J.O. Numéro 172 du 27 Juillet 2000       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 11554

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Saisine du Conseil constitutionnel en date du 5 juillet 2000 présentée par plus de soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision no 2000-434 DC


NOR : CSCL0004230X



LOI RELATIVE A LA CHASSE
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi relative à la chasse adoptée par l'Assemblée nationale le 28 juin 2000.
La loi relative à la chasse soulève plusieurs problèmes d'inconstitutionnalité majeurs, tant au regard des conditions dans lesquelles elle a été adoptée qu'au regard de principes fondamentaux de valeur constitutionnelle, fortement affirmés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
La loi comporte en effet des violations manifestes et répétées du cadre constitutionnel qui régit la procédure parlementaire. Peuvent ainsi être relevés une atteinte aux limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement, une méconnaissance de la procédure législative en matière financière et des cas d'incompétence négative du législateur.
Sur le fond, la loi adoptée comporte de graves atteintes à quatre principes de valeur constitutionnelle, dont le caractère fondamental a toujours justifié une attention et une protection toutes particulières de la part du Conseil constitutionnel : le droit de propriété et la liberté individuelle, la liberté d'association et le principe d'égalité.

I. - Sur les violations des règles de valeur constitutionnelle
relatives à la procédure parlementaire
1. Une atteinte aux limites inhérentes
à l'exercice du droit d'amendement
La rédaction définitive de l'article 3 de la loi résulte de l'adoption, lors de la nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, d'un amendement de rédaction globale du Gouvernement. Cet article avait pourtant été adopté par les deux assemblées dans un texte identique.
L'adoption d'un amendement réécrivant un article dans son ensemble se révèle, à ce stade de la discussion parlementaire, manifestement contraire aux dispositions combinées des articles 39, 42, 44 et 45 de la Constitution.
L'article dont est issu l'article 3 de la loi avait été adopté en des termes identiques par les deux assemblées avant la réunion de la commission mixte paritaire. Le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa décision no 2000-430 DC du 29 juin 2000 qu'il ressortait des dispositions du deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution que : « des dispositions adoptées en termes identiques avant la réunion de la commission mixte paritaire ne sauraient, en principe, être modifiées après cette réunion ».
Une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel (décisions no 86-221 DC du 29 décembre 1986 et no 89-268 DC du 29 décembre 1989) indique d'ailleurs que si « le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative, peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative », l'adoption d'amendements portant sur des dispositions déjà votées dans des termes identiques par les deux assemblées n'est conforme à la Constitution que lorsque ceux-ci n'ont pour objet que d'« affecter » ces dispositions. Le Conseil constitutionnel précise que : « les adjonctions ou modifications apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa I, et 44, alinéa I, de la Constitution ni être sans lien avec ce dernier, ni dépasser par leur objet et leur portée les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ».
En l'espèce, la substitution d'une nouvelle rédaction globale à celle adoptée en des termes identiques par les deux assemblées a pour effet non simplement d'affecter celle-ci, mais bien d'en modifier les caractères essentiels. La modification apportée au texte en cours de discussion excède donc manifestement les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement à ce stade de la procédure.
La mise en discussion d'un amendement réécrivant dans son ensemble un article adopté par les deux assemblées dans un texte identique constitue en outre, comme il a été indiqué en séance publique, une violation flagrante de l'article 108 du règlement de l'Assemblée nationale. Celui-ci dispose en effet qu'au cours des deuxièmes lectures et des lectures ultérieures, « la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique » et qu'en conséquence « les articles votés par l'une et l'autre assemblée dans un texte identique ne peuvent faire l'objet d'amendements qui remettraient en cause, soit directement, soit par des additions incompatibles, les dispositions adoptées ». Le dernier alinéa de l'article 108 précise qu'il ne peut être fait exception à ces règles qu'en vue « d'assurer la coordination des dispositions adoptées ou de procéder à une rectification matérielle », ce qui n'était manifestement pas l'objectif de la rédaction proposée par l'amendement du Gouvernement.
Si le règlement de l'Assemblée nationale n'a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle, les trois derniers alinéas de son article 108 constituent le prolongement nécessaire des dispositions du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution. C'est en effet grâce à la réduction progressive des dispositions restant en discussion que permet l'article 108 du règlement de l'Assemblée nationale que les deux assemblées peuvent parvenir, au terme de l'examen d'un projet ou d'une proposition de loi, à l'adoption d'un texte identique. Cette violation du règlement, qui relève d'un détournement de procédure dans sa lettre comme dans son esprit, porte ainsi atteinte au cadre constitutionnel du bicamérisme législatif défini à la fois par l'article 34, alinéa premier, de la Constitution, qui dispose que c'est le Parlement, et non l'Assemblée nationale seule qui vote la loi, ainsi que par son article 45, qui précise les conditions dans lesquelles un texte de loi peut être adopté après l'échec d'une commission mixte paritaire.
L'adoption de l'amendement dont est issue la rédaction définitive de l'article 3 de la loi étant non conforme à la Constitution, il apparaît nécessaire de rétablir cet article dans la rédaction adoptée en des termes identiques par les deux assemblées.

2. Des atteintes aux règles constitutionnelles
régissant la procédure parlementaire en matière financière
Les prélèvements obligatoires liés à l'activité cynégétique tels qu'ils sont prévus par la loi relative à la chasse méconnaissent des règles constitutionnelles.
Le paragraphe XIII de l'article 17 de la loi dispose que le montant et les conditions de recouvrement des redevances cynégétiques sont fixés annuellement par la loi de finances. Cette disposition constitue une injonction méconnaissant le droit d'initiative réservé au Gouvernement, en matière de lois de finances, par les dispositions des articles 39, 40 et 47 de la Constitution.
Le paragraphe VI de l'article 31 de la loi modifie, par ailleurs, l'article L. 225-4 du code rural. Le deuxième alinéa de cet article dispose que les taux des taxes de plan de chasse sont fixés par arrêté.
Or, les taxes de plan de chasse doivent être regardées soit comme des impositions de toute nature, pour lesquelles l'article 34 de la Constitution impose la compétence exclusive du législateur pour fixer les règles concernant leur assiette, leurs taux, leurs modalités de recouvrement, soit comme des cotisations relevant, pour leur fixation, des assemblées générales des fédérations et non du pouvoir réglementaire.
En renvoyant à un arrêté la fixation des taux d'une imposition de toute nature, alors que la seule règle encadrant le pouvoir d'appréciation de l'autorité administrative est l'existence d'un plafond fixé par la loi, le législateur méconnaît ainsi manifestement la compétence qui est la sienne en vertu de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de l'article 34 de la Constitution.

3. Des cas d'incompétence négative du législateur
Sur deux points, la loi relative à la chasse méconnaît le domaine constitutionnellement réservé au législateur par l'article 34 de la Constitution, que la jurisprudence constitutionnelle s'est toujours attachée à préserver.
Tout d'abord, l'imprécision des dispositions de l'article L. 224-13 du code rural créé par l'article 23 de la loi, combinée avec l'habilitation très large donnée au Gouvernement par l'article L. 224-14 du même code créé par le même article , méconnaît la compétence réservée au législateur par l'article 34 de la Constitution.
De même, l'imprécision des dispositions de l'article L. 225-5 du code rural dans sa rédaction issue de l'article 32 de la loi conduit à donner au Gouvernement une habilitation excessive. Le Gouvernement pourrait en effet par la fixation d'un prélèvement maximal remettre en cause l'exercice du droit de chasse qui est l'une des composantes du droit de propriété.
En conséquence, ces deux dispositions doivent être annulées pour incompétence négative du législateur.

II. - Sur les atteintes au droit de propriété
et à la liberté individuelle
Au nombre des principes de valeur constitutionnelle figure le droit de propriété.
L'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence, l'intégrant ainsi au bloc de constitutionnalité, proclame en effet que : « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'opposition ». Son article 17 vient conforter cette reconnaissance du droit de propriété, érigé en « un droit inviolable et sacré » dont « nul ne peut (...) être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision no 81-132 DC du 16 janvier 1982, relative à la nationalisation, a déjà eu l'occasion de réaffirmer avec force le caractère constitutionnel de ce droit : « ... si postérieurement à 1789 et jusqu'à nos jours, les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d'application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations imposées par l'intérêt général, les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété, dont la conservation constitue l'un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression, qu'en ce qui concerne les garanties données aux titulaires de ce droit et les prérogatives de la puissance publique ».
Or, le présent texte porte atteinte au droit de propriété, dont la valeur constitutionnelle a ainsi été fortement affirmée, sur quatre points essentiels.

1. Les contours juridiques incertains
des « usages non appropriatifs de la nature »
A l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la chasse, le débat sur la partage des usages de la nature s'est posé avec acuité. Les dispositions relatives à la compatibilité entre l'exercice de la chasse et les usages non appropriatifs de la nature l'illustrent tout particulièrement et traduisent plus largement l'evolution du rôle joué par l'espace rural.
Depuis plusieurs années, le développement des nouvelles utilisations de l'espace rural, au travers notamment de la pratique des sports de pleine nature, a des incidences directes pour les propriétaires privés, qui se trouvent être les premiers concernés par ces nouvelles activités exercées sur leurs terrains.
La dernière phrase du quatrième alinéa de l'article 2 de la loi relative à la chasse apparaît à cet égard particulièrement contestable. Elle dispose en effet que : « la chasse s'exerce dans des conditions compatibles avec les usages non appropriatifs de la nature, dans le respect du droit de propriété ».
Or, la notion des usages non appropriatifs de la nature se révèle aussi imprécise que contradictoire en elle-même. D'une part, les implications juridiques d'un tel dispositif sont plus qu'incertaines, d'autre part, la notion constitue en réalité une atteinte indéniable au droit de propriété.
Ce dernier, selon une analyse juridique constante, recouvre en effet trois attributs essentiels : le fructus, l'usus et l'abusus. Or, ce qui est présenté comme des « usages non appropriatifs de la nature », dont aucune liste précise n'est donnée par le texte mais qui a été illustré, au cours des débats, par l'exemple du droit de se promener, de pratiquer le vélo tout terrain ou de ramasser des champignons, relève en fait du droit d'usus, constitutif du droit de propriété. De plus, le droit de chasse est, par essence, attaché au droit de propriété. Les chasseurs exercent, en effet, cette activité en étant, à un titre ou un autre, titulaires d'un droit d'usage sur le territoire sur lequel ils se trouvent : ils peuvent être propriétaires du terrain, membres d'une association de chasse, ou encore titulaires d'un bail de chasse.
En d'autres termes, il n'existe pas d'autres usages de la nature que des usages appropriatifs. Il n'y a pas, en outre, d'espaces naturels qui n'appartiennent à personne puisqu'ils relèvent soit du domaine privé, soit du domaine public.
En conséquence, la notion même d'usages non appropriatifs de la nature porte en réalité une atteinte au droit de propriété, qui n'est justifiée par aucun nécessité publique évidente et a fortiori qui n'est accompagnée d'aucun mécanisme d'indemnisation juste et préalable, comme l'exige l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Pour toutes ces raisons, les dispositions de l'article 2 qui prévoient que la chasse s'exerce « dans des conditions compatibles avec les usages non appropriatifs de la nature » doivent être déclarées contraires à la Constitution.

2. Une extension de l'exercice du droit de non-chasse à l'ensemble du territoire national incompatible avec le respect du droit de propriété et de la liberté individuelle
L'article 14 de la loi relative à la chasse réforme le fonctionnement des associations communales de chasse agréées. Le 29 avril 1999, la Cour européenne des droits de l'homme a, en effet, estimé que la loi du 10 juillet 1964, dite loi Verdeille, constituait une atteinte au droit de propriété et à la liberté d'association, en contraignant des propriétaires, opposants éthiques à la chasse, à faire apport de leurs terres et de leurs droits de chasse aux associations communales de chasse agréées.
En application de cet arrêt, l'article 14 reconnaît désormais un droit de non-chasse aux propriétaires de terrains opposés, en raison de convictions personnelles, à l'exercice de la chasse sur leurs biens.
Toutefois, au deuxième alinéa du IV de l'article 14, l'Assemblée nationale a inséré un nouvel article L. 222-13-1 dans le code rural qui prévoit que ce droit d'objection de conscience cynégétique « porte sur l'ensemble des terrains appartenant aux propriétaires ou copropriétaires en cause ».
En conséquence, l'exercice du droit de non-chasse s'imposerait automatiquement, sur tout le territoire national, à l'ensemble des terrains dont le propriétaire a l'usage, et ce quelle que soit leur localisation géographique.
Cette disposition, difficilement applicable, est constitutive d'une atteinte supplémentaire au droit de propriété et limite de manière abusive la liberté individuelle.
Les modalités de mise en oeuvre du droit de non-chasse constituent, pour celui qui l'exerce, une restriction abusive de la libre disposition et du libre usage des différentes propriétés qu'il détient, alors même que le droit de propriété est fortement affirmé par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. La généralisation automatique du droit de non-chasse à l'ensemble du territoire national comporte, en effet, une atteinte indirecte au droit de propriété, puisqu'elle pénalise injustement les propriétaires qui souhaitent ne pas accorder le droit de chasse sur une partie des parcelles dont ils sont propriétaires, mais l'ouvrir dans un autre secteur qui leur appartient.
De plus, le droit d'objection de conscience cynégétique, qui est une déclinaison de la liberté individuelle, ou toute autre motivation dans l'exercice du droit de non-chasse, ne saurait relever que de la seule libre appréciation de celui qui en fait usage. Or, les modalités de son application prévues par le présent texte conduisent paradoxalement à restreindre la liberté individuelle de celui qui l'exerce, en contrariété avec les articles 2, 4 et 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
En conséquence, les dispositions qui imposent une extension automatique du droit de non-chasse à l'ensemble des propriétés de celui qui l'exerce, quelle que soit leur localisation sur le territoire national, doivent être déclarés contraires à la Constitution.

3. Une atteinte au droit de propriété
à travers l'instauration d'un jour de non-chasse
Le dernier alinéa de l'article 24 de la loi relative à la chasse prévoit que : « la pratique de la chasse à tir est interdite du mercredi 6 heures au jeudi 6 heures ou à défaut une autre période hebdomadaire de vingt-quatre heures comprise entre 6 heures et 6 heures (...). »
Outre que cette disposition induit des effets pervers s'agissant de l'organisation de la chasse, elle soulève également un motif d'inconstitutionnalité au regard du respect du droit de propriété et des dispositions, précédemment citées, de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
L'institution d'un jour de non-chasse, fixé a priori du mercredi 6 heures au jeudi 6 heures, revient à priver le propriétaire de son droit de faire un libre usage de ses biens. De plus, en cas de location de terre pour exercer le droit de chasse, soit le propriétaire verra la valeur du loyer qu'il pouvait espérer retirer de son bien réduite d'une journée, soit le locataire sera privé de la libre jouissance des baux contractés pendant une journée. Le jour de non-chasse institué apparaît ainsi contraire sur deux points à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
D'une part, aucune nécessité publique évidente, notamment en matière de sécurité publique, ne vient justifier une telle mesure de caractère aussi général. Dès lors, l'atteinte au droit de propriété qu'elle constitue apparaît disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, qui pourrait être atteint par le biais de dispositions moins attentatoires aux libertés fondamentales, à travers des obligations de prudence et de sécurité imposées aux chasseurs.
D'autre part, la mesure doit être considérée comme contraire à la Constitution en ce qu'il n'est prévu aucun mécanisme assurant une juste et préalable indemnité aux propriétaires qui se voient privés de la jouissance de leurs biens et déposséder de leurs droits une journée par semaine.
En conséquence, ces dispositions du dernier alinéa de l'article 24 encourent la censure du Conseil constitutionnel.

4. Une participation des propriétaires de postes fixes
à l'entretien des plans d'eau juridiquement contestable
Imposer une participation des propriétaires de postes fixes de chasse à l'entretien des plans d'eau situés à proximité de ces postes et des parcelles humides attenantes, comme le prévoit le cinquième alinéa de l'article 28 de la loi, représente une dernière atteinte au droit de propriété.
En effet, dans l'hypothèse où le propriétaire d'un tel poste fixe ne serait pas également propriétaire des plans d'eau situés à proximité de son installation, ce qui est loin d'être une hypothèse d'école, le respect de cette obligation le contraindrait à porter atteinte au droit de propriété d'autrui, en l'obligeant à pénétrer sur des terres sur lesquelles il ne dispose d'aucun droit. Le respect d'une disposition législative ne pourrait ainsi prendre d'autres voies que celle d'une atteinte à un droit constitutionnellement reconnu, en méconnaissance de la hiérarchie des normes.
Pour toutes ces raisons, le cinquième alinéa de l'article 28 doit être déclaré contraire à la Constitution.

III. - Sur les atteintes à la liberté d'association
Les jurisprudences de la Cour de cassation, du Conseil d'Etat (CE, 20 octobre 1995) et du Conseil constitutionnel (décision no 87-149 du 20 février 1987) s'accordent sur le caractère d'établissements privés chargés d'une mission de service public des fédérations de chasseurs et précisent, qu'en tant que groupements privés, ce sont des associations régies par la loi de 1901.
Le caractère associatif des fédérations est explicitement affirmé par la loi pour ce qui concerne les fédérations régionales et nationale et il est clair que le législateur n'a pas entendu remettre en cause le caractère associatif des fédérations départementales. Au cours des débats, Mme Dominique Voynet a d'ailleurs clairement déclaré que « les fédérations sont des associations régies par la loi du 1er juillet 1901 » (Assemblée nationale, première lecture, article 3, discussion de l'amendement no 159, deuxième séance du 29 mars 2000, JO, AN, CR, no 28 du 30 mars 2000, p. 2800).
Or, la liberté d'association constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République ayant valeur constitutionnelle, comme l'a affirmé le conseil dans une décision particulièrement célèbre en ce qu'elle a marqué le début du renforcement de son contrôle matériel sur la constitutionnalité des lois (décision no 71-44 DC du 16 juillet 1971).
En vertu de ce principe, les associations se constituent librement.
Or, le présent texte porte atteinte à cette liberté fondamentale pour le bon fonctionnement de la démocratie, à travers deux dispositifs : un statut et un fonctionnement des fédérations trop restrictifs, et des contrôles excessifs.

1. Un statut et des modalités de fonctionnement
contraires aux principes constitutionnels
Le premier alinéa de l'article L. 221-4 du code rural, que modifient les articles 5 et 7 de la loi, dispose que « les statuts des fédérations des chasseurs doivent être conformes à un modèle adopté par le ministre chargé de la chasse ». Cette disposition est donc manifestement contraire au principe constitutionnel de liberté d'association, tout comme le dixième aliéna de l'article 12 de la loi relatif à la fédération nationale.
Par ailleurs, le principe de liberté d'association exige que la délégation de vote demeure libre en son sein. Tout membre d'une association doit être susceptible de recevoir une délégation de vote, qui ne saurait être réservée exclusivement au seul président de l'association. Or, la rédaction retenue par l'article 5 de la loi apparaît sur ce point ambiguë.
C'est pourquoi, les dispositions concernées de l'article 5 doivent être considérées comme contraire à la Constitution, à moins qu'une réserve d'interprétation ne vienne préciser qu'elles préservent le droit de tous les adhérents de recevoir des délégations de vote d'autres membres de l'association.
En outre, plus généralement, les dispositions de cet article , en ce qu'il impose des règles d'organisation interne particulièrement détaillées et contraignantes à des organismes de droit privé, méconnaît le principe de liberté d'association.
Pour toutes ces raisons, les dispositions évoquées précédemment doivent être déclarées contraires à la Constitution.

2. Des contrôles administratifs et financiers excessifs
Les rédactions des articles L. 221-6 et L. 221-7 du code rural issues des paragraphes IV et V de l'article 7 de la loi relative à la chasse, ainsi que celle des deux derniers alinéas de l'article L. 221-9 du même code issue de l'article 12 de la loi, se révèlent contraires à la Constitution dans la mesure où elles imposent à des associations des contrôles administratifs et financiers qui mettent en cause leur liberté de fonctionnement, en contrariété avec le principe fondateur de la liberté d'association.
En premier lieu, le contrôle a priori du préfet sur les fédérations départementales et sur les fédérations régionales, organisé par le paragraphe IV de l'article 7 et le dernier alinéa de l'article 10 du présent texte, apparaît totalement dérogatoire aux règles applicables aux associations participant aux missions de service public. Il porte une atteinte disproportionnée au principe de la liberté d'associations qui font appel à des cotisations librement fixées par les adhérents en assemblée générale. Le préfet est ainsi appelé à donner son approbation concernant le budget des fédérations locales, ce qui représente un droit de regard excessif.
Le même problème se pose concernant la Fédération nationale, dès lors que le neuvième alinéa de l'article L. 221-9 du code rural dans sa rédaction prévue par l'article 12 de la loi soumet son budget à une approbation ministérielle.
Un tel contrôle a priori des budgets des fédérations, sans que les modalités de l'exercice de ce contrôle aient été définies par la loi, se révèle porter une atteinte excessive au principe constitutionnel de la liberté d'association, alors qu'un simple contrôle a posteriori des budgets permettrait d'atteindre l'objectif poursuivi sans remettre en cause une liberté fondamentale.
En second lieu, le contrôle mentionné au dernier alinéa du paragraphe V de l'article 7 du présent texte et au dernier alinéa de l'article L. 221-9 du code rural, dans sa rédaction issue de l'article 12 de la loi, étend aux fédérations de chasseurs un contrôle économique et financier de l'Etat, établi par le décret no 55-733 du 26 mai 1955, qui se révèle dépourvu de base légale. De plus, le contenu des pouvoirs conférés au contrôle économique et financier figurant dans le décret précité porte gravement atteinte à la liberté d'association, en ce qu'ils établissent un contrôle a priori sur les délibérations des fédérations, un pouvoir d'investigation sur pièces et sur place, ainsi qu'un pouvoir de participation à toute réunion, y compris celles de comités techniques.
En troisième lieu, l'extension du contrôle a posteriori exercé par les chambres régionales des comptes et la Cour des comptes aux fédérations de chasse, extension prévue par l'article L. 221-7 du code rural dans sa rédaction issue du paragraphe V de l'article 7 de la loi et par l'avant-dernier alinéa de l'article L. 221-9 du même code dans sa rédaction issue de l'article 12, ne saurait se justifier dès lors que lesdites fédérations ne disposent d'aucun fonds public ni de cotisations légalement obligatoires et ne bénéficient d'aucun avantage financier.
La Cour des comptes peut, en vertu de l'article L. 111-7 du code des juridictions financières, exercer son contrôle sur des organismes qui bénéficient du concours financier de l'Etat, mais tel n'est pas le cas des fédérations. Les chambres régionales des comptes, quant à elles, ne se voient pas reconnaître cette même compétence par l'article L. 221-6 du code des juridictions financières.
Il serait donc contraire à la Constitution de vouloir étendre le contrôle financier sur les fédérations puisque, actuellement, d'une part, la compétence de la Cour des comptes suppose un avantage financier dont l'existence n'est, en l'espèce, pas démontrée, d'autre part, cette même compétence n'apparaît pas fermement établie dans le cadre du contrôle des chambres régionales des comptes.
En conséquence, les dispositions relatives aux contrôles administratifs et financiers mentionnées ci-dessus doivent être déclarées contraires à la Constitution.

IV. - Sur les atteintes au principe d'égalité
Le principe d'égalité, solennellement affirmé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et désormais par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, a été pour la première fois consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1973 « Taxation d'office ». Depuis, la jurisprudence constitutionnelle s'est toujours montrée très attentive au respect de ce principe. Or, la loi relative à la chasse y porte manifestement atteinte sur un point essentiel.

Une discrimination géographique manifeste
dans l'exercice de la chasse de nuit
Le premier alinéa de l'article L. 224-4-1 du code rural créé par l'article 28 de la loi est contraire au principe d'égalité devant la loi. Il n'autorise en effet la chasse de nuit que dans 21 départements dont la sélection repose sur le caractère traditionnel de cette pratique. Or, d'autres départements répondent manifestement à ce critère, ce qui a été reconnu lors des débats à l'Assemblée nationale, en commission et en séance, en particulier par Mme Dominique Voynet au cours de la lecture définitive du projet de loi, le 28 juin 2000, notamment pour ce qui concerne l'Ille-et-Vilaine. Cette disposition a donc pour effet de traiter différemment des personnes placées dans la même situation de fait.
Or, selon le raisonnement tenu par le juge constitutionnel, le principe d'égalité impose que des situations comparables soient traitées de manière identique. Toute différence de traitement doit être en rapport avec l'objet de l'acte qui l'établit et proportionnée par rapport à l'objectif poursuivi et par rapport à la différence de situation.
Si le Conseil constitutionnel admet des dérogations au principe d'égalité, il exerce sur celles-ci un contrôle en deux temps.
Il s'attache, dans un premier temps, à vérifier si une différence de situation au regard de l'objet de la mesure permet de fonder la différence de traitement. En l'occurrence, aucune différence objective de situations n'existe entre les départements dans lesquels le droit de chasser la nuit a été reconnu et ceux dans lesquels il ne l'a pas été, alors que la chasse de nuit y relève des usages traditionnels.
Le Conseil constitutionnel recourt ensuite au critère subsidiaire de l'intérêt général, en exerçant un contrôle poussé des motifs qui pourraient justifier, à ce titre, une différence de traitement non fondée sur une différence de situation. Ainsi, l'intérêt général invoqué doit-il être en rapport avec l'objet de la mesure qui déroge au principe d'égalité. De plus, cette dérogation doit être proportionnée à l'objectif à atteindre et à l'intérêt général en cause. Or, aucun réel motif d'intérêt général ne justifie les restrictions disproportionnées apportées au droit de chasser la nuit dans certains départements où ce droit relève des usages locaux et des pratiques traditionnelles. La baie du mont Saint-Michel, qui s'étend sur les départements de la Manche et d'Ille-et-Vilaine, en est une illustration flagrante puisque la loi prévoit d'y autoriser la chasse de nuit pour le secteur géographique du département de la Manche, mais de l'interdire dans celui d'Ille-et-Vilaine.
Ainsi, l'article 28 du présent projet instaure une inégalité de traitement entre départements qui n'est justifiée ni par une différence de situation ni par un motif d'intérêt général. Pour cette raison, il doit être déclaré contraire à la Constitution.
(Liste des signataires : voir décision no 2000-434 DC).