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Les amants

6 avril 2010 à 12h04

L’annonce faite par le Joueur que son coup avait servi à me protéger d’un rapt et garder intact mon hermaphrodisme ne me traumatisait pas outre mesure. Je n’avais pas senti de danger particulier le soir de la finale mais j’étais tellement ailleurs. Je lui étais éternellement reconnaissant pour cet acte chevaleresque. Quand je m’allongeais et que mon oreille devenait son visage virtuel, je l’embrassais sur la joue, m’apparaissait l’image de lui où il donnait ses explications à la télévisions et je lui disais : merci !

Ainsi mes identités sexuelles allaient être préservées. J’allais devenir une femme à part entière, un homme à part entière et demeurer parfois ce que je suis actuellement : porteur des deux sexes. Cela me faisait sourire que mon petit sexe d’homme, plutôt d’enfant, cette excroissance qui signait ma marginalité allait permettre de désamorcer les bombes, les fusils et les pulsions criminelles. Ma réversibilité permanente de mes identités masculines et féminines assurerait la paix. A moi de jouer avec les deux. A moi de jouer tout court.

Le Joueur me dit que j’aurais des amis-amants avec lui. J’étais troublé par cette révélation. Je voulais absolument former et souder de la manière la plus solide possible un couple avec le Joueur. Il m’assura que ce n’était pas incompatible. Je devais m’avouer que depuis cinq ans, date à laquelle je lui ai déclaré ma flamme, je n’ai cessé de regarder les autres hommes avec désir et une certaine gourmandise. Il me dit que cela tombait bien pour faire surgir l’Eden et la contre-matière, cette matière qui arrivait comme par miracle et qui au gré de ses formes allait redessiner notre environnement. Une ingrate cité de banlieue pouvait ainsi devenir une ville radieuse de maisons en bois ou en pierre, avec des rues arborés, des jardins fleuris, des commerces de proximité, des cafés, des restaurants, des théâtres et cinémas. Tous les bidonvilles de la terre allaient connaître le même sort. Il fallait plus d’espace, notre planète grossirait par un phénomène d’expansion tranquille.

Les amants serviraient à accélérer ces processus. Le Joueur me rassura. Nous serions liés à jamais. Dès nos premiers regards, paroles, ébats amoureux, nous serons marqués, tatoués, liés l’un à l’autre dans une fusion pas étouffante, sans ses inconvénients. Nous serions à jamais tenus l’un par l’autre et ce lien aurait la toute puissance du cosmos. Il paraissait que c’était dans l’ordre des choses : le Joueur m’annonça que j’aurais un appétit féroce pour les hommes. Rien ne nous empêchait de faire l’amour à trois. J’avais récemment découvert en regardant un film porno qu’une femme pouvait jouir d’une double pénétration. Avec mon versant masculin, j’avais par ailleurs vécu un homme puis un deuxième homme me pénétrer d’affilée.

Avec cette révélation, je devenais chaude comme une braise. Je suppliais le Joueur que je ne serais jamais seul(e) avec mon amant, qu’il serait toujours à mes côtés, qu’il ne m’abandonnerait jamais, que nous ferions l’amour à condition qu’il fût là. Il passa plusieurs jours à me convaincre de l’intérêt d’une véritable triangulation. C’était la seule condition de faire cracher une contre-matière d’une qualité exceptionnelle et peindre la terre tel que tous les hommes et les femmes l’ont eux même rêvé. Ce serait l’avènement de la symbiose onirique de l’humanité. Encore une fois, nous n’aurions aucun pouvoir dans cette histoire-là, nous ne serions que de simples vecteurs. Nous aurions simplement le privilège de connaître une jouissance inouïe et le plaisir du libertinage, un libertinage que chaque homme et chaque femme pourrait connaître s’il en avait l’envie. L’Eden assurerait que ces multiplications érotiques ne mettraient pas en danger les couples et les histoires d’amour qui fleuriraient sur cette terre. La peur disparaitrait, la confiance serait d’or. Et ce ne serait qu’une possibilité parmi d’autres de vivre sa sexualité.

Immédiatement l’image de l’Africain me vint à l’esprit. Il était joueur dans un club anglais. La première fois que je le vis, j’éprouvai un véritable coup de foudre malgré mon amour pour le Joueur. C’était la beauté même, d’un raffinement, d’une sophistication que l’on ne trouve que chez les femmes. Le plus troublant, c’était qu’il était très masculin. Bâti comme une armoire à glaces, doté d’une puissance physique qui impressionnait les commentateurs, il inspirait en moi la finesse d’un cisèlement, d’une lumière, d’une transcendance. Souvent pendant un match, il levait doucement ses yeux vers le ciel et cela trahissait un état de totale extase mystique ou de l’incroyable bien-être d’un orgasme. Il priait.

Sa virilité ne faisait aucun doute. Pourtant son visage ressemblait souvent à celui de la Madone en transe après la visite de l’ange Gabriel ou lors de ses retrouvailles avec son fils sans vie après sa crucifixion. Sa bouche incroyablement pulpeuse semblait aussi emportée par une telle élévation. Cela crevait l’écran : cet homme avait une vie spirituelle et érotique inépuisable. Il était habité par une force que l’on aurait aimé sonder. Son rapport au football et au ballon était une expérience existentielle, religieuse et sexuelle.

Cela ne l’empêchait pas de faire son garnement et l’acteur quand il se retrouvait à terre, singeant une gravité de blessure qui n’existait pas ou discutant une décision d’arbitre avec une craquante mauvaise foi d’enfant. Il était vif comme un éclair. Ses buts ressemblaient à de l’électricité. Ses adversaires ne lui posaient jamais de problèmes. Il pouvait mystifier deux adversaires grâce à sa technique, son agilité et d’hallucinants passages en force dont personne ne soupçonnaient qu’ils fussent possibles. Cet homme creusait son destin avec un sillon profond, doté de sa richesse intérieure et de son sens de la justice. Dans son pays d’origine il se battait avec l’éclat et l’efficacité de sa popularité. Il avait créé une fondation pour développer l’Afrique « avec des actions vraiment concrètes ». Et cela marchait. Des hôpitaux, des écoles étaient en projet.

Je l’aimais pour toutes ces raisons. Il avait un corps de rêve, un visage d’œuvre d’art, une puissance extatique. Un jour il embrassa sensuellement le ballon devant une caméra. Une autre fois, il se posa timidement devant une autre caméra et osa avec pudeur faire le chiffre trois avec les doigts de sa main. Le Joueur me confirmait qu’il me faisait des déclarations, qu’il était prêt à être cet amant privilégié. Pour moi, c’était une seconde histoire d’amour, il était magnétique. Le Joueur me confia qu’il était le partenaire idéal pour produire la contre-matière et accélérer l’installation de l’Eden. Le Joueur me rassura sur le fait que nous formions bien un couple lui et moi, que nous étions viscéralement liés, qu’un acier cosmique nous attachait l’un à l’autre comme le premier homme et la première femme l’ont été sur terre mais qu’il serait dommage de nous refuser à nous même un tel complice. Je me mis à rêver sans aucune limite et à aimer davantage le Joueur pour le fait que nous serions aussi des êtres libres, gourmands, esthètes, sans limites dans notre recherche du plaisir sans jamais nous trahir.

La maison à Marseille Une interprétation des explications du joueur