Législation communautaire en vigueur

Document 393D0252


393D0252
93/252/CEE: Décision de la Commission, du 10 novembre 1992, relative à une procédure au titre des articles 85 et 86 du traité CEE (Affaires n° IV/33.440 Warner- Lambert/Gillette et autres et n° IV/33.486 BIC/Gillette et autres) (Les textes en langues anglaise et néerlandaise sont les seuls faisant foi)
Journal officiel n° L 116 du 12/05/1993 p. 0021 - 0032



Texte:

DÉCISION DE LA COMMISSION du 10 novembre 1992 relative à une procédure au titre des articles 85 et 86 du traité CEE (Affaires no IV/33.440 Warner-Lambert/Gillette et autres et no IV/33.486 BIC/Gillette et autres) (Les textes en langues anglaise et néerlandaise sont les seuls faisant foi.)
(93/252/CEE)LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,
vu le traité instituant la Communauté économique européenne,
vu le règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (1), modifié en dernier lieu par l'acte d'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et notamment son article 3 paragraphe 1,
vu les demandes présentées respectivement les 12 février 1990 et 14 mars 1990 par Warner-Lambert Company et BIC SA, conformément à l'article 3 du règlement no 17, invitant la Commission à constater une infraction,
vu la notification des accords conclus entre The Gillette Company et Eemland Holdings NV, faite le 23 février 1990 conformément à l'article 4 du règlement no 17,
après avoir donné aux entreprises intéressées, The Gillette Company et Eemland Holdings NV, l'occasion de faire connaître leur point de vue sur les griefs retenus par la Commission, conformément à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement no 17 et au règlement no 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19 paragraphes 1 et 2 du règlement no 17 du Conseil (2),
après avoir entendu Warner-Lambert Company et BIC SA, conformément à l'article 19 paragraphe 2 du règlement no 17,
après avoir consulté le comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes,
considérant ce qui suit:
I. LES FAITS (1) La présente décision concerne l'infraction aux articles 85 et 86 du traité CEE résultant de la vente, par Stora Kopparbergs Bergslags AB, des activités de Wilkinson Sword se rapportant aux produits de rasage mécanique à Eemland Holdings NV pour la Communauté et les États-Unis d'Amérique et au groupe Gillette pour le reste du monde. Cette vente s'est accompagnée de la conclusion d'accords entre le groupe Gillette et Eemland et de la réalisation d'importants investissements de Gillette dans Eemland.
A. Les plaintes (2) Le 12 février 1990, la Commission a reçu une plainte de la Warner-Lambert Company concernant la vente des activités de Wilkinson Sword se rapportant aux produits de rasage mécanique. Warner-Lambert soutient que ladite transaction et les accords connexes impliquant le groupe Gillette constituent une infraction à l'article 85 paragraphe 1 du traité de la part de Gillette et Eemland et une infraction à l'article 86 du traité de la part de Gillette. Le 14 mars 1990, une seconde plainte concernant la même affaire a été introduite par BIC SA (BIC).
B. Notification (3) The Gillette Company a notifié certains accords concernant la prise de participation de Gillette dans Eemland et ses rapports avec celle-ci et demandé une attestation négative ou une exemption. La Commission a reçu ladite notification le 23 février 1990.
C. Les parties (4) i) Stora Kopparbergs Bergslags AB (Stora) est une entreprise suédoise. Elle constitue la plus grande entreprise européenne en matière d'exploitation forestière et a étendu ses activités à des produits non forestiers par l'acquisition, en mai 1988, de Swedish Match AB. La division produits de consommation de Swedish Match AB fabriquait essentiellement des produits de rasage mécanique et des articles de toilette (essentiellement des produits de rasage fabriqués et vendus sous la marque Wilkinson Sword), des allumettes (notamment les marques Swedish Match et Bryant and May) et des briquets jetables (notamment les marques Cricket et Feudor).
ii) Eemland Holdings NV (Eemland), créée en février 1988, est une société de droit néerlandais qui a été utilisée dans le cadre de la présente transaction et qui n'avait pas d'activité commerciale auparavant. Elle a remplacé son nom d'origine (Eemland Management Services BV) par Swedish Match, avant d'adopter sa dénomination actuelle.
iii) The Gillette Company, qui a son siège aux États-Unis d'Amérique, est l'entreprise mère du groupe Gillette (Gillette) qui a, à l'échelle mondiale, des intérêts commerciaux dans la mise au point, la fabrication et la vente d'une large gamme d'articles de toilette. Ces intérêts concernent notamment la fabrication et la vente de produits de rasage mécanique qui représentent plus de la moitié du bénéfice mondial consolidé.
iv) Les parties suivantes ont des participations dans Eemland:
a) MM. Rossi, Gabrielsson, Stenstroem et Gruber (directeurs des activités sous la marque Wilkinson Sword);
b) Morgan Capital Corporation (qui fait partie du groupe bancaire J. P. Morgan);
c) Procuritas MBO Invest AB;
d) Forsaekringsbolaget SPP oemsesidigt (SPP Assurance);
e) Aktieselskabet Kjoebenhavns Handelsbank (Banque de Copenhague);
f) Livsforsaekringsaktiebolaget Skandia (Scandia Assurance);
g) Spira Invest AB.
v) Warner-Lambert Company (Warner-Lambert), qui a son siège aux États-Unis d'Amérique, exerce des activités diversifiées de recherche, de fabrication et de distribution dans le domaine des médicaments délivrés sur ordonnance, des produits sanitaires grand public, des articles de confiserie, etc. Elle est présente sur le marché du rasage mécanique par le biais de la marque Schick (rasoirs et lames).
vi) La société BIC SA (BIC), qui a son siège en France, est active sur le marché du rasage mécanique par le biais de sa propre marque de rasoirs et de lames.
D. Les produits (5) Les produits auxquels se rapporte la présente décision sont des articles utilisés pour le rasage mécanique. Il s'agit surtout de lames de rasoirs, qui sont essentiellement de trois types: les lames traditionnelles à double tranchant (à insérer dans des têtes fixes), les lames comprises dans des cartouches en plastique (à fixer sur un manche distinct) et les rasoirs jetables. À cela s'ajoutent les rasoirs utilisables avec les lames à double tranchant et avec les cartouches en plastique.
E. Le marché (6) Le marché en cause est celui du rasage mécanique (rasoirs et lames de rasoirs). Pour la majorité des adeptes du rasage mécanique, le rasage électrique constitue un secteur trop différent pour faire partie du même marché. Il en va de même des autres produits épilatoires (crèmes et lotions) et des appareils d'épilation à la cire et électriques, qui sont des produits trop différents des rasoirs mécaniques ou électriques et qui constituent donc un marché distinct. Les parts de marché respectives des trois types de produits décrits au considérant 5 varient selon les États membres. Les ventes de lames traditionnelles à double tranchant ont régressé dans la Communauté, car les consommateurs se sont tournés vers les cartouches en plastique ou les rasoirs jetables. En raison des différences de prix existant entre les différents types de lames, la division du marché entre les trois types de lames est différente en valeur et en volume. Pour l'ensemble de la Communauté, les parts de marché en 1989 étaient, en valeur, de 12 % pour les lames à double tranchant, de 52 % pour les cartouches en plastique et de 36 % pour les rasoirs jetables. En volume, les chiffres étaient respectivement de 16 % pour les lames à double tranchant, de 36 % pour les cartouches en plastique et de 49 % pour les rasoirs jetables. La marge bénéficiaire varie également pour les trois types de produits. Elle est la plus faible dans le cas des rasoirs jetables; elle est élevée dans le cas des lames à double tranchant, mais plus importante encore dans le cas des cartouches en plastique. Comme l'utilisation des lames dans la Communauté n'augmente que faiblement, la croissance du marché en valeur résulte généralement des investissements consentis par les fabricants dans le secteur des produits plus novateurs et plus rémunérateurs. Il n'existe que quatre gros fabricants de produits de rasage mécanique dans la Communauté (qui sont également les quatre plus gros producteurs mondiaux): Gillette, Wilkinson Sword (Eemland), Schick (Warner-Lambert) et BIC. Eemland a reconnu que grâce à sa forte position sur le marché, Gillette est le leader en matière de prix dans la Communauté, ce qui a pour effet d'y réduire la concurrence par les prix.
(7) Pour ce qui est du marché géographique, il n'est pas nécessaire, aux fins de la présente décision, de déterminer s'il existe un marché national dans chaque État membre ou si la Communauté constitue un seul marché.
(8) Il ressort du tableau, figurant à la page suivante (qui donne les parts de marché pour 1989), que Gillette détient une forte position à l'intérieur de la Communauté (59 % en volume et 70 % en valeur pour l'ensemble de la Communauté). La marque Wilkinson Sword a une part de marché beaucoup moins importante (14 % en volume et 13 % en valeur). BIC détient une part de marché similaire en volume (17 %), mais beaucoup moins importante en valeur (8 %), car elle concentre ses activités sur les rasoirs jetables à faible marge bénéficiaire. La quatrième marque (Schick) vend moins de la moitié de la part de marché détenue par Wilkinson Sword. Gillette est en position de leader sur le marché dans tous les États membres (même si, en Grèce, BIC a une part de marché supérieure en volume, mais pas en valeur). C'est au Royaume-Uni, en Grèce et au Portugal que la part de marché de Gillette est la moins élevée. Ses parts de marché les plus élevées sont celles enregistrées au Danemark (81 % en volume et 89 % en valeur) et en Espagne (71 % en volume et 81 % en valeur). Les meilleures parts de marché de la marque Wilkinson Sword sont celles enregistrées sur les marchés britanniques, allemands et français. En 1989, les ventes dans la Communauté et aux États-Unis d'Amérique représentaient environ 79 % (en valeur) de la production de la marque Wilkinson Sword (et environ 72 % en volume). Les ventes effectuées dans les autres pays concernaient essentiellement les produits bon marché à faible marge bénéficiaire.
(9) Le marché est non seulement caractérisé par sa forte concentration, mais également par le fait qu'il comporte de nombreuses barrières à l'entrée. Parmi celles-ci, on peut citer les importantes économies d'échelle au niveau de la production, l'importance de la publicité et les importantes ressources et compétences dont disposent les fabricants établis. Eemland a déclaré que: « si l'on veut être réaliste, dans un avenir prévisible, seul un fabricant existant de produits de rasage mécanique pourrait mettre en place de nouvelles installations de production pour le marché communautaire ». Cela semble bien être le cas au vu des investissements considérables qu'exige la mise en place d'installations de production viables, des frais de publicité, de recherche et de développement et de la nécessité de mettre en place un réseau de distribution. Pour être rentable, Warner-Lambert estime qu'une nouvelle unité de production devrait avoir une production annuelle d'environ 600 millions de lames, ce qui, selon elle, représenterait un investissement d'au moins 150 millions de dollars des États-Unis. Eemland est d'avis que le seuil minimal de rentabilité serait d'environ 500 millions de lames (en fabriquant les trois types de produits) et que cela nécessiterait un investissement de 75 à 80 millions de dollars des États-Unis. De plus, les frais de recherche et de mise au point pour un nouveau rasoir exigent des investissements à grande échelle. La mise au point de son dernier produit (« Gillette Sensor ») aurait coûté à Gillette environ 200 millions de dollars des États-Unis, somme à laquelle il conviendrait d'ajouter les 175 millions de dollars des États-Unis qu'aurait coûté, en Amérique du Nord et en Europe, la campagne publicitaire organisée pour lancer le nouveau produit. L'importance de ces investissements indique que les barrières à l'entrée sur le marché des produits de rasage mécanique sont considérables. Les possibilités d'entrer sur le marché en rachetant des modèles courants et des infrastructures pour fabriquer, assembler et emballer des lames, des matrices et des cartouches sont en fait très limitées. En pareil cas, la production serait écoulée sous marque privée afin de ne pas devoir consentir d'importantes dépenses de publicité. Même si les ventes sous marque privée ont légèrement augmenté, elles ne représentent toujours que 5 à 7 % des lames vendues dans la Communauté (estimation d'Eemland). Dès lors, il n'est pas surprenant qu'aucun nouveau concurrent ne soit apparu sur le marché en Europe occidentale depuis une quinzaine d'années. Il en résulte que, sur un marché présentant ces caractéristiques, le meilleur moyen d'augmenter ses parts de marché consiste à faire de la publicité, à racheter un concurrent ou à effectuer d'importants travaux de recherche et de développement pour renouveler ou améliorer la gamme de produits.
F. Les accords (10) Par une série d'accords (dont la plupart ont été signés le 20 décembre 1989), Stora a vendu sa division produits de consommation à Eemland qui, elle-même, a vendu à Gillette les activités Wilkinson Sword se rapportant aux produits de rasage à l'extérieur de la Communauté et des États-Unis d'Amérique. Par la suite, Eemland a vendu les activités relatives aux allumettes et aux briquets, qui faisaient partie de la division produits de consommation de Stora, à des tiers pour un montant total d'environ 340 millions de dollars des États-Unis.
Parts de marché détenues par les différentes marques de produits de rasage mécanique (1989)
/* Tableaux: voir JO */

aux accords après leur mise en oeuvre. C'est la raison pour laquelle les parties ont accepté d'exclure les activités américaines de ce montage. En conséquence, Eemland a conservé les activités se rapportant aux produits de rasage mécanique à l'intérieur de la Communauté et des États-Unis d'Amérique, principalement sous la marque Wilkinson Sword.
(12) Gillette a orchestré le financement de l'opération visant à acquérir la division produits de consommation de Stora. Cette acquisition s'est faite par un important recours à l'emprunt. Eemland, la structure juridique utilisée pour le rachat, a été financée par différents investisseurs, dont notamment Gillette par le biais de sa filiale Gillette UK Limited. Gillette déclare avoir participé au financement d'Eemland dans le but d'acquérir les différentes marques et activités Wilkinson Sword se rapportant aux produits de rasage mécanique dans certains pays à l'extérieur de la Communauté.
(13) La structure financière d'Eemland se décompose en fonds propres et en capitaux d'emprunt. Les fonds propres consistent en actions ordinaires (avec droit de vote) et en obligations convertibles. Gillette détient des obligations convertibles (qu'elle a payées 13,7 millions de dollars des États-Unis), et qui représentent 22 % des fonds propres et des quasi-fonds propres, mais qui n'ont pas de droits de vote. Les autres détenteurs des fonds propres sont Morgan (qui en détient 24 % et 0,4 % des droits de vote), un groupe d'investisseurs scandinaves (qui détient pratiquement tous les droits de vote) et la direction (qui détient 0,74 % du capital et 3,3 % des droits de vote).
(14) Les obligations convertibles de Gillette portent intérêt à un niveau correspondant aux dividendes qui auraient été perçus si elles avaient été converties en actions ordinaires immédiatement avant la date de paiement des dividendes. La participation de Gillette aux fonds propres ne lui confère ni le droit de vote, ni le droit d'être représentée au conseil d'administration, ni le droit d'assister aux assemblées générales, ni aucun accès aux informations internes. Gillette ne sera jamais autorisée à nommer un directeur au conseil d'administration d'Eemland et s'engage à ne pas influencer ou essayer d'influencer le conseil d'administration ou toute personne qui en fait partie. Dans certaines circonstances, à savoir en cas de liquidation d'Eemland ou en cas de cotation en bourse ou de cession à un tiers de la totalité des actions ordinaires, Gillette pourra, en convertissant ses obligations en actions ordinaires, acquérir des droits de vote dans Eemland.
(15) La structure de la dette d'Eemland consiste en deux formes de dettes, à savoir des dettes de premier et de deuxième rang, ainsi qu'un prêt de deuxième rang de Stora. La dette de deuxième rang résulte d'un prêt d'environ 68,9 millions de dollars des États-Unis consenti par plusieurs institutions et d'un prêt d'un montant équivalent (environ 68,9 millions de dollars des États-Unis) consenti par Gillette et portant un intérêt de LIBOR plus 6 %, qui est capitalisé et qui ne sera payé qu'après le remboursement de la dette. La dette de premier rang résulte de prêts d'environ 409 millions de dollars des États-Unis consentis par un syndicat de banques et remboursables sur cinq ans maximum. La dette de premier rang doit être partiellement remboursée avec le produit de la vente des activités « allumettes et briquets ». Afin de surmonter des difficultés de dernière minute liées à cette vente, Stora a accepté d'accorder à Eemland un prêt de deuxième rang sans intérêt d'un montant de 48 millions de dollars des États-Unis, et Gillette a accepté de payer à Stora jusqu'à 11 millions de dollars des États-Unis en compensation du fait que le prêt ne porte pas intérêt. À la suite de la rétrocession des activités américaines à Eemland, Gillette a consenti à cette dernière un autre prêt d'un montant de 6,4 millions de dollars des États-Unis portant intérêt à un taux annuel de 8 %. Ce montant correspond à la somme totale que Gillette avait dû payer à Eemland pour les activités américaines au titre de l'accord de propriété intellectuelle de fabrication et de distribution et de l'accord de vente hors CEE. Les prêts consentis par Gillette, qui représentent 13,6 % du financement total d'Eemland, seront remboursés après la dette de premier rang et les prêts institutionnels susmentionnés.
(16) La nouvelle version de l'accord conclu entre les actionnaires impose certaines restrictions à la cession des actions et accorde à Gillette certains droits de préemption. Sauf exception, les actionnaires n'ont pas le droit de céder leur participation avant le 1er janvier 1993.
La cession des participations après cette date est subordonnée au respect des droits de préemption suivants:
a) les investisseurs scandinaves doivent donner un droit de préemption aux autres membres de ce groupe;
b) sans préjudice des droits dont jouissent entre eux les investisseurs scandinaves, les autres détenteurs de participation peuvent, lors de toute cession d'une partie du capital, exercer un droit de préemption proportionnel à leur participation, Gillette étant autorisée, dans la mesure de sa participation, à chercher un acheteur tiers non lié, qui doit être approuvé par 75 % des actionnaires ordinaires (à l'exception de Morgan Capital Corporation, en raison des réglementations bancaires américaines);
c) tout détenteur de participation souhaitant céder une part représentant au moins 10 % du capital total d'Eemland, doit donner aux autres l'occasion de se porter acquéreurs, aux mêmes conditions et proportionnellement à leur participation majorée de 10 %;
d) au cas où un grand groupe d'investisseurs (ne comprenant pas Gillette) détenant au moins 26 % du capital ferait savoir qu'il désirerait que la totalité des actions ordinaires soient cotées en bourse, Gillette aurait la possibilité d'acquérir leurs participations ou de leur trouver un acquéreur au prix proposé pour leur cotation en bourse. Si Gillette utilise cette possibilité, elle doit veiller à ce qu'une offre identique soit faite à tous les autres détenteurs de participation;
e) au cas où un groupe d'investisseurs (ne comprenant pas Gillette) détenant 75 % du capital (ou 65 % si la direction est partie à l'opération) désirerait vendre sa participation, Gillette aurait la possibilité d'acquérir elle-même cette participation ou de trouver un acquéreur au même prix que celui demandé aux tiers. Si Gillette utilise cette possibilité, elle devrait veiller à ce qu'une offre identique soit faite à tous les autres détenteurs de participation. De même, si Gillette n'utilisait pas cette possibilité, le groupe de vendeurs devrait veiller à ce qu'une offre identique soit faite de manière à permettre aux autres détenteurs de participation (y compris Gillette) de vendre la leur.
À l'exception de Gillette, les détenteurs de participation concernés ont renoncé dans des lettres d'accompagnement aux droits dont il est question aux points d) et e). L'accord précise également qu'Eemland n'a pas le droit de vendre à un tiers « la totalité ou l'essentiel » de ses activités ou de ses actifs dans le domaine du rasage mécanique sans les avoir proposés à Gillette au même prix et aux mêmes conditions. Dans ce cas, Gillette aurait trente jours pour accepter cette offre ou pour trouver un autre acquéreur tiers non lié. Dans le cas où Eemland augmenterait son capital et émettrait de nouvelles actions, tous les détenteurs de participation (y compris Gillette) auraient un droit de préemption sur ces nouvelles actions.
(17) L'accord de propriété intellectuelle, de fabrication et de distribution signé le 2 janvier 1990 et l'accord de fourniture temporaire signé le 20 juillet 1990 contiennent des dispositions relatives à la fourniture de produits. En vertu de celles-ci, Eemland accepte de fournir à Gillette les produits de la marque Wilkinson Sword pour ses marchés à l'extérieur de la Communauté et des États-Unis d'Amérique. Cet accord, conclu à des conditions normales, avait été signé pour une période de deux ans qui expirait le 1er janvier 1992. Par la suite, Gillette a continué à acheter ponctuellement à Eemland des quantités moins importantes de produits de la marque Wilkinson Sword. Eemland a affecté ses unités de production implantées au Brésil (Manaus, production annuelle: environ 213 millions de lames) et au Zimbabwe (production annuelle: environ 25 millions de lames) aux produits destinés à Gillette.
(18) Aux termes de l'accord de vente hors CEE et de l'accord de propriété intellectuelle, Eemland accepte de vendre à Gillette les activités et la propriété intellectuelle de Wilkinson Sword se rapportant aux produits de rasage mécanique subsistant à l'extérieur de la Communauté. L'accord américain conclu par la suite précise qu'Eemland conservera les activités américaines. À la suite de la division des marques Wilkinson Sword, Eemland accepte de ne pas fournir des produits de cette marque à l'extérieur de la Communauté et des États-Unis d'Amérique. Pareillement, Gillette accepte de ne pas fournir des produits de cette marque dans la Communauté et aux États-Unis d'Amérique et s'engage notamment à ne pas revendre sciemment des produits de cette marque devant être fournis ou livrés à l'intérieur de la Communauté. Sous réserve de certaines restrictions, Eemland conserve le droit de fournir des produits de rasage mécanique à l'extérieur de la Communauté et des États-Unis d'Amérique pour autant qu'il s'agisse de produits diffusés sous marque propre ou sous une nouvelle marque.
(19) Gillette acquiert la propriété intellectuelle de Stora qui se rapporte exclusivement aux activités existantes exercées à l'extérieur de la Communauté et des États-Unis d'Amérique. Toutefois, elle doit concéder à Eemland une licence irrévocable et non exclusive sur les brevets et les droits de modèle, mais pas sur les marques. Lorsque la propriété intellectuelle se rapporte partiellement à des activités exercées dans les pays de la Communauté et aux États-Unis d'Amérique et partiellement à des activités exercées dans d'autres pays, Eemland concédera à Gillette le droit exclusif d'exploiter cette propriété intellectuelle à l'extérieur de la Communauté et des États-Unis d'Amérique. Les parties reconnaissent que « Wilkinson Sword est une marque internationale de valeur et qu'il est dans leur intérêt de préserver cette valeur ». Dans le cas où Eemland ne fournirait plus ou ferait fournir par un tiers à Gillette les produits de rasage mécanique de la marque Wilkinson Sword, Gillette bénéficierait également d'une option prioritaire pour racheter les moules, les matrices ou les outils utilisés pour fabriquer les produits fournis à Gillette en vertu des accords décrits ci-dessus. Les parties reconnaissent également qu'elles peuvent avoir, pour un ou pour plusieurs produits, un client qui les vend au détail à l'intérieur de la Communauté et/ou des États-Unis d'Amérique ainsi que dans un pays limitrophe et déclarent leur intention de résoudre de tels problèmes « loyalement et de manière à préserver la valeur » de leurs activités respectives.
(20) Aux termes des accords, Gillette a accepté d'indemniser Eemland, Stora et les investisseurs de toutes pertes qui résulteraient de procédures antitrust concernant « les activités européennes de Wilkinson Sword ».
(21) À la suite de la procédure engagée par les autorités américaines de la concurrence dont il est question ci-dessus, le ministère de la justice, Gillette et Eemland ont conclu un accord qui a permis au tribunal américain de rendre une ordonnance par consentement. Aux termes de ladite ordonnance, Gillette n'a pas le droit d'augmenter sa participation dans Eemland autrement qu'en acquérant des obligations à titre de paiement d'intérêt sur la dette existante ou qu'en convertissant des obligations en actions assorties du droit de vote, ni d'acquérir des actifs d'Eemland, sauf dans certains cas particuliers. Toutefois, Gillette reste libre, dans les cas prévus, de désigner un autre acheteur lorsqu'elle en a le droit. Au cas où Gillette obtiendrait des droits de vote en convertissant ses obligations existantes, elle devrait donner mandat à Eemland de voter dans la même proportion que les autres détenteurs de participation. Gillette s'engage également à ne pas exercer d'influence sur Eemland, à ne rien faire qui puisse rendre Eemland insolvable et, au cas où elle le serait ou risquerait de le devenir, à ne pas voter contre tout plan de restructuration proposé ou soutenu par Eemland. Ces restrictions pourront être levées avec l'accord du ministère de la justice ou des tribunaux américains.
II. APPRÉCIATION JURIDIQUE A. Article 86 (22) Le marché en question est celui des produits de rasage mécanique (à savoir lames de rasoir et rasoirs, y compris les rasoirs jetables). Sur ce marché, Gillette occupe une position dominante dans la Communauté dans son ensemble et dans chaque État membre, comme le montrent clairement les parts de marché figurant au tableau du considérant 8. En 1989, elle détenait, pour l'ensemble de la Communauté, une part de marché de 70 % en valeur et de 59 % en volume. De plus, elle détenait au moins 50 % des parts de marché (en valeur) dans chaque État membre, ce qui constitue la preuve de sa position dominante sur le marché des produits de rasage mécanique dans la Communauté (3). En raison de la diversité des produits et de la gamme des prix, les parts de marché en valeur sont plus révélatrices du poids respectif des différents fournisseurs. La comparaison des parts de marché détenues par Gillette avec celles détenues par ses concurrents sur le marché met également en évidence la position dominante de Gillette. Sur ce marché, il n'y a que quatre grandes entreprises en concurrence, et il y a un écart considérable entre Gillette et son rival le plus proche. Sa position dominante est renforcée par le fait que le marché des produits de rasage mécanique comporte de nombreuses barrières à l'entrée, dont il a été question dans la partie précédente.
(23) Une entreprise en position dominante a une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun (4). En participant au rachat des activités de Wilkinson Sword, Gillette n'a pas assumé cette responsabilité particulière et a abusé de sa position dominante. Elle a contribué à organiser ce rachat, qui, en dépit du soin avec lequel les accords ont été rédigés, modifie la structure du marché des produits de rasage mécanique dans la Communauté en créant un lien entre Gillette et son principal concurrent. La Cour de justice a décrit la notion d'exploitation abusive comme une notion qui « vise les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle (. . .) au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence » (5). La modification de la structure du marché des produits de rasage mécanique résultant de la participation de Gillette à l'accord global affectera la concurrence sur ce marché dans la Communauté et, en conséquence, le comportement de Gillette constitue un abus de sa position dominante.
(24) Dans les affaires jointes BAT et Reynolds (ci-après Philip Morris) (6), la Cour de justice a examiné la situation dans laquelle une entreprise acquiert une participation minoritaire dans le capital d'une entreprise concurrente. Elle a indiqué qu'il ne saurait être question d'un abus de position dominante que si la participation en question se traduit, à tout le moins, par une influence sur la politique commerciale de l'autre entreprise. Gillette est devenue non seulement un important actionnaire d'Eemland, mais également son principal créancier. De plus, elle a acquis, au sein d'Eemland, d'importants droits de préemption, droits de conversion et options. La position de Gillette est un élement dont la direction d'Eemland devra tenir compte; il s'agit donc d'un facteur qui va influencer le comportement commercial d'Eemland. Il s'ensuit que Gillette aura, à tout le moins, une certaine influence sur la politique commerciale d'Eemland. Bien que la Cour n'ait pas condamné les accords dans l'affaire Philip Morris, il est important de noter que dans cette affaire la Cour a examiné une situation dans laquelle la participation était prise dans et non par l'entreprise considérée comme détenant une position dominante. Dans la présente affaire, c'est l'entreprise en position dominante (Gillette) qui acquiert une importante participation dans le capital de son principal concurrent. En dépit des ressemblances existant entre la forme des accords conclus dans le cadre de la présente affaire et celle des accords conclus dans le cadre de l'affaire Philip Morris, les circonstances dans lesquelle Gillette prend une participation minoritaire dans le capital d'un concurrent sont fondamentalement différentes de celles rencontrées dans l'affaire Philip Morris; en particulier, le marché est dominé par Gillette, ce qui rend la concurrence existante plus vulnérable face aux modifications structurelles.
(25) Gillette a acquis 22 % du capital d'Eemland. Ce fait ne saurait être négligé pour la simple raison que cette participation n'est assortie ni de droit de vote ni des autres droits habituels des actionnaires, ou que Gillette s'est engagée formellement à ne pas exercer ni essayer d'exercer une influence sur le conseil d'administration d'Eemland ou sur les personnes qui en font partie. Gillette est également un important créancier d'Eemland. En effet, Gillette a contribué à la dette mezzanine pour un montant de 69 millions de dollars (ce qui représente 11,6 % de l'endettement d'Eemland), elle détient des obligations convertibles pour un montant de presque 14 millions de dollars des États-Unis, elle a accepté de payer à Stora une somme pouvant aller jusqu'à 11 millions de dollars et a consenti à Eemland un prêt d'un montant de 6,4 millions de dollars des États-Unis dans le cadre de la rétrocession des activités américaines. Le niveau de l'investissement réalisé par Gillette dans Eemland est comparable au chiffre d'affaires mondial d'Eemland en 1989, qui est estimé à 123 millions de dollars des États-Unis. On ne peut pas raisonnablement s'attendre à ce qu'Eemland ne tienne pas compte de cette dépendance financière vis-à-vis de Gillette. Ainsi, le maintien du prêt sans intérêt consenti par Stora à Eemland est subordonné à la poursuite des paiements de Gillette à Stora à concurrence de 11 millions de dollars des États-Unis.
(26) De plus, Gillette a, au sein d'Eemland, d'importants droits de préemption, droits de conversion et options. Ces droits lui garantissent qu'aucun autre concurrent actif sur le marché (comme Warner-Lambert ou BIC) ne pourra renforcer sa position concurrentielle par l'acquisition d'Eemland. Ils lui garantissent également qu'aucune autre entreprise hostile à Gillette ne pourra racheter Wilkinson et ils empêchent effectivement la direction d'Eemland de fusionner ou de créer une entreprise commune avec un partenaire qui n'aurait pas l'assentiment de Gillette. En conséquence, l'avenir commercial d'Eemland à moyen et à long terme est, dans une certaine mesure, dans les mains de Gillette. Cela est d'autant plus vrai qu'Eemland, qui a vendu, comme prévu initialement, sa division allumettres et briquets, dépendra totalement de ses activités relatives aux produits de rasage, ce qui aura pour effet de la rendre plus vulnérable dans l'optique de Gillette. Les droits de préemption peuvent être considérés comme une nouvelle barrière à l'entrée sur ce marché, puisqu'ils sont détenus par une entreprise en position dominante (ce qui n'était pas le cas dans l'affaire Philip Morris). Cette situation a une incidence négative sur les autres concurrents, puisqu'elle les prive de l'un des meilleurs moyens de mettre en question la position dominante de Gillette, à savoir de la possibilité de racheter Eemland. Gillette, qui est de loin le plus important des producteurs sur le marché, a conclu un accord avec son principal concurrent et, bien qu'elle n'ait pas acquis de contrôle direct sur Eemland, cet accord lui permet d'exercer une certaine influence sur le comportement commercial de celle-ci.
(27) Il faut également tenir compte des effets potentiels de ces accords. Gillette acquerra certains droits éventuels et pourra notamment, dans certaines circonstances (énumérées au considérant 14), acquérir des droits de vote au sein d'Eemland. Cette possibilité aura probablement pour effet d'influencer la politique commerciale d'Eemland. Les droits de conversion de Gillette influenceront au moins les décisions d'Eemland en ce qui concerne les événements qui pourraient pousser Gillette à demander cette conversion. Cette situation pourrait perturber gravement la stratégie commerciale d'Eemland.
(28) On peut considérer que l'ensemble de ces accords constitue une stratégie de Gillette destinée à affaiblir la position concurrentielle d'Eemland et donc à renforcer la sienne. Il est significatif que Gillette ait joué un rôle essentiel lors de la préparation de cette opération et lors du choix de la forme de ces accords. L'une des principales conséquences de cette opération a été de limiter fortement la marge de manoeuvre d'Eemland sur le marché communautaire des produits de rasage mécanique. Les options qui sont ouvertes à l'entreprise sont gravement limitées par l'ampleur de sa dette, la restriction géographique de ses marchés et l'influence que Gillette sera à même d'exercer sur elle par le biais de sa participation.
(29) Le fait que le rachat a eu lieu par un important recours à l'emprunt implique qu'Eemland se trouve dans une position délicate en raison de l'ampleur de sa dette. Ainsi, la capacité d'Eemland à lancer une importante campagne publicitaire est gravement limitée. Pourtant, comme nous l'avons noté précédemment, la publicité constitue, sur ce marché, un élément important de la stratégie concurrentielle des fabricants. De plus, en raison de la séparation géographique de la marque Wilkinson Sword, Eemland ne sera plus à même de vendre les produits de cette marque à l'extérieur de la Communauté et des États-Unis d'Amérique. En conséquence, les possibilités d'expansion de cette entreprise sont limitées. En effet, Eemland a perdu les marchés sur lesquels les perspectives de croissance sont les plus grandes.
(30) En affaiblissant la position concurrentielle d'Eemland, Gillette, en position de leader sur le marché, profitera de cette restriction de la concurrence. En effet, on peut raisonnablement s'attendre à ce que Gillette tienne compte de son importante participation dans Wilkinson et de sa position de créancier par rapport à celle-ci lors de la mise au point de sa stratégie communautaire. À l'extérieur de la Communauté, il est probable que Wilkinson Sword sera utilisée non pas comme une marque concurrente, mais comme une marque stratégique, ce qui aura très certainement un effet sur la concurrence à l'intérieur de la Communauté. Il sera notamment possible que l'on assiste à une concentration sur différents segments du marché: Gillette ciblerait ses activités sur le haut de gamme (et particulièrement sur le segment des cartouches), ce qui obligerait Wilkinson à se concentrer sur le bas de gamme. Il convient de noter que Gillette a l'intention de porter ses ventes de rasoirs Sensor de [ . . . ] en 1989 (année de lancement) à [ . . . ] en 1992 (7). En même temps, on estime que les ventes de rasoirs Gillette Contour devraient tomber de [ . . . ] à [ . . . ] en 1992 (8). Cela semble indiquer que Gillette espère se concentrer sur le segment du marché sur lequel sa technologie est supérieure à celle de ses concurrents, et qu'elle laisserait le bas de gamme aux produits de la marque Wilkinson Sword.
(31) De plus, plusieurs autres dispositions des accords conclus vont réduire encore plus la concurrence sur ce marché. Premièrement, Gillette verra sa position concurrentielle renforcée par l'accès à la technologie actuelle de Wilkinson Sword pour les activités reprises par elle. Il en sera ainsi parce qu'Eemland ne dispose, à cet égard, d'aucun avantage concurrentiel initial sur Gillette. En effet, les deux parties partent de la même position. Deuxièmement, le fait d'avoir eu accès, lors de la négociation de cet accord, à des projections financières détaillées se rapportant aux produits de rasage mécanique de la marque Wilkinson Sword (et notamment à des estimations de marges et de ventes) conférera également à Gillette un avantage concurrentiel.
(32) Les échanges intracommunautaires portant sur les produits de rasage mécanique sont très importants. Comme mentionné auparavant, Eemland a, par exemple, des usines en Allemagne et au Royaume-Uni, mais fournit des produits de rasage mécanique dans l'ensemble de la Communauté. En conséquence, les éléments dont il est question ci-dessus affectent le commerce entre États membres. Il s'ensuit que la participation de Gillette à cette opération, à laquelle est associé l'un de ses principaux concurrents sur le marché communautaire des produits de rasage mécanique, constitue une infraction à l'article 86.
B. Article 85 paragraphe 1 (33) Gillette et Wilkinson sont des entreprises au sens de l'article 85 et les accords auxquels elles sont toutes deux parties sont des accords au sens de cette disposition.
(34) Les accords conclus dans le cadre de la présente opération ont pour objet ou pour effet d'influencer le comportement commercial d'Eemland sur le marché communautaire des produits de rasage mécanique. Dans son arrêt dans l'affaire Philip Morris, la Cour de justice reconnaît que le fait, pour une entreprise, de prendre une participation dans le capital d'une entreprise concurrente peut constituer un moyen apte à influer sur le comportement commercial des entreprises en cause, de manière à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence sur le marché où ces deux entreprises déploient leurs activités commerciales (9). Même si, dans le cas d'espèce, la simple acquisition par Gillette de fonds propres d'Eemland ne permet pas de conclure à l'existence d'une infraction à l'article 85 paragraphe 1, il y a lieu de constater que cette acquisition a été accompagnée d'une série d'accords ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence entre Gillette et Eemland. Il s'agit notamment de l'accord de vente hors CEE, de l'accord de propriété intellectuelle et de l'accord de fourniture. Ces accords doivent être appréciés ensemble et dans le contexte de l'opération globalement considérée.
(35) La séparation géographique de la marque Wilkinson Sword résultant des deux premiers des accords susmentionnés entre les marchés de la Communauté et des pays limitrophes entraînera une coopération commerciale entre les propriétaires respectifs de la marque, à savoir Gillette et Eemland. Au moins dans un premier temps, Gillette et Eemland produiront et commercialiseront, sous la même marque, des produits identiques (qui seront, certes, écoulés dans des zones géographiques distinctes) et auront donc un intérêt commun à promouvoir ces produits et la valeur de la marque. De fait, les parties elles-mêmes le reconnaissent, comme le confirme la clause de l'accord de propriété intellectuelle relative au Goodwill sur le plan mondial et dont il est question au considérant 19. Il s'ensuit que les deux entreprises auront fortement tendance à coopérer, particulièrement dans le cas de marchés limitrophes. Ainsi, les conditions de concurrence dans les pays de l'Association européenne de libre échange (AELE), par exemple, sont semblables à celles rencontrées dans la Communauté. Les accords engendrent une séparation artificielle de ces marchés. Pour le commerce portant sur les produits de rasage mécanique, il n'y a pas de frontières naturelles entre les États membres et les États non membres de la Communauté. La publicité et l'emballage sont communs aux deux côtés de la frontière. Les principaux clients actifs sur le marché des produits de rasage ont de plus en plus tendance à faire partie de grands groupes d'achat qui considèrent l'Europe comme un seul marché et ne font pas la distinction entre les marchés intracommunautaire et extracommunautaire. En conséquence, les dispositions prévoyant le partage de la marque ne reflètent pas la réalité commerciale et obligeront les parties à coopérer, au moins pour les activités concernant ces marchés limitrophes. Une fois encore, ce fait est confirmé dans les accords, qui précisent que les parties coopéreront en cas de problèmes concernant des clients communs.
(36) Dans sa réponse à la communication des griefs de la Commission, Eemland reconnaît qu'elle pourrait avoir certaines difficultés à traiter avec les clients allemands qui veulent lui acheter également des produits pour des entreprises associées implantées en Autriche et avec les coopératives d'achat qui voudraient conclure des contrats au niveau européen.
(37) Un autre élément sur lequel Eemland a attiré l'attention de la Commission dans sa réponse à la communication des griefs est que la prise de participation de Gillette dans l'entreprise a eu une incidence négative sur la perception des produits de la marque Wilkinson Sword dans la Communauté. Selon Eemland, cela est dû au fait que ses concurrents ont pu dire aux détaillants qu'il n'y a aucune différence entre Gillette et Wilkinson Sword (ce qui est faux) et qu'ils devraient donc acheter, à côté de Gillette, non pas Wilkinson Sword, mais une deuxième marque distincte. Cette situation influencera évidemment les conditions de concurrence sur le marché communautaire des produits de rasage mécanique.
(38) Les accords de fourniture conclus entre Gillette et Eemland prévoient un autre domaine de coopération entre les deux parties. Gillette est un important client d'Eemland et continue à lui acheter des produits de la marque Wilkinson Sword pour les vendre à l'extérieur de la Communauté. Il en résulte une restriction de la concurrence sur le marché communautaire des produits de rasage mécanique. En effet, sur un marché caractérisé par un petit nombre de concurrents et par de nombreuses barrières à l'entrée, la conclusion, par des entreprises concurrentes, d'un accord aboutissant à une coordination commerciale, surtout lorsqu'il s'agit d'un accord conclu entre le leader sur le marché et l'un de ses principaux concurrents, entraîne une restriction sensible de la concurrence. Bien que l'accord de fourniture ait expiré le 1er janvier 1992, Gillette a continué à acheter ponctuellement à Eemland des produits Wilkinson Sword (cf. considérant 17 ci-dessus).
(39) Pour les raisons énumérées ci-dessus, la Commission considère que l'accord de vente hors CEE et l'accord de propriété intellectuelle entre Gillette et Eemland restreignent la concurrence sur le marché communautaire des produits de rasage mécanique dans la mesure où ils concernent des marchés limitrophes en Europe. Pour les raisons indiquées au considérant 32 et compte tenu des politiques commerciales des groupes d'achat qui achètent ces produits à l'échelle européenne, ils affecteront le commerce entre États membres. En conséquence, l'article 85 point 1 s'applique aux accords en question.
C. Article 85 paragraphe 3 (40) Les accords en question ne sauraient bénéficier d'une exemption de l'application de l'article 85 paragraphe 1, puisqu'ils ne contribuent pas à améliorer la production ou la distribution des produits de rasage mécanique ni à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte. Les restrictions imposées aux entreprises intéressées ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs. Gillette fait valoir dans sa notification que les accords permettront à Eemland de mieux se positionner pour fabriquer et distribuer ses produits à l'intérieur de la Communauté, mais n'apporte aucune preuve à l'appui de cette affirmation, que la Commission n'accepte pas. De plus, les accords en question donnent aux entreprises intéressées la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence. En conséquence, la Commission rejette la demande d'exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3.
D. Autre procédure antitrust (41) La Commission a tenu compte de l'ordonnance rendue par les tribunaux américains avec le consentement de Gillette et d'Eemland, mais note que les restrictions imposées aux parties pourront être levées avec l'accord du ministère de la justice ou des tribunaux américains. De plus, au moins certaines des restrictions expireront automatiquement après dix ans. Quoi qu'il en soit, les restrictions acceptées par les parties ne permettent pas d'éliminer les effets négatifs des accords à l'intérieur de la Communauté.
E. Article 3 du règlement no 17 (42) La Commission peut, si elle constate une infraction aux dispositions de l'article 86 du traité CEE, obliger les entreprises intéressées à y mettre fin. Dans la présente affaire, Gillette a abusé de sa position dominante en participant au rachat des activités de Wilkinson Sword à l'intérieur de la Communauté, créant ainsi entre une entreprise dominante et son principal concurrent des liens permettant d'influencer le comportement commercial de ce dernier. Pour mettre fin à l'infraction aux dispositions de l'article 86, il est nécessaire que Gillette se retire d'Eemland et cède sa participation dans les fonds propres et ses titres de créance. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, la Commission considère qu'une période de [ . . . ] constituerait un délai raisonnable pour permettre à Gillette de prendre les dispositions nécessaires à son retrait. Si celui-ci n'est pas effectif à l'expiration de ce délai, un tiers indépendant sera nommé et chargé de veiller à ce que le retrait s'effectue le plus rapidement possible.
(43) Gillette et Eemland ont toutes deux enfreint les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 en concluant l'accord de vente hors CEE et l'accord de propriété intellectuelle qui concernent les marchés limitrophes en Europe, qui ont pour effet d'influencer leur comportement commercial et de restreindre la concurrence sur le marché communautaire des produis de rasage mécanique. L'accord de coopération commerciale entre Gillette et Eemland, rendu nécessaire par la division de la marque Wilkinson Sword entre la Communauté (et les États-Unis d'Amérique) et le reste du monde, doit être dénoncé, de manière à les empêcher de coordonner leur comportement commercial sur des marchés géographiques limitrophes. En même temps, cela assurera à Eemland une base géographique suffisante pour ses opérations présentes et à venir. À cette fin, Gillette sera tenue de rétrocéder à Eemland les activités de Wilkinson Sword en Tchécoslovaquie, en Hongrie, en Pologne, en Turquie, dans l'ancienne Yougoslavie, dans l'ancienne République démocratique allemande et dans tous les pays de l'AELE. La Commission croit comprendre qu'Eemland a conservé le contrôle de fait des activités dans l'ancienne République démocratique allemande et dans les pays de l'AELE en attendant l'issue de la procédure antitrust,
A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier
La participation de Gillette au rachat, à Stora, des activités sous la marque Wilkinson Sword, telle qu'elle est décrite dans la présente décision, constitue un abus de position dominante au sens de l'article 86 du traité CEE.

Article 2
En concluant l'accord de vente hors CEE et l'accord de propriété intellectuelle de fabrication et de distribution, Gillette et Eemland ont enfreint les dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité dans la mesure où ces accords concernent l'ancienne République démocratique allemande et des marchés limitrophes en Europe et de ce fait débouchent sur une coopération commerciale entre elles au sein de la Communauté.

Article 3
L'octroi, pour les accords visés à l'article 2, d'une exemption au titre de l'article 85 paragraphe 3 du traité CEE est refusé.

Article 4
Gillette est tenue de mettre fin à l'infraction visée à l'article 1er dans un délai de [ . . . ] en cédant sa participation dans le capital d'Eemland et ses titres de créance sur celle-ci, faute de quoi elle devra nommer irrévocablement, à des conditions qui devront être approuvées par la Commission, un tiers indépendant qui agira au nom de Gillette et effectuera les cessions prévues par la présente décision.

Article 5
Gillette et Eemland sont tenues de mettre fin aux infractions visées à l'article 2 dans un délai de [ . . . ] en rétrocédant à Eemland les activités de Wilkinson Sword, y compris les marques de commerce, en Tchécoslovaquie, en Hongrie, en Pologne, en Turquie, dans l'ancienne Yougoslavie, dans l'ancienne République démocratique allemande et dans les pays de l'AELE.

Article 6
Les entreprises suivantes sont destinataires de la présente décision:
- The Gillette Company,
Prudential Tower Building,
Boston, Massachussetts,
États-Unis d'Amérique
- Eemland Holdings NV,
Egelenburg 152,
1081 GK Amsterdam,
Pays-Bas.
Fait à Bruxelles, le 10 novembre 1992.
Par la Commission
Leon BRITTAN
Vice-président

(1) JO no 13 du 21. 2. 1962, p. 204/62.
(2) JO no 127 du 20. 8. 1963, p. 2268/63.
(3) Affaire C-62/86, Akzo Chemie BV/Commission, Recueil 1991, p. I-3359 (point 60 des motifs).
(4) Affaire 322/81, Michelin/Commission, Recueil 1983, p. 3461, p. 3511 (point 57 des motifs).
(5) Affaire 85/76, Hoffmann-La Roche/Commission, Recueil 1979, p. 461, p. 541 (point 91 des motifs).
(6) Affaires jointes 142 et 156/84, BAT et Reynolds, Recueil 1987, p. 4487.
(7) Dans le texte de la présente décision destiné à la publication, certaines informations ont été omises, conformément aux dispositions de l'article 17 paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4064/89 concernant la non-divulgation des secrets d'affaires. Toutefois, pour la meilleure compréhension du texte, certaines informations générales ont été données dans les notes en bas de page dans les cas où il était possible de le faire sans violer l'exigence de non-divulgation des secrets d'affaires. Dans le présent cas, on entend augmenter les ventes de presque quatre fois.
(8) On estime que les ventes diminueront de presque un tiers.
(9) BAT et Reynolds/Commission, Recueil 1987, p. 4487, p. 4577 (point 37 des motifs).

Fin du document


Document livré le: 11/03/1999


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