J.O. Numéro 111 du 14 Mai 1998       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet

Texte paru au JORF/LD page 07273

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Avis rendu par le Conseil d'Etat sur des questions de droit posées par un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel (1)


NOR : CETX9802961V




   Le Conseil d'Etat,

   Sur le rapport de la 9e sous-section de la section du contentieux,

   Vu, enregistré le 18 décembre 1997 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 9 décembre 1997 par lequel le tribunal administratif d'Orléans, avant de statuer sur la demande de la Société de distribution de chaleur de Meudon et Orléans (SDMO) tendant à la réduction de la cotisation supplémentaire à l'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 1989, a décidé, par application des dispositions de l'article 12 de la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question suivante : l'administration est-elle en droit de faire usage de la procédure de répression des abus de droit à l'encontre d'un contribuable qui a appliqué à la lettre une doctrine contenue dans une instruction publiée et non rapportée à la date des opérations en cause ?

   ...................

   Vu les autres pièces du dossier ;

   Vu le code général des impôts ;

   Vu le livre des procédures fiscales ;

   Vu les articles 57-11 à 57-13 ajoutés au décret no 63-766 du 30 juillet 1963, modifié par le décret no 88-905 du 2 septembre 1988 ;

   Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

   Vu l'ordonnance no 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret no 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi no 87-1127 du 31 décembre 1987, notamment son article 12 ;

   Après avoir entendu en audience publique :

   - le rapport de M. Collin, auditeur ;

   - les conclusions de M. Goudard, commissaire du Gouvernement,

   Rend l'avis suivant :

   L'article L. 64 du livre des procédures fiscales, relatif à la procédure de répression des abus de droit, dispose que : « Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : ...qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus... L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article , le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement. » Il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes, même s'ils n'ont pas un caractère fictif, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu regard à sa situation et à ses activités réelles.

   L'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dispose que : « Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. » Il résulte de ces dispositions qu'elles instituent un mécanisme de garantie au profit du contribuable, qui, s'il l'invoque, est fondé à se prévaloir de l'interprétation contraire à la loi que l'administration a donnée de celle-ci dans ses instructions ou circulaires dont il a respecté les termes.

   Dans l'hypothèse où le contribuable n'a pas appliqué les dispositions mêmes de la loi fiscale mais a seulement entendu se conformer à l'interprétation contraire à celle-ci qu'en avait donnée l'administration dans une instruction ou une circulaire, l'administration ne peut faire échec à la garantie que le contribuable tient de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales et recourir à la procédure de répression des abus de droit en se fondant sur ce que ce contribuable, tout en se conformant aux termes mêmes de cette instruction ou circulaire, aurait outrepassé la portée que l'administration entendait en réalité conférer à la dérogation aux dispositions de la loi fiscale que l'instruction ou la circulaire autorisait. Elle peut seulement, le cas échéant, contester que le contribuable remplissait les conditions auxquelles l'instruction ou la circulaire subordonne le bénéfice de l'interprétation qu'elle donne.

   Le présent avis sera notifié au tribunal administratif d'Orléans, à la Société de distribution de chaleur de Meudon et Orléans et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

   Il sera publié au Journal officiel de la République française.

   (1) Avis no 192539 du 18 avril 1998.