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De Radio Nova à Barbès

10 janvier 2010 à 00h22

J’étais invité à une fête de Radio Nova où je savais que s’y trouverait le Chanteur. Dans les locaux de la radio, étaient projetées des images des ravages du cyclone Katerina à la Nouvelles-Orléans. J’étais mal à l’aise : j’avais un sentiment de culpabilité, éprouvais une part de responsabilité dans la naissance de cette catastrophe, tout comme je ne me sentais pas étranger à l’irruption du tsunami, ce qui pouvait me faire dire que je pouvais être un monstre sans le vouloir. Je ne connaissais personne à part le patron qui s’était absenté. Un de ses adjoints m’approcha :

Dominique, ça tient toujours notre projet de faire un film sur toi ! Il n’en avait jamais été question à Nova. Je répondis oui machinalement. C’était bizarre cette ambiance. J’essayais d’adresser la parole aux uns et aux autres, ils détournaient tous la tête.

J’aperçus le Chanteur dans un couloir. Il était habillé d’une tunique verte de pilote militaire et d’une vareuse de combat. Un homme en cravate l’interviewait avec une caméra. Je me tins derrière lui pour faire des grands signes au Chanteur. Il fit mine de ne pas me voir, puis s’enferma dans un bureau vitré avec trois personnes qui semblaient l’écouter comme un chef. Je n’avais jamais vu de ma vie une fête où les gens étaient aussi obtus. Il se trouva juste un jeune homme, assez beau, qui se présenta comme un activiste d’un gang de perceurs de pneus de 4x4. Il était insatiable, assez frimeur, pas très aimable : c’était les seules paroles que j’ai entendues de la soirée.

J’empruntais l’escalier de service. En descendant les six étages, une ribambelle de tags fraîchement peints m’indiquaient toutes les trois marches : RDV à Barbès cette nuit. A la sortie se tint le Chanteur, en position de cador, sa femme légèrement en retrait. Il haussa le menton pour me lancer moitié menaçant :

– Tu vas voir, toi…

Immédiatement j’eus ma réponse automatique :

– Ouais c’est ça…

Il avait une sorte de colère contenue, une violence et une douceur aussi quand il me surprit en m’assénant sur un ton très convaincu, absolument sûr de lui :

– Maintenant, c’est le moment. Tu vas voir, tu vas la manger ta merde.

Et moi, ne comprenant rien, je déclenchai toujours le réflexe acquis :

– Ouais, c’est ça, oui !

Je filai à Barbès. Il était trois heures du matin. De nouveaux graffitis étaient peints sur les murs. Je m’échinais à les interpréter mais c’était peine perdue. Ils me faisaient sentir que le rendez-vous avec le Chanteur était imminent. Il n’y avait pas un chat. Il faisait doux. Mon regard s’attardait sur les noms des bars, restaurants, « Au plaisir de Tizi Ouzou », « Aux délices d’Oran », des affiches de Nouakchott, d’Agadez, de désert, des marchands de couleurs, des épiceries arabes dont l’une était ouverte, des salons de coiffure avec des perruques, des agences de voyage pour l’Afrique, des taxi-phone aux photos défraîchies. Défilaient La Mecque, Abidjan, Alger, Blida, Ouarzazate, Annaba, Sidi-Bel-Abbès, Chlef, Bejaïa. Deux ou trois dealers se tenaient bien tranquilles.

Un homme portant une djellaba me croisa avec superbe en traînant des savates. Sur mon MP3, j’écoutais Cabu raconter son amour pour le jazz. Des femmes africaines aux cheveux bouclés et aux traits harmonieux marchaient dans des ondulations hypnotiques. Une odeur de mafé flottait, mélangée à celle d’un couscous aux grains d’orge quand je surpris le dôme de Montmartre.

Des immeubles étaient défoncés. Leurs fenêtres avaient des papiers de couleur sur les carreaux. D’autres habitations neuves et rares étaient encerclées par la mosaïque d’édifices qui forçaient le respect tant ils portaient en eux l’histoire de ces hommes venus du Sud, de ces travailleurs isolés et discrets, tant ils respiraient enfin la vie libérée dans ce petit bout de Paris, femmes et enfants retrouvés, faisant pousser des fleurs et des petits bouts de verdures. Je me surpris à déguster la fraîcheur de minuscules jardins entre deux enseignes dont le nom m’écrasait de la chaleur du Sahel. Les écoles maternelles et primaires fleuraient la belle France, celle qui m’apaisait, me rendait fier, rassuré, émerveillé : j’imaginais des enfants blancs, maghrébins, africains s’égayer et flotter dans l’innocence. Ils avaient peint de grands dessins sur les murs. Je fus saisi par l’émotion, une sorte de réconfort, l’évidence de la beauté. Je pleurais.

C’était un bel endroit pour un rendez-vous. Je me disais que le Chanteur avait la classe. A 7 h du matin, il n’était toujours pas là. J’avais dérivé vers les puces de Clignancourt, le cherchant désespérément dans le labyrinthe des allées.

Je me demandais bien quelle merde, il avait voulu me faire manger.

Du Val-Fourré à la Défense Le cri du chat