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Nécro

State is dead, baby…

17 juin 2010 à 14h36
Il faut avoir la foi en la politique néolibérale. C’est elle qui est censée assurer la stabilité, la croissance, la richesse des nations et le progrès humain.

128 ans après qu’un philosophe — qui s’en est rendu fou — nous annonçait la mort de Dieu… voilà que l’on déplore une nouvelle victime séculaire : l’État.

C’est un long cortège qui se déplace depuis quelques mois, dans les rues d’Evian, sous un ciel lourd plombé par une marche funèbre de Beethoven.

Le decorum est pauvre, l’austérité de rigueur, on n’a pas le cœur à l’ouvrage. On se dirige à reculons vers la chapelle pour assister au G20, la réunion des pays les plus endettés du monde.

Là-bas, on donnera une messe. La Noblesse financière a rédigé les psaumes. Le Clergé les récitera en chœur. Le Tiers-Etat attendra dehors, retenant ses larmes sous la pluie.

C’est l’État qu’on pleure aujourd’hui.

Un prêtre prend la parole. Il nous remercie pour cette austérité européenne qui redonne confiance au marché. Il nous rassure : la route du paradis est pavée d’épreuves à surmonter.

Le prêtre passe un moment à féliciter la France, pour l’augmentation de l’âge de la retraite. Un sacrifice — et un retour en arrière de 30 ans — pour l’amour de Théophyne, dieu de la finance.

Mais il est pris d’un coup de sang (du Christ). Il fustige les plans de taxation des banques : en appelle à la foi. Il menace tous les gouvernements hérétiques d’excommunication.

L’assemblée frémit. Ils craignent tous de perdre la protection divine — ce qui reviendrait à une paupérisation foudroyante, à la guerre civile et au reversement du pouvoir.

On l’aurait presque oublié. Il faut avoir la foi en la politique néolibérale. C’est elle qui est censée assurer la stabilité, la croissance, la richesse des nations et le progrès humain

Et si ce n’est pas manifeste, c’est que le deuil n’est pas encore fait, que les gouvernements sont en plein déni de la réalité : ils font comme l’Etat habitait encore son enveloppe charnelle.

Théophyne le tout puissant

Il nous dit que le projet de nouvelles normes bancaires tronquerait de 0,6 points la croissance des Etats-Unis et de la zone euro — que cela mènerait tout droit à l’apocalypse.

J’en vois qui acquiescent dans l’assemblée. Parmi eux, Sœur Christine se lève et se dirige vers une tribune. Elle prononce un discours sur le renforcement des autorités de régulation.

Rire gêné dans l’assemblée.

"Bravo" — reprend le prêtre — "il faut savoir faire passer la pilule au tiers-état, et si c’est avec finesse alors, c’est encore mieux. Prenez des notes ! Très bon ça."

Sur sa lancée il en profite pour féliciter la France d’avoir su prêcher au bon moment le fameux verset "quand on vit plus longtemps… on travaille plus longtemps."

Ensuite, il rappelle que l’Etat était très vieux, qu’il avait fait son temps. Qu’il a eu une vie riche et longue mais que maintenant, Théophyne l’a rappelé auprès de lui, là-haut.

Il nous dit que nous ne sommes pas obligé de comprendre la volonté de Dieu. Que c’est comme ça, c’est un peu comme la main invisible, ça existe sans que ça se voie.

On brûle un peu d’encens… de manière à ce que le peuple entassé dehors ne voit plus rien à ce qu’il se passe dans la maison de Dieu — on distribue à chacun des épis de blé.

Le prêtre continue : "dans les années à venir, vous serez les garants de la puissance du Dieu. Nous comptons sur vous pour que le Tiers-Etat soit partie prenante de cette destinée."

Invitation au prosélytisme

"C’est à vous qu’il incombe désormais de faire respecter sa sainte parole. Nous allons procéder maintenant à votre conversion et vous laver de vos péchés d’orgueil."

L’assemblée se réunit au centre de la salle. Et se dirige vers la plus haute autorité qui commence à faire un signe sur le front du premier pécheur qui s’avance.

Le signe de l’euro ici, du dollar là, du yen et ainsi de suite… "Va en paix mon fils, Théophyne veille sur toi." Il se redresse un instant pour faire passer un message à tous :

"Et souvenez-vous : chacun d’entre vous se verra ouvrir les portes du paradis fiscal."

"Alleluia !" dans l’assemblée.

On sort le cœur soulagé. On a des réponses à nos craintes profondes et des arguments à donner au peuple de crétins. On n’a plus aucun doute, il existe bel et bien.

Ça fait 2000 ans qu’on manipule les esprits, on sait faire. Après tout, il ne s’agit qu’une passation de pouvoir — rien de plus. On se trouve des excuses, c’est comme ça, c’est la vie.

L’Etat est mort, certes, mais la vie continue. Les hommes apprendront à aimer et chérir Théophyne. A lui offrir leur vie, leur âme, leurs enfants.

Plus un Dieu est craint, plus il est brutal et injuste — plus il est vénéré. Nous avons besoin de croire. La puissance fascine, intimide — quel homme oserait l’affronter seul ?

Réveillons-nous !

Aujourd’hui, ce Dieu a un genou à terre — ne vous parait-il pas faillible désormais ? C’est maintenant ou jamais qu’il faut le frapper. Sa puissance ne tient qu’en quelques lois et à une agilité qu’il nous faut maitriser — en l’empêchant de se réinventer sans arrêt.

On ne peut pas revenir en arrière. On ne peut pas non plus appliquer des rustines, comme on l’a fait en toute discrétion le 10 juin à l’assemblée nationale. Il faut prendre les choses en mains. Mais nous n’y parviendrons que par l’expression commune de notre contestation.

La France doit se lever, fière. Les autres suivront. Souvenons-nous de nos victoires populaires, de nos défaites aussi. Peut-être que nous ne savons pas comment nous y prendre, ni ce qui nous attend.

En tout cas, nous savons ce que nous voulons : travailler moins pour travailler tous ? Pourquoi pas… Rendez-vous le 24, dans la rue.

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La crise, c’est la faute à personne… Indigestion de couleuvres