Je ne suis pas Charlie
Les premières secondes, j’ai cru à une mauvaise blague, une petite gorafisation du réel, comme cela arrive de temps en temps, ces pieds de nez parfois macabres que la réalité adresse aux satiristes et aux blagueurs. J’ai lu, d’un œil distrait, que des tirs avaient été entendus à la rédaction de Charlie Hebdo. J’ai froncé le sourcil lorsque j’ai vu que des gens y étaient morts. Intrigué, j’ai regardé, sans originalité, la « une » de GoogleNews. La mauvaise blague continuait, de pire en pire.
Quelques heures plus tard, les faits sont assez bien connus, et le déferlement de vidéos, de directs souvent idiots et les commentaires haletants de journalistes aux yeux embués permettent de prendre bien conscience de l’ampleur du massacre, puisque c’est bien d’un massacre qu’il s’agit ici. Le journal satirique a donc lourdement payé le prix de sa liberté de ton.
Car
à l’évidence, c’est bien elle qui est à l’origine de l’horreur, c’est
bien cette liberté d’expression, largement utilisée par le journal, qui a
motivé le triplet d’individus cagoulés à dégommer froidement du
journaliste, du dessinateur, et, ce faisant, à emporter dans la foulée
quelques salariés et deux policiers. Et, comme le fait très justement remarquer
Guillaume Périgois, directeur de publication de Contrepoints, ce qui a
été attaqué n’est pas spécifiquement la branche de la liberté de la
presse ni même son tronc, la liberté d’expression mais c’est bien la
racine, le droit fondamental qu’a chaque individu de penser librement.
Et
bien évidemment, une fois cette liberté attaquée, on aura eu le droit à
toute la cohorte de ses défenseurs plus ou moins attitrés, plus ou
moins crédibles, au micro de toutes les rédactions, de toutes les télés.
Les journalistes, bien sûr, dont beaucoup, légitimement et
authentiquement émus. Des politiciens, évidemment, parce que c’est leur
rôle, et parce que c’est, aussi, ne l’oublions pas, leur gagne-pain.
Tous, comme un seul homme, il se sont, ce jour-là, dressés pour
expliquer que rien ne pourrait et ne devrait entamer cette si chère
liberté qui leur tient tant à cœur.
Ce combat, à mener, va mobiliser les uns, les autres, et tout le monde, vous allez voir. Mais pas maintenant. L’heure, évidemment, est au recueillement et c’est tout à fait normal. Apparemment et selon les uns et les autres (ceux qui parlent, avidement, dans tous les micros à portée), l’heure est aussi à l’unité et aux rassemblements.
À
l’unité ? Mais de quoi parlent-ils donc ? Ne pas se chamailler sur les
cadavres d’un attentat ignoble, ce n’est pas de l’unité, c’est de la
décence élémentaire, c’est le minimum de retenue dont un humain dispose
normalement lorsqu’il n’a pas subi l’ablation de la honte tout petit.
Retenue et décence qui ont, malheureusement mais à l’évidence et depuis
bien longtemps, déserté la classe politique française (qui n’a de classe
que le nom). La mascarade actuelle tiendra peut-être quelques jours
parce que l’émotion du peuple est grande, et qu’il faut donner le
change, mais c’est à peu près tout, et c’est garanti sur facture.
Et puis, des rassemblements, partout. Mais pourquoi ? Pour y déclamer haut, fort et grégairement « Je suis Charlie » ? Mais pourquoi ? Quel but peut-il y avoir à vouloir se fondre dans un grand tout lacrymal, à se dissoudre ainsi pour montrer qu’on peut ou qu’on doit s’exprimer ? On peut parfaitement être choqué et viscéralement contre ce qui vient de se produire sans avoir pour autant la moindre affinité avec le journal et à plus forte raison sans vouloir disparaître derrière un slogan niaiseux. Et puis surtout, la liberté de penser, de s’exprimer, ce n’est précisément pas de penser et d’exprimer ce que tout le monde pense et exprime déjà, que diable !
Mais rassurez-vous, l’heure est trop grave pour réfléchir
ergoter. Il y aura unité, il y aura rassemblements, il n’y aura personne
pour rappeler à ces gens toutes ces libertés qu’ils ont précédemment
grignotées ou qu’ils ont laissé grignoter, en toute décontraction. Il
n’y aura personne pour leur rappeler ceux qui s’exprimaient trop
librement et qu’ils ont censurés explicitement (parce que la loi, ou un
décret, ou un bricolage juridique vite fait, le leur permettait) ou
implicitement, par la bande, parce que, … « parce qu’on ne peut pas laisser publier ça, laisser dire ça, il a le droit, mais enfin » … La liberté d’expression, la liberté de penser, c’est très joli, mais il vaut sans doute mieux l’encadrer un peu.
Ça tombe bien. Avec ce qui vient de se passer, de l’encadrement, on va en avoir de grosses louchées.
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