J.O. Numéro 19 du 23 Janvier 2002       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Décision no 2001-454 DC du 17 janvier 2002


NOR : CSCL0205331S



LOI RELATIVE A LA CORSE

Le Conseil constitutionnel a été saisi, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la loi relative à la Corse,
le 20 décembre 2001, par MM. Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy, Jean-François Mattei, Bernard Accoyer, Mme Michèle Alliot-Marie, MM. René André, Philippe Auberger, Pierre Aubry, Jean Auclair, Mme Martine Aurillac, MM. Jean Bardet, Léon Bertrand, Jean-Yves Besselat, Jean Besson, Franck Borotra, Bruno Bourg-Broc, Michel Bouvard, Philippe Briand, Bernard Brochand, Christian Cabal, Gilles Carrez, Mme Nicole Catala, MM. Richard Cazenave, Henri Chabert, Jean-Paul Charié, Jean Charroppin, Jean-Marc Chavanne, Olivier de Chazeaux, François Cornut-Gentille, Alain Cousin, Charles Cova, Henri Cuq, Arthur Dehaine, Patrick Delnatte, Yves Deniaud, Patrick Devedjian, Guy Drut, Jean-Michel Dubernard, Jean-Pierre Dupont, Nicolas Dupont-Aignan, François Fillon, Roland Francisci, Yves Fromion, Robert Galley, Henri de Gastines, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Michel Giraud, Jacques Godfrain, Lucien Guichon, François Guillaume, Gérard Hamel, Christian Jacob, Didier Julia, Alain Juppé, Jacques Kossowski, Robert Lamy, Pierre Lasbordes, Pierre Lellouche, Jean-Claude Lemoine, Lionnel Luca, Alain Marleix, Jean Marsaudon, Philippe Martin, Jacques Masdeu-Arus, Mme Jacqueline Mathieu-Obadia, MM. Gilbert Meyer, Jean-Claude Mignon, Pierre Morange, Jean-Marc Nudant, Patrick Ollier, Mme Françoise de Panafieu, MM. Jacques Pélissard, Etienne Pinte, Serge Poignant, Robert Poujade, Didier Quentin, Jean-Bernard Raimond, Jean-Luc Reitzer, André Schneider, Bernard Schreiner, Philippe Séguin, Frantz Taittinger, Michel Terrot, Jean-Claude Thomas, Georges Tron, Léon Vachet, François Vannson, Roland Vuillaume, Mme Marie-Jo Zimmermann, MM. Pierre Albertini, Pierre-Christophe Baguet, Jacques Barrot, Jean-Louis Bernard, Claude Birraux, Emile Blessig, Mmes Marie-Thérèse Boisseau, Christine Boutin, MM. Loïc Bouvard, Jean Briane, Yves Bur, Dominique Caillaud, Hervé de Charette, Jean-François Chossy, Charles de Courson, Yves Coussain, Marc-Philippe Daubresse, Francis Delattre, Léonce Deprez, Jean-Pierre Foucher, Claude Gaillard, Germain Gengenwin, Gérard Grignon, Hubert Grimault, Pierre Hériaud, Patrick Herr, Francis Hillmeyer, Mmes Anne-Marie Idrac, Bernadette Isaac-Sibille, MM. Jean-Jacques Jégou, Christian Kert, Edouard Landrain, Jacques Le Nay, Maurice Leroy, Roger Lestas, Maurice Ligot, François Loos, Christian Martin, Pierre Menjucq, Pierre Micaux, Hervé Morin, Jean-Marie Morisset, Henri Plagnol, Jean-Luc Préel, Marc Reymann, François Rochebloine, Rudy Salles, François Sauvadet, Michel Voisin, Pierre-André Wiltzer, François d'Aubert, Dominique Bussereau, Pierre Cardo, Pascal Clément, Georges Colombier, Bernard Deflesselles, Nicolas Forissier, Gilbert Gantier, Claude Gatignol, Claude Goasguen, Philippe Houillon, Pierre Lequiller, Yves Nicolin, Xavier Deniau, Jean Ueberschlag et Jean Valleix, députés,
et, le 21 décembre 2001, par MM. Paul Girod, Nicolas About, Pierre André, Philippe Arnaud, Jean Arthuis, Jean-Yves Autexier, Denis Badré, Gérard Bailly, Jacques Baudot, Michel Bécot, Joël Billard, Claude Biwer, Maurice Blin, Mme Annick Bocandé, MM. Joël Bourdin, Jean Boyer, Gérard Braun, Dominique Braye, Mme Paulette Brisepierre, MM. Jean-Claude Carle, Gérard César, Jean Clouet, Christian Cointat, Gérard Cornu, Jean-Patrick Courtois, Xavier Darcos, Jean-Paul Delevoye, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Gérard Dériot, Michel Doublet, Paul Dubrule, Alain Dufaut, André Dulait, Ambroise Dupont, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Jean-Paul Emin, Jean Faure, Mme Françoise Férat, MM. André Ferrand, Hilaire Flandre, Jean-Pierre Fourcade, Bernard Fournier, Serge Franchis, Philippe François, Yves Fréville, Yann Gaillard, Christian Gaudin, Mme Gisèle Gautier, MM. Patrice Gélard, Alain Gérard, Mme Jacqueline Gourault, MM. Alain Gournac, Adrien Gouteyron, Louis Grillot, Georges Gruillot, Charles Guené, Pierre Hérisson, Mme Françoise Henneron, MM. Jean-François Humbert, Jean-Jacques Hyest, Alain Joyandet, Jean-Marc Juilhard, Joseph Kerguéris, Jean-Philippe Lachenaud, Alain Lambert, Gérard Larcher, André Lardeux, Patrick Lassourd, Jean-René Lecerf, Jacques Legendre, Philippe Leroy, Paul Loridant, Roland du Luart, Max Marest, Jean-Louis Masson, Serge Mathieu, Louis Moinard, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Georges Mouly, Bernard Murat, Mme Nelly Olin, MM. Joseph Ostermann, Mme Monique Papon, MM. Michel Pelchat, Jacques Pelletier, Jean Pépin, Bernard Plasait, Ladislas Poniatowski, Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Charles Revet, Henri Revol, Victor Reux, Philippe Richert, Josselin de Rohan, Bernard Saugey, Jean-Pierre Schosteck, Bruno Sido, Louis Souvet, Jacques Valade, Serge Vinçon, Jean-Paul Virapoullé et François Zocchetto, sénateurs ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de l'éducation ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de l'environnement ;
Vu la loi no 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne ;
Vu la loi no 97-179 du 28 février 1997 relative à l'instruction des autorisations de travaux dans le champ de visibilité des édifices classés ou inscrits et dans les secteurs sauvegardés ;
Vu les observations du Gouvernement, enregistrées le 10 janvier 2002 ;
Vu les observations en réplique présentées par les sénateurs auteurs de la seconde saisine, enregistrées le 14 janvier 2002 ;
Le rapporteur ayant été entendu,
1. Considérant que les députés requérants mettent en cause l'article 1er et l'article 7 de la loi déférée ; que les sénateurs requérants contestent en outre la procédure législative dans son ensemble, ainsi que les articles 9, 12, 13, 17, 18, 19, 23, 24, 25, 26, 28, 43 et 52 ;
Sur la procédure législative :
2. Considérant que les sénateurs requérants soutiennent que la procédure législative à l'issue de laquelle a été adoptée la loi déférée s'est trouvée viciée dès lors qu'« après le rejet de deux rédactions alternatives pour l'article 1er le président de la commission mixte paritaire a estimé que celle-ci ne pouvait parvenir à l'adoption d'un texte commun et constaté l'échec de la commission » ; que, selon les requérants, « le rejet formel par la commission mixte paritaire du texte adopté pour cet article par l'Assemblée nationale en première lecture, puis d'une rédaction alternative proposée par le rapporteur pour le Sénat, devait être interprété comme une volonté de la commission de supprimer l'article 1er, ce qui ne pouvait exclure que la discussion se poursuive sur les autres dispositions restant en discussion » ;
3. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, la commission mixte paritaire est « chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion » ; que, par suite, lorsque la commission ne s'accorde ni sur la rédaction, ni sur la suppression d'une des dispositions restant en discussion, elle doit être regardée comme n'étant pas parvenue, au sens du quatrième alinéa de l'article 45, « à l'adoption d'un texte commun » ; que son échec peut être alors constaté pour l'ensemble des dispositions restant en discussion ; que tel a été le cas en l'espèce du fait du désaccord persistant portant sur l'article 1er ; qu'en concluant à l'échec de la commission dans de telles circonstances, le président de celle-ci n'a pas méconnu les règles constitutionnelles régissant la procédure législative ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de l'irrégularité de la procédure législative doit être écarté ;
Sur l'article 1er :
5. Considérant que l'article 1er de la loi déférée procède à une nouvelle rédaction des articles L. 4424-1 et L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales ; qu'il insère en outre un article L. 4424-2-1 dans le même code ;
En ce qui concerne le nouvel article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales :
6. Considérant qu'aux termes du nouvel article L. 4424-1 du code général des collectivités territoriales : « L'Assemblée règle par ses délibérations les affaires de la Corse. Elle contrôle le conseil exécutif. - L'Assemblée vote le budget, arrête le compte administratif, adopte le plan d'aménagement et de développement durable de Corse » ; que les sénateurs requérants font grief à cette disposition de porter atteinte aux compétences reconnues aux communes et aux départements par l'article 72 de la Constitution ;
7. Considérant que la disposition critiquée, si elle ne précise pas que l'Assemblée de Corse règle, par ses délibérations, les seules affaires de la collectivité territoriale de Corse, ne peut être entendue comme ayant une autre portée ; qu'elle ne place donc pas les communes et les départements de Corse sous la tutelle d'une autre collectivité territoriale ; que, dès lors, le grief manque en fait ;
En ce qui concerne le nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales :
Quant au I de l'article L. 4424-2 :
8. Considérant qu'aux termes du I du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales : « De sa propre initiative ou à la demande du conseil exécutif, ou à celle du Premier ministre, l'Assemblée de Corse peut présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions réglementaires en vigueur ou en cours d'élaboration concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse, ainsi que toutes dispositions réglementaires concernant le développement économique, social et culturel de la Corse. - Les propositions adoptées par l'Assemblée de Corse en application de l'alinéa précédent sont adressées au président du conseil exécutif qui les transmet au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse. » ;
9. Considérant que ces dispositions se bornent à prévoir la procédure par laquelle l'Assemblée de Corse peut présenter des propositions tendant à la modification ou à l'adaptation, par les autorités compétentes de l'Etat, de dispositions réglementaires ; que, par suite, elles ne transfèrent, par elles-mêmes, à cette collectivité aucune matière relevant du domaine réglementaire ;
Quant au II de l'article L. 4424-2 :
10. Considérant qu'aux termes du II du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales : « Le pouvoir réglementaire de la collectivité territoriale de Corse s'exerce dans le cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi. - Sans préjudice des dispositions qui précèdent, dans le respect de l'article 21 de la Constitution, et pour la mise en oeuvre des compétences qui lui sont dévolues en vertu de la partie législative du présent code, la collectivité territoriale de Corse peut demander à être habilitée par le législateur à fixer des règles adaptées aux spécificités de l'île, sauf lorsqu'est en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental. - La demande prévue à l'alinéa précédent est faite par délibération motivée de l'Assemblée de Corse, prise à l'initiative du conseil exécutif ou de l'Assemblée de Corse après rapport de ce conseil. Elle est transmise par le président du conseil exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse » ;
11. Considérant que, pour les auteurs des deux saisines, ces dispositions conduiraient à la dévolution à la collectivité territoriale de Corse d'un pouvoir réglementaire de portée générale ; que serait ainsi violé, selon eux, l'article 21 de la Constitution en vertu duquel le Premier ministre assure l'exécution des lois et, sous réserve de l'article 13, exerce le pouvoir réglementaire ; que, pour les sénateurs requérants, la dévolution de pouvoir réglementaire dénoncée méconnaîtrait en outre le principe d'égalité ; qu'ils soutiennent enfin que, par l'imprécision de leur formulation, les dispositions critiquées seraient entachées d'incompétence négative ;
12. Considérant qu'aux termes de l'article 21 de la Constitution : « Le Premier ministre (...) assure l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire (...) » ; que, toutefois, l'article 72 de la Constitution dispose : « Les collectivités territoriales de la République (...) s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi » ; que ces dispositions permettent au législateur de confier à une catégorie de collectivités territoriales le soin de définir, dans la limite des compétences qui lui sont dévolues, certaines modalités d'application d'une loi ; que, cependant, le principe de libre administration des collectivités territoriales ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles de mise en oeuvre des libertés publiques et, par suite, l'ensemble des garanties que celles-ci comportent dépendent des décisions de collectivités territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l'ensemble du territoire de la République ;
13. Considérant, d'une part, que les dispositions précitées du premier alinéa du II du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales doivent être entendues comme rappelant que le pouvoir réglementaire dont dispose une collectivité territoriale dans le respect des lois et des règlements ne peut s'exercer en dehors du cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi ; qu'elles n'ont ni pour objet ni pour effet de mettre en cause le pouvoir réglementaire d'exécution des lois que l'article 21 de la Constitution attribue au Premier ministre sous réserve des pouvoirs reconnus au Président de la République par l'article 13 de la Constitution ;
14. Considérant, d'autre part, que les deuxième et troisième alinéas du II du même article L. 4424-2 se bornent à préciser la procédure que doit suivre et les conditions que doit respecter la collectivité territoriale de Corse pour demander à être habilitée par le législateur à définir les modalités d'application d'une loi au cas où il serait nécessaire d'adapter les dispositions réglementaires nationales aux spécificités de l'île ; qu'en particulier, ils indiquent que la demande d'habilitation ne peut concerner que les compétences qui sont dévolues à cette collectivité par la partie législative du code général des collectivités territoriales ; qu'ils excluent par ailleurs une telle demande si l'adaptation sollicitée est de nature à mettre en cause l'exercice d'une liberté individuelle ou d'un droit fondamental ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 13, les dispositions du II du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales ne sont contraires ni aux articles 21, 34 et 72 de la Constitution ni au principe d'égalité devant la loi ; que, par suite, les griefs présentés contre elles doivent être rejetés ;
Quant au III de l'article L. 4424-2 :
16. Considérant qu'aux termes du III du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales : « De sa propre initiative ou à la demande du conseil exécutif, ou à celle du Premier ministre, l'Assemblée de Corse peut présenter des propositions tendant à modifier ou à adapter des dispositions législatives en vigueur ou en cours d'élaboration concernant les compétences, l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales de Corse, ainsi que toutes dispositions législatives concernant le développement économique, social et culturel de la Corse. - Les propositions adoptées par l'Assemblée de Corse en application de l'alinéa précédent sont adressées au président du conseil exécutif qui les transmet au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse » ;
17. Considérant que ces dispositions se bornent à prévoir la procédure par laquelle la collectivité territoriale de Corse peut présenter des propositions tendant à ce que le législateur modifie la législation applicable à la Corse ; que, par suite, elles ne transfèrent, par elles-mêmes, à cette collectivité aucune matière relevant du domaine de la loi ;
Quant au IV de l'article L. 4424-2 :
18. Considérant qu'aux termes du IV du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales : « Lorsque l'Assemblée de Corse estime que les dispositions législatives en vigueur ou en cours d'élaboration présentent, pour l'exercice des compétences de la collectivité territoriale, des difficultés d'application liées aux spécificités de l'île, elle peut demander au Gouvernement que le législateur lui ouvre la possibilité de procéder à des expérimentations comportant le cas échéant des dérogations aux règles en vigueur, en vue de l'adoption ultérieure par le Parlement de dispositions législatives appropriées. - La demande prévue à l'alinéa précédent est faite par délibération motivée de l'Assemblée de Corse, prise à l'initiative du conseil exécutif ou de l'Assemblée de Corse après rapport de ce conseil. Elle est transmise par le président du conseil exécutif au Premier ministre et au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale de Corse. - La loi fixe la nature et la portée de ces expérimentations, ainsi que les cas, conditions et délai dans lesquels la collectivité territoriale pourra faire application de ces dispositions. Elle fixe également les modalités d'information du Parlement sur leur mise en oeuvre. L'évaluation continue de cette expérimentation est confiée, dans chaque assemblée, à une commission composée à la représentation proportionnelle des groupes. Cette commission présente des rapports d'évaluation qui peuvent conduire le législateur à mettre fin à l'expérimentation avant le terme prévu. - Les mesures prises à titre expérimental par la collectivité territoriale de Corse cessent de produire leur effet au terme du délai fixé si le Parlement, au vu du rapport d'évaluation qui lui est fourni, n'a pas procédé à leur adoption » ;
19. Considérant que, pour les auteurs des deux saisines, ces dispositions attribueraient à la collectivité territoriale de Corse des compétences ressortissant au domaine de la loi ; que seraient ainsi méconnus le principe de la souveraineté nationale et les articles 3 et 34 de la Constitution ; qu'en habilitant une collectivité territoriale à exercer le pouvoir législatif, le législateur déléguerait sa compétence dans un cas non prévu par la Constitution ; qu'il serait en outre porté atteinte, pour les auteurs des deux saisines, à l'égalité devant la loi et à l'indivisibilité de la République ; que les sénateurs requérants ajoutent que la procédure contestée méconnaîtrait le droit d'initiative attribué aux membres du Parlement par l'article 39 de la Constitution ; qu'ils lui font enfin grief de confier à une commission parlementaire autre que les commissions permanentes prévues à l'article 43 de la Constitution « l'évaluation continue » des mesures prises à titre expérimental par la collectivité territoriale de Corse en application des dispositions critiquées ;
20. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice » ; qu'en vertu du premier alinéa de son article 34 : « La loi est votée par le Parlement » ; qu'en dehors des cas prévus par la Constitution, il n'appartient qu'au Parlement de prendre des mesures relevant du domaine de la loi ; qu'en particulier, en application de l'article 38, seul le Gouvernement « peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi » ; que le législateur ne saurait déléguer sa compétence dans un cas non prévu par la Constitution ;
21. Considérant, en l'espèce, qu'en ouvrant au législateur, fût-ce à titre expérimental, dérogatoire et limité dans le temps, la possibilité d'autoriser la collectivité territoriale de Corse à prendre des mesures relevant du domaine de la loi, la loi déférée est intervenue dans un domaine qui ne relève que de la Constitution ; qu'il y a lieu, dès lors, de déclarer contraire à la Constitution le IV du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, dont les dispositions constituent un ensemble indivisible ; que, par voie de conséquence, doivent être également déclarés contraires à la Constitution les mots « et du IV » figurant à l'article 2 de la loi déférée ;
Sur l'article 7 :
22. Considérant que l'article 7 de la loi déférée insère dans le code de l'éducation un article L. 312-11-1 ainsi rédigé : « La langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires de Corse » ;
23. Considérant que, selon les auteurs des deux saisines, cette disposition imposerait, dans les faits, à tous les élèves l'apprentissage de la langue corse ; qu'il serait ainsi contraire au principe d'égalité ;
24. Considérant que, si l'enseignement de la langue corse est prévu « dans le cadre de l'horaire normal des écoles maternelles et élémentaires », il ne saurait revêtir pour autant un caractère obligatoire ni pour les élèves, ni pour les enseignants ; qu'il ne saurait non plus avoir pour effet de soustraire les élèves aux droits et obligations applicables à l'ensemble des usagers des établissements qui assurent le service public de l'enseignement ou sont associés à celui-ci ;
25. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sous réserve que l'enseignement de la langue corse revête, tant dans son principe que dans ses modalités de mise en oeuvre, un caractère facultatif, l'article 7 n'est contraire ni au principe d'égalité ni à aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle ;
Sur les articles 12 et 13 :
26. Considérant que l'article 12 de la loi déférée insère dans le code général des collectivités territoriales sept articles relatifs à l'application du droit de l'urbanisme en Corse ; que le premier de ces articles institue un « plan d'aménagement et de développement durable de Corse » qui se substitue au schéma d'aménagement de la Corse faisant l'objet des articles L. 144-1 à L. 144-6 du code de l'urbanisme ; que ces derniers articles sont abrogés en conséquence par l'article 13 de la loi déférée ;
27. Considérant que, si les sénateurs requérants font grief aux articles 12 et 13 d'avoir fait disparaître du code de l'urbanisme les dispositions spécifiques à la Corse, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de se prononcer sur l'opportunité du choix de codification ainsi fait par le législateur ; que le choix fait en l'espèce ne méconnaît ni l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, ni aucune autre exigence constitutionnelle ;
Sur les dispositions définissant les compétences de la collectivité territoriale de Corse :
28. Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la loi déférée, la collectivité territoriale de Corse « définit et met en oeuvre la politique culturelle en Corse... » ; que son article 12 confie à l'Assemblée de Corse le soin de déterminer « en tenant compte de la fréquentation touristique de certains sites et de la préservation de l'environnement, les espaces situés dans la bande littorale définie au III de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme dans lesquels peuvent être autorisés (...), dans les conditions que le plan précise, des aménagements légers et des constructions non permanentes destinés à l'accueil du public, à l'exclusion de toute forme d'hébergement, dans le respect des paysages et des caractéristiques propres à ces sites » ; que son article 17 prévoit que la collectivité territoriale de Corse détermine le montant et les modalités d'attribution des aides directes et indirectes aux entreprises ; que son article 18 charge cette collectivité de fixer « les orientations du développement touristique de l'île » et la « politique du tourisme » ; qu'en vertu de son article 19 l'Assemblée de Corse prononcera le classement des stations touristiques mentionnées aux articles L. 2231-1 et L. 2231-3 du code général des collectivités territoriales ; qu'en application de son article 23 le conseil des sites de Corse exerce en Corse les attributions respectivement dévolues à la commission régionale du patrimoine et des sites par l'article 1er de la loi susvisée du 28 février 1997, à la commission spécialisée des unités touristiques nouvelles par l'article 7 de la loi susvisée du 9 janvier 1985 et à la commission départementale des sites, perspectives et paysages par l'article L. 341-16 du code de l'environnement ; que son article 24 reconnaît à la collectivité territoriale de Corse diverses compétences en matière d'environnement, s'agissant de la qualité de l'air, du classement des réserves naturelles, de l'inventaire des monuments naturels et des sites, de la pêche et de la chasse ; que son article 25 l'habilite à déterminer les règles d'organisation et de fonctionnement des comités de massif prévus par la loi susvisée du 9 janvier 1985 ; que son article 26 l'autorise à déterminer la procédure d'élaboration du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux ; que le même article la charge de fixer la composition et les règles de fonctionnement du comité de bassin de Corse et de la « commission locale de l'eau » ; que son article 28 lui attribue la fixation des modalités et des procédures d'élaboration, de publication et de révision des plans d'élimination des déchets ; qu'en vertu de son article 43, la collectivité territoriale de Corse est substituée, sauf délibération contraire, aux offices et à l'agence de tourisme ;
29. Considérant que toutes ces dispositions ne transfèrent à la collectivité territoriale de Corse que des compétences limitées, dans des matières ne relevant pas du domaine de la loi ; qu'elles en définissent précisément le champ d'application, les modalités d'exercice et les organes responsables, dans le respect de la règle énoncée par l'article 34 de la Constitution en vertu de laquelle « La loi détermine les principes fondamentaux (...) de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources » ; que ces compétences devront être mises en oeuvre dans le respect des règles et principes de valeur constitutionnelle, ainsi que dans celui des lois et règlements auxquels il n'est pas explicitement dérogé par la volonté du législateur ; qu'aucune des dispositions contestées ne peut être regardée comme portant atteinte à l'indivisibilité de la République, à l'intégrité du territoire ou à la souveraineté nationale ; qu'elles ne touchent pas aux principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales ni à aucune des matières que l'article 34 de la Constitution a placées dans le domaine de la loi ; qu'en particulier aucune ne méconnaît les compétences propres des communes et des départements ou n'établit de tutelle d'une collectivité territoriale sur une autre ; qu'eu égard aux caractéristiques géographiques et économiques de la Corse, à son statut particulier au sein de la République et au fait qu'aucune des compétences ainsi attribuées n'intéresse les conditions essentielles de mise en oeuvre des libertés publiques, les différences de traitement qui résulteraient de ces dispositions entre les personnes résidant en Corse et celles résidant dans le reste du territoire national ne seraient pas constitutives d'une atteinte au principe d'égalité ;
30. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que doivent être rejetés les griefs des sénateurs requérants qui reprochent aux dispositions susmentionnées de méconnaître, en tout ou partie, l'article 6 de la Déclaration de 1789 et les articles 20, 21, 34 et 72 de la Constitution ;
Sur l'article 52 :
31. Considérant qu'aux termes du I de l'article 52 de la loi déférée : « Les employeurs de main-d'oeuvre agricole installés en Corse au moment de la promulgation de la présente loi peuvent, lorsqu'ils sont redevables de cotisations patronales dues au régime de base obligatoire de sécurité sociale des salariés agricoles pour des périodes antérieures au 1er janvier 1999, bénéficier d'une aide de l'Etat, dans la limite de 50 % du montant desdites cotisations dues » ; que les II et III du même article fixent les conditions auxquelles est subordonnée l'attribution de cette aide ; qu'aux termes du IV : « Pour l'application des I, II et III, la conclusion d'un échéancier de paiement de la dette avec la caisse de mutualité sociale agricole entraîne la suspension des poursuites » ;
32. Considérant que les sénateurs requérants estiment une telle aide contraire au principe d'égalité, dès lors que, selon eux, aucune situation particulière ne justifierait que seuls en bénéficient les exploitants agricoles installés en Corse ;
33. Considérant, d'une part, que l'article 52 n'exonère pas les employeurs de main-d'oeuvre agricole installés en Corse de leur dette à l'égard du régime de sécurité sociale des salariés agricoles ; que l'aide instituée, ainsi qu'il ressort du II de l'article déféré, s'analyse en une subrogation partielle de l'Etat aux employeurs, réservée à ceux d'entre eux qui sont à jour des cotisations afférentes aux périodes postérieures au 31 décembre 1998 et limitée à la moitié du montant des cotisations dues pour des périodes antérieures au 1er janvier 1999 ; que ses bénéficiaires devront s'être acquittés auprès de la caisse de mutualité sociale agricole de Corse « soit d'au moins 50 % de la dette relative aux cotisations patronales de sécurité sociale antérieures au 1er janvier 1999, soit, pour ces mêmes cotisations, des échéances correspondant au moins aux huit premières années du plan, dans le cas où la caisse a accordé l'étalement de la dette sur une période qui ne peut excéder quinze ans » ; qu'ils devront en outre « être à jour de la part salariale des cotisations de sécurité sociale visées par l'aide, ou s'engager à son paiement intégral par la conclusion d'un échéancier signé pour une durée maximale de deux ans entre l'exploitant et la caisse » ;
34. Considérant, d'autre part, que la mesure est édictée dans la perspective d'un redressement de l'agriculture corse dont le législateur a pu estimer la situation dégradée au regard d'indicateurs objectifs, tels que le revenu moyen par exploitation ;
35. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'aide instituée par l'article 52 est fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec le but d'intérêt général poursuivi par le législateur ; que doit être en conséquence rejeté le grief tiré d'une rupture d'égalité en faveur des employeurs de main-d'oeuvre agricole installés en Corse ;
36. Considérant qu'il n'y a lieu, pour le Conseil constitutionnel, de soulever d'office aucune question de conformité à la Constitution,
Décide :


Art. 1er. - Sont déclarés contraires à la Constitution :
- le IV de l'article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de l'article 1er de la loi déférée ;
- les mots « et du IV » figurant à l'article 2 de ladite loi.


Art. 2. - Sont déclarés conformes à la Constitution :
- sous la réserve énoncée au considérant 13, les autres dispositions de l'article 1er de la loi déférée ;
- sous les réserves énoncées aux considérants 24 et 25, son article 7.


Art. 3. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 janvier 2002, où siégeaient : MM. Yves Guéna, président, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Olivier Dutheillet de Lamothe, Pierre Joxe, Pierre Mazeaud, Mmes Monique Pelletier, Dominique Schnapper et Simone Veil.

Le président,
Yves Guéna