Rechercher dans Bakchich :
Bakchich.info
UNE BRÈVE HISTOIRE DE BAKCHICH

Tags

Dans la même rubrique
Avec les mêmes mots-clés
RÉCLAME
Du(des) même(s) auteur(s)
LUTTES / CHRONIQUE DU BLÉDARD

Un p’tit tour de velib’

A bicyclette / lundi 22 octobre 2007 par Akram Belkaïd
Twitter Twitter
Facebook Facebook
Marquer et partager
Version imprimable de cet article Imprimer
Commenter cet article Commenter
recommander Recommander à un ennemi

Samedi, tôt le matin, non loin de l’avenue des Gobelins. A la borne des velib’ - les vélos parisiens en libre-service - il n’y a que trois machines de disponibles, du moins c’est ce que je crois car, après vérification, une seule me semble en bon état et encore, n’en suis-je pas totalement sûr. Fort de quelques semaines de pratique, je sais que l’on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise comme retirer un vélo avec les deux roues voilées ou, ne riez pas, sans chaîne, ce dernier cas étant de plus en plus fréquent puisqu’il se dit que des petits malins les volent pour les revendre à des marchands de métaux…

Au moment où je pose mon sac à dos dans le panier métallique, une jeune femme, en jean et bottes de cavalière, arrive et inspecte les deux vélos qui restent. L’un a les pneus lacérés et l’autre n’a pas de pédales. « Vous le prenez ? », me demande-t-elle en désignant « mon » velib’. Dans sa voix, il y a comme un soupçon de rage qui me fait penser à cette vieille dame qui m’avait un jour couvert d’insultes dans une boulangerie parce que je venais d’acheter la dernière baguette. Il fut un temps où j’aurais peut-être cédé de bonne grâce le vélo mais, à Paris, en matière de velib’, l’homme est un loup pour l’homme même si ce dernier est une femme…

« Hélas pour vous », lui dis-je en affichant un sourire volontairement moqueur. « Il y a une autre station dans le coin ? », me demande-t-elle alors avec, cette fois, une forte intonation de découragement. « C’est normalement indiqué sur la borne », lui réponds-je en achevant de régler la hauteur de ma selle (et en me rendant compte que cela ne sert à rien puisque la moindre pression la fait revenir à sa position la plus basse). « C’est tout de même inadmissible qu’il y ait autant de vélos qui ne fonctionnent pas ! », s’indigne-t-elle en me prenant à témoin.

Je fais mine de compatir mais je ne m’attarde pas. Je n’ai ni le temps (seule la première demi-heure de location est « batoliss », gratuite), ni l’envie de ressasser ce que tous les Parisiens savent déjà : velib, qui selon le slogan officiel rime avec liberté - ce qui n’est pas totalement faux - est la victime concrète, parfois ahurissante, d’un incivisme grandissant. Vélos pliés sur eux-mêmes, vandalisés, couverts d’excréments ou d’urine, volés et abandonnés dans le caniveau, voilà la face cachée d’un phénomène qui, malgré tout, est un succès puisque nombreux sont celles et ceux qui utilisent désormais la force du jarret pour se déplacer.

Me voici remontant le boulevard de Port Royal. Nous sommes cinq ou six à rouler en file indienne dans le couloir réservé aux bus, taxis et… cyclistes. La pente est modeste mais les brûlures que je commence à ressentir aux cuisses me rappellent que, dopés ou pas, les cyclistes qui avalent les virages de l’Alpe d’Huez ou du Tourmalet, ont droit à un grand respect. Inutile de vous préciser que je suis le dernier du groupe et que, bien entendu, je suis obligé d’emmener le braquet le plus difficile puisque mon dérailleur déraille.

Mais je ne râle pas. Le ciel est bleu et le soleil me chauffe la nuque. La ville est encore vide de ses automobilistes et scooters, ennemis du « vélibeur », même occasionnel. Soudain, une ombre me recouvre et j’ai l’impression d’être un mulot sur lequel fond un oiseau de proie. Le bus roule au gaz naturel et, tempes battantes et souffle un peu court, je ne l’ai pas entendu venir derrière mon dos. J’essaie de serrer le plus à droite mais il passe tout de même à moins de cinquante centimètres. Se concentrer, regarder au loin et tenir fermement son guidon pour ne pas se laisser impressionner. L’homme qui me précède n’a pas l’air de connaître ces règles. Il oscille sur sa machine, chasse vers la droite, puis vers la gauche et finit par s’affaler sur la bande de ciment qui délimite le couloir.

Nous sommes plusieurs à nous arrêter. On l’aide à se relever, on s’indigne du comportement du chauffeur de bus - qui est déjà loin. On encourage l’homme, un peu pâle, à porter plainte. Il refuse et nous dit qu’il va chercher une borne pour rendre son vélo et que c’est la première et dernière fois qu’il se mesure à la sauvagerie de la circulation dans Paris.

Je repars. Boulevard du Montparnasse, la Coupole — brasserie dont la rumeur a longtemps prétendu qu’elle appartenait à un membre du Conseil de la révolution algérienne -, le Dôme, la Rotonde et le Select. Les touristes, les seuls qui profitent véritablement de la ville, sont déjà attablés aux terrasses, levant à peine la tête au feulement métallique de nos grosses machines vertes. Feu rouge. Je freine. Bonne intuition car, là-bas, trois agents viennent de surgir de derrière une camionnette et ordonnent aux deux cyclistes qui m’ont dépassé de s’arrêter. La suite est banale : verbalisation et quatre-vingt-dix euros d’amende chacun.

C’est ainsi, le velib’, c’est aussi de très bonnes affaires pour le Trésor public via les contredanses distribuées à la volée par la maréchaussée. Feux rouges grillés, trottoirs empruntés, sens interdits ignorés, et, depuis quelque temps, conduite en état d’ivresse (si, si, je vous l’assure), il faut dire que le cycliste parisien a tendance à prendre ses aises. Persuadé qu’il détient la vérité écologique, il devient peu à peu le cauchemar des automobilistes et la terreur des piétons. Un conseil, si vous marchez dans les rues de la capitale française, évitez de vous retrouver sur une piste cyclable et faites bien attention si vous devez la traverser. Le cycliste n’est pas partageur et il se fera un plaisir de foncer sur vous et de vous infliger moult frayeurs.

C’est reparti. Place Léon-Paul Fargue, rue de Sèvres, la montée du boulevard Pasteur (aïe, aïe, les cuisses), la descente du boulevard Pasteur, la rue Vaugirard, de nouveau le boulevard Montparnasse, la place Léon.., non, non, je ne m’amuse pas à tourner en rond. Je cherche juste à rendre mon velib’ mais toutes les bornes du coin affichent complet. Ah, voilà, ça y est, là-bas, sous le métro aérien, une place est en train de se libérer. Je sprinte. Je suis Freddy Maertens au championnat du monde d’Ostuni. D’un coup de reins, j’arrive juste à temps devant deux autres vélibeurs, mes Moser et Conti, qui comprennent, avec des couteaux qui jaillissent de leurs yeux, qu’il leur faut se remettre en selle pour trouver un emplacement de libre. Je vous l’ai dit : à Paris, le vélo, c’est pas de cadeaux !

Voir en ligne : in Le quotidien d’Oran

AFFICHER LES
10 MESSAGES
0 | 5

Forum

  • Ou de vélos tout court.
    le dimanche 16 décembre 2007 à 21:12, Hamid a dit :

    Superbe article

    Etoù trouver la patience d’attendre que les mentalités évoluent,quand on voit comment sont traités les vélos privés.

  • Un p’tit tour de velib’
    le mardi 23 octobre 2007 à 20:49, Zenobie a dit :
    C’est plus vrai que nature !! Moi qui en utilise aussi beaucoup (des Vélib’), j’ai bien ri à la lecture de cet article. Je suggère aussi la montée de l’avenue des Gobelins derrière le 27 qui vous envoie poliment ses gaz d’échappement en pleine poire, un pur bonheur… Merci M. Belkaïd de vos articles pertinent et pleins d’humour.
  • Un p’tit tour de velib’
    le mardi 23 octobre 2007 à 17:36, Rasko a dit :
    A faire remonter vers nos chers décideurs… !
  • Un p’tit tour de velib’
    le mardi 23 octobre 2007 à 10:26, jeuf a dit :
    Pour moi, le vélo (et pas le vélib’), ça se passe très bien, depuis un an et demi. Ce n’est pas la guerre. J’ai juste à déplorer la pollution qui parfois m’empêche de respirer beaucoup (c’est à dire que si je vais trop vite dans une montée, je me sens étouffer pour pouvoir respirer en.) Mais il est vrai que le cycliste, moi y compris, impose un effet de coupure aux piéton, donc en quelque sorte un rapport de domination : je suis plus important, je ne veux pas vous laisser passer. Surtout en considérant qu’il m’est bien plus difficile de m’arreter mois à 20 km/h, plutot que vous de ne pas démarrer. C’est ainsi que l’espace et les comportements sont rationnalisés pour que les cyclistes puissent passer tranquille sur la chaussée. Les cyclistes, mais avant tout les engin à moteur car cette nuisance de tout moyen de transport qu’est l’effet de coupure est des dizaines de fois plus important pour des motos, des voitures que pour des vélos. Bon. Je refuse d’acheter une sonette pour ne pas terroriser les piéton : en cas de problème, je ralenti, et je n’ai jamais eu de collision. Mais parfois en effet, je suis las des piétons qui flanent sur la pste cyclable, choses qu’il ne leur viendrait pas idée de faire sur la route. Enfin, j’accepte, parce que je ne suis un automobiliste ou un motard qui considère qu’il a un espace à lui inviolable…
  • Un p’tit tour de velib’
    le mardi 23 octobre 2007 à 09:54, polo a dit :
    Cet article m’a mis de bonne humeur pour commencer la journée,il en faut peu parfois.J’aime beaucoup,entre autres,l’image du bus qui fond sur sa proie….
0 | 5
BAKCHICH PRATIQUE
LE CLUB DES AMIS
BEST OF
CARRÉ VIP
SUIVEZ BAKCHICH !
SITES CHOUCHOUS
Rezo.net
Le Ravi
CQFD
Rue89
Le Tigre
Amnistia
Le blog de Guy Birenbaum
Les cahiers du football
Acrimed
Kaboul.fr
Le Mégalodon
Globalix, le site de William Emmanuel
Street Reporters
Bakchich sur Netvibes
Toutes les archives de « Là-bas si j’y suis »
Le locuteur
Ma commune
Journal d’un avocat
Gestion Suisse
IRIS
Internetalis Universalus
ventscontraires.net
Causette
Le Sans-Culotte