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LUTTES / CHRONIQUE DU BLÉDARD

Les invisibles de la République

Chronique du blédard / vendredi 28 juillet 2006 par Akram Belkaïd
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En 1998, quelques jours après la finale de la Coupe du monde de football remportée par la France, Charles Pasqua, l’ancien ministre de l’Intérieur, l’homme des charters d’expulsés maliens, déclarait, dans un élan de générosité inhabituelle, que la seule solution pour régler le problème des clandestins consistait à tous les régulariser. Il reconnaissait néanmoins dans la foulée que ce genre de mesure serait certainement difficile à faire admettre à l’opinion publique. Bien entendu, jamais personne dans la classe dirigeante française, de droite comme de gauche, n’a repris cette proposition à son compte.

Huit ans plus tard, la même idée vient de faire sa réapparition mais en Italie, pays qui vient, quel hasard, de remporter la Coupe du monde de football (dans les conditions que l’on sait…). Mais cette fois-ci, il ne s’agit pas de paroles en l’air prononcées à moindre coût dans l’euphorie générale mais bien d’un acte concret.

Faisons un rapide retour en arrière. En janvier dernier, le gouvernement Berlusconi décide de régulariser 170.000 clandestins mais, en quelques semaines, l’administration italienne recense plus de 500.000 demandes de papiers. Arrivent les élections législatives. Berlusconi, membre, avec Blair et Aznar, de la valetaille européenne de Bush, s’en va, remplacé par Romano Prodi. Et c’est le gouvernement de ce dernier qui vient d’annoncer que les 517.000 dossiers déposés sont tous égaux entre eux et que la morale mais aussi l’intérêt de l’Italie exigent une régularisation totale. Et pour enfoncer le clou, ce même gouvernement supprime les quotas pour tous les travailleurs issus des dix nouveaux membres de l’Union européenne. Dans la situation actuelle de montée de la xénophobie aux quatre coins de l’Europe occidentale, cette décision est plus que courageuse et elle mérite d’être saluée.

Le premier flic de France régularise quelques familles « bien intégrées »

Et si je vous en parle, c’est parce qu’en France, il est aussi question de clandestins. Entre le martyre du Liban et la canicule, on a droit à quelques images ou à quelques manchettes sur le nombre de familles de sans-papiers dont les enfants sont scolarisés et que le ministère de l’Intérieur va ou non régulariser. Notez d’abord cet aspect étonnant de la France. Un sans-papier, être invisible, est susceptible à tout moment de se faire expulser mais, dans le même temps, rien ne lui interdit d’inscrire ses enfants à l’école et il est même censé payer ses impôts !

Le drame, c’est que des milliers de familles de clandestins ont vu arriver la fin d’année scolaire avec angoisse. Pas de papiers, c’est dehors même avec des enfants scolarisés : c’est la règle clamée à l’envi par Sarkozy. Et comme toute règle a ses exceptions, le premier flic de France a tout de même accepté de régulariser quelques familles « bien intégrées ». Les chiffres avancés n’ont rien à voir avec le geste italien. Six mille, voire sept mille familles seraient concernées (sur vingt mille demandes prévues), le billet d’avion (ou le bateau) étant promis aux autres ayant « vocation à quitter le territoire ».

Cette affaire des régularisations limitées m’interpelle car je refuse de succomber au syndrome de l’autobus. Vous savez, il s’agit de cette manie qu’ont les derniers passagers à être montés de se montrer impitoyables ou indifférents à l’égard de ceux qui sont restés sur le quai. Il est vrai que les Blédards qui ont leurs papiers n’aiment pas trop se mêler de ces histoires de clandestins. On les trouve rarement dans les associations qui les défendent et on se dit qu’ils font tout pour oublier ce qu’ils ont eux aussi vécu.

Récits de file d’attente à la préfecture

Avant la chronique du Blédard, j’aurais pu vous faire partager des récits de la préfecture et restituer ces moments qui s’impriment à jamais dans votre cerveau, même si la raison s’empresse de les reléguer au second plan pour, au fil du temps, en atténuer la douleur. Il y a d’abord les jours puis les heures qui précèdent le rendez-vous, cette tension qui monte, ces papiers que l’on range et prépare à plusieurs reprises. Les scénarios que l’on imagine, les solutions de repli que l’on invente. Il y a ensuite la nuit d’avant, toujours courte, jamais sereine. Et puis arrive le jour en question. Le petit-déjeuner que l’on n’a pas envie d’avaler, le ciel dont on cherche à lire l’augure. Ce sentiment d’impuissance face à une machine administrative que l’on sait être parfois si implacable. La salle d’attente à l’île de la Cité, rue des Morillons ou rue Mollis. Les compagnons d’anxiété que l’on ne connaît pas et qui vous racontent leur vie, leurs dossiers. Les gens que l’on reconnaît et avec lesquels on échange des paroles gênées. Cet ancien ministre que l’on débusque, caché derrière un pilier, sûrement honteux ou peut-être pas. On est un numéro qui attend et qui espère qu’il n’aura pas affaire à l’Antillaise revêche du guichet numéro six. Il y a les incidents, parfois les hurlements. Les crises de nerfs, les mains des hommes qui tremblent, les visages hagards des femmes. Mais je vous mentirai si j’affirmais que j’ai été témoin de scènes racistes. Ce ne fut jamais le cas. Mais ce n’est pas le plus important car ce qui prime, ce qu’il faut retenir, c’est la tension, la peur, la sensation que son avenir se joue et que l’on n’est pas maître de toutes les cartes.

On est enfin appelé. On donne ses originaux et ses photocopies. On répond aux questions, on évite de mentir ou de biaiser. On se sent pris au piège, on commence à s’en vouloir d’en être arrivé là. On se dit qu’après tout, prendre le chemin du retour ne serait pas aussi dramatique. On se dit tellement de choses durant ces quelques minutes d’entretien. Et puis, le visage impassible, on vous demande d’aller vous rasseoir. Et là, le temps se suspend. L’estomac vide se venge. Il faut encore attendre. Vient enfin le second appel. Délivrance, simple répit ou catastrophe, c’est selon. Quel que soit le résultat, on quitte très vite l’endroit et l’on se retrouve face auquartier Saint-Michel. On s’y dirige à petits pas pour faire une halte au Départ ou au Saint-Séverin. On range une nouvelle fois ses papiers et l’on pense à l’étrangeté de la vie.

Tout cela est trop vite dit, trop peu décrit mais c’est une manière pour moi de vous expliquer à quel point il m’est aisé de ressentir ce que vivent tous ceux qui, en ce moment, espèrent faire partie du petit quota que Sarkozy vient d’allouer aux invisibles de la République.


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