LOI ORGANISANT UNE CONSULTATION
DE LA POPULATION DE MAYOTTE
Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 7 avril 2000, par MM. Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Abelin, Pierre Albertini, Pierre-Christophe Baguet, Raymond Barre, Jacques Barrot, Dominique Baudis, Jean-Louis Bernard, Claude Birraux, Emile Blessig, Mme Marie-Thérèse Boisseau, MM. Jean-Louis Borloo, Bernard Bosson, Mme Christine Boutin, MM. Loïc Bouvard, Jean Briane, Yves Bur, Dominique Caillaud, Jean-François Chossy, René Couanau, Charles de Courson, Yves Coussain, Marc-Philippe Daubresse, Jean-Claude Decagny, Léonce Deprez, Renaud Donnedieu de Vabres, Renaud Dutreil, Alain Ferry, Jean-Pierre Foucher, Claude Gaillard, Germain Gengenwin, Gérard Grignon, Hubert Grimault, Pierre Hériaud, Patrick Herr, Mmes Anne-Marie Idrac, Bernadette Isaac-Sibille, MM. Henry Jean-Baptiste, Jean-Jacques Jégou, Christian Kert, Edouard Landrain, Jacques Le Nay, Jean-Antoine Leonetti, François Léotard, Maurice Leroy, Roger Lestas, Maurice Ligot, François Loos, Christian Martin, Pierre Méhaignerie, Pierre Menjucq, Pierre Micaux, Hervé Morin, Jean-Marie Morisset, Arthur Paecht, Dominique Paille, Henri Plagnol, Jean-Luc Préel, Marc Reymann, Gilles de Robien, François Rochebloine, Rudy Salles, André Santini, François Sauvadet, Michel Voisin, Jean-Jacques Weber et Pierre-André Wiltzer, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi organisant une consultation de la population de Mayotte ;
Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu le code électoral ;
Vu le « mémoire ampliatif » présenté par M. Henry Jean-Baptiste, député, enregistré le 12 avril 2000 ;
Vu les observations du Gouvernement enregistrées le 21 avril 2000 ;
Vu les observations en réplique présentées par les auteurs de la saisine, enregistrées le 2 mai 2000 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que les auteurs de la saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi organisant une consultation de la population de Mayotte ; qu'ils font valoir à cet effet qu'une telle consultation est dépourvue de fondement constitutionnel et viole les principes d'indivisibilité de la République et d'unicité du peuple français ; que serait méconnue l'exigence de loyauté et de clarté à laquelle doit satisfaire une telle consultation ; que le législateur serait resté en deçà de sa propre compétence ; qu'enfin, les articles 6 et 7 de la loi seraient contraires à l'article 4 de la Constitution, à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions ;
Sur la recevabilité du mémoire enregistré au secrétariat général du Conseil constitutionnel le 12 avril 2000 :
Considérant que, si le deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution prévoit que les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel par les membres du Parlement, il réserve l'exercice de cette faculté à soixante députés ou soixante sénateurs ;
Considérant que, par lettre en date du 12 avril 2000, M. Jean-Baptiste, député signataire de la saisine, a fait parvenir au Conseil constitutionnel, sous sa seule signature, un « mémoire ampliatif » ; qu'il résulte des dispositions susrappelées de l'article 61 de la Constitution qu'un tel mémoire doit être déclaré irrecevable ;
Sur le fondement constitutionnel de la consultation :
Considérant que le premier alinéa de l'article 1er de la loi déférée prévoit qu'« une consultation sera organisée avant le 31 juillet 2000 afin que la population de Mayotte donne son avis sur l'accord sur l'avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000 et publié au Journal officiel de la République française le 8 février 2000 » ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 3 de la loi, « les électeurs auront à répondre par "oui" ou par "non" à la question suivante : "Approuvez-vous l'accord sur l'avenir de Mayotte, signé à Paris le 27 janvier 2000 ?" » ;
Considérant que les requérants soutiennent que la consultation organisée par la loi est dépourvue de base constitutionnelle ; qu'elle n'entre dans le champ d'application ni de l'article 11 de la Constitution, dès lors qu'elle tend à « demander à une partie de la population française de se prononcer sur une perspective de statut », ni dans celui de l'article 89, relatif à la révision de la Constitution ; que n'est pas davantage applicable le troisième alinéa de l'article 53 de la Constitution, « l'objet de la consultation étant dénué de tout rapport avec le principe de libre détermination » ; que, par suite, le législateur ne serait pas habilité à prendre l'initiative d'une telle consultation puisque « hors la matière des libertés publiques, on ne peut soutenir qu'est permis ce qui n'est pas explicitement interdit par la Constitution » ;
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa du Préambule de la Constitution de 1958 : « En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d'outre-mer qui manifestent la volonté d'y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l'idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique » ; que, pour la mise en oeuvre de ces dispositions, les autorités compétentes de la République sont, dans le cadre de la Constitution, habilitées à consulter les populations d'outre-mer intéressées, non seulement sur leur volonté de se maintenir au sein de la République française ou d'accéder à l'indépendance, mais également sur l'évolution statutaire de leur collectivité territoriale à l'intérieur de la République ; que, toutefois, dans cette dernière éventualité, lesdites autorités ne sauraient être liées, en vertu de l'article 72 de la Constitution, par le résultat de cette consultation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la consultation organisée par la loi déférée en vue de recueillir l'avis de la population de Mayotte sur l'accord précité du 27 janvier 2000 trouve un fondement dans le deuxième alinéa du Préambule de la Constitution de 1958 ;
Considérant enfin que les orientations statutaires contenues dans l'accord du 27 janvier 2000 ne méconnaissent aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle ;
Sur le respect des principes d'indivisibilité de la République et d'unicité du peuple français :
Considérant que les requérants soutiennent qu'« en isolant une fraction de la population nationale pour la consulter », le législateur « reconnaît implicitement l'existence d'un peuple mahorais » ; que seraient ainsi méconnus les principes d'indivisibilité de la République et d'unicité du peuple français ;
Considérant que la Constitution de 1958 a distingué le peuple français des peuples des territoires d'outre-mer, auxquels est reconnu le droit à la libre détermination et à la libre expression de leur volonté ; qu'il suit de là que ces griefs doivent être rejetés comme inopérants ;
Sur le respect des compétences respectives du législateur et du Gouvernement :
Considérant que les requérants dénoncent la « nature juridique incertaine » de l'accord sur lequel la population de Mayotte est invitée à se prononcer ; qu'ils font valoir que la loi serait entachée d'incompétence négative au regard des attributions réservées au législateur par l'article 72 de la Constitution ;
Considérant que, comme il a été dit ci-dessus, les autorités compétentes sont habilitées à consulter les populations d'outre-mer sur leur devenir au sein de la République et libres de définir l'objet de cette consultation ; que l'accord sur l'avenir de Mayotte signé à Paris le 27 janvier 2000, qui décrit les grandes orientations du nouveau statut de « collectivité départementale » envisagé pour Mayotte, est dépourvu de portée normative ; qu'aux termes mêmes du premier alinéa de l'article 1er de la loi, la population est seulement invitée à donner son « avis » sur ce document, le législateur conservant sa pleine compétence en vertu de l'article 72 de la Constitution pour déterminer le statut qui sera en définitive appliqué ; que le second alinéa de l'article 3 de la loi déférée, aux termes duquel : « Le corps électoral se prononcera à la majorité des suffrages exprimés », ne saurait être compris comme conférant des effets de droit à la consultation ; que, par suite, doit être rejeté le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu le champ de sa propre compétence ;
Considérant en revanche qu'aux termes du second alinéa de l'article 1er de la loi : « Un projet de loi prenant en compte les résultats de cette consultation sera déposé au Parlement avant le 31 décembre 2000 » ; qu'une telle injonction adressée au Gouvernement de déposer un projet de loi dans un délai déterminé ne trouve de base juridique ni dans l'article 34 de la Constitution ni dans aucune autre de ses dispositions et porte atteinte au droit d'initiative des lois conféré par son article 39 au Premier ministre ; qu'au surplus, cette disposition pourrait donner à penser que le législateur serait tenu de se conformer au contenu de l'accord au cas où celui-ci serait majoritairement approuvé par la population de Mayotte ; que le second alinéa de l'article 1er de la loi déférée, qui est détachable du premier alinéa, doit, par suite, être déclaré contraire à la Constitution ;
Sur le respect de l'exigence de clarté et de loyauté de la consultation :
Considérant que les requérants font grief à la loi de méconnaître l'exigence constitutionnelle de clarté et de loyauté à laquelle doit satisfaire la consultation qu'elle organise ; qu'en premier lieu, s'agissant de l'exigence de clarté, ils font valoir que les personnes consultées « ne sont pas en mesure de distinguer quelles conséquences emporteront, respectivement, les votes "oui" et "non", l'accord n'offrant sur le statut de Mayotte aucune alternative tranchée » ; que certains articles de cet accord seraient en outre rédigés soit dans « un jargon technocratique » qui s'accommoderait mal de l'exigence de clarté, soit dans des termes que seul « un public de juristes avertis » serait susceptible de comprendre ; qu'en deuxième lieu, le processus même d'élaboration de l'accord serait empreint de déloyauté dès lors que le consensus initialement requis n'a pas été obtenu et qu'il a été passé outre à l'opposition des deux parlementaires de Mayotte ; que, par ailleurs, en prévoyant de doter Mayotte du statut de « collectivité départementale », le Gouvernement entretiendrait volontairement la confusion avec « la revendication départementaliste claire et constante de la population de Mayotte » ;
Considérant que la question posée aux populations intéressées doit satisfaire à la double exigence constitutionnelle de clarté et de loyauté ;
Considérant que l'article 1er de la loi déférée dispose expressément que la population de Mayotte est invitée à formuler « son avis » sur l'accord précité du 27 janvier 2000 ; que le troisième alinéa du I dudit accord stipule que « Mayotte sera dotée d'un nouveau statut instauré par une loi » après que les Mahorais auront été « consultés sur les grandes orientations de ce statut » ; qu'ainsi la question posée aux votants ne comporte pas par elle-même d'équivoque quant à l'absence d'effet normatif de la consultation ; que, par ailleurs, le contenu de l'accord décrit avec une clarté suffisante les éléments essentiels du statut de « collectivité départementale » envisagé par le législateur afin de permettre à Mayotte « d'adopter une organisation juridique, économique et sociale qui se rapprochera le plus possible du droit commun » ; qu'en dénommant la nouvelle collectivité « collectivité départementale », le législateur n'a pu entretenir de confusion avec un département d'outre-mer dès lors, notamment, qu'il est clairement précisé au point 4 du II de l'accord que « Mayotte continuera de bénéficier de la spécialité législative », les lois ne s'y appliquant que « sur mention expresse et après avis du conseil général » ; que l'objectif est de n'étendre à Mayotte le principe d'identité législative qu' « à l'horizon 2010 » ; qu'enfin, il était loisible au législateur de consulter la population concernée sur un statut autre que celui de département d'outre-mer, même si le document définissant les grandes orientations de ce statut n'a pas recueilli l'accord de toutes les parties auxquelles il a été préalablement soumis ;
Considérant toutefois qu'il appartiendra aux autorités compétentes, en particulier au pouvoir réglementaire, de prévoir toutes dispositions utiles afin de rappeler à la population de Mayotte la portée purement consultative de son vote ;
Considérant que, sous cette réserve, la loi déférée satisfait à l'exigence constitutionnelle de clarté et de loyauté de la consultation ;
Sur le respect de l'article 4 de la Constitution, de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et du principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions :
Considérant que les requérants font grief aux articles 6 et 7 de la loi de réserver l'accès à la campagne électorale aux seuls partis habilités par la commission de contrôle de la consultation et de priver ainsi les autres formations politiques de Mayotte de leur liberté d'expression, en méconnaissance de l'article 4 de la Constitution, de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et du principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions ;
Considérant qu'en vertu du troisième alinéa de l'article 6 de la loi, la commission de contrôle de la consultation instituée par son article 5 est chargée « de dresser la liste des partis et groupements politiques habilités à participer à la campagne en raison de leur représentation parmi les parlementaires et les conseillers généraux élus à Mayotte » ; que l'article 7 fixe les durées des émissions radiodiffusées et télévisées qui seront mises à la disposition de ces partis et groupements ;
Considérant que, compte tenu du caractère limité du temps d'antenne disponible à la radio et à la télévision pour la campagne officielle, le législateur a pu, sans méconnaître l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ni l'article 4 de la Constitution, réserver la participation à cette campagne aux seuls partis et groupements habilités par la commission de contrôle de la consultation ; que le critère de représentativité retenu par le législateur, qui présente un caractère objectif, ne porte pas atteinte à l'exigence constitutionnelle du pluralisme des courants d'idées et d'opinions ;
Considérant qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office l'inconstitutionnalité d'aucune autre disposition de la loi déférée,
Décide :
Art. 1er. - Le second alinéa de l'article 1er de la loi déférée est déclaré contraire à la Constitution.
Art. 2. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 4 mai 2000, où siégeaient : MM. Yves Guéna, président, Georges Abadie, Michel Ameller, Jean-Claude Colliard, Alain Lancelot, Mme Noëlle Lenoir, M. Pierre Mazeaud et Mmes Monique Pelletier et Simone Veil.