« Les pro-Ahmadinejad ont sciemment brûlé des voitures et détruit des magasins »

A l’heure où les autorités tentent de montrer patte blanche en organisant des recomptages partiels, Arash, un jeune Iranien, décrit ce qu’il vit depuis plusieurs jours, tiraillé entre la rage et la désillusion.

Bakchich : Bonjour Arash, peux-tu nous dire, dans un premier temps, quel est l’état d’esprit à Téhéran en ces jours difficiles…

Arash : Le fait de vivre dans une dictature qui se présente comme une démocratie nous déprime tous, et nous révolte. Notre pays n’a jamais été aussi militarisé que ces derniers jours, et toutes les personnes qui osent aller à l’encontre de ce système répressif s’exposent à de lourdes peines. Les médias sont sous le contrôle de l’Etat, et les autres moyens de communication comme Internet ou le téléphone sont difficiles d’accès.

Bakchich : Es-tu allé manifester contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad ?

Arash : Oui, au moins cinq ou six fois, et la plupart du temps avec mes parents et ma petite sœur.

Arash, tiraillé entre la rage et la désillusion

© Khalid

J’ai vraiment été choqué parce que je n’ai assisté qu’à des scènes de violence. Des miliciens du bassidj étaient là, en civil, et s’en donnaient à cœur joie dans la foule, avec leurs matraques, leurs armes et leurs bombes lacrymogènes. Ils frappaient tout le monde, sans distinction : les jeunes manifestants comme moi, des personnes plus âgées, des adolescents, mais aussi de simples passants qui n’avaient rien à voir avec les manifestations. L’image que je n’arrive pas à m’enlever de la tête est celle de ce jeune homme que j’ai vu mourir à quelques mètres de moi, touché en plein cœur par une balle perdue. Et toutes les autres images, aussi. Des têtes ensanglantées, des cris, et des cadavres vite embarqués par les services de secours. Tout cela ressemblait bien à un massacre.

Je ne sais pas quel bilan officiel ont fourni les autorités mais vous vous doutez bien que le régime a tenté tant bien que mal de maquiller les vrais chiffres. Il se dit ici que beaucoup de dépouilles de manifestants ont été placées dans des endroits à l’abri des regards indiscrets, pour limiter toute mauvaise publicité. Mais côté manipulation, les partisans d’Ahmadinejad ne se sont pas arrêtés là. Ils ont sciemment brûlé des voitures, des bus, ou encore détruit des cafés internet pour donner une mauvaise image des manifestants. Dans les rues, sur les toits, les manifestants crient « Allah Akbar », « Dieu est plus grand » en arabe.

Bakchich : Pourquoi ?

Arash : Ce slogan religieux a été entendu pour la première fois dans la bouche de manifestants lors de la Révolution islamique, il y a trente ans. Mais aujourd’hui, les choses ont bien changé. Et les manifestants, qui ne croient plus en ce régime corrompu et répressif, en appellent à la clémence de Dieu, le plus puissant des puissants. Ils sont persuadés qu’il punira les tyrans qui s’attaquent à des innocents, et tuent à tour de bras.

De nombreux médias occidentaux ont présenté Mir Hossein Moussavi comme un homme d’ouverture. Oubliant au passage qu’il était un enfant de la Révolution islamique, un ancien Premier ministre de l’actuel Guide suprême Ali Khamenei, et un conservateur pur jus…

Bakchich : Alors Arash, penses-tu vraiment que l’élection de Moussavi aurait changé le visage de l’Iran ?

Arash : Je pense que Moussavi est un homme très intelligent, et qu’il croyait vraiment aux nobles idéaux portés par la Révolution islamique, en 1979. A l’époque, les gens défilaient dans la rue pour la liberté, la démocratie, l’indépendance etc… Et comme beaucoup d’Iraniens, il ne peut cacher aujourd’hui sa déception. La déception de voir que les mollahs ont détruit notre pays, et que tous ces beaux espoirs ne se sont pas concrétisés.

Il a d’ailleurs présenté sa candidature sous cet angle, celui de revenir aux affaires pour faire revivre les idéaux de la Révolution. Et très honnêtement, nous y croyions. Même s’il était entendu qu’une fois au pouvoir, il se serait heurté fatalement aux religieux, qui ont toujours bloqué toute tentative de réforme en Iran. Je pense que le régime a eu peur de Moussavi. Et que ce n’est pas un hasard s’il y a eu tant de fraudes.

Bakchich : Que représente pour toi Neda, cette jeune femme morte lors d’une manifestation et dont les derniers instants, filmés par un téléphone portable, ont fait le tour du monde sur internet ?

Arash : Vous avez probablement vu dans quelles conditions atroces est morte Neda. J’ai ressenti une grande douleur lorsque j’ai vu sur cette vidéo son père lui dire « N’aies pas peur », « S’il te plaît, ne meurs pas ». Elle est devenue un symbole de résistance en Iran, comme toutes les autres personnes qui sont mortes en marge des manifestations. Nous ne laisserons pas tout ce sang versé sans réponse. Il est aujourd’hui de notre devoir d’honorer leur mémoire, et de faire en sorte que leur courage serve à quelque chose.

Bakchich : Et maintenant, selon toi, quel est le scénario le plus probable en Iran ? Une autre révolution ? La chute d’Ahmadinejad ? Ou un durcissement du régime ?

Arash : Tout cela dépend bien évidemment des intentions de Moussavi, et de ce qu’on lui laissera faire. Au début, nous demandions juste un autre scrutin, sans fraude. Mais là, avec tous ces innocents tués ou blessés, la donne a changé.

Il y a aujourd’hui une majorité d’Iraniens qui souhaitent la démission d’Ahmadinejad et une mise en retrait du Guide Suprême. Et une chose est sûre, tant que Khamenei sera en place, les Iraniens ne voteront plus. Le problème est que Khamenei se considère comme le dieu de tous les musulmans et qu’il ne sera jamais vaincu. Il y a donc de grandes chances pour qu’il ordonne un durcissement du régime, et que l’on continue à tuer des innocents en Iran.

Il n’y a guère que la communauté internationale qui pourrait faire quelque chose. Et je ne comprends pas pourquoi rien n’est fait aujourd’hui. Je vous le dis en toute sincérité, nous avons vraiment besoin d’aide.

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