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LUTTES / CHRONIQUE DU BLÉDARD

Quelques mots de trop

dimanche 14 décembre 2008 par Akram Belkaïd
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C’est une petite terrasse de café qui part légèrement de traviole..Un peu en pente, en diagonale par rapport à la rue….

C’est une petite terrasse de café qui part légèrement de traviole. Un peu en pente, en diagonale par rapport à la rue, cinq ou six tables trop rapprochées. Elle est le lieu vers lequel convergent les matinaux pas trop pressés qui se retrouvent pour le premier p’tit noir de la journée, une fois leur progéniture déposée à l’école du quartier.

Ce mardi matin, une neige vite fondue tombe sur la ville mais comme on n’arrête pas le progrès, ni le réchauffement climatique, des braseros permettent aux téméraires de rester à l’air libre, cigarette au bec, épaules ramassées et jambes serrées malgré les quelques degrés Celsius supplémentaires offerts par les tubes incandescents.

Le garçon qui officie dès potron-minet est un petit costaud aux joues roses et à la voie caverneuse. La démarche lourde et l’embonpoint conquérant, il connaît bien ses habitués, les sert avant même qu’ils n’aient passé commande et n’épargne à aucun d’entre eux quelques plaisanteries faciles ou commentaires salaces sur l’actualité de la veille avec une préférence marquée pour le président Nicolas, sa femme Carla et les basses chicayas de leur cour.

Quand un nouveau venu s’installe, il a droit lui aussi à la question d’usage qui ne manquera pas de le surprendre : « Alors, qu’est-ce qu’on lui sert à la France qui s’est levée tôt ? ». Cela donne parfois des sourires de connivence ou des étonnements amusés mais il arrive aussi, comme ce matin, que les choses prennent une autre tournure.

« Bien sûr que je me lève tôt et j’en suis fier ! C’est pas comme ces fonctionnaires qui sont toujours en grève », lui répond un jeune gominé en imperméable noir avant de demander un grand crème et des tartines. « Faut pas dire ça. Ici, on aime les fonctionnaires », répond le garçon en jetant un rapide coup d’oeil vers la table la plus animée, celle ou quatre ou cinq parents se sont installés, « Libé » et « Le Parisien » bien déployés. « Je dis ce que je pense, réplique l’autre. On n’est pas en URSS (il prononce « ursse »). La France qui se lève tôt, ce n’est pas celle des profs et des gauchistes. »

En entendant pareil verbiage, tout individu aspirant à bien commencer sa journée, peut se dire qu’il vaut mieux faire semblant de n’avoir rien entendu. Il peut aussi se convaincre que les fous courent les rues de Paris et qu’il ne sert à rien de leur chercher noise. C’est ce que pensent certainement les habitués en s’en retournant à leurs lectures et discussions, le sourcil à peine froncé. Tous ? Ce n’est pas tout à fait exact. Assis seul, un quadra, grande dalle d’un bon quintal bien assorti à son double-mètre, a roulé en boule sa serviette en papier et l’a jetée en direction du jeune. « La prochaine fois, c’est le cendrier que tu te prends si tu répètes ces c…ries », gronde-t-il à travers ses dents.

Le visage blême, l’autre baisse la tête et s’occupe de ses tartines. Quant aux habitués, ils sont inquiets. Ils connaissent bien ce grand échalas qui s’agite sur sa chaise. Ils ne peuvent ignorer ce dont il est capable, lui qui a toujours les nerfs à vif et qui ne jure que par la gauche de la gauche. En 2007, durant la campagne des législatives, n’a-t-il pas dispersé aux quatre vents les piles de tracts que des blancs-becs de l’UMP voulaient distribuer aux abords du marché ?

« Ça va Stéphane, laisse tomber. Ça vaut pas la peine », lui dit une blonde. Mais il est déjà trop tard. Stéphane n’a pas envie de laisser tomber. Peut-être a-t-il mal dormi, peut-être a-t-il mal aux dents, mais, en tous les cas, il fond déjà sur le jeune homme qui regarde autour de lui, cherchant par où s’échapper ou qui appeler à l’aide. « Alors, comme ça, t’aime pas les fonctionnaires, hein ? Ça te dirait de recevoir des coups de bon matin ? », propose-t-il d’un ton un peu plus calme, presque amical. A ce moment-là, une table se vide et ses occupants s’éloignent d’un pas rapide. Il ne faut pas leur en vouloir de fuir ainsi. Ce n’est pas qu’ils rechignent à aider celui qui n’en mène pas large mais, plus que tout, ils craignent que les choses ne dégénèrent, que la police ne fasse son apparition et qu’elle demande à tous les présents les papiers qu’ils n’ont pas.

Le temps semble soudain suspendu. On se dit que tout peut arriver, que la violence va se déchaîner et qu’il faudra bien s’interposer au risque de prendre quelques beignes. Mais non, rien ne se passe pour le moment. Stéphane observe celui qui ni ne mange, ni ne moufte. « Bon, je vais te donner ta chance : tu vas hurler « vive la grève, vive la gauche ». Tout de suite », ordonne-t-il.

Le jeune lui jette un regard implorant. Puis il cherche du soutien parmi les autres clients. On dirait qu’il tremble. Le froid, sûrement. Peut-être comprend-il que personne ne lui viendra en aide tant qu’il n’aura pas reçu de torgnole. Pour le moment, l’humiliation que Stéphane lui impose n’indispose personne. Elle est jugée indolore, acceptable.

Alors, le jeune homme en imperméable noir et aux cheveux gominés se résout à crier « vive la grève ! vive la gauche ! ». Parmi les attablés, certains applaudissent, signe qu’ils ont apprécié la déclamation mais aussi preuve qu’ils ont envie de détendre l’atmosphère et de signifier à Stéphane que sa victoire est totale et qu’il est temps pour lui d’aller se rasseoir. « C’est bien. Maintenant tu vas crier ’sarko facho’ », s’entête ce dernier. L’autre se braque. Il fait non de la tête. Le voici même qui se lève, manquant de renverser son crème depuis bien longtemps glacé. « Vous pouvez me frapper mais je ne le dirai pas », dit-il d’une voix chevrotante. C’est alors que le serveur décide d’intervenir. « Ça suffit, Stéphane. Laisse le monsieur tranquille. Moins c’est long et mieux c’est… ». L’interpellé se détend. « C’est bon. Va pisser, ça te fera du bien », ordonne-t-il à sa victime. « La prochaine fois tiens ta langue quand tu as envie de dire du mal des fonctionnaires, compris ? »

Le spectacle est terminé. Stéphane est parti en grommelant. Le petit jeune a demandé qu’on lui réchauffe son crème et a terminé ses tartines avant de s’en aller, le regard fixé au sol. Quand aux autres habitués, le souffle coupé par le fou-rire, ils ont longuement commenté l’incident avant de s’en aller embaucher. Les prochains jours, en se croisant dans la rue ou en se retrouvant le matin, tous chuchoteront d’un air entendu « vive la grève ! vive la gauche ! »


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13 MESSAGES
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Forum

  • Courrier des lecteurs
    le vendredi 19 décembre 2008 à 00:53, AKFAK a dit :
    Dans le dernier paragraphe, vous écriviez "quand aux autres habitués…" alors qu’il fallait écrire "quant aux autres habitués…" Il vous faudra retourner à l’école primaire pour faire des dictées, mon cher bledard. Lol. Merci de vous relire, quand même, …
  • Quelques mots de trop
    le mercredi 17 décembre 2008 à 22:41, Basile Morton a dit :
    Ouais !!! C’est le retour du Poulpe.Qu’est-ce que ça fait du bien de se sentir accompagné par des mecs de l’extrême gauche de deux mètres…
  • Quelques mots de trop
    le mercredi 17 décembre 2008 à 16:44, DIBA a dit :
    Un mec de gauche est bien mieux qu’un type de droite, d’ailleurs il est facho le gars de droite crane rasé, et puis en plus si il est blanc c’est un rasciste. Avec ses conneries la gauche oublie ses idoles Staline-Mao-Castro et les stupidités d’un marchais, et un PC qui veut faire croire qu’il a un avenir. Concernant les fachos Mitterrand faisait miammiam avec Bousquet (rafle du vel d’hiv), plus il bloquait le dossier de cet enfoiré pour éviter que la justice l’inculpe de crimes contre l’humanité, Alors gens de gauche vos leçons me font hurler de rire.
  • Quelques mots de trop
    le lundi 15 décembre 2008 à 22:45, chooky a dit :

    ahaha, ça m’a bien fait rigolé ça… merci pour l’article…

    Comme quoi quand on a pas 50 CRS derrière soit on assume moins bien d’être de droite…

  • Quelques mots de trop
    le lundi 15 décembre 2008 à 13:03, Framboise a dit :
    Quelle plume je découvre là avec ravissement !
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