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Bakchich : informations, enquêtes et mauvais esprit
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Policiers et journalistes : pas la même méthode, mais la même passion

18 juin 2010 à 13h03
Souvent aux mêmes endroits, parfois au même moment, ils n’ont ni les mêmes objectifs, ni les mêmes méthodes, mais croisent les mêmes informations. Si pour le journaliste, l’objectif numéro un reste d’informer le public, la police s’attache à donner aux magistrats les moyens de juger ceux contre lesquels ont été relevées les infractions en apportant des preuves.

« Le journaliste est là pour raconter la vie des voyous et pas pour les envoyer en prison. C’est une différence gigantesque avec la police », insiste Frédéric Ploquin, journaliste à l’hebdomadaire Marianne [1]. « Ils font un vrai travail utile pour la République et nous pour la démocratie », analyse de son côté Gérard Davet, journaliste au quotidien Le Monde [2]. Qui a commis le crime ? Comment a procédé l’auteur du détournement de fonds ? Le policier doit matérialiser l’infraction quand les journalistes interrogent les témoins. Sur le terrain, une réalité : l’insigne du policier l’emporte le plus souvent sur la carte de presse.

Pour satisfaire leurs buts respectifs, les moyens utilisés sont à la mesure des ressources financières et logistiques dont disposent les deux professions. Et à ce petit jeu là, la police fait mouche. « En matière criminelle, beaucoup de moyens se sont étoffés au fil des années grâce à la technologie. On pense notamment aux tests ADN, aux écoutes téléphoniques », détaille Dominique Martin, ancien chef de groupe de la Brigade Financière de Grenoble [3]. « Dans les enquêtes financières, nous appliquons des méthodes de recherche policières. Nous employons les perquisitions, les gardes à vue, et tout ce que peut nous donner le code de procédure pénale. Nous pouvons également demander l’aide de toute l’administration qui travaille pour nous – douanes, services fiscaux, NDLR -, et exercer un pouvoir de coercition que n’a pas le journaliste ».

Face à la machine de guerre policière et son artillerie lourde, le journaliste possède néanmoins quelques avantages qui lui permettent parfois d’avoir une longueur d’avance. Pas de perquisitions. Ni de commissions rogatoires, ni d’auditions. Juste un soupçon de malice pour soutirer quelques détails aux protagonistes des « affaires ». « Notre pouvoir d’enquête repose sur la bonne volonté de nos sources et sur notre astuce  », souligne Vincent Nouzille, journaliste indépendant et ancien collaborateur de Bakchich. « Il nous faut nous débrouiller avec ce qu’on a, à savoir notre aptitude à convaincre les gens de parler qui repose sur une capacité à avoir des sources qui ont confiance en nous et que nous ne trahissons pas. Nous cherchons une vérité un peu plus absolue, une vérité des faits qui ne dépend pas de critères judiciaires ou policiers. Nous disposons ainsi d’une plus grande marge de manœuvre pour traiter des événements qui ne sont pas judiciaires mais qui peuvent les expliquer » [4].

Policiers et journalistes d’investigation ont néanmoins en commun cet instinct de chasseur que les auteurs de polar aiment mettre en valeur pour tenir en haleine leur lecteur. Savoir monter et démonter un dossier. Allez chercher des preuves sur le terrain en faisant jouer ses contacts, être à l’affût. « Un bon policier, et c’est encore plus vrai en matière financière, est un chasseur. Un bon journaliste d’investigation, c’est également un chasseur », précise Dominique Martin. « Et un chasseur ne laisse pas partir sa proie, il la suit pour aller au bout. Cela demande des heures de travail. On a parfois des fausses pistes. Il faut être le plus endurant, il faut être le meilleur ». Comme leurs collègues journalistes, qui voient leur élan freiné par un manque de ressources financières, les policiers doivent respecter des procédures parfois trop rigides. Policiers et journalistes ne font pas le même métier, mais entretiennent cette même passion  : un goût prononcé pour l’enquête.

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Lire ou relire sur Bakchich.info l’épisode précédent du blog de Benoit Pavan :

Rappel : magistrats, policiers, et avocats constituent une source d’information inévitable pour les journalistes chargés de couvrir les dossiers « sensibles ». Entre connivences et manipulations, s’est créée une relation ambiguë qui affiche les limites (…)

Voir aussi le blog professionnel de Benoit Pavan : http://benoitpavan.wordpress.com/

Le jour où les journalistes ont volé au secours des juges Pouvoirs

Notes

[1] Propos recueillis le 23 avril 2008 à Paris, dans les locaux de Marianne.

[2] Propos recueillis le 9 avril 2008 à Paris, dans les locaux du Monde.

[3] Propos recueillis le 28 mars 2008 à Grenoble.

[4] Propos recueillis le 21 avril 2008 à Paris.