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Stratégies Médiatiques Pour La Préservation Du Système Capitaliste (1)

25 octobre 2008 à 17h35

Un : la tauromachie est un art de la duperie, où le torero [1] doit, pour éviter que le toro ne lui mette la corne aux parties, mener sa charge vers sa muleta, qui est un leurre, plutôt que vers son entrejambe.

Deux : au temps que la crise nous fait voir que le capitalisme est une immonde saloperie où "25.000 milliards de dollars" finissent "en fumée" durant que des miséreux crèvent de la-faim-dans-le-monde, le journalisme dominant se fait tauromachique, et nous brandit sous le nez force étoffe(s) rouge(s), à la seule fin d’éviter que nos dents ne viennent mordre (et tenir) aux couilles (dorées) du système.

Tu imagines bien que les mêmes journaleux prébendés qui depuis des années glapissent que le capitalisme fait la joie des familles ne vont ni léser la main qui leur donne la pâtée, ni (évidemment) se déjuger en convenant qu’ils ont menti (et n’ont cessé de nous enfumer), et que finalement, oui, neffet, le capitalisme est la mère de toutes les enculeries.

De la même façon (toutes choses égales par ailleurs) que le décès massif de quelques millions de koulaks n’empêcha nullement les crevures staliniques de réciter naguère le catéchisme des Soviétiques, les sentinelles médiatiques de la mondialisation financière continuent de vagir, dans les nuages d’une fumée à 25.000 milliards de dollars, que rien n’est beau comme le fauve bruissement des marchés, le soir, au fond des Bourses - et de forger d’ahurissantes stratégies de préservation de système nourricier qui leur assure leurs fins de mois.

Denis Sieffert, dans Politis, fait la revue de ces plans et relève que "le premier tour de passe-passe est une oeuvre collective à laquelle participent tous ceux (Medef et dirigeants socialistes compris…) qui veulent nous faire croire que la crise résulte des excès de capitalistes encanaillés" (plutôt que du harassement de milliards de gueux par une poignée de galetteux) - et si tu veux t’en assurer, tu peux notamment consulter l’"analyse" d’un "éditorialiste", qui a lancé hier, dans les pages du quotidien vespéral des marchés, ce cri de ralliement (qui marquera durablement l’histoire, pourtant riche, du gros foutage de gueule) : "Sauvons le capitalisme des capitalistes !"

La thèse du gars (qui la présente comme un "paradoxe connu" [2]) est qu’après "la disparition du communisme, les capitalistes sont devenus les meilleurs ennemis du capitalisme", non parce que "les capitalistes" auraient par exemple fait du hachis de salarié(e)s ou de chômistes, mais parce que "les dirigeants d’entreprise" ont quand même un peu exagéré "en s’octroyant des rémunérations insupportables pour l’opinion et en multipliant les parachutes dorés".

Dans la vraie vie, naturellement - c’est encore Sieffert qui l’observe : "Le caractère immoral du système" capitaliste "réside moins dans la pratique du "parachute doré" que dans le transfert des richesses, massif et silencieux, du travail vers le capital".

(Das Kapital, comme on dit quand on est entre nous.)

En somme : la crise n’est (bien sûr) pas (du tout) née du pli qu’ont pris les patrons de se voter long comme le bras du golden parachute (sous les applaudissements nourris de la droite régimaire et des bouffon(ne)s de (la rue de) Solférino, qui n’ont JAMAIS rien fait pour mettre fin au scandale) - mais de ce que des gros porcs ont pris (de longue date) celui de se gaver, dans la soue des places boursières, de la misère du monde.

Mais ça, évidemment, répétons-le mille et mille fois, aucun des journaleux qui depuis vingt ans vont psalmodiant qu’il faut que cesse l’intrusion de l’Etat au sein de la sphère (de l’entreprise) privée ne l’admettra : les mecs n’ont pas (du tout) envie, et en même temps on les comprend, qu’on les passe au goudron, puis qu’on les passe aux plumes, puis qu’enfin on leur mette nos pieds au cul, allez, bouge de là, Pinocchio, et surtout n’essaie pas, n’essaie JAMAIS de revenir - ou on se fâchera vraiment.

Alors ils t’assurent que l’unique vrai problème du capitalisme est celui des primes que s’adjuge le patronat, et que par conséquent il suffirait, finalement, qu’on ôte quelques mètres carrés de toile dorée aux parachutes made in Medef pour qu’enfin le rêve libéral devienne réalité : l’éditorialiste à Le Monde écrit de la sorte qu’"à partir du moment où il est acquis que les rémunérations des dirigeants et des professionnels de la finance nuisent à l’efficacité économique et à la cohésion sociale, l’intervention du législateur est légitime", et conclut que "loin d’être hostile au capitalisme, cet encadrement des plus hauts revenus serait au contraire le plus sûr moyen d’assurer son avenir" [3].

Et pour le cas où tu n’aurais pas compris que vraiment, tous nos malheurs viennent en effet de l’inconduite agaçante où se complaisent quelques malotru(e)s, "capitalistes encanaillés" ?

Le Monde, ce soir, bisse - et te répète, sous la plume, cette fois-ci, d’un gars du "service Europe-France", que "le gouvernement" français "ne légiférera pas sur les parachutes dorés alors que d’autres pays plus libéraux (…) les ont encadrés depuis longtemps", et que vraiment c’est dommage - comme si décidément le sauvetage du capitalisme ne dépendait que d’un petit supplément d’âme dans la rémunération des patrons.

J’ai un message pour vous, gens du Monde.

Ça.

Ne.

Prend(ra).

Plus.

Va falloir trouver autre chose que vos "appels à la vertu", pour sauver le système : on marche plus dans la combine.

Dans un bouquin formidable, qui vient de paraître, Frédéric Lordon vous fait, (comme par anticipation, parce qu’il sait probablement que vous ressortez sans fin les mêmes vieux trucs tout éculés) cette réponse, qui devrait je crois vous clore pour longtemps le clavier : "(…) Le comble du ridicule (…) est atteint au moment où les "moralisateurs" font leur grandiloquente entrée en scène. Ce sont la vertu et l’éthique, expliquent-ils, qui ont manqué. On dénonce les inconduites et les crapules, on en appelle avec emphase à "l’esprit du capitalisme". (…) Car évidemment tant qu’on parle des "fraudeurs" on ne parle pas d’autre chose - en particulier pas de la logique générale du système qui a vu les plus grosses pertes réalisées en toute conformité avec les pratiques habituelles légales".

Ce ne sont pas "les rémunérations des dirigeants et des professionnels de la finance", qui "nuisent à la cohésion sociale" - comme le prétend Le Monde : mais bien plutôt la promotion, par ses fidèles servants de la presse (qui ment), d’un système qui prend aux pauvres, pour donner aux riches.

C’est pas les parachutes dorés, qu’il faut encadrer.

C’est le capitalisme, qu’il faut éliminer.

Michèle Alliot-Marie Dénonce Applaudissements Nourris De L’Amicale Des Ami(e)s D’Andreï Vychinsky

Notes

[1] Ici, Enrique Ponce.

[2] Et si connu, même, que jamais la presse dominante n’a cru devoir en faire état, jusqu’à ce que le crise rende inéluctable cette vraie-fausse autocritique…

[3] Le message, tu l’as compris, est que rien ne s’oppose vraiment à ce qu’un patron un peu dynamique donne du plaisir à son actionnaire de référence à grands coups de plans sociaux, dès lors que lui-même aura le bon goût de ne pas se faire un salaire à plus de cinq zéros.