A mon arrivée au Ministère, je me suis trouvé confronté à trois problèmes, celui des services publics, celui des dévaluations compétitives et, en fin d'année celui des grèves.
S'agissant de la politique des services publics, le Premier Ministre m'a demandé d'animer une Table ronde. Ces discussions, qui seront poursuivies avec les organisations syndicales, traduisent une volonté de dialogue et de concertation sur les principes et les millions du service public. Bien entendu, le dialogue social proprement dit incombe aux directions des entreprises publiques, auxquelles je renouvelle ma confiance.
Les services publics industriels et commerciaux vont subir une profonde mutation, pour des raisons qui tiennent aux évolutions technologiques et à un certain nombre de contraintes européennes.
La France est un pays souverain, qui s'intègre à la construction européenne en vertu du principe de subsidiarité. Dés lors, c'est à elle d'affirmer les missions sur lesquelles se fondent les principes du service public, tels l'égalité d'accès, la continuité et la qualité du service, qui seront défendus face à nos partenaires européens.
Pour mener à bien la mutation nécessaire du service public, il nous faut d'abord rompre avec la confusion qui s'établit entre les aspects matériels, c'est à dire les missions du service public, et les aspects organiques, c'est à dire l'organisation du service, afin de choisir la meilleure possible. Il ne suffit pas qu'une activité soit exercée par une entreprise publique pour qu'il s'agisse d'un service public. Il peut y avoir des services publics exercés dans un environnement totalement concurrentiel.
Il nous faut aussi respecter les hommes et les femmes qui font le service public. Cela passe par le dialogue social permanent sur les carrières, les salaires et les retraites, et par l'intégration du personnel dans le cadre de véritables projets d'entreprise mobilisateurs ; cela oblige aussi à respecter, quel que soit le mode d'organisation choisi pour cette entreprise, le statut du personnel.
François Fillon, Ministre Délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l'Espace, a la responsabilité de mener à bien la réforme des statuts de France-Télécom. L'ouverture à la concurrence est un engagement international de la France qui sera respecté. France-Télécom est une entreprise dont les remarquables atouts technologiques et humains lui permettent d'envisager l'avenir avec confiance, à condition de renouveler sa stratégie.
Cette évolution doit prendre en compte les intérêts de toutes les parties concernées : les utilisateurs, quelle que soit leur taille, le personnel, et l'Etat actionnaire. Il s'agit de bâtir dans la concertation, un projet d'avenir partagé par tous les acteurs.
Une réflexion profonde est engagée sur le périmètre du service public, les modalités de son exercice, les structures et les instances de régulation qui doivent le garantir. Ce doit être l'occasion d'un nouveau départ, d'un nouvel élan pour le service public qui doit écrire une nouvelle page de son histoire.
Le deuxième problème est donc celui des dévaluations compétitives. La concurrence entre les Etats est aussi réelle que la concurrence entre les entreprises. La politique commerciale stratégique et la politique de recherche doivent donc être définies avec nos partenaires européens dans le souci d'assurer la promotion des règles loyales du commerce international mais aussi de garantir l'indépendance de l'Europe dans les domaines stratégiques. C'est une ligne que je défends avec opiniâtreté, comme vous le savez, lors de mes interventions et de mes rencontres européennes.
Les grèves importantes qu'a connu notre Pays en fin d'année ont traduit une inquiétude profonde, un désarroi face à l'avenir dont la maîtrise semble échapper aux individus, et une certaine réticence devant les changements et les réformes que l'on sait bien au fond de soi, absolument nécessaires.
La France vit une époque de révolution. Révolution dans les mentalités, dans les structures, dans la société, dans la technologie. Il est bien naturel qu'un bouleversement trop rapide et trop brutal suscite des inquiétudes et des désarrois. Mais nous ne pouvons pas tourner le dos à l'avenir. Ce contexte ne laisse aucune place à l'immobilisme et aux combats d'arrière garde.
Rien ne serait pire que de refuser tout changement, de se crisper dans l'attentisme. Saint Just disait : "ceux qui font les révolutions à moitié ne font que creuser leur propre tombe".
En revanche, il faut savoir que les périodes de crise sont aussi celles où se décident les plus grands succès. Les bons investissements dans les périodes de plus grands risques sont ceux qui rapportent le plus.
Les Français sont attachés à ce qui existe : on l'a vu à propos des services publics, notamment industriels et commerciaux. Ils doivent être, davantage encore, persuadés de la nécessité de progresser vers de nouveaux horizons dégagés par l'évolution technologique, la mondialisation de l'économie et le contexte de la construction européenne.
Aucune réforme n'aboutira, aucun changement durable ne s'opérera dans le pays sans une croissance économique soutenue. Ni la résorption du chômage, ni celle des déficits n'auront lieu sans croissance. La politique d'assainissement financier est nécessaire mais nous devons éviter d'entrer dans un cycle récessionniste. C'est dans cet esprit que le Gouvernement a adopté une première série de mesures destinées à favoriser la consommation. La croissance devra être au rendez-vous.
Pour parvenir à ce résultat la France dispose d'atouts et de moyens. Elle est une nation industrielle et doit le rester. La France se dotera donc d'une grande stratégie industrielle.
Aujourd'hui, la nouvelle frontière de l'innovation technologique a plus que jamais besoin de pionniers, d'explorateurs, de défricheurs. Une position acquise, sur le plan social, technique, économique ou commercial n'est jamais qu'une base de conquête. Si un droit acquis dans un domaine industriel est une forteresse, il est un frein à l'innovation dans ce secteur. Et la forteresse un jour ou l'autre finira par tomber.
La France est un grand pays scientifique, mais elle souffre d'un retard structurel en matière de recherche-développement dans les entreprises ; celle-ci représente 1,5 % du PIB en France contre 1,8 % en Allemagne, 1,9 % aux Etats-Unis et 2,2 % au Japon. L'analyse de la position de la France quant à la maîtrise des technologies-clés pour le développement de l'industrie nationale à moyen terme montre que la position scientifique de la France est honorable mais cette position s'affaiblit dans les applications industrielles.
Les technologies de l'information et de la communication apparaissent comme une zone de fragilité, de même que le domaine de la santé et des technologies du vivant. La France a une moins bonne position dans les technologies émergentes que dans les technologies plus mûres.
Le secteur des télécommunications est essentiel, non seulement par son poids économique propre, mais parce qu'il fournit les composants du "système nerveux" de notre économie. C'est en cela que les autoroutes de l'information représentent un enjeu crucial et donc une priorité nationale qui doit bénéficier d'une impulsion décisive de l'Etat. Ce secteur connaît des bouleversements juridiques, techniques et économiques considérables. L'Etat stratège doit donc en accompagner les évolutions.
L'effort de recherche et de développement est dans notre pays insuffisant dans le secteur industriel, mais relativement conséquent dans le secteur public. La tradition des grands programmes publics d'investissement et de recherche a marqué l'organisation de la recherche industrielle en France. Ce soutien a été rénové et a permis de rapprocher l'intervention de l'Etat du marché en soutenant des secteurs exposés à une concurrence stratégique comme celui des composants et des industries de télécommunications.
L'Etat doit donc se donner les moyens d'élaborer une vision stratégique des technologies-clés pour la France et d'assurer la mobilisation de l'économie française dans la conquête et la diffusion en son sein des atouts technologiques.
Cette performance collective peut être améliorée par une intervention de l'Etat, lorsque celle-ci est appuyée sur une expertise stratégique de qualité. L'expérience de nos partenaires allemands, les exemples japonais et américains témoignent de l'absence d'état d'âme de nos concurrents directs. Bien sur le type d'intervention n'est plus le même. Nous ne sommes plus dans les années cinquante, dans les années 70 ou 80. Nous ne sommes déjà plus dans les années 1990. Nous sommes déjà dans les années 2 000.
Détenteur d'un portefeuille de participations dans des entreprises exerçant leurs activités dans le secteur concurrentiel, l'Etat doit poursuivre résolument les privatisations nécessaires, non pas en jouant au mécano industriel, mais en se comportant en actionnaire stratège pour permettre la mise sur le marché d'entreprises saines renforçant le tissu industriel français. Il doit conserver des leviers d'intervention rénovés compte tenu de l'importance de ces entreprises dans le système productif français.
A cet effet, l'Etat doit se doter des moyens nécessaires. Le budget de soutien à la recherche industrielle est un levier considérable, outre ses effets indéniables sur l'emploi
Les 23.000 PMI de 20 à 500 emplois représentent un poids croissant dans les créations d'emplois et un gisement considérable d'emplois potentiels. Ces PMI sont, de plus en plus, le lieu de l'innovation technologique. Elles sont nos éclaireurs sur la nouvelle frontière industrielle dont je parlais tout à l'heure.
Or, le financement de la croissance, les partenariats et l'internationalisation ne sont pas des démarches faciles pour beaucoup de petites entreprises. Outre des moyens financiers, l'Etat doit fournir les expertises et les appuis aux PMI que le secteur privé ne fournit pas et organiser les passerelles entre les nombreux acteurs qui peuvent intervenir dans les démarches d'innovation et de développement industriel. Nous jouerons ici, au Ministère de l'Industrie, un rôle essentiel dans la mise en place du plan PME annoncé par le Premier Ministre.
La participation des entreprises au pacte républicain sera mesurée à leur contribution au développement de l'emploi et à la rénovation des relations sociales. Cela suppose notamment une implication plus importante dans notre système de formation.
Les grands groupes industriels ont une responsabilité particulière dans ce domaine, notamment vis à vis des jeunes. En ce qui concerne les plus petites entreprises, leur croissance, leur internationalisation, leur ouverture à l'innovation ne peuvent se faire bien souvent que par l'apport de ressources humaines extérieures : embauche de cadres, recours à des prestations de conseil, et surtout recours à des jeunes en cours ou en fin de formation.
L'Etat doit réorienter les dispositifs de formation dont il assure la tutelle vers cet objectif. Il faut aussi mettre en cohérence les politiques horizontales d'appui au développement des PMI et les contributions au renforcement des compétences internes des entreprises.
Une des priorités que je me fixe au Ministère, est de réorganiser, pour les rendre plus cohérentes et plus opérationnelles, l'ensemble des filières de formation qui en dépendent.
Dans le contexte actuel, les chocs conjoncturels et les conversions sont difficilement vécues par les entreprises de faible taille. L'Etat doit mettre en place les outils d'appui et de conversion nécessaires à l'accompagnement de ces entreprises.
En définitive, la stratégie industrielle de l'Etat repose sur des orientations prises au plus haut niveau pour leur donner pleine efficacité.
Le Premier Ministre a donc décidé de mettre en place une Commission de l'Industrie et de l'Innovation, composée d'élus, de représentants du monde industriel, de personnalités qualifiées et de représentants de l'administration que j'aurai l'honneur de présider. Cette Commission devra s'appuyer sur un Etat différent. C'est tout l'enjeu de la réforme de l'Etat et de ses conséquences qui sont de trois ordres : une réforme dans l'organisation du Ministère de l'Industrie; une réévaluation et une simplification des aides dont les régimes doivent être stabilisés ; la volonté d'exercer des missions au plus près du terrain.
Je veux insister sur la responsabilité qui, selon moi, est celle du Ministère de l'Industrie, de la Poste et des Télécommunications, vis à vis du pays.
Qu'il s'agisse d'emploi, de modernisation de l'économie, de construction européenne, d'adaptation du système de formation professionnelle d'accès aux services publics, ce ministère est, et sera toujours en première ligne.
Tous ces enjeux se résument d'ailleurs en un seul : la lutte contre la fracture sociale. Nous devons réaffirmer le pacte républicain, menacé de l'intérieur par l'exclusion de milliers de citoyens, victimes du chômage longue durée et de la grande pauvreté et pour cela, quitte à paraître un peu démodé, je dirai qu'il nous faut aimer notre pays.
Finalement, la chose plus importante dans les périodes où l'avenir est incertain, ce sont les enfants. J'ai des enfants de vingt ans et je connais le manque de confiance des jeunes générations, qui s'interrogent sur l'emploi, la formation, la protection sociale, que leur réserve l'avenir. Je considère que le Ministère dont j'ai la charge a une responsabilité particulière vis à vis de la jeunesse dans ces trois domaines.
Nos enfants doivent avoir confiance en nous, en eux-mêmes et dans la France. C'est pour eux que nous nous battons aujourd'hui, pour leur avenir, et c'est pourquoi nous gardons au coeur un mot qui d'ailleurs rime lui aussi avec le nom de notre pays, l'espérance.