J.O. Numéro 293 du 19 Décembre 2000       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Avis rendu par le Conseil d'Etat sur des questions de droit posées par un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel (1)


NOR : CETX0004547V




Le Conseil d'Etat (section du contentieux),
Sur le rapport de la 3e sous-section de la section du contentieux,
Vu, enregistré le 28 juillet 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 13 juillet 2000 par lequel le tribunal administratif de Pau, avant de statuer sur les demandes de la société L & P Publicité SARL tendant à l'annulation de deux arrêtés du maire de Bayonne en date du 7 décembre 1998 mettant en demeure cette société de déposer deux panneaux publicitaires, a décidé, en application des dispositions de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat en soumettant à son examen les questions de savoir : 1o Si, lorsque l'administration prend une décision de police affectant directement les activités économiques dans un secteur concurrentiel, elle doit, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, tenir compte des règles de la concurrence ; 2o Si, dans l'affirmative, la réglementation locale de l'affichage en zone de publicité restreinte permise par l'article 10 de la loi du 29 décembre 1979 - qui peut aboutir par la limitation du nombre de panneaux d'affichage à conférer, sur une zone urbaine éventuellement étendue, une position dominante à un nombre restreint d'entreprises d'affichage - peut être regardée comme affectant de façon suffisamment directe l'activité économique de l'affichage pour imposer que, lorsqu'il réglemente la publicité dans cette zone, le maire de la commune tienne compte des règles de la concurrence ; 3o Et si, dans l'affirmative, le souci de limiter le développement de l'affichage publicitaire dans les conditions permises par la loi du 29 décembre 1979 doit être assujetti à cette prise en compte des règles de concurrence ou, au contraire, peut justifier le maintien d'une position dominante dont le ou les titulaires sont ensuite mis en mesure d'abuser ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi no 79-1150 du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes ;
Vu l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et à la concurrence ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance no 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret no 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Laigneau, maître des requêtes ;
- les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, avocat de la société L & P Publicité SARL et du Syndicat national de la publicité extérieure et de la SCP Gatineau, avocat de l'Union de la publicité extérieure ;
- les conclusions de M. Austry, commissaire du Gouvernement,
Rend l'avis suivant :
1. Dès lors que l'exercice de pouvoirs de police administrative est susceptible d'affecter des activités de production, de distribution ou de services, la circonstance que les mesures de police ont pour objectif la protection de l'ordre public ou, dans certains cas, la sauvegarde des intérêts spécifiques que l'administration a pour mission de protéger ou de garantir n'exonère pas l'autorité investie de ces pouvoirs de police de l'obligation de prendre en compte également la liberté du commerce et de l'industrie et les règles de concurrence. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier la légalité de ces mesures de police administrative en recherchant si elles ont été prises compte tenu de l'ensemble de ces objectifs et de ces règles et si elles en ont fait, en les combinant, une exacte application.
2. La réglementation locale de l'affichage en zone de publicité restreinte peut, en vertu de l'article 10 de la loi du 29 décembre 1979 relative à la publicité, aux enseignes et préenseignes, « déterminer dans quelles conditions et sur quels emplacements la publicité est seulement admise » et « interdire la publicité ou des catégories de publicité définies en fonction des procédés et dispositifs utilisés ». Tout en ayant pour objectif la protection du cadre de vie, elle est susceptible d'affecter l'activité économique de l'affichage. Dès lors, un maire, lorsqu'il réglemente cette activité dans une zone de publicité restreinte, doit prendre en compte la liberté du commerce et de l'industrie et les règles de concurrence, dans les conditions mentionnées ci-dessus.
3. Si la réglementation locale de l'affichage en zone de publicité restreinte ne peut légalement avoir par elle-même pour objet de créer une position dominante sur un marché pertinent, elle peut avoir un tel effet, notamment par la limitation du nombre des emplacements d'affichage. Toutefois, la création d'une position dominante par l'effet de la réglementation locale de l'affichage en zone de publicité restreinte n'est incompatible avec le respect des dispositions relatives à la concurrence que si cette réglementation conduit nécessairement à l'exploitation de la position dominante de manière abusive. Il résulte de ce qui précède qu'il appartient au maire, lorsqu'il réglemente la publicité sur le territoire de sa commune, de veiller à ce que les mesures de police prises par lui ne portent aux règles de concurrence que les atteintes justifiées au regard des objectifs de la réglementation de l'affichage.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Pau, à la société L & P Publicité SARL, à la commune de Bayonne, au ministre de l'intérieur et au ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.


(1) Avis no 2236-45 du 22 novembre 2000.