A l'occasion de la rédaction du projet de rapport au Parlement sur
les
conséquences du développement du diesel, j'ai fait les constatations
suivantes :
- Lors du lancement du programme de recherche sur les transports
(PREDIT), en 1990, j'ai eu l'occasion de m'exprimer en tant que président du groupe
interministériel sur l'effet de serre. Face à un programme de 500 M.F. d'aides
publiques, essentiellement destinées aux constructeurs d'automobiles, dont près du
quart destiné au "véhicule propre et économe", j'ai fait remarquer que ces aides
publiques pesaient peu face aux milliards que les constructeurs consacrent chaque
année en études et recherches mais que les constructeurs avaient grand besoin d'être
éclairés sur ce qu'est un "véhicule propre". J'ai suggéré alors de façon pressante que
le dixième du Prédit (soit 50 M.F./an) soit consacré à hiérarchiser les inconvénients
des très nombreux polluants émis par les divers types de moteurs et de carburants.
J'étais en particulier très frappé par l'absence de connaissances dans ces domaines et
notamment en ce qui concerne les particules du diesel, dont on parlait déjà
beaucoup.
J'ai souligné que chacun devait faire son métier :
- les pouvoirs publics devaient financer les recherches, dans des
laboratoires publics (INSERM, CNRS, INERIS) qui permettent d'éclairer à long
terme les contraintes croissantes que la réglementation ferait peser sur les
constructeurs et d'asseoir cette réglementation sur des connaissances précises et
objectives et non sur quelques paramètres intégrant de façon sommaire de nombreux
polluants très divers (COV, particules) vis-à-vis desquels on édicte un niveau
d'émission maximal en fonction des performances de telle ou telle technologie.
- les constructeurs avaient davantage besoin d'être éclairés sur les contraintes
futures d'environnement qu'aidés à faire leur propre métier.
Mes suggestions n'ont pas été suivies. Pendant la durée du PREDIT
(1990-1994), il a été consacré 8 M.F. seulement de crédits publics à la métrologie
des émissions et aux effets sur la santé !
Avec le programme PRIMEQUAL qui, depuis 1995, regroupe les crédits
de l'ADEME, du Ministère de l'environnement et du Ministère de la santé, un effort
tardif et encore très insuffisant a été entrepris (10,5 M.F. en 1995).
- Connaissance de l'état de pollution de l'air
Le dispositif actuel de surveillance de la pollution se caractérise par
l'absence d'une stratégie claire. Pour connaître, à un coût raisonnable, les variations
dans l'espace et dans le temps de la pollution d'un milieu comme l'air de nos
agglomérations, il est indispensable d'optimiser la répartition des mesures (dans
l'espace et dans le temps) : ceci ne peut être fait qu'en recourant à une analyse
statistique fine des résultats obtenus et à des modèles de dispersion des polluants.
Presque tout reste à faire dans ce domaine. On a développé des réseaux de
surveillance en continu d'un nombre limité de paramètres, en des points
choisis au départ pour surveiller des sources fixes de pollution. Ce n'est que très récemment 5
à 10 ans, qu'a émergé le souci de mesurer la pollution résultant du trafic automobile.
On ne dispose pas au niveau national d'une caractérisation précise des conditions
"implantation des diverses stations.
Des campagnes de mesures par matériel mobile devraient sans doute
compléter les observations continues des stations fixes. Pour apprécier l'exposition
au risque de silicose chez les mineurs, on a développé des capteurs portatifs il y a
plus de 20 ans ; rien de semblable n'existe dans le suivi de la pollution de l'air.
Au total, les informations disponibles me paraissent loin de permettre
d'apprécier l'exposition au risque des populations urbaines avec la précision
nécessaire à des études épidémiologiques convainquantes.
Beaucoup de mesures pourraient être allégées (par exemple sur le SO2)
et en même temps les mesures sont absentes ou trop synthétiques sur des polluants
dont l'impact sur la santé risque d'être important :
- sous l'impulsion des règlements, on a profondément modifié la
formulation des carburants sans que l'on ait suivi l'impact de ces évolutions
sur les concentrations de l'air en H.A.M., H.A.P. et aldéhydes divers
- le suivi des particules est des plus sommaires alors même que le
débat est lancé sur les particules du diesel depuis plus de 10 ans. De surcroît
en 1993, le Ministère de l'environnement a demandé aux réseaux de
surveillance de la pollution de l'air de changer la courbe d'étalonnage des
capteurs de mesure des filmées noires : ce changement est intervenu à des
dates diverses, courant 1993 dans les réseaux, provoquant une baisse,
artificielle et variable dans le temps, des résultats de mesure annoncés (20 à
40 %) qui rend inutilisable, en l'état les séries de mesures qui auraient pu
mettre en évidence l'impact de la diésélisation du parc d'automobiles sur la
pollution particulaire. Il est indispensable de reprendre les calculs des
concentrations
en fumées noires avec l'ancienne courbe d'étalonnage pour disposer des
deux séries de
résultats pendant quelques années.
- Le cas des particules est exemplaire pour illustrer le manque de
réflexion synthétique sur ce dossier pollution de l'air.
J'ai eu les plus grandes difficultés à obtenir des informations qui
restent imprécises sur ce que l'on mesure quand on surveille la pollution de
l'air d'une part et quand on mesure les émissions des véhicules d'autre part.
Depuis des décennies, on sait à propos de la silicose que l'effet des
poussières dépend d'abord de leur granulométrie, ensuite de leur composition
chimique et même de leur structure.
Or on se contente de suivre, dans l'air, la masse globale des
particules présentes en dessous d'un certain diamètre qui est tantôt 13
microns tantôt 5 microns. On sait mal quel est le pouvoir de capture des
filtres utilisés pour les particules les plus fines : il semble que l'essentiel en
nombre des particules de moins de 0,5 à 0,3 microns échappe aux filtres.
Les travaux sur les pneumoconioses ont montré que seules les
particules de moins de 2 à 3 microns atteignaient les alvéoles pulmonaires et que la
surface des particules, c'est-à-dire en fait leur nombre, était plus importante à
connaître que leur masse.
J'ai par ailleurs constaté que les personnes qui connaissaient (à l'ADEME, au
Ministère, et à l'école des Mines de Douai) les techniques de mesure des poussières dans
l'atmosphère, ne connaissaient pas la répartition granulométrique des particules émises par
les moteurs diesel. Ces particules ont moins d'un micron et la moitié d'entre elles en
masse auraient moins de 0,3 microns : les capteurs qui
surveillent les particules dans l'air de nos villes paraissent donc inaptes à
mesurer les particules engendrées par le diesel, qui sont pourtant aujourd'hui
au centre de toutes les préoccupations relatives à la pollution urbaine.
Alors même que les compétences du CERCHAR en pneumoconiose (et
en explosions) m'avaient poussé en 1987 à recommander son rattachement au
Ministère de l'environnement, j'ai découvert que l'INERIS était très peu impliqué
dans le présent problème et que sa collaboration avec l'ADEME était faible et
plutôt difficile (comme s'il y avait concurrence et non complémentarité entre
les deux institutions).
Le résultat de cette situation est que personne ne peut affirmer avec
certitude aujourd'hui que l'oxydation catalytique des effluents du diesel, imposée au
11-1997 va réellement réduire les inconvénients du diesel : on s'attend à une
réduction en masse des particules de l'ordre de 40 % mais avec peut-être une
augmentation de leur nombre.
- Connaissance des émissions
- 4. 1. - A propos des particules, j'ai essayé de savoir si les combustions sous
chaudières émettaient des particules aussi fines et aussi abondantes que les moteurs
diesel. La réponse de l'I.F.P. a été : on ne sait pas, il n'y a pas de mesures puisque
ces émissions ne sont pas réglementées comme celles du diesel mais il n'y a pas de
raison pour que les émissions soient sensiblement différentes de celles du diesel.
Les moteurs à essence sont réputés ne pas émettre de particules ; ils n'ont jamais émis de
fumées noires visibles, ce qui fait qu'on ne s'est guère intéressé à les mesurer. On dit
aujourd'hui qu'ils émettent en réalité un très grand nombre de particules mais très fines,
difficiles à mesurer.
A signaler que, lorsqu'on a voulu comparer les émissions de
moteurs à allumage commandés, alimentés en G.N.V., avec celles des
moteurs diesel qui équipent les bus, on a fait sur les deux moteurs des
mesures selon le protocole habituel applicable au diesel et on a trouvé, avec
étonnement des particules dans le moteur au G.N.V.
Sur le plan des particules les plus fines j'ai posé deux questions restées
sans réponse claire :
- les particules les plus fines sont-elles dangereuses pour la santé
? Il m'a été répondu d'une part que les particules de moins de 0,05 microns
ne se déposaient pas dans les alvéoles mais étaient expulsées à l'expiration et
d'autre part que les particules très fines étaient susceptibles de passer
directement dans le sang au niveau de l'alvéole.
- jusqu'à quel diamètre retient-on les particules dans les mesures
réglementaires des émissions ? Il semble que ce soit 0, 1 micron.
- 4.2. - Influence des circonstances de la mesure des émissions
Cet autre domaine n'a pas fait l'objet de toutes les investigations
nécessaires. On peut s'intéresser aux émissions mesurées dans des circonstances
très diverses. De la plus conventionnelle, à la plus proche des circonstances réelles
(l'utilisation d'un véhicule, on rencontre :
- les émissions d'un véhicule spécialement préparé pour l'homologation testé
selon le cycle M.V.E.G. (mi urbain - mi routier). Ces émissions ne paraissent pas
être connues de l'administration de l'environnement qui sait seulement si le véhicule
est en dessous ou au dessus de la norme.
- les émissions qui pourraient être mesurées sur un véhicule neuf
quelconque prélevé en bout de chaîne. L'Administration ne parait pas faire
de tels contrôles. La directive octroie une tolérance de 16% pour le CO, les
H.C, et NOx et de 28% pour les particules par rapport à la norme
d'homologation.
- les conditions moyennes réelles d'utilisation des véhicules en ville diffèrent
sensiblement de celles du cycle d'homologation. Pour des véhicules en service,
représentatifs du parc et réglés avant l'essai, l'INRETS trouve des résultats 2,5 fois
supérieurs à la norme d'homologation pour le CO et supérieurs de 20 % pour HC +
NOx pour des véhicules essence catalysés
- l'état de réglage des véhicules est enfin un facteur important de
modification des émissions. Une étude en cours à l'INRETS, sur
financement de Bruxelles, suggère que les véhicules diesels récents ne se
dérèglent pas alors que les véhicules à essence catalysés présentent assez
fréquemment (1 sur 5 sur un échantillon encore trop petit) des écarts
substantiels : + 20 % sur les NOx, + 100 % sur CO et HC.
Je n'ai pas trouvé, chez mes interlocuteurs, une présentation claire de ces
phénomènes.
- J'ai noté à la D.S.C.R. un mépris inquiétant à l'égard de
l'INRETS, centre de recherche qui devrait jouer un rôle important pour éclairer
l'administration. Si les travaux de l'INRETS sont vraiment mauvais, il me paraît
indispensable que la D.S.C.R. s'attache à obtenir la correction d'une situation
dommageable : une administration chargée de réglementer dans un domaine aussi
important que l'automobile doit tout faire pour être aussi bien éclairée que possible
par des études et recherches de qualité et indépendantes.
- Ces problèmes de pollution par les transports sont traités trop
exclusivement par des approches d'ingénieurs qui focalisent leur attention sur la
technologie du véhicule et me paraissent négliger :
- la dimension système du transport urbain
- l'optimisation économique de l'action.
Je n'ai pas trouvé de données fiables sur des sujets tels que :
- la pollution comparée par passager-km des bus et des voitures particulières
compte tenu de l'insuffisance des connaissances sur les taux de remplissage aux
divers moments de la journée
- l'efficacité relative des bus et des voitures particuliers en matière
d'utilisation de la surface de la voirie : aux heures de pointe, combien de
passager/heure véhicule-t-on Sur un m2 de voirie dans chacun des deux modes
(sur voirie banalisée et sur un couloir réservé) ?
- l'effet de la congestion sur les émissions ; quelle pollution marginale
apportent 10 % de véhicules en plus qui dégradent les conditions de
circulation et augmentant la pollution de tous ? A la limite, quand on arrive
au blocage complet, elle tend vers l'infini.
La dimension économique de l'action devrait être omniprésente : quel est
le coût d'évitement de l'émission d'une unité de pollution supplémentaire, attaché à
chaque décision envisagée ? J'ai dû renoncer à traiter ce sujet dans le rapport
"diesel" faute de données.
- Enfin je soulignerais deux points :
- les moyens en personnels chargés de travailler sur la pollution
des transports me paraissent dérisoires comparés à ceux que nous
consacrons encore à la surveillance des exploitations de sables et graviers.
Les enjeux respectifs de ces deux activités ne justifieraient-ils pas un
rééquilibrage sensible ?
- les faibles moyens en personnels aujourd'hui consacrés à ce
problème par le ministère de l'environnement à l'échelon central sont
éparpillés entre la D.P.P.R. et l'ADEME et, au sein de l'ADEME, sont
dispersés entre trois sites (Vanves, la Défense, Sophia Antipolis) et trois
départements ou directions. Il en résulte une difficulté (pour ne pas dire une
incapacité) grave à traiter ce sujet avec le recul nécessaire.
J'avais accepté la mission "rapport diesel" persuadé que je n'aurais
qu'à faire une synthèse facile de données déjà bien digérées, ce qui précède
montre qu'il n'en a rien été.