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LUTTES / CHRONIQUE DU BLÉDARD

Un livre abandonné

vendredi 24 novembre 2006 par Akram Belkaïd
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Station Invalides. En descendant de la rame, on se rend compte – allez savoir pourquoi à ce moment-là - que l’on n’a toujours pas de sujet de chronique et que celles qui sont au marbre demandent à être sérieusement rafraîchies. Et là, se produit, comme c’est souvent le cas, le petit miracle hebdomadaire ; le déclic qui fait se dire « mais bon sang, mais c’est bien sûr ! ». En fait, on ne réalise pas tout de suite que c’est « le » sujet de la semaine, emporté que l’on est par l’élan de l’action, toutes oreilles ouvertes pour capter une conversation. Racontons.

Sur le quai, un jeune homme maigrichon, pantalon de velours noir et baskets blanches, laisse tomber un livre qui fait un gros ploc en touchant le sol. Son propriétaire ne s’en aperçoit pas et continue sa marche rapide dans le flot des salariés encore mal réveillés et, pour nombre d’entre eux, sûrement déprimés à l’idée d’une semaine qui ne fait que commencer et qui, même à son terme, ne rapprochera que très peu des vacances – s’il y en a – de fin d’année.

Une dame, blonde, longiligne, chaussures pointues, se baisse et ramasse le bouquin. Monsieur, Monsieur, crie-t-elle. Il n’entend rien. Normal, les hauts parleurs de la station crachent une annonce qui explique en espagnol que l’arrêt n’est pas marqué à la station Duroc pour cause de travaux. Alors, la dame essaie d’accélérer le pas, d’aller plus vite que ceux qui vont déjà vite et qui, de toutes les façons, n’aiment pas qu’on essaie de les dépasser parce que c’est ainsi, cela ne se fait pas. C’est une question de principe. Tu ne passeras pas devant moi, car c’est ma façon de dire, de me dire, que j’existe, que j’ai droit au respect que, malheureusement, mon supérieur au bureau ne me témoigne pas.

Le flair du chroniqueur

Quant à moi, poussé par le flair du chroniqueur, je suis le mouvement. Va-t-elle le rattraper ? C’est un suspense ordinaire, mais délicieux, comparable à celui qu’on vit quand, d’une terrasse de café ou d’un balcon, on regarde avec un brin de moquerie quelqu’un courir derrière un bus. Va-t-il arriver à temps, avant que l’engin ne reparte ? Non, c’est raté. Mais si ! Il y a encore une chance puisque le bus s’arrête au feu rouge. Le malheureux se remet à courir et rattrape la boîte verte qui roule au gaz pour ne pas polluer la ville. Peine perdue, le chauffeur refuse de lui ouvrir la porte : « c’est pas réglementaire ». Alors, c’est selon, le poursuiteur revient vers l’arrêt, continue sa marche à pied ou, plus intéressant, commence à cogner les vitres du bus et à traiter le chauffeur de petits noms pas très sympathiques. Parfois, cela peut s’envenimer pour le plus grand plaisir des curieux et des badauds.

Revenons à la dame blonde. Premier escalier : le propriétaire du livre n’est qu’à trois mètres devant. Dans le couloir, il garde son avance. Monsieur, Monsieur,… C’est étrange, personne ne se retourne. Elle essaie de s’intercaler mais un coup d’épaule d’un benêt venant en sens inverse lui fait perdre un mètre supplémentaire. Deuxième escalier, direction Créteil. A droite ou à gauche ? Ça y est, elle le repère in extremis. Quand elle débouche sur le quai, le métro est là et la sonnerie retentit déjà. Pas le temps de monter dans le même wagon que lui. Vite, s’engouffrer dans celui d’à côté. A l’intérieur, elle va – et moi aussi – vers le fond, là où on peut apercevoir les voyageurs de l’autre wagon. Le jeune homme est bien là, lisant un journal gratuit.

La blonde agite le livre en espérant qu’il la verra en relevant la tête. Cela me permet de lire le titre. C’est un récit en anglais qui a connu son heure de gloire outre-Manche : « A year in the merde » du journaliste anglais Stephen Clarke ou les aventures d’un british à la découverte de la France. Livre un peu méchant et bourré de clichés dont la traduction en langue française s’intitule, c’est moins offensant, « God save la France ». Mais bref. Ce qui m’étonne aussi, c’est qu’elle ne l’ouvre pas, comme si elle s’interdisait de profiter, même quelques instants, d’un objet qui ne lui appartient pas.

Station Opéra. Il est descendu. Nous aussi. La dame le hèle. Monsieur, monsieur. Vous avez laissez tomber votre livre à Invalides. J’ai essayé de vous rattraper mais vous alliez trop vite. Sourire et remerciements. Bizarre. Le premier est un peu crispé et les seconds sont presque froids. La dame est visiblement déçue. Elle ne hurle pas «  c’est bien la dernière fois que je me donne ce mal » mais son regard bleu le dit. Elle tourne le dos et monte dans la rame qui vient d’arriver. Je pourrai en faire de même mais quelque chose me dit d’attendre.

Alors que les portes automatiques vont se refermer, le maigrichon pose le livre sur la faïence bleue où, c’est selon, s’asseyent les fatigués ou dorment les sdf. Il s’éloigne ensuite avec son pas toujours aussi rapide. Dans le wagon, la blonde l’a vu faire et, l’espace d’une seconde, je la vois blêmir et se pincer les lèvres.

Vous allez me dire que vous avez tout deviné. Que le jeune homme n’a pas supporté ce qui était écrit dans ce livre à propos de son pays et de son peuple et qu’il a préféré s’en débarrasser. Erreur. Je vous explique. Ce « a year in the merde », je l’ai ramassé. Dans la première page, habituellement blanche, il y avait, écrit à l’encre turquoise, le message suivant : « ce livre ne vous appartiendra que le temps de sa lecture. Lisez-le puis libérez-le dans un endroit fréquenté. Donnez-moi de ses nouvelles à l’adresse suivante : ayear_in_ze@yahoo.fr ». Signé un certain Olivier B.

Cela s’appelle le «  bookcrossing » et son principe, vous l’avez compris, est simple. On lit un livre puis on l’abandonne dans un lieu public en espérant que celui qui le trouvera jouera le jeu et ainsi de suite, le tout formant une chaîne de lecteurs liés par un même ouvrage. Tout cela, au nom d’un concept né en 2001 qui appelle à la « libération des livres ». Il y a même des sites internet dédiés à cette pratique et on y découvre que certains romans voyagent d’un continent à l’autre (remarquez, il suffit de les abandonner dans un aéroport). « Libération des livres »… Voilà donc, une nouvelle fois exprimée, la vacuité qui caractérise le monde dans lequel nous vivons !

Bien entendu, j’ai pris le bouquin du maigrichon. Je vais le lire et quand j’en aurai terminé, je le garderai ou le prêterai peut-être à quelqu’un de mon entourage (qui devra le rendre, n’est-ce pas Gassier ?). Sinon, j’irai voir un bouquiniste pour l’échanger contre quelques bandes dessinées. Car c’est ainsi, un livre, ça s’offre, ça se prête, ça s’échange, ça se vend, ça se donne, ça peut même se voler, mais ça ne s’abandonne pas au profit de lecteurs virtuels même si c’est la dernière mode «  new âge » qui le commande.


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3 MESSAGES

Forum

  • Un livre abandonné
    le vendredi 15 juin 2007 à 11:46, soleilad a dit :

    Je suis venue là par hasard et j’ai eu beaucoup de plaisir à lire cette belle histoire, comme vous je pense qu’un livre se partage, se transmet de la plus belle manière qui soit….

    Bonne journée ensoleillée Soleilad

  • Un livre abandonné : une personne lambda
    le lundi 11 décembre 2006 à 17:06, une personne lambda a dit :

    Bonsoir,

    Vous avez de la chance vous les chroniqueurs ils se passent des choses pour vous. Je vous dis cela car j’écoute sur la radio Medi 1 la rubrique points de vue plus spcélaiment celui de Fouad Laroui (je la conseille à tout le monde !!!!) le chroniqueur vit aussi des choses très intéressantes.

    En tout cas merci d’avoir choisi de partager ces moments avec nous simples lecteurs ou auditeurs.

    A la prochaine

    • Un livre abandonné : une personne lambda
      le jeudi 17 mai 2007 à 22:47
      quelle "pub-naïve"…
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