L'Autorité de régulation des télécommunications,
Vu le code des télécommunications, notamment ses articles L. 34-8, L. 36-8, R. 11-1, D. 97-4, D. 97-8 ;
Vu l'arrêté du 18 décembre 1997 autorisant la société Siris à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;
Vu l'arrêté du 12 mars 1998 autorisant la société France Télécom à établir et exploiter un réseau de télécommunications ouvert au public et à fournir le service téléphonique au public ;
Vu la décision no 99-528 de l'Autorité de régulation des télécommunications en date du 18 juin 1999 portant règlement intérieur ;
Vu la demande de règlement d'un différend enregistrée le 5 mai 2000 présentée par la société Siris, ... ;
Siris demande sur le fond à l'Autorité :
- de constater que le différend entre Siris et France Télécom porte sur l'exécution d'une convention d'interconnexion et le refus d'une demande d'interconnexion entrant à ce titre dans le champ de compétence de l'Autorité par application des dispositions des articles L. 34-8 et L. 36-8 du code des postes et télécommunications ;
- de constater que les négociations commerciales entre Siris et France Télécom ont échoué, en conséquence dire recevable la demande de Siris ;
- de constater que la demande d'interconnexion de Siris est raisonnable au regard de ses besoins, ce que d'ailleurs France Télécom a explicitement reconnu en acceptant de signer le protocole du 28 juillet 1999 ;
- de constater que la demande de Siris est raisonnable au regard des capacités de France Télécom à la satisfaire, ce que France Télécom a également explicitement reconnu en acceptant de signer le protocole du 28 juillet 1999 ;
- en conséquence, de faire droit à sa demande et d'ordonner à France Télécom de maintenir le mode d'interconnexion indirecte pour l'acheminement du trafic vers l'indicatif 0860 aux conditions techniques et tarifaires décrites dans le protocole d'accord du 28 juillet 1999 sans limitation de durée.
Siris souligne que le différend portant sur une prestation d'interconnexion, l'Autorité est compétente pour le régler. Elle vise à démontrer la recevabilité de sa demande au motif que les négociations commerciales avec France Télécom sur la prestation d'interconnexion en question ont échoué. Elle détaille les échanges de courriers et les négociations qui ont eu lieu avant la demande de règlement de différend.
Siris tend ensuite à démontrer le caractère raisonnable de sa demande au regard de ses besoins et des capacités de France Télécom à la satisfaire. En premier lieu, Siris souligne que France Télécom a admis le caractère raisonnable de la demande de Siris en signant le protocole du 28 juillet 1999 et qu'aucun événement postérieur n'est venu remettre en cause le bien-fondé de la demande de Siris. En second lieu, Siris insiste sur le caractère raisonnable de sa demande d'interconnexion au regard de ses besoins afin de maîtriser le dimensionnement des liens d'interconnexion et d'optimiser les investissements consentis par Siris dans son architecture d'interconnexion. La demande de Siris est également raisonnable au regard des capacités de France Télécom à la satisfaire puisque le mécanisme d'interconnexion demandé existe notamment pour d'autres types de numéros.
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Vu les observations en défense enregistrées le 29 mai 2000 présentées par la société France Télécom, ... ;
France Télécom demande à l'Autorité de constater :
- qu'aucune des conditions requises prévues par l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications n'est réunie ;
- qu'il n'y a pas eu échec des négociations ni refus d'interconnexion entre France Télécom et Siris ;
- que c'est à bon droit que France Télécom a résilié le protocole d'accord signé par les parties le 28 juillet 1999 ;
- que la saisine de Siris est irrecevable.
France Télécom soutient que le litige ne porte pas sur un refus d'interconnexion, mais sur la résiliation du procotocole d'accord du 28 juillet 1999 que France Télécom a décidé dans le respect des clauses contractuelles.
France Télécom estime que l'interprétation par Siris des courriers échangés comporte des incohérences et une présentation tronquée des faits. En outre, elle souligne que Siris aurait omis de mentionner deux courriers, l'un où France Télécom demande une offre de terminaison d'appel de la part de Siris, l'autre où Siris s'engagerait à faire cette offre.
Vu la décision no 2000-515 de l'Autorité en date du 30 mai 2000 se prononçant sur une demande de mesures conservatoires déposée par la société Siris dans le cadre du différend l'opposant à la société France Télécom relatif à l'interconnexion pour l'acheminement du trafic internet à destination de numéros de type 0860PQMCDU payants pour l'appelant ;
Vu la lettre de la société Siris enregistrée le 13 juin 2000 indiquant qu'elle renonce à présenter de nouvelles observations ;
Vu les nouvelles observations en défense enregistrées le 26 juin 2000 présentées par la société France Télécom ;
France Télécom conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens, et demande en outre à l'Autorité de constater :
- que la proposition de France Télécom pour le calcul du revenu moyen pour l'année 2000 et les années à venir est légitime ;
- que c'est sur cette base et dans le respect des dispositions de la décision no 2000-489 de l'Autorité en date du 26 mai 2000 se prononçant sur un différend entre France Télécom et 9 Télécom Réseau que France Télécom soumettra un accord d'interconnexion à la société Siris.
France Télécom confirme sa demande d'irrecevabilité de la saisine de Siris, mais indique son intention d'appliquer la décision no 2000-489 précitée, en proposant à Siris un contrat pour l'acheminement des numéros 0860 payants pour l'appelant sur la base d'une interconnexion indirecte prenant en compte les tarifs d'interconnexion avec une majoration de 0,1 centime.
France Télécom propose de calculer des revenus moyens en reprenant la méthode décrite par l'Autorité dans la décision précitée, mais en distinguant le revenu moyen des clients professionnels du revenu moyen des clients résidentiels, en prenant en compte la répartition horaire du trafic de Siris, et enfin en retranchant les frais de gestion des options tarifaires.
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Vu la lettre de la société Siris enregistrée le 5 juillet 2000 soulignant que sa demande concerne exclusivement le principe du maintien de l'interconnexion indirecte et ne porte pas sur la détermination de la recette moyenne, et indiquant que les propositions de méthode calcul de France Télécom n'ont pas fait l'objet de négociations à ce jour.
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Après avoir entendu, le 12 juillet 2000, lors de l'audience devant le collège :
- le rapport de M. Olivier Esper, rapporteur, présentant les moyens et les conclusions des parties ;
- les observations de M. Olivier Campenon pour Siris et les observations de M. Eric Debroeck pour France Télécom,
en présence de :
M. Jean-Marc Salmon, rapporteur adjoint, MM. Pierre-Alain Jeanneney, directeur général, Philippe Distler, François Lions, Ivan Luben et Aymeril Hoang, et de Mme Isabelle Ciupa pour l'Autorité de régulation des télécommunications ;
Mme Marie-Agnès Dequidt et M. Gilles Brunschwig pour Siris ;
Mmes Laurence Coste et Gaëlle Levu et MM. Michel Seiler et Philippe Tatoud pour France Télécom ;
Le collège en ayant délibéré le 12 juillet 2000, hors la présence du rapporteur, du rapporteur adjoint et des agents de l'Autorité,
Adopte la présente délibération fondée sur les faits et les moyens exposés ci-après :
Sur la recevabilité de la demande de la société Siris tendant à ce que l'Autorité dise que France Télécom devra faire droit à demande d'interconnexion indirecte avec facturation/recouvrement pour compte de tiers pour l'acheminement du trafic internet à destination des numéros non géographiques de la forme 0860PQMCDU payants pour l'appelant de la société Siris aux conditions techniques et tarifaires du protocole d'accord conclu entre les parties le 28 juillet 1999 ;
Aux termes de l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications : « En cas de refus d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de télécommunications, l'Autorité de régulation des télécommunications peut être saisie du différend par l'une ou l'autre des parties (...). »
Il ressort des pièces du dossier que, par les courriers en date des 12 janvier, 3 février, 24 février, 30 mars et 25 avril 2000, France Télécom a entendu résilier le protocole litigieux signé le 28 juillet 1999 afin de mettre fin à sa prestation d'interconnexion indirecte. Cette décision réitérée de France Télécom, proposant au schéma d'interconnexion directe aux lieu et place du schéma d'interconnexion indirecte existant et mettant fin à ce dernier, doit être regardée comme un refus d'interconnexion au sens des dispositions précitées de l'article L. 36-8 du code des postes et télécommunications dès lors que, par un courrier en date du 21 janvier 2000, Siris a fait part de sa volonté de ne pas résilier le protocole susmentionné et que, par deux courriers en date du 11 février et du 9 mars 2000, Siris a demandé le maintien de la prestation d'interconnexion indirecte existante.
La circonstance que France Télécom et Siris aient entamé des négociations, alors que le protocole litigieux était résilié, à la demande de France Télécom, d'interconnexion directe (offre de terminaison d'appel) pour l'acheminement du même type de trafic à destination des mêmes numéros est sans incidence sur la recevabilité de la demande de la société Siris, laquelle porte sur le maintien de la prestation d'interconnexion indirecte.
Il résulte de ce qui précède que la demande de règlement de différend susvisée, présentée par la société Siris, est recevable.
Sur le caractère raisonnable au sens de l'article L. 34-8 du code des postes et télécommunications de la demande d'interconnexion indirecte avec facturation/recouvrement pour compte de tiers pour l'acheminement du trafic internet à destination des numéros non géographiques de la forme 0860PQMCDU de la société Siris :
Aux termes de l'article L. 34-8 du code des postes et télécommunications : « I. - (...) La demande d'interconnexion ne peut être refusée si elle est raisonnable au regard, d'une part, des besoins du demandeur, d'autre part, des capacités de l'exploitant à la satisfaire (...). II. - Les exploitants de réseaux ouverts au public figurant sur la liste établie en application du 7 de l'article L. 36-7 sont tenus de publier, dans les conditions déterminées par leur cahier des charges, une offre technique et tarifaire d'interconnexion approuvée préalablement par l'Autorité de régulation des télécommunications. Les tarifs d'interconnexion rémunèrent l'usage effectif du réseau de transport et de desserte, et reflètent les coûts correspondants (...). »
En premier lieu, une telle demande apparaît raisonnable au regard des capacités de France Télécom à la satisfaire. Il ressort des pièces du dossier que la société France Télécom n'a jamais soutenu que cette demande d'interconnexion de la société Siris n'était pas raisonnable au regard de la capacité de la société France Télécom à la satisfaire. Dans ses mémoires successifs, la société France Télécom ne conteste pas disposer des capacités à satisfaire cette prestation. Au demeurant, la société France Télécom avait conclu le 28 juillet 1999 une convention avec la société Siris prévoyant la fourniture de cette prestation et a accepté, dans ses dernières observations enregistrées le 26 juin 2000, de faire droit à la demande d'interconnexion de la société Siris.
En second lieu, la demande de prestation d'interconnexion indirecte de la société Siris apparaît raisonnable au regard de ses besoins. En effet, le choix entre les schémas d'interconnexion directe ou indirecte n'est pas neutre pour les opérateurs. D'un point de vue économique, dans un schéma d'interconnexion indirecte, l'opérateur tiers interconnecté rémunère la société France Télécom pour l'utilisation de son réseau pour collecter du trafic à destination de ses services d'accès à internet. Dans ce cas, l'opérateur tiers interconnecté dispose d'une meilleure maîtrise des paramètres économiques (reversements aux fournisseurs d'accès à internet, marges). En effet, en application des dispositions précitées du II de l'article L. 34-8 du code des postes et télécommunications, la charge d'interconnexion reversée à la société France Télécom doit être orientée vers les coûts de cette dernière. Au contraire, en interconnexion directe, c'est l'opérateur tiers interconnecté qui est rémunéré pour sa prestation d'acheminement du trafic. D'un point de vue technique, dans le schéma d'interconnexion indirecte, l'opérateur tiers interconnecté choisit les points d'interconnexion et les capacités des liens d'interconnexion. Au contraire, en interconnexion directe, la société France Télécom est responsable du choix de ces paramètres. D'un point de vue commercial, le schéma d'interconnexion indirecte laisse une marge de manoeuvre plus importante à l'opérateur tiers interconnecté (définition des services, tarifs, relations avec les abonnés), et permet le développement d'offres innovantes et concurrentielles.
Il résulte de tout ce qui précède que la demande d'interconnexion de la société Siris est raisonnable au sens de l'article L. 34-8 du code des postes et télécommunications et que la société France Télécom doit ainsi faire droit à la demande d'interconnexion indirecte avec facturation/recouvrement pour compte de tiers pour l'acheminement du trafic internet à destination des numéros non géographiques de la forme 0860PQMCDU de la société Siris.
Sur la demande de la société France Télécom tendant à ce que l'Autorité considère équitables les conditions financières proposées par la société France Télécom dans ses observations en date du 26 juin 2000 et relatives au calcul du revenu moyen pour l'année 2000 :
Si les conclusions des parties peuvent être modifiées ou des demandes additionnelles peuvent être présentées au cours de la procédure, pour autant qu'elles respectent les conditions de recevabilité énoncées à l'article L. 36-8 précité du code des postes et télécommunications et qu'elles présentent, avec la demande initiale, un lien suffisant, il ne ressort cependant d'aucune pièce du dossier qu'à la date de la demande susmentionnée de la société France Télécom un refus ait été opposé par la société Siris à cette demande, qui relève des conditions financières de la prestation d'interconnexion demandée par cette société, ni même qu'une négociation ait été engagée par les deux parties sur ces conditions financières. Il suit de là que la demande de la société France Télécom, qui méconnaît les dispositions susmentionnées de l'article L. 36-8, est irrecevable,
Décide :
Art. 1er. - La société France Télécom doit faire droit à la demande d'interconnexion indirecte, avec facturation/recouvrement pour compte de tiers, de la société Siris pour l'acheminement du trafic internet à destination des numéros de la forme 0860PQMCDU payants pour l'appelant de la société Siris.
Art. 2. - Le surplus des conclusions présentées par la société Siris et par la société France Télécom est rejeté.
Art. 3. - Les parties mettront toute convention d'interconnexion conclue entre elles en conformité avec la présente décision dans un délai de quinze jours à compter de sa notification.
Art. 4. - Le chef du service juridique ou son adjoint est chargé de notifier aux sociétés Siris et France Télécom la présente décision qui sera rendue publique sous réserve des secrets protégés par la loi.
Fait à Paris, le 12 juillet 2000.