Rechercher dans Bakchich :
Bakchich.info
UNE BRÈVE HISTOIRE DE BAKCHICH

Tags

Dans la même rubrique
Avec les mêmes mots-clés
RÉCLAME
Du(des) même(s) auteur(s)
CULTURE / CHRONIQUE CINÉMA

"Outrage" : Apocalypse Kitano

Yakuza / mercredi 24 novembre 2010 par Marc Godin
Twitter Twitter
Facebook Facebook
Marquer et partager
Version imprimable de cet article Imprimer
Commenter cet article Commenter
recommander Recommander à un ennemi

Takeshi Kitano ressort les flingues et dessoude des yakuzas psychopathes, imbéciles et racistes. Un très grand film, en forme de jeu de massacre cruel et burlesque. Définitif.

Bon, je ne vais pas vous mentir : Takeshi Kitano est un de mes chouchous, un des talents les plus purs, les plus originaux qui aient éclos dans les années 90. De plus, ce qui ne gâte rien, Kitano est à la ville un être affable, délicat et très drôle. Je me rappellerai toujours sa tête d’enfant déconneur quand il me racontait, en japonais, of course, une bonne blague (son accident de scooter, ses histoires de yakuzas…) et qu’il se marrait sous cape en attendant que je pige, grâce à son imperturbable traducteur, la teneur de ses propos. Un grand moment.

Des grands moments, j’en ai également vécu plusieurs au cinéma grâce à lui. Son interprétation du sergent Hara dans Furyo et son premier film projeté à Cannes, Sonatine, dans l’indifférence générale, avec la certitude d’avoir repéré une perle, un diamant parmi toutes les merdes du festival. Une œuvre à la fois poétique, barbare, contemplative, burlesque, un film comme on en voit tous les dix ans ! Puis dans le désordre Violent Cop, Jugatsu, A Scene at the Sea ou le chef-d’œuvre du maître, Hana-bi, Lion d’or à Venise, un poème fulgurant où il incarne un flic irascible et cogneur – comme d’hab – qui accompagne sa femme jusqu’à la mort. Depuis, Kitano a emprunté des chemins de traverse, abandonné ses films existentiels et désespérés de yakuzas pour un hommage sanglant et musical à Zatoichi, le samouraï aveugle et une série de films mi-arty, mi-loufoque, pas toujours très convaincants, comme Dolls, ou la trilogie Takeshi’s, Glory to the Filmaker et Achille et la tortue. Dix ans après avoir déserté le genre qui a fait sa gloire (Aniki mon frère remonte à 2000), Kitano revient enfin aux affaires et signe un nouveau film de yakuza.

Dans Outrage, Takeshi Kitano interprète le rôle d’un modeste yakuza, Otomo. Lors d’une réunion au sommet entre tous les chefs d’un clan de yakuzas, Ikemoto se voit accusé par le big boss de frayer avec un chef rival, Murase. Sénile, capricieux et complètement ravagé, le boss joue le parrain magnanime et semble pardonner à Ikemoto, tandis qu’Otomo se voit intimer l’ordre d’affaiblir Murase en faisant intrusion dans son territoire. Sans le vouloir, Otomo va déclencher une réaction en chaîne incontrôlable, un meurtre entraînant un autre, un règlement de compte déclenchant un carnage en retour…

Quand Mondrian rencontre Pollock

Outrage est un pur objet de mise en scène. Le travelling latéral qui ouvre le film – en Scope, une première chez Kitano - balaie une rangée de grosses berlines noires et de gangsters en costards sombres, le visage fermé, imperturbable. Comme Stanley Kubrick dans Full Metal Jacket, Kitano va ériger un enfer géométrique composé de lignes de fuite, de droites, de lignes parallèles qui évoquent l’abstraction d’un Mondrian. Car, ne l’oubliez pas, Kitano est aussi un peintre. Les routes, les voies de chemins de fer, les portes, les fenêtres, les néons, délimitent et barrent les cadres et se resserrent autour des protagonistes, prisonniers de cette histoire bouffonne où tout le monde tue tout le monde. Dans ces espaces-prisons, les personnages, véritables particules en folie, s’explosent, sortent du cadre en vomissant leur sang-pigment et maculent la toile comme un dripping gore à la Jackson Pollock.

Dans une lumière bleu acier, Kitano pousse à fond la stylisation du film de yakuza. Il (dé)gomme tout : le lyrisme, l’action (une poursuite de voitures dure 10 secondes !), la poésie, les dialogues, l’identification est même impossible. Il ne reste que des silhouettes-robots qui s’agonisent d’injures (BAKAYAROOOO !) et se dessoudent sans la moindre émotion, en mode répétition, pour mieux souligner l’absurdité d’un monde qui tourne en rond, d’une humanité sadique, gangrenée par le pouvoir et l’argent.

Kitano, qui s’est offert un petit rôle, semble néanmoins se marrer au milieu du carnage et de la folie. Quand un rival ne parvient décidément pas à se trancher l’auriculaire avec un pauvre cutter, il explose de rire, avant de saisir l’engin et d’ouvrir le visage du malheureux. Il aura également cette réplique : « Il faut qu’un de nous survive pour voir ce qui va se passer.  » Quasiment un philosophe au milieu de cette bande de tueurs dégénérés, racistes, débiles, esclaves de rituels et de codes de l’honneur barbares. En plus de déboulonner la statue du yakuza, Kitano dynamite le film de yakuza qui fait de ces ordures des personnages tragiques. Pas sûr que les amis yakuzas de Kitano apprécient…

Une violence qui fait mal

Présenté à Cannes, Kitano s’est fait crucifier par la critique qui n’a parlé que de sa « violence gratuite et insupportable. » C’est vrai, Outrage est ultra-violent, insoutenable, et j’avoue que j’ai difficilement pu regarder certaines séquences, répétées encore et encore, pour mieux refléter la déshumanisation de notre société (car Kitano ne parle pas que des yakuzas, oui, oui !).

Chez Kitano, la violence est dégueulasse, terrifiante, elle fait mal. Physiquement. Quand je pense à ces Tartuffes qui allument Kitano et qui mouillent leurs petites culottes chez Tarantino. C’est tellement pop, décalé, fun, une Uma Thurman qui arrache les yeux, coupe les bras, les jambes, les têtes de 88 yakuzas, ou un Brad Pitt qui grave des croix gammées sur le front de raclures nazies. Voici ce qu’a dit Kitano a dit à Cannes ce sujet : « Pourquoi pensez-vous qu’Outrage scandalise autant les gens ?
 Parce que je ne glorifie pas la violence. Je la montre telle qu’elle est. Je voulais que le public ressente une partie de la douleur physique des personnages. C’est pour cela que j’ai joué sur des peurs que nous avons tous, notamment lors d’une scène chez un dentiste. Mon film est fait pour secouer. »

Un des grands films de l’année. Foncez !

-----

Outrage de et avec Takeshi Kitano. Ryo Kase, Jun Kunimura, Tomokazu Miura. En salles le 24 novembre

AFFICHER LES
2 MESSAGES

Forum

  • "Outrage" : Apocalypse Kitano
    le mercredi 24 novembre 2010 à 11:47, coligny a dit :
    je sais pas pourquoi on se paluche sur la profondeur de Kitano en europe alors qu’a la tele japonnaise il fait merde sur merde qui feraient passer les grosses tetes pour une soiree thema d’Arte… (ouais, meme l’emission ou Sim change les couches de Carlos et lui talc le cul…)
  • "Outrage" : Apocalypse Kitano
    le mercredi 24 novembre 2010 à 09:10, Gilles a dit :
    Sur la violence… Déjà dans Aniki il y avait un décalage entre les scènes japonaises et les scènes américaines. Dans les scènes japonaises, la violence montrée était réaliste et la scène courte (les baguettes dans le nez)alors que dans les scènes américaines la violence était imaginée et la scène longue (la bataille finale, où on ne voit que le jeune qui a avalé son poison avant même le début du combat). Dans Hanna-bi aussi, des scènes très violentes mais très courtes qui donnent juste le temps d’un frisson glacial.
BAKCHICH PRATIQUE
LE CLUB DES AMIS
BEST OF
CARRÉ VIP
SUIVEZ BAKCHICH !
SITES CHOUCHOUS
Rezo.net
Le Ravi
CQFD
Rue89
Le Tigre
Amnistia
Le blog de Guy Birenbaum
Les cahiers du football
Acrimed
Kaboul.fr
Le Mégalodon
Globalix, le site de William Emmanuel
Street Reporters
Bakchich sur Netvibes
Toutes les archives de « Là-bas si j’y suis »
Le locuteur
Ma commune
Journal d’un avocat
Gestion Suisse
IRIS
Internetalis Universalus
ventscontraires.net
Causette
Le Sans-Culotte