LOI TENDANT A FAVORISER L'EGAL ACCES DES FEMMES ET DES HOMMES AUX MANDATS ELECTORAUX ET FONCTIONS ELECTIVES
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives sur la base de l'argumentation suivante :
A. - Considérations générales
sur la constitutionnalité de la loi
1. La révision constitutionnelle du 28 juin 1999 ne comprend que deux dispositions :
- le dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives » ;
- le dernier alinéa de l'article 4 de la Constitution « ils (les partis et les groupements politiques) contribuent à la mise en oeuvre du principe énoncé au dernier alinéa de l'article 3 dans les conditions déterminées par la loi ».
2. On doit tout d'abord rappeler que le projet de loi constitutionnel soumis par le Président de la République et le Premier ministre au vote du Parlement avait pour effet de modifier l'article 3 de la Constitution pour inviter le législateur à favoriser par les mesures appropriées l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives.
3. Au cours de la première lecture de ce texte, l'Assemblée nationale a prévu que la loi déterminerait les conditions dans lesquelles cet égal accès serait organisé. Le Sénat, en deuxième lecture, est revenu à la formulation du texte gouvernemental qui a été voté au Congrès. Il est d'une particulière importance de noter la signification qui s'attache au terme « favoriser » finalement retenu. Il est clair que le constituant a entendu écarter toute mesure de contrainte au profit de mesure d'incitation exclusive de toute règle limitant de façon abusive la liberté de choix de l'électeur découlant de principes constitutionnels auxquels cette révision ne saurait déroger.
4. Ces dispositions constitutionnelles nouvelles n'ont pas abrogé d'autres dispositions de la Constitution, notamment l'ensemble de l'article 3 de la Constitution et l'article 4 avant modification.
5. Ces dispositions constitutionnelles nouvelles ne sont pas normatives mais objectives. Elles fixent un objectif, qui découle des travaux préparatoires, selon lequel il faut favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions électives et les partis politiques doivent contribuer à la mise en oeuvre du principe. Elles n'imposent donc aucune contrainte nouvelle et ne justifient aucune mesure contraignante ou pénalisante et ne sont que des objectifs à caractère constitutionnel.
6. Dès lors, les dispositions de l'article 3 de la Constitution, conjuguées à celles de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, conservent toute leur pertinence, et la jurisprudence du Conseil constitutionnel issue de ses décisions du 20 novembre 1982 (élections municipales) et du 14 janvier 1999 (élections régionales) demeure parfaitement actuelle.
7. La révision constitutionnelle n'a pas modifié le premier alinéa de l'article 4 de la Constitution, selon lequel les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage et qu'ils se forment et exercent leur activité librement sous la seule limitation du respect du principe de la souveraineté nationale de la démocratie. Imposer des sanctions financières aux partis et groupements politiques constitue donc une atteinte grave à la liberté de formation et de fonctionnement des partis politiques.
8. Les sénateurs requérants acceptaient un certain nombre de contraintes pour permettre une meilleure représentation féminine au sein des assemblées, mais n'ont pas pu accepter le texte, amendé par les députés, qui selon eux dénature la révision constitutionnelle et instaure de fait des quotas par des mesures contraignantes ou pénalisantes.
9. Il est de tradition constitutionnelle de ne pas modifier les modes de scrutin et les règles électorales à moins d'un an d'une échéance électorale qui serait concernée par les nouvelles règles. La loi déférée au Conseil constitutionnel ne respecte pas cette tradition.
10. La loi va interdire à des élus sortants la possibilité d'être réélus à moins de constituer des listes dissidentes, et donc de rompre avec leurs formations politiques d'origine. Elle porte donc atteinte au principe de la liberté de candidature reconnue par la Constitution et la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
11. La loi va interdire la constitution de liste intégralement féminine ou masculine, ce qui porte là encore atteinte à la liberté des électeurs et des éligibles.
B. - Les groupes de six candidats
12. Les dispositions des articles 2, 5, 6 et 8 de la loi qui imposent aux listes présentées lors d'un scrutin proportionnel à deux tours un nombre égal de candidats de chaque sexe au sein de chaque groupe entier de six candidats dans l'ordre de présentation de la liste reviennent à imposer un quota proche de 50 % pour chaque sexe lors des élections municipales ou régionales. Ces dispositions sont contraires aux dispositions de l'article 3 de la Constitution et aux dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
13. La jurisprudence du Conseil constitutionnel, malgré la révision de l'article 3, conserve toute sa pertinence. « Il résulte du rapprochement des textes ci-dessus mentionnés que la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus par une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l'électeur ou l'indépendance de l'élu ; que ces principes de valeur constitutionnelle s'opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles. »
14. La révision constitutionnelle de 1999 n'a pas remis en cause ces principes de valeur constitutionnelle, mais a simplement fixé un objectif, que les partis politiques ont d'ailleurs largement respecté lors des dernières élections européennes ou régionales.
15. Les contraintes imposées par ces groupes de six aboutissent à diviser les éligibles en catégories et sont également contraires à l'article 4, premier alinéa, de la Constitution.
16. La révision constitutionnelle de 1999 avait pour ambition de permettre la réalisation progressive de la parité au sein des assemblées délibérantes, mais en excluant tous quotas et toutes mesures contraignantes ou discriminatoires, notamment celles qui auraient pour conséquence de catégoriser les électeurs et les éligibles.
C. - L'alternance obligatoire
17. Les dispositions des articles 3 et 7 de la loi qui imposent aux élections sénatoriales et européennes, au scrutin proportionnel à un tour, que « chaque liste soit composée alternativement d'un candidat de chaque sexe » est une mesure encore plus contraignante que la mesure précédente et est donc tout aussi contraire à la Constitution que les dispositions qui imposent la parité par groupes de six.
18. Le « mille-feuilles », le « chabada bada » ou « tic-tac » conduisent à l'instauration d'une véritable obligation de quotas encore plus nettement que dans le cas du groupe de six. Ils comportent de surcroît des effets pervers comme l'interdiction de fait de la réélection de certains sortants à moins qu'ils ne constituent des listes dissidentes pour tenter d'être réélus.
19. Cette alternance obligatoire est également contraire au premier alinéa de l'article 4 de la Constitution en portant atteinte à la liberté des partis et groupements politiques.
20. L'alternance obligatoire est également contraire aux dispositions de l'article 3 de la Constitution et de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à la jurisprudence de 1982 et de 1999 du Conseil constitutionnel, qui n'a pas été infirmée par la révision constitutionnelle de 1999.
D. - Les sanctions financières
21. L'article 15 de la loi déférée impose des sanctions financières basées sur la seule parité des candidatures présentées aux élections législatives.
22. Ce faisant, il méconnaît l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Comme l'a décidé le Conseil constitutionnel (cf. notamment DC no 87-237 du 30 décembre 1987), « le principe ainsi énoncé ne concerne pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives mais s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire ».
23. Or, la sanction financière prévue à l'article 15 peut revêtir un caractère manifestement disproportionné au regard de l'objectif fixé par les articles 3 et 4 de la Constitution. En effet, en prétendant atteindre l'objectif de favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs (art. 3 de la Constitution), auxquels contribuent les partis politiques qui exercent leur activité librement (art. 4 de la Constitution), le législateur sanctionne le non-respect d'une stricte parité de candidatures quel que soit le résultat en termes d'élus accédant effectivement au mandat.
24. Ce faisant, il prend le risque de sanctionner un parti ou groupement politique qui aurait autant de femmes que d'hommes élus à l'Assemblée nationale quand bien même il les aurait présentés dans des proportions inégales, sanction manifestement disproportionnée puisque ce parti remplirait au mieux l'objectif constitutionnel résultant des dispositions combinées des articles 3 et 4 de la Constitution.
25. Conscient de cet écueil, le Sénat avait voté un amendement susceptible de l'éviter, que l'Assemblée nationale n'a pas retenu lors de la lecture définitive.
E. - Les cavaliers
26. La modification du mode de scrutin municipal envisagé à l'article 1er est contraire aux intentions proclamées par le Premier ministre lors de son intervention devant le congrès du Parlement : « Cette révision n'est pas conçue comme un prétexte à une modification des modes de scrutin, tout particulièrement du mode législatif. » (JO du 29 juin 1999, p. 30, septième alinéa, Débats parlementaires, congrès du Parlement.)
27. Le fait d'abaisser le mode de scrutin des communes de plus de 3 500 habitants aux communes de plus de 2 500 habitants constitue un cavalier que le Conseil constitutionnel avait déjà sanctionné dans sa décision du 12 janvier 1989. Il convient donc de déclarer sans relation directe avec la loi cette disposition.
28. Le mode de scrutin actuel dans les communes de moins de 3 500 habitants permet aux femmes comme aux hommes de se présenter devant les électeurs qui disposent d'une totale liberté de choix. Il est donc le seul mode de scrutin qui permette la réalisation totale de l'objectif constitutionnel de parité.
29. Les dispositions de l'article 4 concernant le Conseil supérieur des Français de l'étranger sont également un cavalier plaqué sur le texte. Le CSFE n'est pas une collectivité de la République et en modifier le mode de désignation, alors que rien de tel n'a été fait pour les grands électeurs sénatoriaux, constituerait une rupture du principe d'égalité. De surcroît, les considérations ci-dessus développées sur l'obligation d'alternance s'appliquent naturellement à l'article 4.
30. Les dispositions des articles 18, 19 et 20 n'ont aucun rapport avec l'intitulé du texte et sont donc dépourvus de tout lien avec la loi. Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 12 janvier 1989, du 21 janvier 1996, du 10 juillet 1985, du 13 décembre 1985 et du 7 novembre 1990, ainsi qu'aux décisions no 98-402 et no 98-403, le Conseil constitutionnel devra écarter ces cavaliers.
31. En conséquence, les sénateurs soussignés, rappelant que la révision constitutionnelle a créé un objectif à valeur constitutionnelle qui ne peut pas imposer des contraintes ou des sanctions, demandent l'annulation, comme contraires à la Constitution, des articles 1er, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 15, 18, 19 et 20 de la loi, à l'exception des dispositions qui imposent la parité à l'unité près dans les listes.
(Liste des signataires : voir décision no 2000-429 DC.)