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Une jeunesse déchirée ou le « divorce à l’iranienne »

Interview / dimanche 14 juin 2009 par Propos recueillis par Anna Velluz, Paul Duberry
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A la suite de l’élection d’Ahmadinejad, des milliers de partisans de son rival sont descendus dans les rues pour protester. Farad Khosrokavar, chercheur à l’EHESS, raconte pour Bakchich la jeunesse iranienne.

Deux tiers de la population iranienne a aujourd’hui moins de 30 ans. Appelée aux urnes pour élire un nouveau président, la jeunesse de ce pays a été présentée ces derniers jours comme une génération virevoltante, prête à tout pour le changement. Mais au quotidien, l’histoire est moins romantique.

Le sociologue franco-iranien Farad Khosrokavar, directeur de recherche à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), décrit une jeunesse « divisée », « apathique », qui manque cruellement de relais dans la société. Il est le co-auteur du livre Avoir 20 ans au pays des ayatollahs (Robert Laffont, 2009).

Bakchich : On parle souvent d’un « Iran des villes », qui aspire à plus de libertés, et d’un « Iran des champs », plus conservateur. Observe-t-on le même phénomène chez les jeunes ?

Farad Khosrokavar : Pour moi, la jeunesse est très, très déchirée. Au moins deux tiers voudraient beaucoup plus de libertés sur le plan sexuel, des moeurs, de l’expression politique, mais tout le monde ne partage pas cet opinion. Et même ceux qui souhaitent ces changements ne sont pas toujours conscients des implications.

Ce qui se passe dans les grandes villes, comme Téhéran, ne doit pas être généralisé aux petites villes de provinces, souvent traditionnelles. La jeunesse traditionnaliste de Qom, ou de Mashad (villes saintes chiites, ndlr) pense par exemple que la modernisation a entraîné beaucoup plus de destructions, de déstructuration et qu’elle s’est accompagnée d’une économie débridée, inflationniste.

Certains sont politiquement réformistes, mais culturellement conservateurs. Ils sont politiquement pour l’ouverture et culturellement pour un système aussi conservateur, sinon davantage que celui qui existe. On peut être anti-clérical et conservateur, ce qui n’est pas contradictoire. On peut être anti-clérical dans le sens où on est anti-théocratique, c’est-à-dire contre le fait que les mollahs soient au sommet de l’Etat.

Bakchich : Ce déchirement se retrouve aussi dans leur mode de vie. Les jeunes de Téhéran transgressent beaucoup d’interdits…

Farad Khosrokavar : L’Iran est une théocratie politique qui peut devenir très répressive si elle se sent menacée. Mais elle lâche du lest. Au niveau de la vie quotidienne, dans les grandes villes, les jeunes ont un niveau de liberté qui n’a rien à voir avec les restrictions d’ordre légal. Si vous allez par exemple à Téhéran, vous pouvez voir que les jeunes transgressent dans les parcs, sous les arbres, à la tombée de la nuit, dans la montagne, au cinéma. (Une fille et un garçon ne peuvent pas s’afficher en public s’ils ne sont pas mariés, sous peine d’être arrêtés, ndlr). Il y a une sorte de modus vivendi entre les jeunes et le pouvoir : « ne touchez pas à notre vie quotidienne et nous on ne conteste pas politiquement ». C’est une forme d’individualisme. J’ai appelé cela « le divorce à l’iranienne » : c’est à dire que les jeunes détestent cet Etat, alors ils se défoulent dans l’espace privé. Et cet Etat n’arrive pas à les maîtriser, à leur interdire cet espace privé.

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Bakchich : La contestation commence donc à l’échelle de l’individu. Mais existe-t-il des mouvements de protestation collectifs ?

Farad Khosrokavar : L’écrasante majorité des jeunes est aujourd’hui apathique et peu engagée. La raison est simple : il y a eu deux échecs successifs, celui de la Révolution islamique (1979, ndlr), où la mobilisation des jeunes avait été importante, et l’échec de l’époque réformiste avec Khatami (1997-2005, ndlr), car là encore les jeunes s’étaient mobilisés et les résultats n’avaient pas été à la hauteur. Ils ont fait beaucoup de choses pour lui et le résultat a été une ouverture culturelle provisoire, pas une véritable ouverture politique. Cet échec, qui a beaucoup marqué la jeunesse iranienne, peut être comparé à celui de Mai 68 en France.

Parallèlement, il y a une absence de relais dans la société. Et c’est précisément parce qu’il n’y a aucune structure politique, aucune organisation syndicale ou autre, que les Iraniens se trouvent dans une certaine apathie. Alors, il y a des jeunes qui manifestent leur réprobation en quittant le pays et d’autres qui trouvent un moyen d’aménager un espace privé, où ils se donnent toutes les libertés qu’on leur dénie dans l’espace public.

Bakchich : Mais si les jeunes partent, c’est surtout en raison des difficultés économiques, non ?

Farad Khosrokavar : En Iran, les chiffres du chômage ne reflètent que partiellement la réalité, mais on dit qu’ils se situent entre 23 et 25%. Pour les jeunes, il n’existe pas de statistiques mais à mon sens, cela tourne autour de 40%. Les jeunes qui font des études brillantes, l’élite, partent beaucoup à l’étranger, aux Etats-Unis, au Canada et en Australie. Le marché du travail est dans un très mauvais état. Les entreprises privées ferment, le prix du pétrole n’arrange pas les choses, le taux d’inflation est très élevé. Enormément de jeunes ne trouvent pas du travail, alors ils font avec et se reposent sur leur famille. Ils habitent très tardivement chez eux, mangent là-bas souvent et vivent à leurs crochets. Dans ces conditions, les jeunes ne soutiennent pas le pouvoir en place.

Bakchich : Concrètement, existe-t-il des mouvements de résistance ?

Farad Khosrokavar : Il y a eu plusieurs tentatives mais à chaque fois les mouvements ont été réprimés. Une grande partie de la jeunesse iranienne n’est pas acquise à l’islam radical, comme on peut le voir en Algérie, ou en Egypte. Le fait de porter le voile ne signifie pas qu’on est partisan d’un islam fondamentaliste.

Il y a la subversion du voile, le surmaquillage, l’affirmation de soi. L’identité se construit par le corps.

L’Iran n’est pas la Syrie, ou l’Irak à l’époque de Saddam Hussein. En Iran, les gens parlent. Il n’y a pas une sorte d’organisation qui étouffe l’expression des gens. Mais leurs modes d’actions sont limités car ils manquent cruellement d’argent. Ils utilisent alors des moyens modernes comme internet. C’est plus pratique, pour toucher beaucoup de gens et cela reste moins dangereux. Il y a par exemple le mouvement féministe en ligne « One Million Signatures Campaign  », qui se bat pour obtenir l’égalité des sexes. Et ce qui est intéressant c’est que beaucoup de jeunes garçons y participent. La nouvelle génération qui arrive sur la scène publique n’accepte pas les restrictions qu’on lui impose au nom de la religion, de la foi. Il existe donc un risque que se creuse un fossé entre la réalité sociologique de l’Iran et ce qu’on pourrait appeler le système théocratique.

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« Avoir 20 ans au pays des ayatollahs » (Robert Laffont, 2009).

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  • Une jeunesse déchirée ou le « divorce à l’iranienne »
    le mardi 16 juin 2009 à 13:57, BaoBab a dit :

    Bonjour,

    Je suis étonné par la première réponse de notre chercheur officiel. "Pour moi, la jeunesse est très, très déchirée. Au moins deux tiers voudraient beaucoup plus de libertés sur le plan sexuel, des moeurs, de l’expression politique, mais tout le monde ne partage pas cet opinion. Et même ceux qui souhaitent ces changements ne sont pas toujours conscients des implications." La première liberté à laquelle aspire la jeunesse iranienne est d’ordre sexuel. Faut dire qu’ils sont tous chauds là-bas. Sinon "au moins deux tiers voudraient plus de libertés"(…) "mais tout le monde ne partage pas cet (sic) opinion. Je ne suis spécialiste dans aucun domaine, mais je constate que l’ethnocentrisme est toujours de mise. Que la lunette grossissante est toujours le meilleur accessoire du journaliste scrupuleux et que à défaut d’un résultat aligné sur les espérances parisiennes, un pays ne peut être que dans l’erreur. Vivement le retour des missionnaires et de leur action civilisatrice. Bao Bab

  • Une jeunesse déchirée ou le « divorce à l’iranienne »
    le lundi 15 juin 2009 à 09:16

    Pendant que la presse nous parlait, non sans une certaine délectation, de la révolte des étudiants de Téhéran et de la répression par les motocyclistes voltigeurs (inventés en France, en leur temps par Pasqua), les images nous montraient principalement une manifestation géante de soutien à … Ahmadinejad.

    Comme d’habitude, les médias français n’ont pas donné dans la dentelle en imaginant que le scrutin allait balayer l’Iran. Certains nous ont même sorti le "petit shah" de la naphtaline.

    Le réveil est un peu dur. L’Iran est un grand pays dont la population est très jeune (la majorité électorale est d’ailleurs fixée à 15 ans) et très majoritairement rurale et pauvre.

    Si la révolution islamique a bien pendu quelques suppots du shah, notamment certains membres de sa fameuse police politique, avec l’appui formel de l’occident, elle s’est désinteressée des puissances d’argent et de la bourgoisie corrompue : il ne fallait surtout pas que les militants communistes puissent gêner nos approvisionnement en pétrole.

    Les choses ont bien changé depuis alors que la presse occidentale et notamment française n’a toujours rien vu. Par ses prestations à quelques tribunes internationales, le petit homme pieu, rigide et intègre - auquel la constitution donne finalement très peu de pouvoir - est devenu un des premiers leaders du Tiers-Monde, du monde musulman et même (un comble pour un persan) du monde arabe. Il a prouvé hier qu’il était également prophète en son pays, malgré les manifestations de la jeunesse dorée des université de Téhéran.

    • Une jeunesse déchirée ou le « divorce à l’iranienne »
      le lundi 15 juin 2009 à 13:12

      Toutes nos condelances au lobby israelien de France qui n’a pu mene sa revolution colorere en Iran et particulierement a Sarkosy et son ami Prasquier qui ont mis la Frrance au bord de la guerre civile en instrumentalisant la population de France et de Navarre… qu’est ce qu’on aurait aime voir plus d’entrain dans les medias francais a montrer l’opposition des africains, au Tchad, au Maghreb a Djibouti, etc a la politique raciste et colonialiste des elites politiques de France…

      Arretez de donenr des lecons d’humanisme au monde, la France n’est pas mieux qu’israel ou les usa… respectez les iraniens et melez vous de vos propres guerres civiles, le [post ne s’adresse pas aux auteurs de l’article

  • Une jeunesse déchirée ou le « divorce à l’iranienne »
    le dimanche 14 juin 2009 à 18:11, Diogène a dit :
    Quand les seules revendications de la jeunesse sont la liberté des mœurs et la liberté sexuelle le pouvoir en place ne risque pas grand chose. N’avoir que ce genre de revendications est un luxe. Les jeunes qui affrontaient les chars soviétiques à Budapest en 1956 avaient d’autres problèmes que des problèmes de liberté sexuelle. Je n’éprouve aucune sympathie pour le régime Iranien mais je n’éprouve non plus aucune sympathie pour la jeunesse Iranienne des quartiers nord de Téhéran.
  • Une jeunesse déchirée ou le « divorce à l’iranienne »
    le dimanche 14 juin 2009 à 15:17, Stalingrad a dit :
    Exactement comme en France, la majorité des jeunes (et des moins jeunes) est en désaccord avec le système politico-économique en place, mais elle ne trouve pas le relais politique nécessaire au changement. Elle a essayé les socialistes avec Mitterand, Jospin et consors, ça n’a pas marché (pire, elle a été trahie). Mutatis mutandis, jeunesse française et jeunesse iranienne même combat et même impuissance. En tout les cas bravo pour cette analyse qui me semble coller tout à fait avec ce que j’ai ressenti les deux fois où j’ai voyagé en Iran et où j’ai eu l’occasion d’échanger avec de jeunes iraniens (la trentaine). Un problème cependant : quand l’Occident parle du malaise de la jeunesse iranienne, c’est toujours celle à laquelle il s’identifie, càd celle des étudiants et de la bourgeoisie ou de la petite bourgeoisie, jamais celle des ouvriers et des paysans.
  • Une jeunesse déchirée ou le « divorce à l’iranienne »
    le dimanche 14 juin 2009 à 14:34
    Juste pour vous signaler qu’il y a une petite faute dans le 1er paragraphe ("rue")
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