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Prendre La Mesure De Zemmour

28 novembre 2008 à 22h11

À un moment donné, pour mieux prendre la mesure des propos d’un Éric Zemmour : tu peux aussi regarder comment ils sont reçus - et qui les trouve d’une confondante joliesse.

Là, quelques jours après qu’il a si courageusement osé dire que oui, naturellement, qu’il y a des "races" humaines - et que lui-même, d’ailleurs, appartient "à la race blanche" ?

Mâme Dupont ?

Ces crânes déclamations lui valent, très logiquement, d’être longuement ovationné par l’extrême droite.

Il suffit, pour le vérifier, de lire ce qui s’écrit dans la "réacosphère", comme on dit pudiquement : le gars est perçu, là, comme une espèce de héros et martyr, que tyranniseraient de hideux empêcheurs de penser librement.

Du point de vue de ces fervents patriotes, "bien Souvent, Éric Zemmour est allé plus loin dans ses propos que ceux qui sont affublés de l’étiquette d’affreux fachos", et en somme : "Zemmour, c’est un peu le programme du Front National tendance Marine dissimulé en journaliste de droite".

Quel joli compliment !

Et si vrai, en même temps : vérifions-le, si tu veux bien.

À la fin des années 1980, le parti pénique développe une argumentation de (très) haut niveau, d’où ressort notamment que "l’islam, qui représente déjà la deuxième religion en France (…), menace notre identité".

Puis que, n’est-ce pas : "Ce sont les étrangers musulmans qui veulent aujourd’hui imposer leurs coutumes : aujourd’hui les mosquées et le port du foulard à l’école, demain la polygamie et la loi coranique pour le mariage, l’héritage et la vie civile".

Puis que, d’ailleurs : "L’islam (…) s’oppose à toute assimilation" et "menace notre identité, notre civilisation occidentale et chrétienne".

(Vraiment, l’islam n’est pas gentil.)

À l’époque, le délicieux Pierre-André Taguieff (passé depuis à la compulsive dénonciation de la "menace islamiste", et devenu par conséquent l’un des phares de Zemmour dans la nuit (noire) de la pensée) stigmatisait durement cette méchante logorrhée, soulignant que : "La tant rebattue "perte de l’identité française" formule aussi avec discrétion la hantise lepénienne de la "substitution physique" d’une population (immigrée) à une autre (française, blanche et catholique)" [1].

Et il ajoutait que : "Tandis que le système républicain reconnaît la légitimité des cultures minoritaires dans la sphère privée, le nationalisme de droite ne tolère pas leur existence, et interprète toutes les formes de culture minoritaire comme l’indice d’invasion, de destruction et de décomposition de l’identité nationale. Toute minorité est perçue comme corps étranger, organisme parasitaire et prédateur".

Vingt ans plus tard, que dit Éric Zemmour, ce mois-ci, dans un mensuel d’extrême droite ?

Éric Zemmour dit comme ça qu’en "Seine-Saint-Denis", et "pour parler clairement, on assiste à des substitutions de population".

Très concrètement : "Les uns arrivent, les autres fuient".

(Note bien que ces "autres" ne partent pas, ce qui déjà serait flippant - mais qu’ils "fuient", comme on fait devant un gravissime péril.)

Qui arrive ?

Les mahométans, avec leurs djellabas et leurs kalashnikovs.

(Bon, c’est vrai que les mecs n’ont pas l’air spécialement détendus.)

Qui, du coup, fuit ?

Mâme Dupont, bien évidemment : la pauvre femme n’a pas du tout envie que des talibans lui interdisent de se couper la barbe.

(Et comme on la comprend.)

Résultat : "L’intégration devient totalement impossible - l’assimilation n’en parlons même pas - puisque la majorité ethnique des quartiers ou de villes entières ne correspond plus à la majorité ethnique qui a fait la civilisation française".

Dans ces villes, au milieu des souks : "La nouvelle majorité ethnique produit (…) son modèle culturel, avec ses réflexes et ses habitudes, ce qui est humain".

Humain, certes, mais un peu chiant tout de même, parce que du coup : "Les valeurs qui sont propagées par ceux qui deviennent majoritaires dans certaines villes vont devenir des valeurs de référence, supérieures à celles que les Français défendaient jusque là".

De sorte qu’"on va avoir en Seine-Saint-Denis des majorités musulmanes, c’est évident" - et là ?

Il faudra "que les Français [2] qui resteront" en Seine-Saint-Denis "se convertissent à l’islam"…

Voilà ce que dit Éric Zemmour, le courageux iconoclaste, au mois de novembre 2008.

Pour le coup : Pierre-André Taguieff ne fustige pas (du tout) la hantise ériczemmourienne de la "substitution physique" d’une population (immigrée) à une autre (française, blanche et catholique) - pas plus, d’ailleurs, qu’il ne souligne que dans ce très couillé discours des formes de culture minoritaires sont vues comme l’indice d’invasion, de destruction et de décomposition de l’identité nationale [3].

Mais quant à nous, mon ami(e) ?

Nous venons de vérifier que l’iconoclaste Zemmour (qui ose dire aussi tout haut qu’il y a des "races" humaines, et qui a aussi le cran phénoménal de résister jusque dans le Figaro et chez Ruquier à la "police de la pensée" qui le traque impitoyablement) dit sur les hordes islamiques la même chose, exactement, qu’il y a vingt ans le Front national.

Fin de la discussion, merci, bonsoir.

Le Monologue D’Harpagon

Notes

[1] Source, pour toute cette partie : L’islam, la République et le monde, par Alain Gresh, Fayard, 2004.

[2] À ne pas confondre avec les mahométans : le mahométan n’est pas (du tout) français)…

[3] Pour la simple et bonne raison qu’Éric et Pierre-André sont désormais dans le même camp. Au mois d’octobre 2007, Éric Zemmour se prévalait, dans une burlesque tribune, d’avoir, en homme de goût, "lu Pierre-André Taguieff", et d’avoir dès lors "compris que le progressisme antiraciste n’était que le successeur du communisme, avec les mêmes méthodes totalitaires mises au point par le Komintern dans les années 30". (Rien que ça ?) Une si tenace haine de l’antiracisme doit cacher quelque chose - mais quoi ? Dans la même contribution (à l’épanouissement du genre humain), Éric Zemmour, déjà un peu loin, déclarait : "Lors de la présidentielle, on a vu à l’oeuvre un terrifiant vote ethnique". Et il apportait cette preuve, irréfragable : "94 % des électeurs qui se disent musulmans ont voté Ségolène Royal ; 77 % de ceux qui se disent catholiques pratiquants ont voté Nicolas Sarkozy". (Naturellement, Éric Zemmour n’envisageait pas (du tout) que les divagations anti-musulmanes du Sarkozy de campagne aient pu jouer dans ce résultat.) Bon, dis-moi : peut-on vraiment s’étonner qu’un type qui voit les muslims et les cathos comme deux ethnies ressente aussi un fort besoin de "races" humaines ?