Paris, le 9 février 1999.
Le garde des sceaux, ministre de la justice, le ministre de l'intérieur, le ministre de l'équipement, des transports et du logement et le secrétaire d'Etat au logement à Madame et Messieurs les préfets de région et Mesdames et Messieurs les préfets de département
L'expulsion pour non-paiement du loyer ou des charges d'une personne ou d'une famille impécunieuse est un facteur d'exclusion et de rupture sociale. L'objectif à valeur constitutionnelle du droit au logement, qui implique une possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent, a amené le Gouvernement à proposer au Parlement de créer un dispositif de prévention des expulsions en cas d'impayés de loyer dans le cadre de la loi no 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.
Le nouveau dispositif dans lequel les acteurs publics et sociaux ont à jouer un rôle tout à fait majeur vise à substituer à une logique d'ordre public une logique de traitement social et préventif de l'expulsion.
L'objectif est de traiter dans les plus courts délais l'impayé de loyer et de trouver une solution adaptée à chaque situation afin que l'expulsion pour cause d'impayé de loyer soit non pas impossible, mais limitée dans les faits aux locataires de mauvaise foi. La solidarité nationale, dont l'Etat est le garant, doit être mise en oeuvre à temps pour les locataires dont le maintien dans le logement est compromis en raison des difficultés qu'ils rencontrent du fait de leurs conditions de ressources.
Ainsi, le dispositif renforce le droit au logement des personnes en difficulté, tout en permettant une meilleure protection du droit de propriété. En effet, l'intervention en amont sur les situations d'impayés et l'amélioration sensible de la solvabilisation des locataires doivent éviter le développement cumulatif, au fil de la procédure d'expulsion souvent longue et complexe, de dettes de loyers irrécupérables.
1. Développer la prévention des expulsions
L'évolution fondamentale apportée par cette réforme consiste à rendre obligatoire dans le parc social une phase précontentieuse avant saisine du juge et à mettre en oeuvre une démarche de prévention sous la responsabilité du préfet durant la phase contentieuse.
1.1. L'amélioration de la phase précontentieuse dans le parc social (art. 115 de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions)
Il est institué pour les bailleurs sociaux - à savoir, d'une part, les organismes HLM pour l'ensemble de leur parc conventionné et non conventionné et, d'autre part, les sociétés d'économie mixte pour leur parc conventionné et dans les départements d'outre-mer, pour les logements construits, acquis ou améliorés avec le concours financier de l'Etat - l'obligation de saisir, préalablement à toute assignation aux fins de constat de résiliation du bail, la section départementale des aides publiques au logement (SDAPL) du conseil départemental de l'habitat pour les bénéficiaires de l'aide personnalisée au logement (APL) ou l'organisme payeur pour les bénéficiaires d'une des allocations de logement.
Cette saisine doit respecter les règles actuelles relatives au délai de constitution de l'impayé au sens des articles R. 351-30 du code de la construction et de l'habitation et R. 831-21 et D. 542-19 du code de la sécurité sociale et en particulier doit mettre en évidence que le bailleur a pris les contacts utiles avec son locataire pour rechercher une solution amiable en vue du recouvrement de sa créance.
La SDAPL ou l'organisme payeur de l'allocation logement, saisi par le bailleur, a pour compétence de statuer sur le maintien ou la suspension de l'aide au logement. La SDAPL ou l'organisme payeur prend une première décision conservatoire de maintien de l'aide pour une période de trois mois durant laquelle il convient de mettre en place une solution amiable afin d'éviter la saisine du juge. L'aide ne peut être maintenue que pendant un délai destiné à mettre au point un plan d'apurement. Dès l'approbation du plan, l'aide est maintenue sans délai sous réserve d'une vérification régulière de la bonne exécution du plan par la SDAPL ou l'organisme payeur. La recherche de solutions peut consister en la conclusion d'un plan entre le bailleur et le locataire recourant si nécessaire à une mesure d'accompagnement ou à une aide financière, notamment par le fonds de solidarité pour le logement (FSL).
Dans les situations très difficiles où le paiement du loyer apparaît structurellement incompatible avec les ressources du ménage, la solution peut être un relogement en priorité dans le patrimoine du bailleur et, à défaut, dans le cadre du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALD) et des réservations préfectorales.
1.2. Le rôle du préfet dans la mise en oeuvre de la démarche de prévention au cours de la procédure contentieuse (art. 114 de la loi)
La nouvelle procédure instituée dans le délai séparant l'assignation tendant au constat de la résiliation du bail et l'examen de l'affaire par le juge est applicable aussi bien dans le parc social que dans le parc privé. Désormais, les assignations tendant au constat de la résiliation du bail sont, à peine d'irrecevabilité, transmises en copie par les huissiers de justice au préfet, à qui est imparti un rôle essentiel dans le processus de prévention des expulsions.
La période comprise entre votre saisine par l'huissier de justice et la date de l'audience doit être mise à profit pour rechercher les solutions les mieux adaptées aux situations à traiter.
Dès réception de l'assignation notifiée à la diligence de l'huissier de justice, vous veillerez à ce que les services sociaux compétents soient saisis d'une demande d'enquête sociale en urgence, visant à mettre en place, pour les ménages le nécessitant, les aides susceptibles d'être mobilisées et à informer le juge de la situation du ménage sur les causes de l'impayé. Cette saisine doit préciser la date à laquelle ces renseignements doivent vous être communiqués à fin de transmission au juge pour éclairer sa décision.
Il vous revient en fonction des réalités départementales d'arrêter le service social concerné dont vous aurez organisé les modalités de saisine en lien avec les autorités compétentes (conseil général, maire, caisse d'allocations familiales ou caisse de mutualité sociale agricole, associations).
Il est important que le service social désigné propose un contact à ces personnes pour qu'elles puissent exposer leurs difficultés, en priorité celles bénéficiant d'aide personnalisée au logement ou d'allocation de logement.
En fonction du nombre de baux résiliés dans le département, vous pouvez proposer aux partenaires de l'Etat dans le cadre du PDALD d'élargir à un ou plusieurs organismes ou associations agréés à cet effet la mission de diagnostic et de recherche de solutions pour les personnes concernées.
Après l'examen des droits en matière d'aides au logement, seront recherchées dans les cas d'impécuniosité et de bonne foi toutes les solutions adaptées : un apurement des dettes, la mise en place d'aides financières, la saisine du FSL en urgence, ainsi qu'éventuellement des mesures d'accompagnement social en particulier pour les personnes en difficulté au sens de l'article 1er de la loi no 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement.
S'agissant des locataires du parc social bénéficiant d'une aide au logement, le délai de deux mois entre l'assignation et l'audience doit être mis à profit par tous les partenaires, pour mobiliser les aides qui n'ont pu l'être pendant la phase précontentieuse lors de l'instruction par la SDAPL ou par l'organisme payeur d'une des allocations de logement et éventuellement finir d'élaborer un plan d'apurement. Pour les personnes et familles résidant dans le parc privé ou pour celles non allocataires résidant dans le parc public, l'enquête sociale, en l'absence d'autres informations liées à la phase précontentieuse, doit permettre l'examen de leur situation, voire la saisine éventuelle du FSL.
L'augmentation significative des moyens du FSL en 1999, après une première majoration intervenue en 1998, doit permettre de faciliter l'élaboration de plans d'apurement et de financer les missions d'enquête sociale qui seraient confiées à des organismes ou des associations agréés.
Vous transmettrez au juge les informations dont vous disposez, avant le terme du délai de deux mois ouvert par l'assignation, afin que celui-ci puisse se prononcer en connaissance de l'ensemble des éléments de la procédure administrative et sociale, y compris les éléments recueillis par la SDAPL ou les organismes payeurs en ce qui concerne les locataires bénéficiaires d'aides au logement.
2. Les nouveaux pouvoirs du juge
(art. 114 et 117 de la loi)
Alors que précédemment le juge ne pouvait accorder de délais de paiement ayant pour effet de suspendre la clause résolutoire que s'il était saisi d'une demande à cette fin formulée par le locataire dans les deux mois suivant le commandement de payer, il pourra désormais le faire à tout moment, et même d'office s'il estime que le locataire est en situation de régler sa dette locative.
Le juge saisi aura reçu les éléments transmis par le préfet qui lui permettront d'être éclairé et de se prononcer en connaissance de l'ensemble des éléments de la procédure administrative et sociale. Grâce à cet apport, il pourra, au vu de ces éléments, décider ou non de constater la résiliation du bail, d'ordonner l'expulsion ou d'accorder des délais.
Dans le cas où le juge maintient le bail et donne des délais pour un apurement de la dette, les aides au logement sont maintenues dans les conditions réglementaires.
Le nombre de dossiers qui auront pu être réglés en amont grâce au dispositif précontentieux devrait permettre de réduire le volume des affaires contentieuses relatives aux litiges portant sur les rapports locatifs.
Par ailleurs, le juge dispose désormais de la faculté d'informer le préfet de tous les jugements statuant sur les délais et l'expulsion, en vue de la prise en compte de la demande de relogement de l'occupant dans le cadre du PDALD. Pour les personnes ou familles relevant de l'article 1er de la loi du 31 mai 1990, ce relogement doit constituer un objectif prioritaire pour lequel les dispositions du plan, des chartes intercommunales d'attribution et les réservations préfectorales doivent être mobilisées.
3. L'exécution des décisions de justice
La mise en place d'un dispositif de prévention des expulsions faisant intervenir très activement la solidarité nationale doit tendre à ramener aux seuls cas de mauvaise foi les situations dans lesquelles le juge sera amené à ordonner l'expulsion et limiter d'autant les concours de force publique sollicités des préfets.
En permettant de dégager des solutions favorables aux deux parties, cette procédure concilie la mise en oeuvre de l'objectif à valeur constitutionnelle du droit au logement et le respect du droit de propriété.
A cet égard, le juge qui accorde à l'occupant maintenu dans son logement des délais pour quitter les lieux fixe le montant de l'indemnité d'occupation due par l'occupant au propriétaire. De même, en cas de refus d'octroi du concours de la force publique pour libérer les lieux, les propriétaires, sur leur demande, sont indemnisés par la collectivité publique du préjudice qu'ils subissent.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de juillet 1998, a souligné que l'octroi du concours de la force publique ne peut être subordonné à l'hébergement préalable des personnes expulsées. Néanmoins, il vous appartient d'être vigilant quant aux troubles à l'ordre public que peuvent faire naître des situations sociales mal traitées et donc d'être attentif aux situations difficiles en veillant à leur prise en compte tant dans les plans départementaux pour le logement des personnes défavorisées et les plans d'hébergement d'urgence que dans l'accord départemental avec les organismes HLM, décliné dans les chartes intercommunales instituées par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.
4. Améliorer la coordination des partenaires
concernés par la prévention des expulsions
Les ménages de bonne foi menacés d'expulsion constituent un public prioritaire des PDALD. Afin d'identifier les ménages relevant de la solidarité nationale et de mobiliser toutes les aides permettant d'éviter le recours à l'expulsion, il importe d'associer, selon les modalités définies dans la charte départementale de prévention des expulsions, l'ensemble des partenaires de ces plans, en premier lieu les départements, les communes ou groupements de communes mais également les organismes payeurs de l'aide personnalisée au logement ou d'une des allocations de logement, les bailleurs publics et privés, les commissions de surendettement, la commission d'action sociale d'urgence (CASU) et les associations.
Dans la même optique, un travail de concertation est engagé entre le ministère du logement et la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) sur les possibilités et les modalités de transmission d'informations concernant la situation sociale et financière des ménages menacés d'expulsion.
La mise en oeuvre de l'ensemble des dispositions de prévention des expulsions passe donc également par l'élaboration, avec l'ensemble des partenaires concernés, de la charte départementale de prévention des expulsions prévue par l'article 121 de la loi no 98-657 du 29 juillet 1998 qui doit intervenir dans chaque département dans les meilleurs délais et au plus tard dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi.
L'objectif visé par le législateur est que, sur le terrain, l'ensemble des partenaires se mobilisent, en fonction des réalités locales, pour accroître leur efficacité et réduire très sensiblement le nombre des expulsions. Un document de synthèse sur les démarches existantes et les enseignements à en tirer pour l'élaboration de ces chartes sera mis à votre disposition par la direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction.
Le critère principal de réussite du dispositif mis en place par la loi sera la baisse du nombre de jugements de résiliation de bail et d'expulsion.