Le Conseil d'Etat (section du contentieux, 2e et 1re sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 2e sous-section de la section du contentieux,
Vu, enregistré le 23 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 16 janvier 2001 par lequel le tribunal administratif de Caen, avant de statuer sur la demande de M. Gaston Adelee tendant à la condamnation conjointe et solidaire de la société France Télécom et de la commune de Cagny à lui verser une indemnité en réparation du préjudice corporel imputable à une chute dont il a été victime du fait de la saillie formée sur un trottoir par le couvercle d'un ouvrage des télécommunications, a décidé, en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question de savoir si les modifications apportées à la loi no 90-568 du 2 juillet 1990 par la loi no 96-660 du 26 juillet 1996 et relatives à la transformation de la personne morale de droit public France Télécom en entreprise nationale à compter du 31 décembre 1996, accompagnée du transfert des biens, y compris ceux qui relevaient du domaine public déclassés à la même date, font obstacle depuis leur entrée en vigueur, pour l'application des dispositions de l'article 25 de la loi du 2 juillet 1990, à ce qu'un ouvrage du réseau public des télécommunications puisse être regardé comme ayant le caractère d'un ouvrage public ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des postes et télécommunications ;
Vu la loi no 90-568 du 2 juillet 1990, modifiée notamment par la loi no 96-660 du 26 juillet 1996 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Verot, auditeur ;
- les observations de Me Delvolvé, avocat de la société France Télécom ;
- les conclusions de Mme Prada Bordenave, commissaire du Gouvernement,
Rend l'avis suivant :
Aux termes de l'article 1er-1 ajouté à la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications par la loi no 96-660 du 26 juillet 1996 : « 1. La personne morale de droit public France Télécom (...) est transformée à compter du 31 décembre 1996 en entreprise nationale dénommée France Télécom, dont l'Etat détient directement plus de la moitié du capital social. Cette entreprise est soumise aux dispositions de la présente loi en tant que celle-ci concerne l'exploitant public France Télécom et, dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la présente loi, aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes ; 2. Les biens, droits et obligations de la personne morale de droit public France Télécom sont transférés de plein droit, au 31 décembre 1996, à l'entreprise nationale France Télécom (...). Les biens de la personne morale de droit public France Télécom relevant du domaine public sont déclassés à la même date (...). » Aux termes de l'article 25 de la loi du 2 juillet 1990 : « Les relations de La Poste et de France Télécom avec leurs usagers, leurs fournisseurs et les tiers sont régies par le droit commun. Les litiges auxquels elles donnent lieu sont portés devant les juridictions judiciaires, à l'exception de ceux qui relèvent, par leur nature, de la juridiction administrative. »
Aux termes de l'article L. 35 du code des postes et télécommunications, dans sa rédaction issue de la loi no 96-659 du 26 juillet 1996 : « Le service public des télécommunications est assuré dans le respect des principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité. Il comprend : a) Le service universel des télécommunications défini, fourni et financé dans les conditions fixées aux articles L. 35-1 à L. 35-4 ; b) Les services obligatoires de télécommunications offerts dans les conditions fixées à l'article L. 35-5 (...). » Le I de l'article L. 35-2 dispose que : « Peut être chargé de fournir le service universel tout opérateur en acceptant la fourniture sur l'ensemble du territoire national et capable de l'assurer. France Télécom est l'opérateur public chargé du service universel. » Selon le II de l'article L. 35-3 : « Le financement des coûts imputables aux obligations de service universel est assuré par les exploitants de réseaux ouverts au public et par les fournisseurs de services téléphoniques au public. »
Aux termes du I de l'article L. 33-1 du code des postes et télécommunications : « L'établissement et l'exploitation des réseaux ouverts au public sont autorisés par le ministre chargé des télécommunications (...). »
Si elle est chargée, en vertu des prescriptions législatives précitées, de l'exécution d'une mission de service public, qui consiste notamment en la fourniture du service universel des télécommunications à toute personne et sur l'ensemble du territoire national, la société France Télécom est une personne morale de droit privé, dont le fonctionnement relève, sauf dispositions particulières contraires, du droit privé. Son réseau de télécommunications ouvert au public est soumis au régime qui est déterminé par le code des postes et télécommunications pour tous les opérateurs autorisés à installer et à exploiter un réseau ouvert au public, notamment en ce qui concerne la protection pénale définie pour les installations, les droits de passage sur le domaine public routier, les servitudes sur les propriétés privées et les modalités d'une utilisation partagée des installations. De surcroît, comme le montrent les dispositions du 2 de l'article 1er bis de la loi du 2 juillet 1990, le législateur a entendu mettre fin à la protection particulière dont bénéficiaient les biens de la personne morale de droit public France Télécom.
Il résulte de ce qui précède que, quelles que soient les dates auxquelles ils ont été entrepris et achevés, les ouvrages immobiliers appartenant à la société France Télécom ne présentent plus, depuis le 31 décembre 1996, le caractère d'ouvrages publics. Il n'en est autrement que pour ceux qui sont incorporés à un ouvrage public tel qu'une voie publique et qui en constituent une dépendance.
Le présent avis sera notifié au président du tribunal administratif de Caen, à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados, à la société France Télécom, à la commune de Cagny et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.
(1) Avis no 229486 du 11 juillet 2001.