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Tous les chemins mènent aux Rroms

Nomade’s land / mercredi 8 avril 2009 par Philippe Pichon
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Et hop, nous voilà en plein dans la Semaine Rrom. Du 3 au 10 avril. Avec en acmé, la journée mondiale des Rroms, aujourd’hui 8 avril, garnie d’une réception à l’ambassade américaine à Paris. Petit exposé sur la plus grande communauté transnationale au monde.

La chute du Mur de Berlin a fait de l’Allemagne un enjeu politique pour les migrations européennes. Depuis le début des années 90, le retour d’une « question tsigane » dans presque tous les pays de l’Europe centrale, orientale et balkanique (PECOB) a été amplifiée par les mouvements de populations vers l’Allemagne et par les nationalismes d’Europe. Avec les campements « sauvages » de Rroms installés en petite ou grande banlieues parisiennes, l’opinion française (re)découvre avec stupeur l’existence d’un peuple qu’elle croyait disparu. Ces « pays de l’Est », comme on les désigne aujourd’hui, qui ont tant de mal à trouver leur point d’équilibre national s’accordent tous à crier haro sur le Tsigane et il se forme un sentiment européen anti-tsigane nouveau.

Ainsi s’expriment les enjeux de la libre circulation des Tsiganes, peuple sans territoire de référence. Car, policièrement parlant, les Tsiganes sont désormais entrés dans un univers fini, l’espace européen de circulation, celui de Schengen. En quelque sorte partagés entre deux désirs difficilement conciliables : l’affirmation du droit de citoyenneté individuelle à l’intérieur de chaque nation et le principe d’une reconnaissance collective en tant que minorité transnationale. Ces divergences s’expriment dans le conflit latent qui se développe entre « nouveaux immigrants » orientaux cherchant la Terre promise occidentale et des familles tsiganes parfaitement établies pour nombre d’entre elles depuis le XVII è siècle en Europe de l’Ouest.

Ainsi, paradoxalement, alors que les déplacements intérieurs traditionnels des nomades sont soumis à des tracasseries administratives toujours aussi lourdes, le franchissement des frontières s’est simplifié pour les nationaux sédentaires.

La diffuse "nation" bohémienne

En France, la prétendue « question tsigane » sert de révélateur à des tentations latentes de gestion sécuritaire des populations, menaçant à nouveau une « nation française » et sa relative stabilité sociale. En effet, à côté de l’insertion à peu près réussie des quelques 420 000 Tsiganes (Manouches, Gitans, Roms) de nationalité française à plus de 90%, la normalisation sociale et ethnique semble constituer une réponse appropriée aux défis de cette nouvelle pauvreté bohémienne. La sédentarisation largement encouragée par l’Etat (mais est-ce là son rôle ?) au travers de deux lois, les lois Besson de mai 1990 et de juillet 2000, renforce encore un peu plus la distinction faite, non pas tant entre Tsiganes étrangers et ressortissants nationaux, mais entre sédentaires et nomades.

Si, à présent, en France, la promotion nationale s’accompagne au pire d’une dénonciation d’un vagabondage structurel, en Europe balkanique, elle prend la forme d’un refus global de l’existence tsigane qui va bien au-delà. Il s’agit d’un refus physique total, entre partage ethnique et expulsion physique. On se souvient de l’éradication totale d’une présence détestée qui fut ouvertement exigée par le nationaliste Ceausescu.

Les Tsiganes et l’Europe malthusienne

Les régimes communistes dénoncèrent « le parasitisme » tsigane, et les gouvernants ont longtemps hésité entre une politique d’assimilation par la sédentarisation forcée qualifiée « d’intégration sociale » et une politique de rassemblement ethnique et de « cantonnement ». Le mépris s’ajoutait à l’ignorance et l’ancienne « tradition » de contact se délitait dans la statistique sociologique.

« Chacun a sa place dans l’ombre », disent aujourd’hui les Tsiganes, qu’une Europe malthusienne semble regarder au mieux comme un archaïsme, au pire comme une menace. Les revendications et les enjeux d’une libre circulation ne sont pas récents, mais ils ont pris un tour nouveau du fait même de l’audience créée par la conjoncture de déstabilisation politique et sociale générale de l’Europe. En apparence, les progrès ont été remarquables, promus par le vaste chantier d’angélisme qui a saisi les technocrates européens après la chute du Mur de Berlin [1]

Tous les chemins mènent au Rroms - JPG - 110.3 ko
Tous les chemins mènent au Rroms
© Nardo

Ainsi, une série de résolutions – fort libérales – a été prise par le Conseil de l’Europe concernant l’éducation, l’assistance et la circulation des populations tsiganes à l’intérieur de l’Union européenne. Résolutions qui soulevèrent un espoir considérable dans des familles où l’information circule d’autant plus vite qu’elle est rarement écrite. Mais elles tranchaient par trop avec des conjonctures nationales bien plus répressives. Au Kosovo, l’effondrement du communisme a provoqué une évolution contradictoire entre reconnaissance comme minorité nationale et recrudescence des actions racistes. Ainsi, les nombreux pogromes en 1993 à l’encontre de Tsiganes sédentaires. Toute une génération d’intellectuels tsiganes est devenue par la force des choses le porte-parole de leur communauté, animant un mouvement international rom balbutiant.

12 millions de Tsiganes en Europe, 15 millions à l’échelle mondiale

L’archipel ethnique de l’Europe orientale comprend 5 millions de Tsiganes sur un total de 15 millions à l’échelle mondiale. Ceux de Roumanie représentent à eux seuls près de 2,5 millions de personnes où les Rroms constituent la minorité la plus importante du pays. Ils sont 1 million en ex-Yougoslavie, plus de 800 000 en Russie, cette population est également importante aussi en Hongrie, près de 600 000. Nombreux en Grèce et en Turquie, mais non indiqués dans les statistiques officielles, car la population tsigane est niée. Au total, dans l’Europe géographique d’aujourd’hui vivent ainsi environ 12 millions de Tsiganes. Il y a ainsi des Tsiganes et Voyageurs dans tous les pays d’Europe, en nombre variable, entre 10 000 dans les pays scandinaves et jusqu’à 420 000 en France et 600 000 en Espagne.

En termes de revendications de droits « politiques », le sentiment d’appartenir à une culture commune est pour les Tsiganes une réaction récente et qui se traduit par une très abondante littérature poétique [2]

Les Roms roumains sont encadrés par des bouloubashi traditionalistes – ce terme entré dans la langue tsigane, dérive du turc et signifie « chef de tribu » -, que l’on accuse de tous les trafics.

Une pression migratoire ?

Y a-t-il pour autant une pression migratoire des pays de l’Europe centrale et orientale, comme le titrait encore récemment Le Figaro ?

Les Roms sont « accusés » de former l’essentiel des nouvelles vagues migratoires qui marquent le lendemain de la chute des régimes communistes. En Bulgarie, en ex-Yougoslavie, en Roumanie, en République tchèque et en Slovaquie où la sédentarisation était très prononcée, on estime que 30% des familles tsiganes ont repris une mobilité vers l’Ouest. Sur les 12 millions recensés en Europe, 7 vivraient dans les pays membres de l’Union européenne et 5 en Europe de l’Est, ceux de Roumanie représenteraient à eux seuls près de 10%.

La migration des Tsiganes originaires des pays de l’ex-Yougoslavie, depuis le milieu des années 1970, est estimée à près de 12 000 en France auxquels s’ajoutent les quelques 5 000 Roms roumains expulsés de Nanterre vers Saint-Ouen et La Plaine Saint-Denis à la fin des années 1990, puis plus récemment du Val de Marne. Et encore récemment de Réau (Seine-et-Marne), puis de Paris (secteur haussmann) alors que la Roumanie est entrée dans l’Union européenne en janvier 2007.

Les Roms roumains sont des migrants connus : l’Allemagne a accueilli, entre 1989 et 1991, près de 140 000 ressortissants roumains (dont 21 000 Tsiganes) ; en 1992, 100 000 demandes d’asile politique ont été formulées par des Roumains, dont 60% de Tsiganes.

Globalement, depuis 1960, le Comité européen sur les migrations (Conseil de l’Europe) estime à plus de 250 000 le nombre total de Tsiganes ayant émigré de l’est à l’ouest (Roumanie, ex-Macédoine, ex-Bosnie Herzégovine) et à 150 000 demandes d’asile politique dans les pays de l’Union européenne.

Vers un statut de minorité transnationale ?

Alors le risque est grand pour ces représentants des institutions tsiganes de l’Europe orientale de se voir « enfermer » dans et par un statut de minorité transnationale : la tentation est réelle d’en réclamer un qui leur permettrait, par exemple, d’échapper à la discrimination juridique et sociale actuelle. Le danger n’en serait que plus grave. En effet, la création « artificielle » d’une collectivité transnationale disposant d’un droit à part autorisera localement tous les abus ; en particulier, la reconnaissance internationale de la minorité européenne tsigane, loin de protéger les individus, risque de donner corps aux réclamations d’expulsion de masse comme « collectivité indésirable », professées par les nationalistes ou même brandies comme menace par le gouvernement roumain.

De situations locales abusives mais éclatées – stérilisations de femmes tsiganes en Tchécoslovaquie, expéditions punitives dans les quartiers tsiganes et ghettoïsation renforcée en Espagne, incendies volontaires de demeures en Transylvanie -, on passera inéluctablement à une politique eugénique de gestion d’une population démunie, comme on a pu en connaître par le passé.

C’est hypocritement que les pouvoirs publics prétendent ne pas pouvoir réguler des déplacements en aval. Au lieu de chercher à réduire en amont la taille des familles notamment par une intégration économique lente et progressive, on propose un contrôle brutal de sa reproduction démographique.

En France, le sort tragique réservé aux Tsiganes pendant la Seconde Guerre mondiale a modifié fondamentalement l’attitude générale de ségrégation dont ils ont été l’objet depuis des siècles. Dans la plupart des pays européens – l’exception française est notoire – les Tsiganes sont sédentarisés, massivement, même s’ils gardent une mentalité de « voyageurs ». Ce qui reste très fort, ce sont les liens familiaux. Ils gardent en mémoire une généalogie. De sorte que la France, terre d’asile, terre d’exil, se mue petit à petit en un pays des droits de roms.

Demandez le Programme

Edition spéciale à l’occasion de la semaine culturelle rromani 2009

“Le Collectif de la Journée Mondiale des Rroms" organise une semaine de la culture rromani autour de la journée du 8 avril, jour qui symbolise l’émancipation du peuple rrom. Quatre associations rroms ont initié en 2005 la célébration du 8 avril en France. Depuis, entourées à chaque édition de nouveaux partenaires, elles continuent à faire de chaque 8 avril une occasion privilégiée de reconnaissance et d’affirmation de l’identité rromani en tant que part essentielle de l’héritage culturel européen et mondial.

Pour cette cinquième édition, le Collectif organise une semaine de la culture rromani du 3 au 10 avril (www.rromaniday.info ), avec des événements à Paris, Saint-Denis, La Courneuve et Montreuil.

Ci-après vous trouverez le programme complet de cette fin de semaine.

Mercredi 8 avril à 19 h 30 à la Fondation des Etats-Unis à Paris


Vernissage d’une exposition de sculptures de Marcel Hognon, projection de photos du photographe Nigel Dickinson, concert de musique classique avec les jeunes rroms Armando Pandel (violon) et Ienisseï Ramić (piano), dégustation de spécialités rroms

Adresse : dans la Cité universitaire, 15 boulevard Jourdan 75014 Paris

Accès RER B « Cité Universitaire »

Jeudi 9 avril à 19 h à la mairie du 9ème arrondissement de Paris (Salle Rossini)


Table ronde – débat : Rroms, Gitans, Manouches, tsiganes, gens du voyage… qu’es aquó ? - Dégustation de spécialités rroms balkaniques

Bal-concert avec les groupes Casta Cali (flamenco) et Ţiganiada (musique rrom de l’Est),

Adresse : 6 Rue Drouot, 75009 Paris

Accès métro Richelieu-Drouot

Soirée de clôture à Montreuil

Vendredi 10 avril à partir de 18 heures à « La parole errante »


Projection du film Xasarde droma – Les routes perdues, d’Aude-Léa Rapin et Adrien Sélbert

Table ronde – débat : « aires d’accueil » et « villages d’insertion » - qui intègre qui et comment ? avec un panel constitué de représentants associatifs et institutionnels

Bal-concert avec Casta Cali, Ţiganiada et le DJ Soumnakaï

Bar et plats typiques rroms

Adresse : La Parole errante - 9, rue François-Debergue 93210 MONTREUIL

De nombreuses associations organisent des manifestations culturelles à l’occasion du 8 avril, journée mondiale des Roms. Leur agenda est mis à jour régulièrement, n’oubliez pas de le consulter pour voir si quelque chose est organisé dans votre région : http://www.etudestsiganes.asso.fr/agenda/agenda.html

[1] Ainsi, le document final de la réunion de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération (CSCE), qui s’est tenue à Copenhague en juin 1990, a reconnu les problèmes spécifiques des Roms d’Europe. Les Etats participants ont condamné clairement « la haine raciale et ethnique », l’Union internationale rom, quant à elle, lançait un appel aux Etats membres pour la reconnaissance des Tsiganes en tant que minorité nationale, les invitant à enquêter sur les actes de violence commis dans le Kosovo, en Roumanie et en Tchécoslovaquie..

[2] Par exemple, Sterna Weltz, originaire d’une famille de vanniers, dans son recueil Romanès et Papusza, Tsigane polonaise, expriment l’expérience de la guerre ; Sandra Jayat, dans Lunes nomades, dit la désespérance des cités. Une longue filmographie reprend ces thèmes (Tony Gatlif, "Latcho Drom", 1993).


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14 MESSAGES
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  • Tous les chemins mènent aux Rroms
    le mardi 2 mars 2010 à 22:39, GYPSY a dit :

    Bonjour à tous, je voudrais partager mon expérience au sujet du monde Tsigane à savoir que je suis Tsigane et parfaitement intégré je travaille dans une administration dans l’encadrement.

    Dans la vie quotidienne et professionnelle je n’ai aucun problème par rapport à mes origines,mais dans le cadre associatif par exemple lorsque vous émergez un peu plus que les autres Tsiganes, les gadgés (non tsiganes)qui sont à la tête de ces associations (dites Tsiganes)vous regardent d’un mauvais œil et pensent que le Tsigane doit rester mouton.Je pense que les Tsiganes de France nous devons faire comprendre à certains dirigeants d’associations dites (Tsiganes)que nous sommes capables de nous gérer nous même et que l’affaire Tsigane n’est pas seulement un bail commercial pour laquelle l’on occupe une place afin d’avoir un emploi, mais qu’il faut essayer d’intégrer notre minorité dans notre pays chose qui ne se fait pas.

  • Hallucinant ?!
    le samedi 11 avril 2009 à 18:39, Fabio a dit :
    J’aimerais revenir sur cette histoire de "voleurs d’enfants gadgé". Pour éclaircir les esprits cette idée fausse mais qui persiste de nos jours date des édits de Louis XIV (1641) et de Marie Thérèse d’Autriche qui a eu, entre autre, la cruosité de séparer les familles Rroms. Les enfants étaient placés chez les paysans pour en faire de "bons-chrétiens". Et lorsque leurs parents tentaient de les récupérer, ils étaient poursuivis pour être des voleurs d’enfants. Je suis bref car ceci n’est qu’une toute petite partie des idées fausses transportées depuis des siècles.
  • Tous les chemins mènent aux Rroms
    le vendredi 10 avril 2009 à 21:36
    Avec en acnée (sans "e")… ne serait-ce pas plutôt en acmé ?
  • Tous les chemins mènent aux Rroms
    le mercredi 8 avril 2009 à 18:39, GG a dit :

    Je ne suis pas convaincu.

    Rien n’est refusé en France aux Roms qui acceptent la règle sociale. Il y a une loi très complète à cet effet.

    • Tous les chemins mènent aux Rroms
      le jeudi 9 avril 2009 à 18:23
      Ces lois, sont-ce les lois Besson de mai 1990 (un seul article intéressant les Tsiganes) et juin 2000, qui ne règlent aucunement le problème des "itinérants" (selon le jargon policier). Je reviendrai ultérieurement, sur mon blog, sur la "question tsigane", pour tenter de vous convaincre. PhP
  • Tous les chemins mènent aux Rroms
    le mercredi 8 avril 2009 à 15:48
    "Avec en acnée, la journée mondiale des Rroms". Orchestrée par Daniel Bouton ?
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