J.O. Numéro 47 du 25 Février 2000       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Avis rendu par le Conseil d'Etat sur des questions de droit posées par un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel (1)


NOR : CETX0003979V




Le Conseil d'Etat (section du contentieux),
Sur le rapport de la 9e sous-section de la section du contentieux,
Vu, enregistré le 11 octobre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 5 octobre 1999 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, avant de statuer sur la demande de M. Henri Mouflin tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 10 novembre 1998 par lequel l'inspecteur d'académie de la Marne a annulé l'arrêté du 20 octobre 1998 radiant M. Mouflin des cadres en vue de faire valoir ses droits à la retraite avec jouissance immédiate de sa pension, a décidé, par application des dispositions de l'article 12 de la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1o L'entrée en vigueur de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 a-t-elle eu pour effet d'abroger implicitement les dispositions de l'article L. 24-I (3o) du code des pensions civiles et militaires ? Dans l'affirmative, cette abrogation ne vise-t-elle que la discrimination opérée en faveur des seules femmes fonctionnaires ou a-t-elle pour effet d'étendre le bénéfice des dispositions de l'article L. 24-I (3o) aux fonctionnaires des deux sexes ?
2o La pension de retraite à laquelle prétend M. Mouflin entret-elle dans le champ d'application de l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne ? Dans l'affirmative, compte tenu notamment du paragraphe 3 de l'article 6 de l'accord annexé au protocole no 14 sur la politique sociale, le principe d'égalité des rémunérations est-il méconnu par les dispositions de l'article L. 24-I (3o) du code des pensions civiles et militaires de retraite ? Dans la négative, les dispositions de la directive 79/7 font-elles obstacle au maintien des dispositions de l'article L. 24-I (3o) ? La remise en cause des dispositions de l'article L. 24-I (3o) du code des pensions civiles et militaires de retraite doit-elle être limitée à la seule discrimination qu'elles édictent ou se traduit-elle par l'impossibilité pour les fonctionnaires des deux sexes d'en revendiquer le bénéfice ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le traité de Rome instituant la Communauté économique européenne devenue la Communauté européenne, notamment son article 119 (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE) ;
Vu le traité sur l'Union européenne et les protocoles qui y sont annexés ;
Vu la directive 76/207/CEE du Conseil du 9 février 1976 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles et les conditions de travail ;
Vu la directive 79/7/CEE du Conseil du 19 décembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ;
Vu la directive 86/378/CEE du Conseil du 24 juillet 1986 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite, notamment son article L. 24 ;
Vu la loi no 64-1339 du 26 décembre 1964 portant réforme du code des pensions civiles et militaires de retraite et la loi no 77-1466 du 30 décembre 1977 ;
Vu la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et la loi no 90-602 du 12 juillet 1990 ;
Vu les articles 57-11 à 57-13 ajoutés au décret no 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret no 88-905 du 2 septembre 1988 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance no 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret no 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987, notamment son article 12 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mahé, auditeur ;
- les observations de la SCP Masse-Dessen, Georges, Thouvenin, avocat de M. Mouflin ;
- les conclusions de M. Goulard, commissaire du Gouvernement,
Rend l'avis suivant :
1o L'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dispose : « Aucune distinction ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur sexe,... ».
Ces dispositions ne sont pas inconciliables avec les règles qui, dans le code des pensions civiles et militaires de retraite, sont plus favorables aux femmes qu'aux hommes, dès lors que ce code est distinct du statut général des fonctionnaires par son objet et son champ d'application.
Il en résulte que l'entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1983 n'a eu ni pour objet ni pour effet d'abroger implicitement, pour les fonctionnaires civils de l'Etat, les dispositions du 3o du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite en tant qu'elles refusent aux hommes la possibilité de faire valoir immédiatement leurs droits à la retraite dans les mêmes conditions que les femmes, notamment lorsque leur conjoint est atteint d'un infirmité ou d'une maladie incurable le plaçant dans l'impossibilité d'exercer une profession quelconque.
2o Par décision en date du 28 juillet 1999, rendue sur une requête de M. Griesmar tendant à ce que soit étendu aux hommes le bénéfice de l'avantage réservé aux femmes par le b de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite, le Conseil d'Etat a saisi la Cour de justice des Communautés européennes afin qu'elle se prononce notamment sur la question suivante : à l'article 119 du traité CE (les articles 117 à 120 du traité CE ont été remplacés par les articles 136 CE à 143 CE), le terme « rémunérations » doit-il être interprété en ce sens qu'il englobe des pensions de retraite telles que celles qui sont servies en application du code des pensions civiles et militaires de retraite français, ou ces pensions doivent-elles être regardées comme des prestations de sécurité sociale régies par la directive 79/7/CEE du 19 décembre 1978 relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale ?
La seconde question posée par le tribunal administratif et concernant la compatibilité des dispositions du 3o du I de l'article L. 24 avec les règles de droit communautaire soulève, à titre préalable, une difficulté identique.
Il revient au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'apprécier si, compte tenu de ces éléments, il estime nécessaire pour rendre son jugement de saisir lui aussi la Cour de justice des Communautés européennes, conformément à la possibilité qui lui est ouverte par l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), afin que celle-ci, après avoir tranché la question précitée, statue également sur la question de savoir si les règles de droit communautaire applicables font obstacle à une différence de traitement telle que celle instituée par le 3o du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, à M. Mouflin, au syndicat général de l'éducation nationale et de la recherche publique CFDT de la Marne et au ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.

(1) Avis no 213321 du 4 février 2000.