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Lettre d’un « évadé de Moulins »

Prison / jeudi 14 mai 2009
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Les détenus en quartier d’isolement sont un peu moins entendus que les surveillants de prison. Bakchich publie la lettre du prisonnier Omar Top El Hadj, l’un des « évadés de Moulins ».

Notre décision de publier le témoignage d’Omar Top El Hadj répond à une double exigence journalistique : donner la parole à ceux qui vivent de l’intérieur la privation de liberté, indispensable à une juste compréhension du monde carcéral. Relayer cette matière brute, parfois imparfaite, pour éclairer la vérité sous tous ses angles et vous la rapporter.

Cet arbitrage ne justifie ni n’excuse les faits commis par Omar Top El Hadj dont il revient de dresser les actes d’accusations pour une complète connaissance de notre source d’information.

Omar Top El Hadj est sous le coup d’une condamnation pour meurtre d’un officier ministériel, vols, recels, infractions à la législation sur les armes et tentatives d’évasion. Le 2 décembre 2002 lors d’un contrôle routier à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), Omar Top El Hadj avait sorti une kalachnikov du coffre de sa voiture et tiré sur les policiers qui avaient riposté en le blessant. Il était « libérable en 2021 » - son évasion n’a pas encore été jugée -, selon une source judiciaire, classé « détenu particulièrement surveillé » par l’administration pénitentiaire et inscrit au fichier du grand banditisme.

Lettre du prisonnier Omar Top El Hadj :

« Moi El Hadj Omar Top, prisonnier en quartier d’isolement à Fleury Mérogis communique à mes avocats Pierre Lumbroso, Philippe Dehopiot et Philippe Sèvre, la présente déclaration à l’intention du ministre de la Justice, du garde des Sceaux et des humains qui la liront. Des dizaines de milliers d’individus sont ensevelis vivant dans ces tombeaux d’isolement et les cachots de la République.

Afin de ne plus souffrir d’être isolé de mes frères humains, je préfère renoncer à vivre à l’âge de 30 ans. En conséquent, je demande à Madame Rachida Dati, que je sois euthanasié. Sans la possibilité de parler à un ami et de le voir, sans contact humain à quoi bon endurer ce calvaire plus longtemps. Ce supplice nie le besoin ontologique de sociabilité et d’affectivité. Cette perversité d’infliger une torture psychologique raffinée a été relaté par Stephan Zweig dans Le joueur d’échec. La torture blanche, invisible en apparence, stigmatise le corps au plus profond de l’être et laisse des séquelles psychologiques. Cette somatisation se révèle par des mutilations plus ou moins importantes jusqu’au nihilisme du suicide.

D’après les psychiatres lorsque le langage est interdit les capacités cérébrales diminuent. Sans l’expression on intériorise sa souffrance qui ne trouve d’exutoire qu’à travers des gémissements, pleurs et hurlements, qui hantent les nébuleuses pénitentiaires. On entend notamment les cognements de têtes contre les murs, les portes et les fenêtres à des centaines de mètres des enceintes de la honte. Dans ces lieux dit disciplinaire et d’isolement on croupi pour des durées de un mois et demi à 3 mois renouvelables à l’infini grâce à transfèrements de prison. Cela fait perdre toute notion spatio-temporelle. Ce régime brise les liens familiaux, sociaux et les individus qui le subissent. On ne voit jamais d’autres détenus, on ne côtoie que des tortionnaires et des observateurs indifférents de notre souffrance car ils ne l’éprouvent pas.

L’emprisonnement est l’exclusion de la société, l’isolement est l’exclusion de l’espèce humaine, c’est une vengeance sournoise qui fait préférer le suicide à de nombreux jeunes que l’on retrouve pendus dans les cellules de cachot et d’isolement, immolés par le feu vidés de leur sang, empoisonnés ou asphyxiés par les fumées d’incendie. Les meurtres des matons suite aux agressions qu’ils exercent sur les personnes à leur charge sont maquillés fréquemment en suicide. Nombreux sont les pendus pleins de contusions sur le corps, comme il y a peu, au Mitard de la Centrale de Clairvaux. Pour la dignité humaine il faut abolir cette violence barbare, institutionnalisée, préméditée et orchestrée scientifiquement pour écraser l’individu.

Dans les prisons françaises on traite les humains comme des bêtes sauvages qu’annihile cette arène ignominieuse, grâce à l’opacité de ses murs. Pour dissimuler ce massacre de milliers et de milliers de jeunes on invoque la sécurité des établissements pour empêcher les médias de filmer librement afin de révéler aux français et au monde ce scandale.

Un rapporteur déplore chaque année les conditions inhumaines, rien ne change pour autant. Le droit élémentaire à la parole, la sociabilité, la dignité des individus ne sont pas respectées. Les enchainements aux pieds et aux mains allongé sur un lit sont monnaie courante. Des dizaines de surveillants avec des combinaisons de C.R.S et des boucliers promènent les détenus avec une laisse pour chien, attachés aux pieds et aux mains. Les mises à nues et les brimades quotidiennes sont imposées avec des accroupissements en toussant, des ordres de se passer la main entre les fesses et de mettre ses doigts dans la bouche, les gardiens malaxent les cheveux… On humilie avec quatre mises à nu par jour avec un rituel de pantin qui consiste à lever les bras, ouvrir la bouche, tirer la langue, écarter les jambes et soulever latéralement les jambes, soulever les pieds, se baisser et tousser, passer un doigt derrière ses lèvres et soulever ses parties génitales. Il y a des palpations brutales et de passages avec détecteurs de métaux aux portiques de sécurité. Cette atmosphère invivable est crée pour terroriser. Toutes les trente minutes, un projecteur réveille avec le bruit de l’œilleton du voyeur. Les rires des gardiens ne cessent pas de la nuit avec le soudage des barreaux qui sont tapés violemment avec des barres en fer matin et soir avec le claquement des verrous, portes et loquets. Cette torture par le bruit et la lumière pour empêcher de dormir était pratiquée pendant la guerre d’Algérie et constitue une incitation au suicide.

Au mitard on souffre toujours de la faim, on n’a plus le droit d’acheter de la nourriture, les deux repas sont insuffisants pour un adulte, d’une quantité et d’une qualité digne de la famine. On termine le repas et l’on a encore faim. A l’isolement aussi la quantité est insuffisante et l’on ne peut pas bénéficier de la solidarité des détenus car rien n’est autorisé de s’envoyer entre détenus. Les grilles aux fenêtres interdites par l’Union Européenne abîment les yeux. Quand il y en a les fenêtres sont condamnées, on ne peut pas respirer dans ces cercueils. Tout le mobilier est soudé au sol. Cet enfermement ne correspond plus seulement à la privation de liberté, mais c’est une privation de vivre.

La personnification d’une justice élégante dissimule en fait une justice qui ensanglante. Les milliers de jeunes et de pères et mères acculés au suicide chaque année démontre que ce modèle archaïque a atteint ses limites.

Je réclame la fermeture sans condition des quartiers disciplinaire, des quartiers d’isolement et de tous les autres quartiers déguisés sous d’autres appellations de quartiers protégés et de quartiers d’arrivant ou l’on est isolé. Les tortures de l’isolement sous toutes ses formes et selon toutes ses durées ne conviennent plus à des sociétés civilisées au 21ème siècle.

Ces pratiques rétrogrades infâmes vont à l’encontre de tous les droits à la dignité et sont assimilés à des tortures. Ce n’est pas la quantité plus ou moins importante de souffrance infligée qui est éducative.

El Hadj Omar Top. »

À lire ou à relire sur Bakchich.info :

Le constat accablant établi par le contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport annuel sur l’état des prisons françaises n’a pour l’instant pas fait réagir le pouvoir.
Parmi les nombreux acteurs du monde carcéral, le projet de loi pénitentiaire semble avoir oublié les proches de détenus. Pas condamnés et pourtant bien souvent malmenés. Témoignages.
Un mois, dix ans, vingt ans. La prison reste une expérience à part. Et c’est encore ceux qui l’ont vécu qui en parlent le mieux. Témoignages. Part II.
Suite et fin des témoignages sur l’univers carcéral. Zoom sur la réinsertion à laquelle la loi pénitentiaire adoptée au Sénat entend donner une nouvelle dynamique.
Ca gronde chez les surveillants de prison. Il faut dire que le boulot est parfois plutôt ingrat. Enquête fouillée…
Le célèbre évadé de la prison de Fresnes, Antonio Ferrara, comparaîssait en devant le tribunal d’Evry pour sa participation présumée au braquage d’un fourgon de la Brink’s à Gentilly. Portrait.

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5 MESSAGES

Forum

  • Lettre d’un « évadé de Moulins »
    le samedi 30 janvier 2010 à 11:21, isa.brutta@hotmail.fr a dit :

    Il est très triste voir honteux que vous ne rectifiiez pas l’article précédant la lettre qu’il vous a été autorisée de publier par TOP El Hadj Omar. En effet comme personne ne l’ignore, celui-ci n’a jamais tué ou blessé de policier et vous dites le contraire : informez-vous donc ! Vous ne serez pas à l’abri de poursuites pour diffamation si ces termes continuent de figurer dans les semaines qui suivent sans aucun démenti. Pour votre information, El Hadj TOP a été la seule victime de sa première arrestation et a subi une fusillade en règle par les forces de police sans avoir essayé de tirer une seule balle. Il a passé 9 mois à l’hôpital et il me semble qu’il ne mérite pas d’être montrer du doigt comme un tueur !

    sa mère et un comité de soutien

  • Lettre d’un « évadé de Moulins »
    le vendredi 22 mai 2009 à 14:00, Lemf a dit :
    Oui, assurément, ces quartiers d’isolement et les méthodes qui y sont appliquées sont proches de ce que certains appellent la "torture blanche"… Si la Justice est rendue au nom du peuple français, je veux dire ici haut et fort qu’en aucun cas je ne peux cautionner ce mode d’enfermement destructeur de l’être humain et de ce qu’il possède d’humanité et que la Justice ne peut être rendue en mon nom dès lors qu’elle se traduit par de telles modalités d’enfermement qui parfois durent des années. Il est aisé d’en observer les effets néfastes lorsque Antonio Ferrara s’exprime devant la dernière juridiction devant laquelle il vient d’être jugé et en observant son comportement euphorique excessif. Aucune décision de Justice ne peut aboutir et pour quelques raisons que ce soient, à la destruction méthodique de ce qui fait de nous des humains. Regarder les actes aussi affreux qu’ils puissent être et commis par un individu ne peut nous autoriser à accepter que nos comportements à son égard soient tout aussi contestables que les faits qui lui sont reprochés. Je suis de ceux qui réclament l’abolition de ces quartiers mortifères et des méthodes qui y sont discrètement employées.
  • Lettre d’un « évadé de Moulins »
    le vendredi 15 mai 2009 à 06:30, notimimi a dit :
    la honte des prisons françaises est a mettre au crédit du Kaiser Sarkoko et de sa garde des sceaux. Un gros crédit qu’il faudra bien rembourser un jour… avec les intérêts.
  • Lettre d’un « évadé de Moulins »
    le jeudi 14 mai 2009 à 23:03, cassandre a dit :
    Dati est intervenue en "off" pour éviter la prison à l’un de ses frères, impliqué dans un trafic d’héroïne. Malheureuement Omar Top El Hadj, n’est pas le cousin de belle amie la courtisane, sa lettre restera lettre morte…
  • Lettre d’un « évadé de Moulins »
    le jeudi 14 mai 2009 à 07:01, Phil2922 a dit :
    il a oublié de demander la suppression des quartiers VIP dans les prisons. N’importe comment, si les gardiens étaient suffisamment nombreux pour assurer leur boulot dans de bonnes conditions, tout en faisant un réel travail de réinsertion, pour éviter les suicides, les récidives trop nombreuses, les prisons n’auraient pas besoin de quartier d’isolement… !
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