L'Autorité de régulation des télécommunications,
Vu la directive 97/13/CE du Parlement européen et du Conseil du 10 avril 1997 relative à un cadre commun pour les autorisations générales et les licences individuelles dans le secteur des services de télécommunications ;
Vu la directive 97/33/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 1997 relative à l'interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d'assurer un service universel et l'interopérabilité par l'application des principes de fourniture d'un réseau ouvert (ONP) à la téléphonie vocale et l'établissement d'un service universel des télécommunications dans un environnement concurrentiel ;
Vu le code des postes et télécommunications, et notamment son article L. 36-5 ;
Vu l'avis no 99-582 de l'Autorité de régulation des télécommunications en date du 7 juillet 1999 sur les décisions tarifaires de France Télécom no 99077 E relative à la création des services Netissimo et Turbo IP et no 99078 E relative à l'expérimentation du service Turbo LL ;
Vu l'avis no 2000-28 de l'Autorité de régulation des télécommunications en date du 7 janvier 2000 relatif à la demande d'avis du Conseil de la concurrence sur la saisine et la demande de mesures conservatoires présentées par 9 Télécom relatives à certaines pratiques de France Télécom sur le marché des services d'accès à Internet haut débit via les technologies xDSL ;
Vu l'avis no 2000-347 de l'Autorité de régulation des télécommunications en date du 5 avril 2000 sur l'avant-projet de loi relatif au dégroupage de la boucle locale ;
Vu l'avis de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications en date du 12 juillet 2000 sur l'avant-projet de décret modifiant le code des postes et télécommunications et relatif à l'accès à la boucle locale ;
Vu la demande d'avis du secrétariat d'Etat à l'industrie, reçue le 7 juillet 2000 ;
France Télécom, représentée par son président M. Michel Bon, et l'AFOPT, représentée par son président M. Richard Lalande, ayant été entendues le 18 juillet 2000 ;
Après en avoir délibéré le 21 juillet 2000,
L'avant-projet de décret, transmis pour avis à l'Autorité, a pour objet de modifier la partie Réglementaire du code des postes et télécommunications, afin d'y insérer des dispositions spécifiques relatives au dégroupage de la boucle locale.
I. - Le contexte
L'Autorité a eu l'occasion à plusieurs reprises de souligner l'importance de la mise en place du dégroupage de la boucle locale.
Depuis l'ouverture à la concurrence du marché des télécommunications au 1er janvier 1998, les opérateurs alternatifs n'ont majoritairement développé qu'une activité liée à l'acheminement et à la fourniture du service téléphonique longue distance. Au fur et à mesure du déploiement d'infrastructures de transmission par les opérateurs, de nombreuses offres, rendues disponibles par la sélection du transporteur et l'interconnexion au réseau de France Télécom, ont vu le jour au bénéfice des consommateurs.
Sur le marché de la boucle locale, estimé à 56 milliards de francs en 1999, l'ouverture à la concurrence est restée limitée au déploiement de boucles optiques de raccordement d'entreprises sur des zones à fort potentiel et au développement sur le câble de services d'accès à Internet et de services téléphoniques ; la concurrence devrait néanmoins s'intensifier avec l'attribution des licences de boucle locale radio.
Toutefois, le déploiement de ces infrastructures alternatives se réalisera sans doute, en raison des investissements qu'il implique, de manière progressive. Dans ces conditions, et de manière complémentaire, l'utilisation du réseau local existant présente un intérêt majeur pour stimuler la concurrence sur le marché de la boucle locale.
Par ailleurs, les technologies xDSL, qui permettent la fourniture, sur les lignes téléphoniques, de services à haut débit, sont aujourd'hui parvenues à maturité. Comme l'Autorité l'a souligné dans son avis no 99-582 du 7 juillet 1999 relatif aux services Netissimo et Turbo IP ainsi que dans son avis au Conseil de la concurrence no 2000-28 en date du 7 janvier 2000 relatif à la saisine de 9 Télécom, l'utilisation de la boucle locale existante permettra aux opérateurs de fournir, dans des délais raisonnables, des offres innovantes au plus grand nombre ; en particulier, elle contribuera de manière significative à la généralisation de l'accès à Internet à haut débit en France et au développement de la société de l'information.
Au niveau communautaire, le Conseil européen, qui s'est tenu les 23 et 24 mars 2000 à Lisbonne, a appelé les Etats membres à « oeuvrer avec la Commission, en vue d'introduire une concurrence accrue au niveau de l'accès local au réseau avant la fin de l'an 2000 et de dégrouper les boucles locales de manière à permettre une réduction substantielle des coûts de l'utilisation d'internet ». C'est dans cette perspective que la Commission a adopté le 26 avril 2000 une recommandation (COM2000 1059) demandant aux Etats membres de « prendre les mesures législatives et réglementaires appropriées, pour que le dégroupage total de l'accès à la boucle locale soit obligatoire au plus tard le 31 décembre 2000 » et qu'une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif au dégroupage de l'accès à la boucle locale (COM2000 394) vient d'être adoptée le 12 juillet 2000 par la Commission. A cet égard, notamment l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie, le Danemark et les Pays-Bas disposent aujourd'hui d'un cadre réglementaire obligeant l'opérateur historique à fournir l'accès à la boucle locale.
En France, l'Autorité a, depuis plus de deux ans, pris plusieurs initiatives en concertation avec France Télécom et les opérateurs concurrents, pour favoriser une mise en place du dégroupage dans de bonnes conditions. La consultation publique menée en 1999 a permis d'en mesurer les enjeux et de proposer des solutions techniques. Depuis février 2000, la définition des conditions de sa mise en oeuvre détaillée fait l'objet de travaux intensifs dans un groupe de travail associant, sous l'égide de l'Autorité, France Télécom, opérateurs concurrents et industriels ; des expérimentations menées par une trentaine d'acteurs sont actuellement en cours sur plusieurs sites du réseau de France Télécom.
Ainsi, le processus d'introduction du dégroupage en France est significativement avancé sur un plan technique et opérationnel et les acteurs sont aujourd'hui en mesure de préparer leurs futures offres avec l'objectif d'une ouverture commerciale au 1er janvier 2001. L'adoption, à court terme, d'un texte réglementaire définissant le cadre juridique et les principes de mise en oeuvre du dégroupage leur apportera la sécurité juridique et la visibilité nécessaire à la planification de leurs investissements.
L'Autorité rappelle que la boucle locale est détenue dans sa quasi-totalité par France Télécom et que l'introduction de la concurrence sur ce marché ne pourra se faire sans qu'un cadre réglementaire précis n'ait été défini dans lequel pourra s'exercer une régulation souple, efficace et équilibrée. Dans un contexte d'ouverture du marché de même nature que celui des services de téléphonie fixe dont la libéralisation n'a pu se réaliser depuis 1998 que par l'emploi des outils juridiques de la régulation de l'interconnexion, la mise en oeuvre effective du dégroupage de la boucle locale nécessite des outils juridiques de même nature. L'Autorité constate que l'avant-projet de décret place l'accès à la boucle locale sous le régime de l'interconnexion. Ce texte reprend l'ensemble des dispositions du projet de loi sur lequel l'Autorité avait rendu un avis favorable le 5 avril 2000.
L'Autorité souligne l'importance du présent texte et souhaite que les dispositions nécessaires à sa mise en oeuvre soient prises rapidement en cohérence avec les engagements pris par la France au niveau communautaire.
Avant de formuler des remarques détaillées sur l'avant-projet de décret, l'Autorité souhaite rappeler les principes qui permettront l'introduction du dégroupage de la boucle locale en favorisant la concurrence et l'innovation. Ces principes portent sur les différentes formes d'accès à la boucle locale, notamment l'accès partagé et sur les méthodes de tarification. Ils sont conformes à la proposition de règlement adoptée par la Commission le 12 juillet.
II. - Les diverses formes d'accès à la boucle locale
La consultation publique qui s'est déroulée en 1999 a mis en évidence que le dégroupage total de la paire de cuivre nue et l'accès au circuit virtuel permanent étaient les solutions d'accès à la boucle locale jugées indispensables et complémentaires par les différents opérateurs qui désirent proposer des offres alternatives à celles de l'opérateur historique notamment sur le marché de l'accès à Internet à haut débit.
Les débats qui se sont poursuivis en France sur les conditions de mise en oeuvre du dégroupage et au niveau communautaire, en particulier lors des consultations publiques menées par la Commission qui ont abouti à la recommandation du 26 avril 2000 sur l'accès à la boucle locale et au projet de règlement du 12 juillet 2000, ont souligné la nécessité d'une solution fondée sur un partage de la paire de cuivre entre l'opérateur historique et l'opérateur nouvel entrant.
L'Autorité a, notamment dans les avis susmentionnés, exposé les raisons pour lesquelles elle estime que le dégroupage total de la paire de cuivre et l'accès au circuit virtuel permanent doivent être fournis par l'opérateur historique et de façon complémentaire ; elle rappelle que la fourniture d'un accès au circuit virtuel permanent ne requiert pas de modification du cadre réglementaire existant puisqu'elle est déjà couverte par les dispositions relatives à l'interconnexion et n'entre donc pas dans le champ du projet de décret.
L'Autorité souligne que l'obligation d'accès à la boucle locale doit couvrir non seulement l'accès exclusif à la paire de cuivre nue mais aussi l'accès partagé, défini dans la proposition de règlement de la Commission comme « un accès aux fréquences non vocales du spectre sur une paire utilisée par l'opérateur historique pour fournir un service téléphonique de base ».
1. Les enjeux du partage de ligne
L'enjeu du partage de ligne est le développement d'un marché effectivement concurrentiel sur le segment résidentiel de l'accès rapide à Internet. Pour des raisons économiques et opérationnelles, il est en effet probable que, sans cette solution, les opérateurs utiliseront le dégroupage pour faire des offres essentiellement à une clientèle PME/PMI et grands comptes.
Aspects économiques et concurrentiels
Le partage de ligne permet aux opérateurs alternatifs d'offrir des services d'accès rapide à Internet dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles France Télécom propose actuellement ses services ADSL. L'Autorité a déjà eu l'occasion dans ses différents avis susmentionnés de souligner les enjeux du marché de l'accès à Internet haut débit.
En l'absence de partage de ligne, dans la mesure où, dans la majeure partie des cas, la ligne principale de l'abonné est utilisée pour le service téléphonique, l'opérateur devrait commander une deuxième paire à France Télécom pour fournir des services à haut débit, deuxième paire qui n'existe évidemment pas dans le réseau local pour l'ensemble des abonnés. Il aurait alors à supporter les délais éventuels de construction, le coût de mise à disposition et d'utilisation d'une deuxième paire alors que le coût d'utilisation de la paire de cuivre supporté par France Télécom lorsqu'elle offre ses propres services ADSL pourrait être relativement faible, l'abonnement téléphonique en couvrant déjà une large part.
Aspects opérationnels
Les offres d'accès rapide à Internet avec les technologies ADSL se développent avec un souci de simplification d'utilisation par l'abonné. En particulier, elles visent à s'affranchir d'une intervention chez l'abonné (installation d'un filtre par l'opérateur chez l'abonné) pour atteindre un degré de simplicité équivalent à celui de l'installation d'un accès commuté à Internet (modem + kit de connexion). Ces technologies (filtres distribués et ADSL Lite) sont en cours d'élaboration et seront disponibles prochainement.
Sans partage de ligne, une offre ne serait proposée par un opérateur alternatif qu'aux abonnés pour lesquels une deuxième ligne pourrait être fournie et, en tout état de cause, elle comporterait l'installation par France Télécom de cette deuxième ligne (et ses conséquences en termes de délais et de prise de rendez-vous avec l'abonné), voire une modification du câblage intérieur chez l'utilisateur. Elle aura alors peu d'attrait en comparaison d'une solution simple se limitant pour l'abonné à une banale installation de modem.
2. La mise en oeuvre du partage de ligne
Plusieurs solutions techniques existent pour mettre en oeuvre le partage de ligne. Lors de son audition, France Télécom a indiqué qu'elle privilégiait une solution consistant à coupler l'accès partagé et la revente du service téléphonique fourni par France Télécom.
Cette solution est particulièrement contraignante pour les opérateurs entrants dans la mesure où elle les oblige à vendre du service téléphonique en plus des services internet à haut débit ; par ailleurs, elle ne facilite pas, contrairement aux arguments avancés par France Télécom, la mise en oeuvre technique de la solution du partage de ligne.
Dans sa communication du 26 avril 2000, la Commission détaille la solution technique qu'elle préconise pour le partage de ligne ; cette solution est sensiblement différente de celle que France Télécom semble prête à mettre en oeuvre.
Descriptif technique des deux solutions
(Cf. schémas en annexe I)
La solution « Commission »
La solution décrite dans la communication de la Commission consiste :
- pour l'opérateur historique, à fournir le service téléphonique sur la paire de cuivre de l'abonné ;
- pour l'opérateur alternatif à offrir, sur cette même paire, un service de données en utilisant des signaux sur des fréquences plus hautes que celles utilisées pour le service téléphonique.
Il s'agit précisément de la solution mise en oeuvre par France Télécom actuellement pour ses propres besoins, le service Netissimo (service proposé par France Télécom fondé sur la technologie ADSL) étant fourni sur la même paire que celle utilisée pour le service téléphonique.
Pour mettre en place cette solution, deux filtres passifs doivent être installés, l'un chez l'abonné, l'autre sur le site du répartiteur principal. Au niveau du répartiteur, le filtre permet de séparer les basses fréquences et les hautes fréquences. Sur le plan technique et afin d'assurer l'intégrité du service téléphonique, il est souhaitable, comme la FCC l'a d'ailleurs indiqué dans ses récentes décisions, que le filtre installé sur le site du répartiteur soit choisi et géré par l'opérateur historique.
La solution avancée par France Télécom
La solution que France Télécom propose comme alternative à la solution de la commission consiste, pour l'opérateur entrant, à :
- demander le dégroupage de la paire principale de l'abonné ;
- raccorder techniquement la paire au commutateur de France Télécom et acheminer le service téléphonique de France Télécom sur les basses fréquences jusqu'au commutateur ;
- faire une offre de service téléphonique au client fondée sur la revente du service téléphonique de France Télécom ;
- fournir son service de données sur les hautes fréquences.
Dans cette configuration, la paire n'est en réalité pas partagée entre les deux opérateurs : les services de données et le service téléphonique sont fournis par l'opérateur alternatif.
En revanche, l'opérateur n'a pas à constituer un réseau téléphonique commuté puisqu'il revend le service téléphonique de France Télécom (les communications sont acheminées sur le réseau de France Télécom).
Sur un plan technique, cette solution nécessite deux filtres passifs, l'un chez l'abonné, l'autre géré cette fois par l'opérateur alternatif, et situé dans son espace de colocalisation sur le site du répartiteur principal.
Eléments de comparaison des deux solutions
Du point de vue de la dynamique des offres
d'accès à internet haut débit
Le principal objectif poursuivi au travers de l'introduction du partage est de favoriser l'émergence d'offres d'accès à internet à haut débit concurrentes de celles de France Télécom pour les clients résidentiels et les petites entreprises.
Or, dans le partage tel qu'il est proposé par France Télécom, l'opérateur entrant devra assurer les fonctions de vente du service téléphonique : facturation, gestion des abonnés, création de marque, marketing et déploiement de forces de vente.
Cette solution impose aux opérateurs d'intervenir sur un marché qu'ils n'ont pas nécessairement l'intention de couvrir au moyen du dégroupage et les opérateurs ne souhaitant faire des offres que sur le marché de l'accès à internet à haut débit seraient pénalisés. Le fait que France Télécom impose aux opérateurs un couplage de leurs offres d'accès à internet haut débit et de la revente de son service téléphonique pourrait freiner l'émergence d'offres d'accès à internet haut débit, et irait à l'encontre de l'établissement d'une concurrence saine sur chacun de ces deux marchés.
Du point de vue du consommateur
La solution « Commission » n'oblige pas le client qui souhaite bénéficier d'un accès internet à haut débit à changer en même temps de prestataire du service téléphonique, contrairement à la solution de France Télécom. L'abandon du service téléphonique de l'opérateur historique peut constituer un frein au développement des offres d'accès à internet à haut débit et il paraît essentiel que le libre choix du client, sur ces deux services distincts, soit préservé.
Par ailleurs, un tel dispositif conduisant les opérateurs entrants, vis-à-vis de leurs futurs clients, à subordonner la fourniture de services haut débit à la fourniture concomitante du service téléphonique mettrait ces opérateurs en infraction avec l'article L. 122-1 du code de la consommation prohibant la subordination de ventes ou de prestations de services.
Sur les difficultés techniques et opérationnelles
La solution « Commission » permet d'assurer une meilleure qualité au service téléphonique que la solution avancée par France Télécom :
- dans la solution « Commission », le filtre est géré par France Télécom, et l'ensemble des éléments qui interviennent dans la fourniture du service téléphonique sont installés et maintenus par France Télécom ; il y a donc peu de risque de dégradation de la qualité du service ;
- dans la solution avancée par France Télécom, les communications téléphoniques sont acheminées par France Télécom, et le filtre est géré par l'opérateur alternatif. Les deux opérateurs sont techniquement parties prenantes dans la fourniture du service téléphonique. A cet égard, on peut rappeler l'analyse de la FCC (FCC 99-355) qui a indiqué qu'il était souhaitable que le filtre soit géré par l'opérateur historique pour éviter tout risque de dégradation de la qualité du service téléphonique et tout risque d'atteinte à la vie privée.
En terme de maintenance, la coexistence des services de deux opérateurs différents sur la même paire dans le cas de la solution « Commission » peut créer quelques complications dans la gestion des pannes et surtout dans la mise en place de tests. Ce risque est toutefois à tempérer : France Télécom fournit aujourd'hui deux services différents sur la même paire et a dû mettre en place un système de gestion de panne permettant de distinguer celles relatives à l'un ou l'autre des services. Elle a, par ailleurs, déjà des relations de coordination similaires à assurer puisque les services d'accès à internet à haut débit sont fournis aujourd'hui directement par des ISP qui gèrent leurs abonnés.
Sur le plan économique et tarifaire
Le tarif supporté par l'opérateur entrant pour l'utilisation partagée de la paire de cuivre devra faire l'objet d'une analyse fine, pour évaluer les coûts devant être alloués à cette utilisation ; en effet, s'il peut être considéré que les coûts liés directement à la ligne sont au moins en partie déjà couverts par l'abonnement, des coûts spécifiques supplémentaires (filtre, entretien des filtres, raccordements des filtres sur le répartiteur, coûts de système d'information, colocalisation...) doivent cependant être pris en compte. Ce raisonnement est celui décrit dans la décision de la FCC et conduit à un tarif permettant à France Télécom de couvrir ses coûts.
Dans la solution proposée par France Télécom, un élément supplémentaire fait l'objet de reversements entre France Télécom et l'opérateur, puisque ce dernier achète et revend au client le service téléphonique de France Télécom ; l'économie de l'opérateur entrant et sa capacité à intervenir sur le marché dépend alors pour partie du tarif de revente consenti par France Télécom puisque l'opérateur devra nécessairement être en mesure de faire des tarifs compétitifs, y compris sur le service téléphonique. La préservation des conditions de concurrence impliquerait, au moins dans une phase initiale, d'exercer une régulation ex ante de ce tarif de revente, régulation difficilement compatible avec le régime de contrôle tarifaire existant.
France Télécom avance que le partage de ligne recommandé par la Commission pourra être utilisé par un opérateur pour fournir non seulement un service d'accès à Internet mais aussi un service téléphonique avec la technologie ADSL en ne supportant que le tarif correspondant au partage de ligne.
Cette crainte est infondée pour les raisons suivantes :
- si l'abonné ne résilie pas son abonnement à France Télécom et utilise l'ADSL pour acheminer ses communications téléphoniques, France Télécom continuera à percevoir l'abonnement mensuel et la rémunération pour l'usage partagé de la ligne ;
- dans le cas où l'abonné résilie son abonnement téléphonique à France Télécom, les procédures opérationnelles relatives au partage de ligne devront prévoir que l'abonné transmette sa résiliation à France Télécom qui serait alors en droit de demander à l'opérateur de commander en lieu et place du partage le dégroupage total de la ligne (c'est-à-dire son transfert) et de payer les tarifs correspondants.
Au demeurant, le scénario décrit par France Télécom, où l'ensemble du trafic voix basculerait à court ou moyen terme sur les technologies ADSL et serait fourni à un coût marginal, est peu crédible. La mise en place d'un tel service nécessite, outre les technologies d'accès, un investissement non négligeable dans le coeur de réseau lui-même, en particulier en termes de passerelles permettant de communiquer avec le réseau téléphonique commuté classique. La réalité du marché actuel de la téléphonie sur IP par rapport aux prévisions d'il y a deux ans est là pour tempérer cette crainte.
Conclusion
Pour ces différentes raisons, la solution proposée par France Télécom ne semble pas de nature à favoriser l'émergence d'offres alternatives d'accès rapide à Internet dans de bonnes conditions.
La solution proposée par la Commission et aujourd'hui mise en oeuvre aux Etats-Unis permet d'envisager le développement d'offres d'accès à haut débit à des tarifs compétitifs, en particulier sur le marché résidentiel.
III. - Sur la tarification du dégroupage
Les règles en matière d'évaluation des coûts et de tarification, telles que précisées dans le considérant 8 de la proposition de règlement « doivent être transparentes, non discriminatoires et objectives de manière à garantir une certaine équité. Les règles en matière de tarification doivent permettre au fournisseur de la boucle locale de couvrir les coûts qu'il a engagés tout en retirant une rémunération raisonnable. Elles doivent promouvoir une concurrence loyale et durable et permettre d'éviter toute distorsion de la concurrence ».
Le projet de décret dispose que les coûts d'accès à la boucle locale « tiennent compte notamment des coûts de renouvellement des lignes d'abonnés ». Dans son avis du 5 avril 2000 relatif au projet de loi, l'Autorité s'était prononcée favorablement sur cette disposition.
La tarification de l'accès à la boucle locale doit en effet contribuer à financer le renouvellement normal du réseau de France Télécom. Cet opérateur engage annuellement des investissements destinés, d'une part, à renouveler les infrastructures existantes et, d'autre part, à répondre à l'accroissement de la demande en lignes nouvelles. Il est légitime que ces investissements soient financés à travers la tarification du dégroupage et, quelle que soit la tarification retenue, elle doit permettre de contribuer aux coûts de renouvellement des lignes.
Plusieurs modes d'évaluation des coûts ont été exposés dans le cadre des travaux conduits par l'Autorité avec les opérateurs.
Les coûts de remplacement
Cette évaluation, défendue par France Télécom, s'appuie sur l'amortissement économique d'un réseau valorisé à neuf, en utilisant les technologies actuellement disponibles, mais sans remettre en cause l'architecture du réseau ni le niveau de capacités installées et en reprenant les coûts d'exploitation constatés dans la comptabilité de l'opérateur.
Cette reconstruction à l'identique du réseau est contestée par les opérateurs entrants, qui observent qu'alors il conviendrait de prendre en compte un réseau tel qu'il serait aujourd'hui reconstruit avec les technologies disponibles. Il paraît de même surprenant que, dans le cadre d'une telle évaluation, les coûts d'exploitation soient ceux constatés dans les comptes, dans la mesure où la mise en oeuvre complète de technologies actuelles induit nécessairement une amélioration des conditions d'exploitation.
Sur le fond, cette évaluation, appliquée de manière systématique à tous les actifs du réseau, conduirait à faire supporter aux nouveaux entrants la valeur du réseau et non le coût effectivement supporté par France Télécom ; deux conséquences importantes doivent en être tirées :
- une telle application des coûts de remplacement entre en contradiction avec l'intérêt économique même du dégroupage en faisant supporter aux nouveaux entrants la totalité des coûts de reconstruction d'un réseau à l'identique, conduisant à dupliquer les infrastructures : l'avantage économique pour la collectivité de faire usage d'une infrastructure existante dont une partie des coûts sont échus n'est pas obtenu ;
- dans la mesure où France Télécom devrait nécessairement s'appliquer à elle-même de tels prix, ce sont tous les consommateurs qui subiraient in fine des prix élevés, France Télécom bénéficiant d'une rente dégagée sur une infrastructure essentielle dont elle est la seule détentrice.
Ainsi, l'incitation à l'investissement ne conduirait pas à un résultat satisfaisant si elle avait pour effet, par la duplication inutile d'infrastructures ou par la fixation de tarifs y correspondant, la captation de ressources au détriment de l'investissement dans les technologies porteuses d'innovation, de nouveaux services et par là de croissance.
C'est donc sur ce dernier marché qu'il y a lieu d'inciter l'ensemble des opérateurs, France Télécom compris, à développer la valeur dans un contexte concurrentiel.
Au demeurant, la construction de coûts de référence à partir de modèles économiques constitue en soi une opération techniquement lourde, dont la bonne fin et la crédibilité requièrent la détermination dans un cadre concerté de paramètres clés tels que la durée de vie économique des infrastructures et des équipements, ou le taux de progrès technique. Or, à ce stade, France Télécom ne s'est pas engagée à présenter de manière ouverte son modèle ainsi que la justification des hypothèses ou paramètres employés.
Les coûts comptables prévisionnels
Cette seconde évaluation est d'ores et déjà mise en oeuvre pour la tarification de l'interconnexion et pour le calcul du coût du service universel ; elle est donc opérationnelle. Elle s'appuie sur un dispositif comptable et technique ainsi que sur des valeurs auditées, et est, de ce fait, opposable aux tiers.
Les coûts prévisionnels comptables reflètent le plus précisément possible les coûts effectivement encourus par l'opérateur fournissant l'accès : ils prennent en compte le capital immobilisé ainsi que la dépréciation des actifs correspondant à la fois aux investissements passés et à ceux de renouvellement du réseau de l'opérateur ; ils permettrent donc une juste rémunération de l'opérateur titulaire de l'infrastructure.
En cela, ils sont pleinement conformes au projet de règlement européen qui précise, en son considérant 8, que « les règles de tarification doivent permettre au fournisseur de la boucle locale de couvrir les coûts qu'il a engagés tout en retirant de l'opération une rémunération raisonnable ». Un tel dispositif renvoie précisément à la mise en oeuvre des coûts comptables prévisionnels, la rémunération raisonnable découlant du taux de rémunération du capital.
De plus, l'article 4 du même projet de règlement précise que les autorités réglementaires nationales veillent à ce que les règles de tarification « favorisent l'établissement d'une concurrence loyale et durable », ce qui renforce l'idée de non-discrimination entre les coûts effectivement supportés et les prix opposés aux concurrents.
En outre, cette évaluation assure une pleine cohérence entre les coûts ainsi déterminés et la réalité des investissements et des coûts d'exploitation effectivement consentis par l'opérateur pour maintenir et développer le réseau tel qu'il est. Ce réalisme et cette parité sont indispensables à l'établissement d'une concurrence loyale.
Les comptes peuvent, dans certains cas, mettre en évidence l'existence d'actifs valorisés à zéro bien que demeurant en exploitation et détenant de ce fait une valeur économique. De telles situations, qui demanderaient à être établies précisément, ne sont pas inhabituelles et peuvent être corrigées selon des techniques éprouvées permettant que les comptes sociaux de l'entreprise reflètent plus fidèlement la réalité de son économie.
Enfin, le considérant 8 met l'accent sur la cohérence entre les prix de l'accès et les tarifs de détail des services de l'opérateur offrant l'accès, avant de prévenir les risques de ciseau tarifaire à l'encontre des opérateurs entrants. Cette préoccupation incite à une vigilance particulière sur les prix qui seront appliqués aux opérateurs concurrents.
Conclusion
L'Autorité considère que les outils disponibles à court ou moyen terme permettent de déterminer un prix, juste et équitable, de l'usage de la boucle locale, en tenant compte à la fois d'une incitation bien comprise dans l'investissement, de la nécessité de rémunérer convenablement le titulaire de l'infrastructure, et de la préservation de l'équité de la concurrence.
Au stade actuel, seules les données issues du système comptable (audité) de France Télécom sont suffisamment solides pour asseoir les tarifs du dégroupage, et cela dans un délai nécessairement rapproché. Ces valeurs seront notamment celles employées pour l'évaluation du coût du service universel 2001, ce coût dépendant en effet significativement du coût de la boucle locale.
En conséquence, l'Autorité est d'avis que, dans le contexte actuel, les dispositions réglementaires proposées offrent un cadre approprié et suffisamment précis pour évaluer les coûts devant être pris en compte ; les valeurs elles-mêmes seront déterminées par la suite, conformément à ces dispositions et aux objectifs rappelés ci-dessus. L'Autorité poursuivra, en concertation avec les opérateurs, les travaux nécessaires.
IV. - L'avis de l'Autorité sur les dispositions
de l'avant-projet de décret
1. L'insertion des dispositions relatives à l'accès
à la boucle locale dans le cadre réglementaire français
L'Autorité a souligné précédement que l'introduction de la concurrence sur la boucle locale ne pourra se faire sans un cadre réglementaire précis et des outils de régulation adaptés. La situation est comparable à celle qui a conduit à la définition des mécanismes de régulation de l'interconnexion dans la loi de réglementation des télécommunications de 1996 et dans le décret sur l'interconnexion. Ces mécanismes ont permis l'ouverture du marché de la téléphonie longue distance dans des conditions satisfaisantes en France et des outils similaires sont nécessaires pour permettre l'ouverture du marché de la boucle locale. Elle est d'avis que les dispositions relatives aux mécanismes de régulation pour le dégroupage soient les plus cohérentes possible avec celles définies dans le cadre de l'interconnexion. Elle estime ainsi que l'insertion des dispositions du décret dans la section 3 (Interconnexion) du chapitre II de la troisième partie du code des postes et télécommunications, permet de donner cette cohérence et les outils nécessaires à une régulation équilibrée du dégroupage de la boucle locale.
Elle note à cet égard l'analyse de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications dans son avis du 12 juillet 2000 : « Ce positionnement dans le code met l'accès à la boucle locale sous le régime qui prévaut jusqu'alors pour l'interconnexion, ce qui définit quasi automatiquement le rôle que l'on confie à l'ART et la manière de prendre en compte les coûts pour déterminer les tarifs d'accès. »
Elle souligne en conséquence son plein accord avec ce texte qui lui semble équilibré et cohérent et qui, dans ses principales dispositions, est en conformité avec la recommandation de la Commission européenne et la proposition de règlement sur l'accès à la boucle locale. Les commentaires suivants portent donc sur quelques points qui ne modifient pas l'économie générale du texte.
2. Remarques sur l'avant-projet de décret
Sur la mise en oeuvre
Les travaux menés depuis février 2000 pour définir les conditions de mise en oeuvre du dégroupage conduisent l'Autorité à attirer l'attention du Gouvernement sur les deux aspects opérationnels suivants, qui conditionnent la mise en place effective du dégroupage au 1er janvier 2001 :
- la mise à disposition, en temps utile, de certaines informations de nature technique sur la topologie du réseau local de France Télécom, informations nécessaires aux opérateurs pour planifier dès aujourd'hui leurs investissements ;
- la possibilité pour les opérateurs de commander, en temps utile, des prestations de colocalisation leur permettant d'installer leurs équipements dans les locaux des répartiteurs de France Télécom.
Il faut souligner que ces dispositions doivent être mises en oeuvre avec un délai préalable d'au moins six mois avant l'ouverture effective du dégroupage. A cet égard, l'Autorité propose que soient ajoutés, à l'article D. 99-15 tel que modifié par le projet de décret, les termes suivants :
« Les informations nécessaires à la mise en oeuvre de l'accès à la boucle locale sont fournies aux autres opérateurs dans les mêmes conditions et avec le même degré de qualité que celles que ces opérateurs réservent à leurs propres services ou à ceux de leurs filiales et partenaires. Les demandes de colocalisation des autres opérateurs sont traitées dans les mêmes conditions que celles réservées aux propres services ou aux filiales de ces opérateurs. »
et que, pour assurer la fourniture des informations dans un délai suffisant avant le 1er janvier 2001, l'article 4 soit rédigé comme suit :
« Art. 4. - Les dispositions du présent décret entrent en vigueur le 1er janvier 2001, à l'exception de celles du deuxième alinéa ajouté par l'article 1er à l'article D. 99-15. »
Sur la publication d'une offre de référence
L'article 12 du projet de règlement précise que les autorités réglementaires nationales devront « veiller à ce que les opérateurs notifiés rendent disponible le plus rapidement possible et, de préférence sur l'internet, une offre de référence pour l'accès totalement dégroupé et l'accès partagé à leur boucle locale, contenant une description complète de leur offre et des modalités, conditions et prix qui y sont associés ». Une liste indicative des éléments constitutifs de l'offre de référence est annexée au projet de règlement.
L'Autorité estime que la nécessaire conformité, à l'avenir, des dispositions de droit interne au règlement européen implique l'insertion d'une disposition spécifique sur ce point. En conséquence, elle propose que soit ajouté, à l'article D. 99-15, le paragraphe suivant :
« Ces opérateurs sont tenus de publier une offre de référence contenant une description complète des prestations d'accès à la boucle locale, et des modalités, conditions et prix qui y sont associés. »
Sur les opérateurs devant fournir l'accès à la boucle locale
L'Autorité note que les opérateurs devant fournir l'accès à la boucle locale sont les opérateurs inscrits sur la liste établie en application du 7o de l'article L. 36-7 du code des postes et télécommunications.
Or, des dispositions de nature législative en cours de préparation visent à transposer les obligations des opérateurs exerçant une influence significative sur un marché pertinent des télécommunications établies par la directive modifiée 97/33/CE. Il conviendra de s'assurer de la cohérence de ces textes, en fonction de leur calendrier d'adoption, afin que seuls les opérateurs exerçant une influence significative sur un marché pertinent du service téléphonique au public entre points fixes soient soumis à l'obligation de fournir l'accès à la boucle locale.
Au bénéfice de ces observations, l'Autorité émet un avis favorable sur l'avant-projet de décret relatif à l'accès à la boucle locale.
Le présent avis sera transmis au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au secrétaire d'Etat à l'industrie.
Fait à Paris, le 21 juillet 2000.