait été illégalement évincé ; qu'aucune mesure n'ayant été prise en ce sens, le Conseil d'Etat a prononcé à l'encontre de la région Guadeloupe une astreinte de 1 500 F par jour, à défaut pour elle de justifier, dans un délai de trois mois suivant la notification de l'arrêt, qu'elle avait exécuté le jugement du tribunal administratif de Basse-Terre susmentionné ;
Considérant que, par arrêté du 26 mars 1996, la présidente du conseil régional a prononcé la réintégration de M. Janky à compter du 26 juin 1993 et a décidé que les fonctions de l'intéressé avaient pris fin à l'issue de la période pour laquelle il avait été recruté, soit le 23 mars 1995 ;
Considérant que le Conseil d'Etat, saisi par M. Janky d'une demande de liquidation de l'astreinte prononcée par sa décision du 17 janvier 1996, a considéré, le 30 avril 1997, qu'en raison de l'intervention de l'arrêté du 26 mars 1996 la région devait être regardée comme ayant entièrement exécuté le jugement du tribunal administratif du 24 janvier 1994 dans le délai qui lui avait été imparti, et qu'il n'y avait pas lieu, en conséquence, de procéder à la liquidation de l'astreinte ;
Considérant toutefois que, par un arrêté du 28 avril 1997 qui n'a été porté à la connaissance du Conseil d'Etat que postérieurement à sa décision du 30 avril 1997, la présidente du conseil régional a rapporté l'arrêté du 26 mars 1996 réintégrant M. Janky dans ses fonctions ; qu'en conséquence, saisi à nouveau par l'intéressé, le Conseil d'Etat a constaté, dans une décision du 14 novembre 1997, que la région ne pouvait pas être regardée comme ayant exécuté le jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 25 janvier 1994, et a liquidé l'astreinte prononcée le 17 janvier 1996 pour la période courant du 10 mai 1996 au 24 octobre 1997, en fixant son montant à 799 500 F ;
Considérant que, le 26 janvier 1998, la présidente du conseil régional a signé deux nouveaux arrêtés, le premier abrogeant l'arrêté du 28 avril 1997, le second réintégrant M. Janky à compter du 26 juin 1993 et mettant fin à ses fonctions le 23 mars 1995 ;
Considérant par ailleurs que, par jugement du 11 avril 2000 devenu définitif, le tribunal administratif de Basse-Terre a condamné le conseil régional de la Guadeloupe à verser à M. Janky la somme de 665 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 28 avril 1994, en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de son licenciement ;
Considérant que Mme Michaux-Chevry soutient que l'arrêté du 26 mars 1996 réintégrant M. Janky dans ses fonctions aurait été rapporté le 28 avril 1997 en vue de faciliter la négociation d'un protocole transactionnel entre l'intéressé et le conseil régional ; que cette négociation aurait échoué ; que la décision de retrait du 28 avril 1997 a été abrogée par arrêté du 26 janvier 1998 et que M. Janky a été rétroactivement réintégré par arrêté du même jour ;
Considérant que le retrait de l'arrêté du 26 mars 1996 par lequel la présidente du conseil régional avait, ainsi que l'a constaté le Conseil d'Etat par sa décision du 30 avril 1997, entièrement exécuté le jugement du tribunal administratif de Basse-Terre en date du 25 janvier 1994, a eu pour effet, quels qu'en soient les motifs, d'entraîner la condamnation de la région Guadeloupe à verser une astreinte de 799 500 F ;
Considérant en outre que l'arrêté du 26 mars 1996 qui réintégrait M. Janky dans ses fonctions était créateur de droits pour ce dernier et ne pouvait donc être retiré ; qu'à supposer qu'il ait été rapporté par l'arrêté du 28 avril 1997 afin de faciliter une transaction comme le soutient Mme Michaux-Chevry, le jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 25 janvier 1994 était exécutoire dès son prononcé ; qu'enfin il est interdit de transiger sur la chose jugée en excès de pouvoir, ce qu'en tout état de cause ne devait pas ignorer la présidente du conseil régional ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'infraction définie par l'article L. 313-7 du code des juridictions financières, qui vise toute personne dont les agissements auront entraîné la condamnation d'une personne morale de droit public à une astreinte en raison de l'inexécution, totale ou partielle, ou de l'exécution tardive d'une décision de justice, est constituée en l'espèce ;
Sur le montant de l'amende :
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'affaire en infligeant une amende de 30 000 F (4 573,47 Euros) à Mme Michaux-Chevry ;
Sur la procédure :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française,
Arrête :


Art. 1er. - Mme Michaux-Chevry est condamnée à une amende de trente mille francs (30 000 F, soit 4 573,47 Euros).


Art. 2. - Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.
Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, par M. Logerot, premier président de la Cour des comptes, président, M. Fouquet, président de la section des finances au Conseil d'Etat, M. Massot, président de section au Conseil d'Etat, M. Martin, conseiller d'Etat, et M. Capdeboscq, conseiller maître à la Cour des comptes.
Lu en séance publique le 20 décembre 2001.

Le président,
F. Logerot
Le greffier,
M. Le Gall