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Rigoureux BHL ! "Redoutable Bretteur" !

21 septembre 2008 à 16h21

Je vois, ici, que BHL est "en tournée américaine" - comme, récemment, les Sex Pistols, mais la comparaison, évidemment, s’arrête là, pour la simple et bonne raison que notre (plus) fameux romanquêteur n’est pas du tout du genre, quant à lui, à réclamer de quelconques "cheap holidays in other people’s misery" (quand rien n’est si facile que de rallier Tbilissi d’un coup d’ailes privées).

Il va de soi que la "tournée américaine" de BHL, où il présente l’ode ségolèneroyaliste qui a si fort commotionné la rue de Solférino, est en réalité une tournée aux Etats-Unis : on imagine bien qu’il ne va pas non plus aller promotionner sa "gauche" dans les contrées sauvages où règne Hugo Chavez - "dont l’épiscopat latino-américain lui même note que la rhétorique antilibérale rappelle celle "des régimes de type fasciste ou nazi !""

(J’aime bien ce "lui-même", qui suggère que "l’épiscopat latino-américain" est a priori un repaire de communistes.)

Au pays de Sam, donc, Bernard, ainsi que l’appellent ses potes (Philippe, notamment), veut par exemple "démontrer que l’antisémitisme en France (…) n’est pas pire qu’aux Etats-Unis".

Et bien sûr, il met dans l’exercice toute la rigueur (intransigeante) où se fonde sa légende : il soutient, notamment, qu’un "livre paru l’an dernier" à New York, " The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy, écrit par deux universitaires américains", John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, "aurait été impubliable en France, où il serait tombé sous le coup de la loi".

Car cet ouvrage, qui "diabolise Israël", contient d’après Bernard, et "à peu de choses près, (…) ce qu’écrivait Louis-Ferdinand Céline dans L’Ecole des cadavres ".

Là, un (très) minuscule détail semble avoir échappé à la vigilance de notre "french philosopher and one of the most esteemed and bestselling writers in Europe" : c’est que ce livre a bel et bien été publié cette année en France, par le camarade François Gèze (dont j’ignorais quant à moi qu’il fût si perméable au venin célinien), à l’enseigne de La Découverte.

Et que, naturellement : il n’est pas "tombé sous le coup de la loi".

C’est un bouquin solidement documenté (plutôt qu’un romanquête), où Mearsheimer et Walt observent que "les Etats-Unis fournissent (…) un soutien matériel et diplomatique (…) considérable et (…) constant à Israël", qui "ne peut s’expliquer par des intérêts stratégiques communs ni par des impératifs moraux", mais qui "est surtout dû à l’influence politique d’un lobby qui travaille activement à l’orientation de la politique étrangère américaine dans un sens pro-israélien", et dans lequel s’agitent beaucoup de très hallucinés fondamentalistes chrétiens.

Il va de soi (mais ça va mieux en le disant) que la démonstration de Mearsheimer et Walt peut être mise en débat, lorsqu’ils énoncent ainsi, en des termes éventuellement assez vifs, qu’un groupe de pression pèse d’un poids considérable sur la politique étrangère américaine.

A titre de comparaison, et pour alimenter ce débat, on peut (notamment) relever qu’au mois de juillet dernier, Patrick Gaubert, "eurodéputé" UMP, "président de la Licra", dénonçait quant à lui, et en des termes également assez rugueux, "une structure toute dévouée à la cause palestinienne au sein du Parlement européen" [1].

Il précisait : "La mobilisation palestinienne est puissante, récurrente, organisée. Il y a un tombereau d’organisations pro-palestiniennes implantées au Parlement (…). Depuis des années, ces gens-là ont monté des structures (européennes, palestiniennes ou israéliennes (si on peut dire)). Ils organisent des voyages à Gaza, en Cisjordanie, dans les hôpitaux palestiniens. Ils vont voir des médecins, des assistantes sociales. Ils reviennent avec une argumentation forte, anti-israélienne. Ils ont l’intelligence de faire parler des personnes âgées, calmes, respectables qui profèrent des mensonges énormes sur Israël. Leïla Shahid (représentante de la Palestine auprès de l’UE) est derrière toutes ces opérations, sans apparaître souvent. Elle n’en fait pas plus que l’ambassadeur d’Israël, mais elle bénéficie d’une structure toute dévouée à la cause palestinienne, à travers des députés".

(Après avoir ainsi fustigé la toute-puissance de cette (énorme) "structure" acquise à l’injuste cause des Palestiniens, Patrick Gaubert ajoutait : "Nous avons réussi à monter un groupe assez informel de parlementaires amis d’Israël, réunissant des élus de tous partis et de tous pays. La plupart du temps, nous arrivons à éviter que soient votés des amendements hostiles à Israël".

La puissante "structure" propage les menteries propagandaires du troisième âge, mais le "groupe assez informel" déjoue ses viles manips.)

Bon : quel rapport entre le bouquin publié à La Découverte et L’Ecole des cadavres, immonde pamphlet antisémite ?

Aucun, évidemment.

Pas le moindre, évidemment.

D’où vient alors que BHL compare l’un à l’autre ?

Cela vient de ce qu’au fil des années, "on a très fréquemment, et souvent avec succès, eu recours à des accusations d’antisémitisme (…) afin de réduire au silence les critiques d’Israël", ainsi que Noam Chomsky l’a de longue date constaté.

Certes : c’est du chantage.

Non le moindre.

Non le moins stalinien.

Mais il permet de couper court à tout réel débat sur les choix du gouvernement israélien, dans son approche, un peu rustique, de la vie quotidienne des Palestiniens harassés.

Pour le dire autrement : Bernard, en suggérant que La Découverte a publié en France un livre antisémite, substitue l’anathème (le plus infamant) à la discussion argumentée.

Ce n’est bien sûr pas nouveau.

Mais ça n’empêchera pas, dès la semaine prochaine, ses fidèles ami(e)s de la presse de répéter, à la faveur de la publication de sa correspondance publique avec un autre haut penseur, que le gars est un "redoutable bretteur" [2]".

C’est marqué , et l’important, n’est-ce pas, n’est pas tant d’y croire, que de faire en sorte que le bon peuple des librairies s’en convainque.

C’Est Dur D’Etre Pris Pour Des Cons Fume, C’Est Du Lehman Brothers

Notes

[1] Actualité juive, 24 juillet 2008.

[2] Le Journal du dimanche, qui appartient comme on sait à un "frère" du chef de l’Etat français, dit ce matin que le mystérieux "livre secret" qui (paraît-il) a généré "le plus gros buzz littéraire jamais vu" (et qui "s’annonce" évidemment "comme un événement") est finalement un dialogue épistolaire entre Michel H. et Bernard-H., publié conjointement par Flammarion et Grasset - qui est aussi, vois si le monde est si petit qu’on s’y croise trois fois par jour, au même frangin de Sarkozy. Le méga-"buzz", coco ? C’est aussi un méga-métier.