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LUTTES / CHRONIQUE DU BLÉDARD

Sur le quai, à Genève, des détails qui déraillent

Chronique du Blédard / jeudi 21 février 2008 par Akram Belkaïd
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Il est bientôt dix-sept heures en gare de Genève-Cornavin. Sur le quai numéro huit, les passagers en partance pour Paris, Gare de Lyon, commencent à s’amasser. Le ciel est d’un bleu alpin, la lumière déclinante, tout en nuances orangées, ferait penser aux derniers jours de septembre s’il n’y avait ce froid glacial à fendre oreilles et nez.

En face, un peu sur la droite, l’enseigne de l’« atelier artistique » d’un certain Michel, « peintre en lettres » attire le regard tout comme, un plus loin, l’hôtel-restaurant Le Montbrillant. Sur la gauche, courent des immeubles décrépis avec leurs grappes d’antennes paraboliques vissées aux balcons et aux façades bien fatiguées. Marseille en Helvétie…

Les paquets humains s’impatientent. Le TGV doit normalement partir dans quinze minutes. Ne devrait-il pas déjà être à quai ? Sommes-nous en Suisse, ou bien ? s’amuse un jeune à l’allure de cadre très plus, plus. Un banquier peut-être ou un consultant au vu des grosses poches sombres qu’il a sous les yeux. Ses deux compagnons de voyage, même dégaine, même marques provoquées par de gros abattages, éclatent de rire tandis que sa réflexion ne semble guère plaire à un homme en costume de velours. Un peu plus âgé, celui-ci le regarde longuement avant de se détourner en marmonnant puis en soupirant.

Une dame, en long manteau crème, surgit de la rampe d’accès aux quais. Un peu essoufflée, billet à la main et mine inquiète, elle demande, sans vraiment s’adresser à quelqu’un en particulier, où doit se faire le compostage. Personne ne lui répond. Elle insiste, s’adresse cette fois de manière plus directe à l’homme en costume de velours. D’un ton un peu bourru, il lui explique que ce n’est pas la peine de s’inquiéter, que les composteurs sont inutilisables et que le contrôle se fera dans le train.

Elle hésite à le remercier. On sent qu’elle est à moitié convaincue et elle ne se détend que parce qu’une autre dame, à l’intonation haute et bien traînante, lui explique que cela fait des années que les machines doivent être réparées ou changées. Des machines en panne, sommes-nous en Suisse, ou bien ? s’amuse encore le « c-plus-plus » en déclenchant de nouveaux rires et des soupirs un peu plus bruyants.

Des haut-parleurs, s’échappe une voix féminine qui avertit que le train express régional en quai numéro sept arrivera à Bellegarde avec vingt minutes de retard. Aussitôt, plusieurs personnes sortent de ce TER et allument une cigarette. Un adolescent crie à sa mère qu’il a le temps d’aller acheter des confiseries. Elle lui demande de faire vite et de lui prendre une grande bouteille de kombucha, une boisson au thé fermenté et aux mille vertus que l’on trouve en Suisse mais pas en France.

Sur le quai numéro huit, et alors que le TGV n’a pas encore fait son apparition, un drôle de manège commence. C’est un homme, quarante ans maximum, costume gris, chapeau et mallette, qui abandonne une pile de journaux sur un banc, attache ses lacets et s’en va monter dans le TER. Moins d’une minute plus tard, c’est une femme, élégante, qui pose sur le sol ses gros sachets de magasins de luxe, plonge la main à l’intérieur de la pile et en retire une montre au bracelet en écailles rouges. Elle la porte à son oreille, la secoue, la glisse dans l’un des sacs, puis marche à pas rapides vers le repère qui indique l’arrière du TGV toujours attendu.

Le Train express régional est quant à lui en train de démarrer. Un hurlement fait sursauter tout le monde. C’est la mère, restée à l’intérieur qui a le pied bloqué entre deux portières. Coup de sifflet du contrôleur, arrêt, éclats de voix. Mais vous êtes fou, s’emporte la dame.

Vous dites que le train va avoir du retard et vous le faites quand même partir à l’heure et sans rien dire. Protestations indignées de l’employé. Personne n’a dit qu’il partirait en retard, crie-t-il avec quelques arpèges. On vous a simplement averti qu’il arriverait en retard, c’est différent !

La dame reste sans voix. Entre-temps, son fils est arrivé. Le TER repart. Sur le quai numéro huit, le cadre plus-plus et ses deux compères exagèrent leur hilarité. Y a qu’en Suisse où on te fait partir un train à l’heure en t’avertissant d’abord qu’il arrivera en retard, hurle-t-il presque. Cette fois, c’en est trop pour l’homme en costume de velours qui s’approche en tendant un index tremblant. Monsieur, crie-t-il, il y a des choses bien plus graves qui se passent dans votre pays. Vous feriez mieux de vous taire et de balayer devant votre porte !

Scène rare où, la retenue et les manières policées s’envolent. Etrange, quelques heures plus tôt, plusieurs interlocuteurs avaient raconté au chroniqueur ici présent, les piques satisfaites et impitoyables des Genevois et autres Vaudois à l’égard d’une France qui paraît bien ridicule en ce moment. Bling-Blinguerie au sommet de l’Etat, scandale de la Société Générale, caisses vides et déficits. Du grain à moudre rêvé pour une jubilation à bon compte qui permet d’oublier, un temps, la déconfiture de Swissair et, plus récemment, la déroute de l’Union des banques suisses.

Ah, cette fameuse UBS, souvent citée en exemple, et qui, crise des « subprimes » oblige, vient d’être forcée d’appeler au secours GIC, l’un des deux puissants Fonds souverains de Singapour, ainsi qu’un « investisseur stratégique du Moyen-Orient » dont l’identité, chose curieuse, n’est toujours pas révélée sans que personne s’en émeuve vraiment. Drôle de silence… Cela étant, vous imaginez le tableau : un fonds arabe au secours d’une banque suisse ! La chose est tellement inhabituelle qu’elle force peut-être UBS à rester vague sur son identité pour ne pas choquer Suisses et Suissesses.

L’altercation s’est vite terminée car le TGV vient enfin d’arriver par la droite. Petit mouvement de foule, un peu de bousculade. Normal, le froid et l’obscurité qui s’installent expliquent bien des choses. Quelques minutes plus tard, une sonnerie retentit et les portes du train se ferment. Par la vitre, défilent les dernières images de la gare avec la vision d’un banc sur le quai numéro huit où, au-dessus d’une pile de journaux en bataille, une main a reposé la montre au bracelet en écailles rouges.

©Le Quotidien d’Oran

Voir aussi le site d’Akram Belkaïd ici



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